Rôle des langues dans la construction de l'identite des immigres italiens et de leurs descendantsSylvie ROBERT |
Introduction : Contexte historique de l'immigration italienne
en France p. 1
I. Spécificités de l'immigration italienne
et choix méthodologiques p. 7
I.1. Une situation plurilingue p. 7I.2. Création de communautés italiennes p.1 1I.3. L'intégration : facteurs « facilitateurs » et obstacles p. 22I.4. Enquête et constitution d'un corpus p. 27
II. Le rapport ambigu entre langue et identité
chez les immigrés italiens p. 31
II.1. La quête identitaire des immigrés p. 31II.2. La langue, élément fondateur ou simple constituant de l'identité ? p. 36II.3. Le rapport ambivalent à la langue française. p. 41
III. La langue maternelle, un signe distinctif à
effacer ou un héritage à transmettre à ses descendants ?
p. 47
III.1. Le rejet de ses origines et la non-transmission de la
langue p. 47
III.2. Le désir de la 3ème
génération d'un retour aux sources. p. 53
Conclusion p. 58
AVANT-PROPOS
J'ai choisi d'étudier le plurilinguisme et la question
de l'identité chez les immigrés italiens venus en France,
probablement en raison de mon amour pour l'Italie, où j'ai vécu
quelques années et que je considère comme mon pays d'adoption
bien que je n'aie aucune origine italienne. Les liens qui m'unissent à
ce pays sont toujours très forts et ne se sont pas amoindris
après mon retour en France. J'ai d'ailleurs quitté l'Italie pour
devenir professeur d'italien et j'essaie - autant que faire se peut - de
transmettre à mes élèves ma passion pour ce pays et pour
la langue italienne.
Ayant grandi dans le Nord-est de la France, j'ai de nombreux
amis ou connaissances dont les parents étaient immigrés italiens.
J'ai pu constater que certains n'avaient pas souhaité transmettre leur
langue maternelle à leurs enfants. Je me suis alors demandé
quel(s) événement(s) pouvai(en)t amener à l'abandon voire
au rejet de cette langue que j'aime tant alors qu'elle n'est pas la mienne.
Cette question m'a donné envie de me documenter sur l'immigration
italienne, sur l'intégration dite « facile » des travailleurs
italiens.
Au cours de mes recherches et en lisant des
témoignages, j'ai pris conscience de la complexité du
problème de l'identité. Qui est-on vraiment lorsque l'on est
immigré ? Cesse-t-on d'être italien lorsque l'on quitte
l'Italie ? Devient-on français dès lors que l'on obtient la
naturalisation ? Est-on français seulement sur "les papiers" et reste-t-
on italien dans son coeur ? Y a-t-il une identité franco-italienne ?
Je me suis également interrogée sur la place des
langues dans la construction de l'identité de l'immigré : La
langue que l'on parle conditionne-t-elle notre mode de pensée ?
Devient-on français lorsque l'on maîtrise parfaitement le
français, lorsque l'on pense en français ? La langue
maternelle exerce-t-elle toujours une influence sur la pensée ? Peut-on
réellement se détacher d'une langue qui vient des parents ?
Est-ce important de la transmettre aux générations futures ?
Ce sont ces questions qui ont orienté ma
réflexion sur le thème du rôle des langues dans la
construction de l'identité chez les immigrés et leurs
descendants.
Mon propos n'est pas d'apporter une réponse univoque
à ces questions, ni d'émettre des
généralités. Je garde à l'esprit que chaque
histoire d'immigration est unique et qu'elle est souvent douloureuse. Mes
conclusions s'appuieront sur des témoignages et ne sauraient
revêtir un caractère universel.
En premier lieu, j'exposerai le contexte historique de
l'immigration en France après la seconde guerre mondiale, puis
j'analyserai le rapport ambigu entre langue et identité chez les
immigrés italiens, enfin je montrerai que la langue maternelle peut
être perçue comme un signe distinctif à effacer ou au
contraire, comme un héritage à transmettre à ses
enfants.
INTRODUCTION : CONTEXTE HISTORIQUE DE
L'IMMIGRATION
ITALIENNE EN FRANCE.
ITALIENNE EN FRANCE.
Notre étude s'appuiera sur des témoignages
recueillis auprès d'immigrés arrivés en France entre les
deux guerres, et sur ceux de leurs enfants et petits-enfants. Il est cependant
nécessaire de présenter brièvement les vagues
antérieures de l'immigration afin de comprendre les difficultés
d'insertion auxquelles ont été confrontés les migrants. En
effet, contrairement aux idées reçues, l'intégration des
Italiens dans la société française résulte d'une
longue histoire parsemée de difficultés et d'épisodes
parfois sanglants.
· Les premières vagues d'immigration italienne en France.
La première grande vague d'émigration eut lieu
à la fin du XIXème siècle (entre 1871 et la fin
du siècle)1, alors que l'unité italienne
n'était pas encore achevée. À cette
époque-là, où l'Italie était très pauvre et
90 % de la population était analphabète, 5 millions d'italiens
quittèrent leur pays pour chercher du travail et s'installèrent
dans le Nord de la France et surtout à Marseille.
L'Italie ayant signé l'alliance avec l'Autriche, la
Hongrie et l'Allemagne en 1882, elle devint une ennemie potentielle pour la
France c'est donc avec hostilité que furent accueillis les travailleurs
italiens venus du Nord de la Péninsule (Turin, Cuneo), vus comme des
«envahisseurs2» et des concurrents déloyaux. Leurs
conditions de vie étaient extrêmement difficiles
(ségrégation dans les ghettos situés en
périphérie des grandes villes comme Paris ou Marseille),
promiscuité dans les baraques ouvrières des villes industrielles
du Nord. Se contentant de peu, les Italiens acceptaient les tâches les
plus dures et des salaires dérisoires ce qui suscita l'inimitié
des ouvriers français. Des rixes parfois très violentes
éclatèrent entre Français et Italiens, parfois
1 Cf. Annexe 1 : carte de la répartition par
départements des Italiens dans la France en 1896.
2 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p 145 : «
l'image de nos voisin(...) continue d'entretenir une peur fantasmatique de la
submersion. En témoigne l'usage omniprésent dans les textes du
thème de l'invasion(...) on parle de « nuées de
sauterelles», de « hordes de barbares », de « l'ennemi
campant aux portes de la Cité ».
Le roman de Louis BERTRAND, L'invasion publié en
1907, connaît un grand succès en France.
sur le lieu même du travail. La tragédie
d'Aigues-Mortes3, manifestation de xénophobie la plus
éclatante a été, hélas, suivie d'autres incidents
:
Le travail dans les salines d'Aigues-Mortes était
extrêmement difficile. Le zèle des Italiens provoqua la jalousie
des ouvriers français. Le 17 août 1893, des altercations
dégénérèrent en véritable émeute, la
foule excitée poursuivit les Italiens, armée de fourches et de
pioches et réclamant la mort des « Christos ». Ce fut un
véritable massacre.
L'assassinat du Président Carnot par l'anarchiste Sante
Caserio exacerba l'hostilité et provoqua un nouveau déferlement
de violence dans de nombreuses villes (Marseille, Avignon, Chambéry,
Nancy et surtout Lyon).
De 1905 à 1914, les violences s'amoindrirent, les
relations entre Français et Italiens s'améliorèrent peu
à peu bien que les préjugés sur les Italiens
perdurèrent jusqu'à la guerre.
En 1915, l'entrée en guerre de l'Italie aux
côtés de l'Entente et le fait que des milliers d'Italiens aient
été volontaires pour combattre avec les Français
contribuèrent à changer de façon positive l'image des
Italiens. Les migrants qui arrivèrent dans les années 20,
s'insérèrent donc plus facilement dans la société.
On reconnaît les qualités des travailleurs italiens et leur
savoir-faire :
Dans les milieux patronaux s'élabore l'image de
l'Italien « bon ouvrier » en même temps que
« bon père de famille »
généralement peu enclin à troubler l'ordre
public4.
Mais dans les années 30, la crise économique qui
gagna la France après avoir affaibli l'Amérique et l'Europe,
provoqua une nouvelle vague de xénophobie, alimentée par les
discours non seulement de l'extrême droite mais de tous les partis
politiques, ravivant les anciennes rancoeurs et les stéréotypes.
Les « chasses à l'Italien » et les événements
sanglants de la fin du siècle précédent ne se
reproduisirent pas, mais la violence verbale se déchaîna.
Les Italiens appelés « ritals » ou «
macaroni » étaient tournés en dérision et la presse
diffusa une image négative des Italiens en mettant en avant la
criminalité italienne. La propagande de Mussolini pour rapatrier les
immigrés ne fit qu'empirer le sentiment italophobe, devenu si fort en
1939, qu'il alarma les partis politiques de gauche :
3 Enzo BARNABÀ, Le sang des marais, Aigues-Mortes, 17
ao€~t 1893, une tragédie de l'immigration italienne,
Marseille, Via Valeriano, 1993.
4 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p148.
« Les Italiens de France, dans leur immense
majorité, réagissent. Contre la guerre, certes, dont ils ne
veulent pas. Mais aussi contre leur gouvernement, dont ils n'hésitent
pas à dénoncer (...) les responsabilités criminelles. Ils
vont plus loin, et par dizaines de milliers, se déclarent prêts
à défendre contre une agression le pays dont ils sont les
hôtes (...) Il y a Italiens et Italiens, et, l'on veut espérer que
les Français ne commettront pas la faute de confondre les uns et les
autres ».5
· La seconde guerre mondiale et le traumatisme du « coup de poignard dans le dos »
La déclaration de guerre de Mussolini à la
France occupée par les nazis en 1940, vécue comme « un coup
de poignard dans le dos » par les Français fut lourde de
conséquences pour les Italiens de France, considérés comme
des traîtres. 60 000 Italiens quittèrent la France pour l'Italie
en 1939, la plupart pour échapper aux dénonciations et à
la déportation dans les camps de concentration du Midi.
"Qui a-t-on envoyé dans ces bagnes dont un certain
nombre ne reviendront pas ?( ...) j'ai sous les yeux en écrivant ces
lignes les centaines de photocopies que j'ai faites aux archives
de Marseille (...) Pour un sympathisant déclaré de la dictature
mussolinienne, je trouve cinq adversaires déterminés du
régime et à peu près autant de pauvres diables
installés de longue date dans la région, parfaitement
intégrés (...) souvent ayant demandé leur naturalisation
depuis des années et que l'on a embarqués au petit matin,
à la suite d'une dénonciation, parce qu'ils ont un jour
participé à une grève, eu une altercation avec un
voisin".6
Le souvenir de la « trahison » italienne resta
longtemps présent dans l'esprit des Français, l'animosité
ne s'estompa que très progressivement :
"Les Italiens se souviennent des difficultés de la
vie quotidienne (vente de biens, relations familiales distendues, deuils sans
accompagnement), de l'impression d'r~tre mis à l'écart et des
vexations de toutes sortes7".
"Jusqu'en 1945, la presse française fait preuve d'un
«anti-italianisme par défaut» en présentant les
immigrés comme les ressortissants d'un pays vaincu8".
Italiens et Français gardent aujourd'hui encore un
souvenir noir de cette période. Il semblerait néanmoins que les
torts aient été partagés :
"On entend encore dire que « les Italiens ont fait la
noce » dans un pays humilié par la défaite, souff ."
5 André GUERIN, article paru dans L'°~uvre,
avril 1939, cité par Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p 153.
6 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p358.
7 Laure TEULIERES « Mémoires et
représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain», dans
Les italiens en France depuis 1945, p 215.
8 Alexis SPIRE « Un régime dérogatoire pour
une immigration convoitée. Les politiques française et italienne
d'immigration et d'émigration » dans Les italiens en France
depuis 1945, p 43.
9Laure TEULIERES « Mémoires et
représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain »
Mémoires privées, le choix du non-dit, p 215.
"Le traumatisme de 1940 n'a pas seulement fait perdre
leurs repères aux habitants de l'Hexagone (...) il a également
provoqué chez les migrants des réactions qui ne sont guère
plus glorieuses. Certes, comme chez les Français une minorité
s'engage tout de suite dans le combat contre l'occupant. (...) Mais la masse
hésite entre le désir d'incognito - ne pas faire de vagues,
surtout ne pas afficher son appartenance à la nationalité du pays
ennemi pour ne pas éveiller ou réveiller l'hostilité des
autochtones - et la jubilation d'f tre du côté des
vainqueurs."10
Pour les Italiens, participer à la Résistance est
une preuve de loyauté envers la France et montre leur volonté
d'intégration :
" C'est l'affirmation d'une identité pleinement
francisée pour les jeunes de la seconde génération. On
exalte les épreuves partagées, le sacrifice consenti pour le pays
d'accueil "11.
· La libération et la Reconstruction
L'économie italienne très affaiblie au moment de
la Libération et le taux de chômage élevé furent
à l'origine d'un nouveau flux d'immigration. La France avait par
ailleurs besoin de main-d'oeuvre pour reconstruire le pays et de « sang
neuf » pour relancer la croissance démographique :
"Alfred de Sauvy insiste sur l'urgence de combler les
vides et le général De Gaulle admet la nécessité de
faire appel à une « bonne » immigration en attendant les
millions de beaux bébés dont la France a besoin pour assurer sa
pérennité historique"12.
À partir du printemps 1945, de nombreux Italiens
arrivèrent en France : il s'agissait d'anciens ouvriers qui avaient
quitté la France en 1939 et qui retrouvaient facilement du travail
auprès de leur ancien employeur, mais aussi de chômeurs qui
venaient pour chercher du travail et régularisaient leur situation par
la suite.
Les Français considérèrent d'abord cette
arrivée massive comme "une nouvelle invasion"13. Selon les
régions dans lesquelles ils s'établirent, ces nouveaux
immigrés subirent, comme les générations
précédentes, rejet et discriminations.
Mais la participation des Italiens à la Reconstruction
scella à nouveau l'amitié entre les deux peuples :
10 Pierre MILZA, Voyage en Ritalie, p.361.
11 Laure TEULIERES, « Mémoires et
représentations du temps de guerre dans le Midi Toulousain », dans
Les Italiens en France depuis 1945, p.207.
12 Pierre MILZA, Op.cit., p101.
13 Ibidem, p.100.
"La période de l'après-guerre est
évoquée par les entrepreneurs, artisans, patrons ou simples
ouvriers comme le temps de la fierté, de l'enracinement, de
l'acceptation réciproque, de l'insertion à la
société d'accueil ".14
Jusqu'au début des années 60, l'immigration se
stabilisa. En France, la croissance s'accéléra, tandis que le
« miracle italien15 » améliora
considérablement le niveau de vie des ouvriers dans le Nord du pays.
Par conséquent, le nouveau flux est majoritairement
composé d'italiens originaires des régions du sud de la
Péninsule (Campanie, Calabre, Pouilles, Basilicate, Sicile) tandis que
les immigrés des vagues précédentes venaient du Nord
(Piémont, Cuneo). Les nouveaux venus eurent beaucoup de
difficultés à se faire accepter non seulement par les
Français de souche mais également par ces anciens
immigrés, installés depuis longtemps en France et parfaitement
intégrés à la société.
À partir des années 60, une grande partie des
immigrés italiens choisit de rester définitivement en France.
Leurs enfants, nés en France abandonnent souvent les durs métiers
de la sidérurgie entre autres, pour se tourner vers d'autres secteurs de
l'économie :
"Chez les Italiens apparaît une volonté de
s'établir en France de façon plus durable (...) en 1962, leur
nombre augmente en passant à 52 % des étrangers nouvellement
naturalisés français (...) La nouvelle génération
d'Italiens née en Lorraine et scolarisée sur place,
préfère se tourner vers le commerce (30 %) ou monter une petite
activité artisanale ou industrielle (1/5) "16.
Pour cette seconde génération et pour les
migrants arrivés après les années 60, l'insertion a
été plus facile, même s'il existe des différences
sensibles d'une région à l'autre. Ainsi, en grande
majorité (60 %), les primo-migrants - arrivés en France entre
1950 et 1963 - ayant répondu à notre questionnaire
considèrent-t-ils que les Français leur ont réservé
un bon accueil.
14 Marc POTTIER, « Les Italiens et la reconstruction de la
Normandie aux lendemains du Débarquement » dans Les Italiens en
France depuis 1945, p.70.
15 Entre la fin des années 50 et le début des
années 60, l'Italie se transforme sur le plan socio-économique:
on assiste à l'industrialisation, à la scolarisation en masse et
à une modernisation fulgurante du pays, d'où l'expression «
miracle italien » pour désigner ces progrès
extraordinaires.
16 Piero D. GALLORO, « Le flux de main-d'oeuvre italienne
dans la sidérurgie Lorraine, analyse sociale et démographique
(1945-1 968) » in Les Italiens en France depuis 1945, p 92.
Ce rappel historique avait pour but de montrer que
l'intégration dite « réussie » des immigrés
italiens, ne s'est pas faite sans obstacles ni souffrances.
Retracer le parcours des différentes
générations d'immigrés était nécessaire
avant de réfléchir au rôle des langues dans le processus
d'intégration. Connaître les événements historiques
à défaut de l'histoire personnelle de chacun permet de mieux
comprendre les différents choix des immigrés : celui de
transmettre leur langue maternelle ou non, leur désir de
préserver ou au contraire de dissimuler leur italianité.
I. Spécificités de l'immigration italienne et choix méthodologiques
I.1- Une situation plurilingue.
A- Coexistence de plusieurs langues au sein des
communautés italiennes (dialectes/ italien)
Contrairement à la France, où les dialectes ont
pratiquement tous disparu en raison de « la chasse aux patois » mise
en oeuvre dès la fin du XVIIIème siècle,
surtout dans le Nord du pays, en Italie, ils ont constitué le seul moyen
de communication jusqu'en 1960, date à laquelle la
télévision a fait entrer l'italien dans les foyers des Italiens.
Ils subsistent aujourd'hui encore17, et si la plupart des jeunes ne
connaissent que quelques mots de dialecte, ils le comprennent parfaitement.
Dans certaines régions, deux dialectes coexistent en plus de l'italien,
c'est pourquoi on peut effectivement parler d'une situation plurilingue et non
pas bilingue.
L'unification linguistique de l'Italie n'existait pas au
moment des premières vagues d'immigration. D'après le linguiste
De Mauro, vers 1860, les italophones ne représentaient que 20 % de la
population adulte. L'Italie a d'ailleurs été faite par un roi
francophone qui parlait à ses soldats en piémontais. Ceux-ci
n'arrivaient d'ailleurs pas à se faire comprendre dans les
régions du sud de la Péninsule qu'ils avaient conquises !
L'italien était une langue littéraire, à laquelle la
population n'avait pas accès. En outre, il n'y avait pas en Italie de
sentiment national, c'est pourquoi Massimo D'Azeglio aurait
déclaré après la proclamation de l'Unité italienne,
« l'Italie est faite, il reste à faire les Italiens ». Des
traditions culturelles très différentes opposaient le Nord et le
Sud de la Péninsule ; l'analphabétisme et la pauvreté des
méridionaux suscitaient souvent le mépris des septentrionaux.
Il était urgent de faire en sorte que les Italiens ne
parlent qu'une seule langue ; le nouveau gouvernement, le fascisme, les
militants antifascistes et les intellectuels de gauche, tous oeuvrèrent
dans ce sens, par le biais d'une nouvelle littérature visant un large
public. L'italien s'est donc peu à peu imposé comme un outil de
communication. Mais son usage n'a pas marqué l'abandon des dialectes ni
effacé l'attachement à la région natale.
17Cf. Annexe 2 : les dialectes italiens
Aujourd'hui encore, l'esprit de clocher - il
campanilismo - est très vif, les Italiens se définissent
d'abord par l'appartenance à leur région, voire à leur
ville, les rivalités très fortes qui ont opposé dans le
passé des villes voisines, comme Florence et Pise, subsistent encore.
Ces éléments nous permettent de comprendre les
difficultés linguistiques auxquelles ont été
confrontés les immigrés italiens : On imagine aisément la
difficulté que représentait l'apprentissage du français
pour ces immigrés qui n'avaient pas été - ou très
peu - scolarisés dans leur pays, dont la langue maternelle
n'était pas l'italien mais un dialecte incompréhensible pour les
immigrés provenant d'autres régions !
L'absence de cohésion nationale explique que les
méridionaux aient été victimes du racisme, non seulement
de la part des Français, mais des Italiens du Nord qui les
méprisaient et les considéraient comme des terroni, des
paysans.
On comprend alors la nécessité pour ces
immigrés provenant des régions méridionales de l'Italie de
s'intégrer rapidement dans la société française,
puisqu'ils étaient même rejetés par leurs compatriotes.
Pour eux, la clef de l'intégration était une acquisition parfaite
de la langue française.
Toutefois, il convient de nuancer notre propos : si ceci est
vrai pour les Italiens du Sud de la Péninsule qui se sont
installés dans le Nord ou le Nord- Est de la France, la situation a
été bien différente pour les immigrés qui se sont
installés en Provence. En effet, la Provence est la région la
plus proche de l'Italie sur le plan géographique (climat, paysages),
culturel (mode de vie, gastronomie...) et linguistique puisque le
provençal reste en vigueur jusqu'à la seconde guerre mondiale et
avait acquis dès le début du siècle un prestige
littéraire qui l'avait élevé au statut de
langue18. Nous verrons plus loin que cette proximité
favorisera indiscutablement l'intégration des nouveaux venus.
B- Le français : une clef pour l'intégration
Étant donnée l'hostilité manifestée
envers les Italiens, les immigrés ont, dans leur
grande majorité, appris le français rapidement, certains allant jusqu'à interdire
l'usage de l'italien au sein de leur famille. Cette interdiction visait à faciliter
grande majorité, appris le français rapidement, certains allant jusqu'à interdire
l'usage de l'italien au sein de leur famille. Cette interdiction visait à faciliter
18 Frédéric MISTRAL obtient le prix Nobel de la
littérature en 1904 pour son oeuvre écrite en
provençal.
l'intégration parfaite des enfants. Ceux-ci transmettaient
les connaissances acquises à l'école à leurs parents.
La plupart des immigrés disent avoir appris le
français « sur le tas », au travail, en parlant avec les gens.
Certains assistaient à des cours du soir, après leur
journée de travail.
De nombreux témoignages montrent que certains
immigrés ont mis un point d'honneur à gommer leur accent italien
:
"Jamais je n'ai entendu parler italien à la maison...
L'intégration totale était de mise, le parler français
sans accent : de rigueur ! "19
"En France, il cessa vite de parler italien, apprit le
français, un français soutenu, nourri de lectures nombreuses
qu'il écrivait sans fautes et qu'il parlait, quand je l'ai connu,
pratiquement sans que rien dans son accent le trahisse"20.
L'intégration linguistique des immigrés italiens
a été facilitée en revanche, dans les départements
de la Provence (Bouches-du-Rhône, Var, Vaucluse) dans la mesure où
le provençal était resté la langue usuelle jusque dans les
années 30 dans les villes et jusqu'à la seconde guerre mondiale
dans les zones rurales, et où les dialectes italiens (génois,
piémontais) étaient beaucoup plus proches des dialectes
provençaux que du français.
Lors des travaux agricoles (cueillette des olives, vendanges...)
les ordres étaient donnés en provençal.
"Avant 1914 ou même 1939, les Italiens arrivant dans
la région [le Var] apprenaient en même temps le dialecte local et
le français ; pour beaucoup mrme (d'origine surtout piémontaise)
le provençal était un intermédiaire quasi obligatoire pour
arriver au français. Tous les ordres ou conseils pour le travail
étaient donnés en dialecte [provençal] "21
Sur les chantiers également, il arrivait aux
immigrés italiens de côtoyer des ouvriers français, venus
de zones rurales, où ils parlaient encore un patois :
"Autrefois avant l'arrivée des Ritals,
c'étaient les gars du Limousin qui montaient à Paris faire les
maçons. Papa en a encore connu, dans son jeune temps. Eh bien, un truc
qui épatait papa, c'est que les ploucs qui parlaient leur patois de
ploucs français comprenaient le dialetto, et que lui comprenait le
limousin. Ça alors !"22
19 Emmanuelle NIGRELLI, «La marina : castel di Tusa»,
dans Racines Italiennes, p 112.
20 Christophe MILESCHI « Les silences de Guizèpe
», dans Racines Italiennes, p 137-138.
21 P.ROUX, 1970, p 58,59, cité par Philippe BLANCHET dans
« Déstructuration et restructuration des identités
culturelles : les exilés italiens en Provence dans la
1ère partie du XXème siècle » dans
Dialogues politiques, revue n°3, janvier 2004 [en ligne].
22 François CAVANNA, Les ritals, p 67.
Cet usage quotidien du dialecte a donc facilité dans un
premier temps, l'intercompréhension, puis la communication entre
immigrés et autochtones.
Italiens et Français ont créé une sorte
d'interlangue : Les Italiens mélangeaient leur dialecte, le
provençal, puis dans les années 40-50, le français, tandis
que les Provençaux italianisaient leur provençal pour se faire
mieux comprendre par les transalpins. Le dialecte a donc été une
étape vers l'apprentissage du français.
François Cavanna souligne que les Italiens du quartier
dans lequel il a grandi passaient inconsciemment d'une langue à l'autre
:
"ils ne savent plus très bien s'ils parlent dialetto
ou français, ils sont à cheval sur les deux
"23.
Cet accès progressif au français a
favorisé l'intégration des Italiens dans leur environnement
proche et a permis des échanges interculturels : le provençal
s'est enrichi d'emprunts lexicaux de l'italien ou du dialecte des
immigrés, la présence des Italiens a influencé le maintien
de certaines traditions régionales et les goûts des
Provençaux (gastronomie italo-méditerranéenne, engouement
pour le cyclisme, passion de l'opéra).
Il apparaît donc clairement que les langues jouent un
rôle primordial dans l'intégration des Italiens et que l'on ne
puisse étudier l'immigration italienne en France, sans faire de
distinctions entre les régions : on pourrait presque aller
jusqu'à parler d'immigration différente en fonction de la
provenance de l'immigré et de la région d'accueil. En effet,
comme le souligne Philippe Blanchet :
"Quand un Piémontais migre vers la Provence, ce
n'est pas du tout la m r m e chose qu'un Sicilien qui migre vers la Lorraine.
Et pourtant c'est à chaque fois un Italien qui migre vers la
France"24.
23 François CAVANNA, Les ritals, p.26.
24 Philippe BLANCHET, Déstructuration et restructuration
des identités culturelles : les exilés italiens en Provence dans
la 1ère partie du XXème siècle
» dans Dialogues politiques, revue n°3, janvier 2004 [en
ligne].
I.2- Création de communautés italiennes A-
Les « Little Italy » françaises
Au début du siècle, le quartier populaire de la
Villette ressemblait à une « Little Italy » à moindre
échelle évidemment puisque le nombre d'immigrés italiens
était bien inférieur en France. Il y avait, en effet, 46 000
Italiens dans le quartier de la Villette en 1914 et plus de 800 000 à
New-York en 1920 !
Judith Rainhorn a effectué dans sa thèse, une
étude comparée des deux quartiers. Il en ressort qu'ils ne sont
pas aussi éloignés que ces chiffres pourraient le laisser
croire.
En effet, à la Villette comme à East Harlem, les
Italiens avaient des conditions de vie épouvantables, « Ils
s'entassaient dans des logements exigus et insalubres
»25.
La rivalité donnait parfois lieu à des
affrontements violents avec les autochtones et ils exerçaient des
métiers modestes et peu gratifiants :
"Métiers ambulants, cireurs de chaussures, balayeurs
de rue ou débardeurs au port de New-
York, égoutiers, gaziers ou maçons à
Paris"26.
Toutefois, l'italianité a été davantage
préservée à Harlem, grâce à une vie
associative forte, au maintien des traditions, des loisirs (jeux de cartes,
pétanque), tandis que les Italiens de la Villette se sont rapidement
intégrés dans la société. Les mariages mixtes - les
hommes italiens étant plus nombreux que les femmes - ont favorisé
cette intégration alors qu'à Harlem le mariage endogamique
était de rigueur. En Île-de-France, deux autres villes ont
accueilli une importante population italienne : Argenteuil située dans
le Val-d'Oise et Nogent dans le département du Val-de- Marne.
Les Italiens d'Argenteuil ont marqué de leur
présence la ville d'Argenteuil, en particulier le quartier Mazagran :
"Cet endroit, il était célèbre : le
quartier des Italiens. Mazagran (...) Ah, oui, c'était un
quartier
complètement italien "27.
25 Ralph SCHOR, «Judith RAINHORN, Paris, New-York; des
migrants italiens, années 1880-1930» Revue européenne des
migrations internationales, vol.23 n°2|2007 [en ligne]
26 Ibidem
27Témoignage d'Inès, « La
communauté italienne d'Argenteuil. Identité et mémoires en
question », propos recueillis par Antonio CANOVI, in Racines
italiennes, p 241.
Et pourtant, les Italiens d'Argenteuil ne la qualifient pas de
« Petite Italie » dans leurs récits, ils l'appellent plus
volontiers « Petit Cavriago » ou « Petite Reggio », parce
que la plupart des immigrés qui s'y sont installés venaient de la
région d'Émilie Romagne. Ils affirment cependant avec
fierté leur appartenance au quartier, dont ils ont italianisé le
nom, Mazzagrande :
"À l'époque, y'avait 90 % d'Italiens et 10 %
de Français, ils étaient obligés d'apprendre l'italien,
sinon ils ne pouvaient pas vivre, parce qu'on parlait italien partout, dans les
magasins on parlait italien "28.
Ce quartier est devenu dans les années 30 le refuge des
antifascistes. Ils tenaient des réunions dans les salles communales,
dans les cafés et les restaurants. L'engagement politique a joué
un rôle important dans l'intégration des Italiens de Mazagran,
Français et Italiens étaient unis dans la lutte antifasciste :
"Argenteuil devint un des bastions de la ceinture rouge
à la mode franco-italienne comme il en fut plusieurs autour de Paris.
Elle fournit des volontaires Français et Italiens pour la guerre
d'Espagne"29.
Ils y multiplièrent les actes de
désobéissance et de résistance sous l'occupation nazie.
L'immigration italienne remonte au XIXème
siècle à Nogent. Les premiers venus étaient
majoritairement originaires du Val de Nure (70 %), zone montagneuse au Sud de
Plaisance, ils se sont très vite spécialisés dans les
métiers du bâtiment et ont acquis au fil du temps un savoir-faire
reconnu.
Différentes vagues d'immigration se sont
succédé à Nogent : certains fuyaient le fascisme, d'autres
la misère. Les réseaux d'amitié ou de parenté les
amenaient à Nogent.
Les Italiens se sont regroupés dans le centre-ville de
Nogent, où ils vivaient dans la pauvreté, comme le laisse deviner
la description de François Cavanna :
"La rue Sainte-Anne et le quartier tout autour c'est le
vieux Nogent. Les Français ont abandonné ses ruelles
tortillées, ses enfilades de cours et de couloirs et ses caves
grouillantes de rats d'égout aux Ritals."
Certains immigrés ont ouvert de petits commerces, ou des
cafés comme le Petit
Cavanna. L'hôtel-restaurant le Grand Cavanna est devenu une institution et
accueillait les nouveaux venus. Le fait de créer sa propre entreprise montre la
Cavanna. L'hôtel-restaurant le Grand Cavanna est devenu une institution et
accueillait les nouveaux venus. Le fait de créer sa propre entreprise montre la
28 Ibidem, témoignage de Marino, p 242.
29 Antonio CANOVI, « Argenteuil, une petite Italie
antifasciste? » in Les petites Italies dans le monde, Marie-
Claude BLANC CHALÉARD (dir.), PUR, 2007, p180.
volonté de s'établir définitivement et
symbolise la réussite dans le pays d'accueil30. Ainsi les
noms des familles d'entrepreneurs : Cavanna, Taravella, Imbuti, entre autres,
sont-ils devenus célèbres dans la région.
Les autres communautés italiennes suffisamment importantes
pour que l'on puisse parler de « Petites Italies » se trouvent en
Lorraine :
Les zones minières et sidérurgiques du Nord- Est
de la France ont, en effet, fait appel à différentes
époques, aux travailleurs italiens, qui se sont regroupés souvent
dans la même ville, à proximité de la mine ou de l'usine.
Comme le souligne Pierre Milza, la population de certaines communes comptait
plus d'Italiens que de Français :
"Il en est ainsi à Mancieulles près de Briey
et à Villerupt en Meurthe-et-Moselle, où les Italiens originaires
pour la plupart du Frioul ou de la région de Gubbio en Ombrie-
représentent plus de la moitié de la
population"31.
Pour les autres régions de France, il est difficile de
recourir à l'appellation « Petites Italies » en dépit
d'une présence très importante d'Italiens. À Lyon, ils ont
occupé quelques rues du centre mais se surtout regroupés en
périphérie, où ils vivaient parfois dans des ghettos
insalubres.
Il n'y a pas de « Petite Italie » à Marseille
non plus, bien que les Italiens soient arrivés si nombreux qu'ils ont
suscité un sentiment d'invasion chez les Marseillais. Il y avait
cependant à l'époque des quartiers italiens, autour du
Vieux-Port, dans le Panier, le quartier Saint-Lazare et le quartier de
Saint-Mauron, surnommé « Petite Sicile ». L'intégration
des méridionaux n'a pas été facile, nous avons
déjà évoqué les manifestations xénophobes
à l'égard de ceux que l'on appelait sans distinction « les
napolitains ». C'est ainsi que le quartier du Vieux Port devint le «
Petit Naples » pour les Marseillais. Comme en témoigne Nicole
Giacomuzzo :
"Tout autour du Vieux Port, dans ces rues aux noms
pittoresques de vieux métiers, on n'avait pas vraiment l'impression de
vivre dans une « Little Italy » car là se côtoyaient les
descendants de ceux qui étaient venus de tous les rivages de la
Méditerranée (...) Et pourtant, même si autour de moi on ne
parlait pas italien, tout au plus quelques expressions, injures ou
imprécations en dialecte, mon quartier était bien une petite
Naples"32.
Après la seconde guerre mondiale, les quartiers italiens
de Marseille disparaissent :
le quartier du Vieux-Port, qualifié "d'empire du péché et de la mort" par l'académicien
le quartier du Vieux-Port, qualifié "d'empire du péché et de la mort" par l'académicien
30 Cf. Annexe 3: Entreprises du bâtiment et
évolution de la colonie italo-nogentaise.
31 Pierre Milza, op.cit. p 95.
32 Nicole GIACOMUZZO, «Saveurs d'enfances», in
Racines italiennes, Op.cit. p 104.
Louis Gillet33 est détruit, ses habitants -
dont beaucoup étaient Italiens - sont évacués par
milliers.
Aujourd'hui, on retrouve quelques traces de cette
présence italienne, car les représentants des
générations successives sont venus se réinstaller dans le
quartier. À Nice, ville italienne par excellence, l'arrivée
massive des immigrés a été aussi mal perçue
qu'à Marseille, mais leur intégration a été moins
difficile, probablement en raison des affinités culturelles et
linguistiques et parce qu'ils n'ont pas constitué de véritables
communautés : en effet, ils se sont disséminés dans toute
la ville et se sont mêlés à la population, même si on
relève une présence plus forte dans le Vieux Nice et à
Nice Ouest (Magnan, la Madeleine).
Laure Teulières s'est interrogée sur l'absence
de « Petites Italies » dans le Sud- Ouest de la France : en effet,
l'arrivée massive des Italiens dans les années 20, aurait pu
donner lieu à des regroupements : il n'était pas rare d'ailleurs
que les nouveaux venus soient tous originaires du même village italien.
Mais ils se sont dispersés dans les campagnes pour s'installer sur des
terrains laissés en friche et sont passés inaperçus, comme
en témoigne le résultat d'une enquête sur la population de
la France dans le département du Tarn-et-Garonne :
"Les immigrés italiens sont ici retirés,
silencieux, invisibles. Le fait est qu'on ne les voit pas.
Pour les découvrir, il faut aller les chercher au fond
de leurs campagnes"34.
Ils n'avaient de contacts qu'avec leurs voisins avec lesquels
ils se réunissaient lors des fêtes, pour jouer aux cartes.
Toutefois, malgré un certain repli sur la famille et l'entourage proche,
ils ont tissé des liens avec les agriculteurs français, surtout
lors des moissons : ils travaillaient ensemble et partageaient leur repas.
Dans les villes et les villages, il y a avait des commerces,
des cafés et des restaurants italiens et quelques associations
italiennes ont vu le jour, notamment sous l'influence fasciste. Leur
succès a néanmoins été limité par
l'éloignement géographique.
Étrangement ce ne sont donc pas dans les
départements les plus italianisés35, mais dans de
petites communes du Nord et du Nord- Est que ce sont formées les «
Little Italy » à l'échelle française
33 Pierre MILZA, Op.cit. p 537.
34 Enquête sur la population de France. Le
département du Tarn-et-Garonne, L'Illustration, 23
février 1929, cité par Laure Teulières, in « Perdus
dans le paysage ? Le cas des Italiens du Sud- Ouest de la France » in
Les Petites Italies dans le monde, Op.cit. p1 89.
B- Le café : un lieu de rencontre privilégié des immigrés
De nombreux immigrés italiens deviennent gérants
d'un café, surtout dans les villes où la communauté
italienne est importante36. Ce sont souvent les femmes qui tiennent
les cafés, les hommes conservant leur métier de manoeuvre,
mineur, terrassier ou exerçant parfois une autre activité
(coiffeur, épicier) dans une pièce voisine.
D'après Pierre Milza, dans les années 30, les
Italiens géraient la plupart des cafés de certaines communes
lorraines :
"Dans les régions minières de la Lorraine
sidérurgique, on voit se multiplier les débits de boisson tenus
par les Italiens. À Auboué, dans les années 30, sur 30
cafés, 27 relèvent de cette
catégorie"37.
Les cafés ont une fonction politique : ils servaient
souvent de siège pour les réunions du syndicat, comme le bar, le
Franco- Italien, à Argenteuil pendant la grève de 1909
dans les carrières de gypse.
Leur importance était telle, qu'ils ont parfois
été fermés par les municipalités pour
empêcher les réunions syndicales :
"Avoir les cafetiers avec soi dans une lutte, comme
pendant la grève de 1905 est d'une importance primordiale, non seulement
parce qu'ils ont souvent la confiance populaire, mais aussi parce qu'ils
disposent d'une salle pour les réunions. Dans les périodes de
grève, non seulement les cafés sont interdits au syndicat, mais
pour plus de sûreté, les maîtres de forges font pression sur
le maire pour qu'ils soient fermés les jours de
frte."38
Mais le café est avant tout un lieu de détente.
Les ouvriers y trouvent un peu de chaleur humaine et de réconfort
après leur dure journée de travail à l'usine ou à
la mine. Ils aiment s'y réfugier avant de regagner leur logement
insalubre et misérable. C'est en quelque sorte un lieu suspendu entre
l'Italie et la France : les immigrés s'y rassemblent pour parler, en
italien, du pays, des parents ou amis qu'ils y ont laissés, de leur
travail, de sport ou de politique.
35 Cf. Annexe 4 : Répartition de la population par
départements en 1931.
36 Cf. Annexe 5: Photographies de cafés italiens dans le
Nord- Est de la France.
37 Pierre MILZA, Op.cit. p 183.
38 Gérard NOIRIEL, Longwy immigrés et
prolétaires 1880-1980, p 257-258.
Pour les nouveaux venus, c'est un endroit rassurant, où
ils se sentent moins seuls, et où ils ont le sentiment de ne pas avoir
vraiment quitté leur pays. C'est aussi le lieu où ils peuvent
trouver du travail.
Dans ces cafés, on s'amuse, on boit, on chante, on
« refait le match »39 ou le monde et on joue aux cartes
à la briscola, tresette, à la scopa et
à la morra40 en parlant fort et en dialecte :
"La mourra, la mourre comme on dit en « dialetto
», là oui ça fait du bruit ! Ils jettent les doigts en
avant, à toute volée, tu te demandes comment le bras ne s'arrache
pas de l'épaule pour aller se planter dans le ventre du gars d'en face,
ils étincellent de tous leurs yeux, de tous leurs crocs, ils rugissent
de leurs gosiers énormes (...) Le plafond sursaute. Les vitres
tremblent, elles tremblent pour de bon, quand nous autres mômes on passe
dans la rue ça nous vibre dans la tête, les murs font écho,
toute la rue résonne comme un gros mirliton"41.
Les discussions et les parties de cartes, parfois très
animées, contribueront à la construction d'une image
négative des Italiens :
"Des Italiens jouant aux cartes, il faut avoir vu
ça : c'est l'émeute, c'est la guerre, c'est la haine, la rage, le
désespoir, les cheveux arrachés à poignées, la
mère de Dieu plongée et replongée dans les fosses
d'aisances de tous les bordels du monde, et tout ça en Dialetto
évidemment"42.
Le café est donc un lieu de liberté, où
les Italiens renouent avec leur passé, en pratiquant les mêmes
jeux que ceux auxquels ils s'adonnaient dans leur propre pays, mais c'est aussi
un lieu d'échange, où ils côtoient les Français qui
partagent le goût du jeu de boules. Des terrains sont
aménagés à côté des cafés et on y
organise des compétitions. Les équipes sont mixtes, car elles
sont constituées en fonction du niveau des joueurs et non de leur
nationalité. Français et immigrés italiens vont alors
prendre conscience qu'ils ont des points communs : même si les pratiques
diffèrent, ils aiment les mêmes jeux.
Le café a donc son importance dans le maintien de
certaines traditions mais aussi dans la découverte de la culture de
l'autre.
39 Fabien SURMONNE, Le Républicain Lorrain,
19/07/2009.
40 La mourre est un jeu très ancien, dans lequel deux
joueurs se montrent simultanément un certain nombre de doigts, tout en
annonçant la somme présumée de doigts levés. Le
gagnant est celui qui a deviné ce nombre.
41 François CAVANNA, Les Ritals, Paris, Belfond,
1978, p 19.
C- L'associationnisme italien
Le syndicalisme ouvrier
Les premiers immigrés italiens s'étaient
attiré les foudres des ouvriers français, car ils acceptaient
sans se révolter leurs dures conditions de travail et cherchaient
à ne pas faire de vagues. Les Français les méprisaient,
les taxant de « kroumirs » et de « briseurs de grèves
».
Mais à la fin du XIXème
siècle, ils participent activement au mouvement ouvrier, surtout
à Marseille. Sous l'influence considérable de Luigi Campolonghi,
le mouvement ouvrier italien devient un organisme puissant et fait entendre ses
revendications. Les Italiens se rallient par centaines aux syndicats et
participent massivement aux grèves, soucieux de faire preuve de
solidarité avec les ouvriers français :
"Dans toutes les manifestations, écrit le commissaire
spécial dans son rapport de synthèse, le drapeau italien est
déployé à côté du drapeau
français "43.
Bien que les rivalités et les rixes entre ouvriers
italiens et français n'aient pas disparu, l'investissement des Italiens
dans le syndicalisme les a atténuées. Dans un rapport daté
de 1900, le commissaire spécial note en effet :
"(...) une amélioration très sensible de leurs
rapports avec la population locale, une plus grande sécurité et
une augmentation très substantielle de leurs
salaires"44.
L'influence de Campolonghi, ses succès et sa
popularité le rendent dangereux aux yeux des autorités
françaises. Il sera donc arrêté puis expulsé en
1901.
Mais entre-temps, le socialisme italien s'est affirmé
dans les autres régions de France où la population italienne est
importante. Différents organismes voient le jour, comme 113 P
Dn:tDriD qui assiste les immigrés entres autres, par le biais du
Consorzio SI-L2lD2tXtI-lD2dI-HII-P IJrDzIRnI-2CI-12SDI-ii2ll X1RSD qui
distribue de l'argent, veillait à la mise en place de maison d'accueil
pour les migrants, envoyait des inspecteurs pour contrôler les conditions
de vie des immigrés. Ainsi, à la demande des mineurs italiens de
Lorraine, plusieurs inspecteurs seront mandatés en Lorraine, dont
Cavalazzi qui s'y installera et fondera le premier organe syndical en Lorraine,
Le
43 .
Pierre MILZA, Op.cit. p 242
44 Ibidem, p. 243.
réveil ouvrier, dans l'arrondissement de Briey.
Pour les mêmes raisons que Campolonghi, il sera reconduit à la
frontière en 1905.
L'engagement politique des Italiens de France :
Le parti communiste :
Sous la Terreur squadriste -- du nom des équipes
fascistes qui menaient des expéditions punitives dans les rues depuis la
prise de pouvoir de Mussolini -- qui les avait pris pour cible, de nombreux
militants du parti communiste italien se réfugient en France. Ils
n'abandonnent pas leur lutte dans l'exil et cherchent à rallier les
immigrés italiens à leur cause par le biais de journaux et les
incitent à s'inscrire à la Fédération des sections
communistes italiennes en France. En 1923, les fédérations
communistes étrangères sont supprimées, leurs membres
doivent donc rejoindre les «groupes de langue« du parti communiste
français. Les Italiens sont les plus nombreux et les plus actifs.
"Les I-11aR-MIII G-III XrIII 3 lib I-RIA1-III laJ
grX-gtIII X'-f aIA-gR-III G-III Dag -III (c) centuries prolétariennes
» organisées et encadrées militairement pour la seule ville
de Paris ». Sachant que mille hommes environ composaient une
centurie, on devine l'inquiétude du gouvernement français qui
réagit en procédant à de nombreuses arrestations et
expulsions en 1925.
Les organisations fascistes en France :
La force des organisations antifascistes a limité
l'implantation des fasci sur le territoire français. Mussolini,
soucieux d'établir de bons rapports avec la France, n'était pas
pour la propagande fasciste à l'étranger prônée par
les squadristes. Toutefois, le ralliement massif des immigrés à
l'antifascisme cause des tensions : les fascistes et les dirigeants du Parti
National Fasciste s'acharnent contre les opposants au régime. Des
groupes fascistes (fasci) naissent à Paris et à Nice en
1922, puis à Marseille en 1925.
Il n'y a pas eu d'organisations fascistes dans les autres
régions d'immigration italiennes, malgré quelques tentatives en
Lorraine sous l'influence des missions catholiques.
La lutte entre fascistes et antifascistes provoque plusieurs
épisodes violents, l'assassinat du chef du fascio Bonservizi
à Paris en 1924 déclenche une vague d'attentats,
d'expéditions punitives, des complots se trament contre Mussolini.
Suites à ces violences, les organisations sont reprises
en main, épurées de leurs membres les plus extrémistes.
Mais le fascisme s'impose peu à peu dans toutes les régions
françaises, à forte concentration italienne. Ce sont surtout des
notables (commerçants, industriels, médecins, avocats,
journalistes...) qui adhèrent au fascisme, les ouvriers sont très
minoritaires. Le fascisme s'infiltre dans les milieux immigrés, en les
séduisant grâce aux avantages qu'il comporte : l'adhésion
au fascisme donne droit à des soins gratuits en cas de problèmes
de santé, à une aide pour la recherche d'un emploi, au
rapatriement pour ceux qui voudraient retourner dans leur pays mais n'en ont
pas les moyens. Par le biais des organisations (associations d'entraides,
d'anciens combattants, consulats, Maisons d'Italie, Dante Alighieri)
le gouvernement fasciste offre des colonies de vacances aux enfants
d'immigrés, leur distribue des jouets et des bonbons pour les
fêtes de fin d'année. Cette stratégie politique fonctionne
: en 1938, on compte 274 fasci en France.
Au lieu de mener une propagande directe, ces organismes
cherchent à préserver l'italianité des immigrés et
le culte de la Mère Patrie. Ils font donc obstacle au processus
d'assimilation.
· Les associations culturelles
Les associations italiennes se sont surtout multipliées
en France après 1945, sur 322 associations dénombrées par
le ministère des Affaires étrangères en 1980, 233 ont
été créées après cette date.
Le besoin de se retrouver entre Italiens peut s'expliquer par
un désir de retour aux sources, de valorisation de sa culture et par un
besoin de s'unir face aux manifestations d'italophobie auxquelles les Italiens
ont été confrontés avant et après le conflit :
"L'effet préventif des associations est réel.
L'intégration passe aussi par le besoin de se
retrouver. Une fois qu'on est rassuré sur ses
origines, c'est plus facile d'aller vers les autres
"45
45 Magaly HANSELMANN, citée par Aline ANDREY dans «
Les associations italiennes pourraient servir de modèle aux nouvelles
migrations », Le Courrier, 28 février 2008 [en ligne].
Il vient peut-être aussi une réaction contre les
politiques d'assimilation menées par le gouvernement français.
Les autorités exercent d'ailleurs un contrôle très strict
sur les associations étrangères, dans le but de limiter les
regroupements des militants politiques.
Comme nous l'avons souligné dans le paragraphe
précédent, les consulats avaient favorisé les missions
religieuses pour influencer les immigrés, limiter leur francisation et
les inciter à retourner en Italie sous le régime fasciste. Depuis
lors, le gouvernement français s'est montré très
méfiant à l'encontre des activités consulaires. Les
associations d'anciens combattants étaient étroitement
surveillées. Certaines associations précisaient dans leur statut
leur caractère apolitique afin ne pas être
inquiétées : en 1958, le comité de Draguignan de la
Dante Alighieri par exemple, stipule dans l'article 2 de ses statuts
l'interdiction de toute discussion politique en son sein. Son objectif est de
diffuser la culture italienne, en proposant des cours d'italien, en organisant
des conférences ou en projetant des films.
Les petites communautés italiennes de France
étant souvent composées d'immigrés provenant de la
même région italienne - voire du même village - des
associations régionales voient le jour à partir des années
70. Les autorités régionales italiennes favorisent ces organismes
- les associations sardes de l'étranger reçoivent une aide
financière du gouvernement Sarde par exemple - car elles contribuent
à leur dynamisme économique et au développement du
tourisme.
"En favorisant l'associationnisme, le pouvoir politique
régional poursuit alors un double
objectif : le maintien des liens entre les migrants et leur région d'origine et l'intégration dans
objectif : le maintien des liens entre les migrants et leur région d'origine et l'intégration dans
le pays d'accueil dans une démarche qui vise au
développement du tissu socio-économique régional
v46.
Cependant comme le souligne Antonio Da Cunha :
"L'association devient un lieu de repli si elle ne se
tourne pas vers la société d'accueil. Mais
n'oublions pas que l'intégration est un processus
réciproque."47
Or, dans la mesure où leur caractère apolitique
était bien défini, les autorités françaises ne se
sont pas opposées aux associations car elles transmettaient
également un message de solidarité entre immigrés et
Français.
46 Stéphane MOURLANE, cahiers de la
Méditerranée, vol.63, Villes et solidarités, 2001 [en
ligne].
47 Antonio DA CUNHA, président du forum pour
l'intégration des migrantes et des migrants, cité par Aline
ANDREY, Le Courrier, 28 février 2008 [en ligne].
Ainsi, l'association Italia Libera déclare dans
ses statuts qu'elle vise à
"resserrer les liens d'amitié entre les deux peuples
et [à] combler le fossé créé par la politique
néfaste du fascisme qui a séparé les deux pays".
Certes, toutes les associations n'affirment pas cette
volonté de rapprochement avec le pays d'accueil, mais les
activités qu'elles proposent sont ouvertes à tous et invitent
à l'ouverture sur les autres. Lors des matchs par exemple, les
équipes ne sont pas exclusivement constituées de joueurs
italiens.
Le festival de Villerupt, créé en 1976 pour
redonner vie à la ville après la fermeture des usines, a permis
aux immigrés italiens de revoir leur pays par le biais du cinéma,
mais a aussi fait découvrir l'Italie et les grands réalisateurs
italiens aux Français. Tous avaient bien besoin, en pleine crise
sidérurgique, de s'évader et d'oublier leurs problèmes le
temps d'une comédie. Le succès du festival (3 000 spectateurs) a
donné lieu à une seconde édition, et le nombre de
spectateurs ne cessant de croître, il a été reconduit
d'année en année. Dès les premières
éditions, l'organisation du festival a réuni Italiens et
Français, de tous âges et de toutes catégories sociales.
Cette manifestation a donc concilié la revalorisation de
l'italianité et le rapprochement avec la société
d'accueil. Sa renommée dépasse les frontières de la
Lorraine, il a attiré presque 35 000 spectateurs en 2008 et fêtera
son trente-deuxième anniversaire en octobre 200948.
Si les associations italiennes sont encore très
dynamiques dans le Nord et l'Est de la France (70 en Moselle, 10 à 15 en
Meurthe-et-Moselle) et dans le Nord (48) ou en Île-de-France (40), Pierre
Milza observe en revanche que "l'associationnisme italien si vigoureux au
début du siècle est complètement tombé en
désuétude dans le Sud- Est". En effet, il ne dénombre
que 9 associations dans les Bouches-du-Rhône.
En revanche, Laure Teulières note un nouveau dynamisme
associatif italien dans le Sud- Ouest à partir des années 80 :
des manifestations et des échanges scolaires sont organisés, des
jumelages sont réalisés.
Aujourd'hui, les cours de langue italienne sont souvent
fréquentés par les enfants ou les petits-enfants
d'immigrés qui éprouvent le désir de renouer avec leurs
origines. Les voyages organisés au sein de ces associations rencontrent
également beaucoup de succès auprès des
Français.
48 Cf. Annexe 6: Affiche de la 32ème édition du
festival de Villerupt.
1.3- L'intégration : facteurs « facilitateurs
» et obstacles.
A- L'école
Bien qu'elle ait été le théâtre de
discriminations et d'humiliation de la part des élèves comme des
maîtres parfois, l'école a favorisé l'intégration
des enfants d'immigrés.
Ils ont bénéficié d'un enseignement dont ils
auraient été privés en Italie au début du
siècle.
Soucieux de la réussite de leurs enfants et afin de
leur éviter les tâches les plus avilissantes auxquelles
eux-mêmes avaient dû se soumettre, les parents insistent sur
l'importance de l'école. Leur ambition était qu'ils obtiennent le
certificat d'études, qui permettait d'exercer les métiers
d'ouvriers spécialisés ou d'employés. Beaucoup d'entre eux
obligent leurs enfants à ne parler qu'en français à la
maison. Les enfants jouent ainsi le rôle de médiateurs : c'est par
leur intermédiaire que les parents apprennent le français :
"Innombrables sont à cet égard les
témoignages qui nous montrent comment la langue parlée et
écrite, la culture (mr me réduite à son expression
primaire (...), les références historiques, géographiques,
littéraires, idéologiques, qui fondent l'appartenance à la
nation française, pénètrent peu à peu dans les
familles de migrants par les conversations entre parents et enfants, les
lectures faites à la cantonade, les leçons récitées
à la mère ou aux aînés"49.
Dans sa thèse sur l'immigration italienne dans l'Est
Parisien50, Marie-Claude BlancChaléard a effectué une
recherche sur l'école. Il en ressort que les Italiens obtenaient
généralement de meilleurs résultats que les
écoliers français aux épreuves du certificat
d'études. Les moqueries qu'ils ont endurées en tant que "fils
d'immigrés" et le désir de ne pas décevoir leurs parents
qui tenaient tant à leur réussite scolaire ont certainement
influé sur leur motivation. Mais la plupart d'entre eux cessait
d'étudier après l'obtention du diplôme pour
s'insérer sur le marché du travail. Toutefois, le fait de pouvoir
prétendre aux métiers d'artisans ou d'employés constituait
déjà une belle réussite.
49 Pierre MILZA, Op.cit, p 395.
50 Marie- Claude BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans
l'Est parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-
1960), Ecole française de Rome, 2000.
B- La religion· Une cause de rejet :
Bien que la religion catholique aurait dû rapprocher
Français et Italiens, dans certaines régions - surtout dans les
grandes villes ou les zones industrielles - la piété des
Italiens, jugée excessive, a été une cause de rejet.
Ainsi, à la fin du XIXème siècle,
les processions des Napolitains, suscitent-elles le mépris des
Marseillais :
"Chaque année, au mois d'aoI1t, c'est par milliers
que les Napolitains se rassemblent à l'église de la Major, pour
célébrer avec éclat leur fête patriarcale. Ces
bruyantes démonstrations d'attachement à leurs traditions
religieuses provoquent à l'encontre de la communauté italienne
dans son ensemble des réactions hostiles de la part d'un
prolétariat qui, dans cette partie de la France, a déjà
fortement subi les effets de la déchristianisation"
51.
C'est à cette période, que l'on désigne
avec mépris les Italiens de « Christos ». Ces
différences de pratiques religieuses freinèrent également
l'intégration des migrants des vagues successives, dans les
années 20-30 notamment :
" Dans les années de l'entre-deux guerres, la
majorité des étrangers venaient de pays européens
possédant des affinités culturelles et religieuses avec la
France. Cette parenté semblait propre à faciliter
l'intégration des nouveaux venus. En fait, la réalité se
révélait sous un jour beaucoup plus complexe (...). Des
étrangers ayant conservé la foi pouvaient se trouver en contact
avec des Français indifférents (...) Autre facteur de
diversité, les étrangers, m r me s'ils partageaient les croyances
fondamentales de leurs hôtes restaient souvent fidèles à
des traditions et usages religieux particuliers abandonnés de longue
date en France ou inconnus "52.
Comme nous l'avons évoqué en introduction,
« le miracle italien » marque le début d'une nouvelle
immigration, ce sont les Italiens du Sud qui s'installent dans les petites
villes industrielles de la Lorraine sidérurgique ou du
Nord-Pas-de-Calais. On imagine alors aisément que si la ferveur
religieuse des Napolitains avait choqué les Marseillais, elle dut
sembler encore plus étrange aux habitants du Nord- Est de la France,
d'un tempérament plus réservé.
L'Église joua d'abord un rôle important pour
préserver l'italianité des immigrés : en
effet, le gouvernement de Rome favorisa l'implantation d'un clergé missionnaire. Les
51 Pierre MILZA,Op.cit., p 125.
52 Ralph SCHOR, « Le facteur religieux et
l'intégration des étrangers en France (1919-1 939),
Vingtième siècle, revue d'Histoire, volume 7,
numéro 7, p 103.
prêtres encadraient des structures d'accueil et
d'assistance comme l'oeuvre Bonomelli créée en 1900 par
l'évêque de Crémone.
Toutefois, les autorités ainsi que le patronat
français y trouvèrent eux-aussi un intérêt :
"Les grandes entreprises payaient souvent le voyage de
l'aumônier depuis son pays d'origine jusqu'en France, elles
construisaient des églises et des presbytères,
rétribuaient les prr~ tres (...) Cette bienveillance n'était pas
dépourvue d'arrière-pensées. Les employeurs avaient
compris que le maintien des traditions religieuses garantissait la
stabilité de la maind'f uvre et le calme social"53.
|
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C- Le sport
Comme nous l'avons vu précédemment, les immigrés italiens de la 1ère génération s'attiraient souvent l'hostilité des Français à cause de leur ardeur au travail. Ils ne s'octroyaient pas de loisirs, leur priorité étant de faire vivre leur famille et d'envoyer un peu d'argent en Italie, à leurs parents restés au pays. Mais dans les années 30, la diminution du temps de travail et l'instauration du repos dominical, laisse un peu de temps libre aux ouvriers pour s'adonner à une activité sportive.· un frein à l'intégration :
Le sport a d'abord été utilisé par les
missions catholiques et par les autorités
italiennes qui cherchaient à préserver l'italianité des immigrés. Certaines
italiennes qui cherchaient à préserver l'italianité des immigrés. Certaines
53 Ralph SCHOR, « le facteur religieux et
l'intégration en France (1919-1939),Vingtième
siècle, revue d'Histoire, 1985, volume7, numéro 7, p 107.
54 Pierre MILZA, Op.cit, p 403.
associations, subventionnées par le gouvernement
italien, visaient à freiner l'assimilation des immigrés à
la société française, en limitant les échanges avec
les autochtones : ainsi les équipes de football ne comportaient, dans un
premier temps, que des joueurs italiens et la compétition
créée par l'Union Vélocipédique italienne
était réservée exclusivement aux Italiens.
? Le sport, un terrain d'égalité :
Cependant, peu à peu, le sport a rapproché Italiens
et Français, surtout les enfants, car dans ce domaine, ils
étaient enfin sur un pied d'égalité :
"L'espace réservé au sport est celui
où l'enfant d'immigré se trouve en totale égalité
avec les petits Français. En effet, si les « Ritals » peuvent
avoir des difficultés dans les matières intellectuelles, pour des
raisons bien compréhensibles, ils ne rencontrent dans les
activités sportives, aucune barrière du mr me ordre. Pas à
l'aise en classe, ils deviennent la coqueluche des cours de
récréation. Le sport leur permet de renverser les valeurs et de
faire preuve de leurs qualités."55
C'est à l'école que les enfants commencent
à s'initier au sport, mais la rue devient rapidement leur terrain de jeu
favori. Les enfants d'immigrés oublient ainsi leurs dures conditions de
vie et affrontent les petits Français dans des matchs France- Italie qui
marquent un premier pas vers l'intégration. Le plus important pour les
enfants, c'est de jouer, la nationalité de l'adversaire ou du
coéquipier importe peu. Ce qui compte, ce sont les qualités
sportives.
Dans une interview, Michel Platini souligne l'importance du
football dans la vie des jeunes enfants d'immigrés :
"Le foot a toujours été un lieu
privilégié dans les quartiers populaires. À mon
époque, les immigrés étaient italiens. Nous vivions la
mrme chose qu'aujourd'hui. Mon père s'est occupé du club de J uf
pendant 30 ans, à une époque où ce n'était pas
facile. Avec les Ritals et ce côté un peu difficile de
l'intégration. Le foot n'a jamais cessé d'aider les jeunes
à se trouver des passions pour qu'ils vivent mieux leur vie
"56.
55 Ibidem p 150.
56 Michel PLATINI, interview, L'Humanité, 9
décembre 2005.
· Les sports pratiqués par les ouvriers italiens :
Les Italiens pratiquent différents sports (marche,
natation, boxe, lutte, catch), mais leur préférence va
généralement au football et au cyclisme, domaines dans lesquels
certains d'entre eux s'illustreront brillamment.
D'après un témoignage recueilli par Nicolas
Violle57 le sport pratiqué est lié à
l'activité professionnelle :
" D'après M. To., les menuisiers du faubourg
Saint-Antoine à Paris XIIe, faisaient plutôt du cyclisme ; les
maçons, plZtriers, terrassiers, carreleurs, m an uvres... du football ;
et les chauffeurs de taxi (Valdôtains pour la plupart des Italiens de
cette profession) plutôt de la marche ou de la course".
Après la victoire du Front Populaire en 1936, qui
accorde quinze jours de congés payés aux ouvriers, le cyclisme
connaît un véritable succès : la bicyclette permet de se
déplacer rapidement, de se promener, on peut l'utiliser en ville ou
à la campagne et elle symbolise la réussite des ouvriers
immigrés. Le tour de France créé en 1903 et très
médiatisé rend le cyclisme encore plus populaire.
Entre les deux-guerres, le sport pénètre les
milieux ouvriers. Les patrons encouragent la pratique du football, qui permet
de rapprocher les ouvriers, de développer leur sens du travail en
équipe et surtout de les éloigner du syndicalisme :
"Le football requiert une bonne compréhension des
règles simples, un véritable esprit d'équipe, et confirme
chaque joueur dans un rôle précis, profitable au travail de toute
l'équipe dans la recherche d'un but commun : la victoire. (...). Le
patron préfère savoir ses ouvriers au stade plutôt
qu'à la réunion du parti ou du syndicat. Il
apparaît aussi comme un bon vecteur pour calmer les tensions
sociales."
· L'influence positive du sport sur l'image des immigrés :
La renommée des joueurs d'origine italienne qui
excellent dans le football français (Roger Piantoni, Pierre Repellini,
Michel Platini...) joue un rôle important dans l'intégration :
"L'évocation répétée de leurs
patronymes, liée à celle de leurs performances va créer
une accoutumance à ces noms à consonance étrangère
(...) ils deviennent familiers, puis reconnus comme ceux des membres de
l'équipe qu'on supporte (...) si l'origine étrangère ne
s'estompe pas complètement, l'attachement à l'équipe de
son c ur, que ce soit un club ou une équipe nationale, est suffisamment
fort pour qu'elle s'estompe et que l'effet produit rejaillisse sur l'ensemble
des attitudes vis-à-vis de la population de même
origine."58
57 Nicolas VIOLLE, « Le rôle du sport pour
l'intégration des Italiens en France » dans Babel
n°11, textes réunis par Isabelle FELICI dans Regards culturels
sur les phénomènes migratoires, Université
Toulon-Var, 2005, p 144.
58 Nicolas VIOLLE, Op.cit. p 157.
En faisant l'éloge de ces champions, la presse,
contribue à changer l'image des immigrés italiens,
"désormais moins autres qu'avant, [qui] apparaissent comme les
cousins transalpins, plus tout à fait étrangers
59".
Le succès retentissant du Tour de France est dû
en grande partie à sa médiatisation : on peut suivre les exploits
des coureurs dans la presse, à la télévision mais aussi en
direct à la radio ! Les journalistes font des vainqueurs de
véritables héros :
"Après la guerre, mon c ur s'est rallié
à Fausto Coppi. Sur un lit, à l'Hôpital de Bicr tre, j'ai
suivi son Tour royal de 1952 ! Tous les malades s'arrr taient presque de
souffrir pendant le reportage de Georges Briquet. Fausto gagnait contre la
montre (...) Les Français l'avaient adopté. Tous les mauvais
souvenirs de la guerre, de Mussolini, des vilains ritals alliés aux
Fritz, étaient effacés grâce à Fausto. Rien que pour
cela il devrait bien avoir sa rue dans toutes les villes de France."
Les Italiens qui sont arrivés en France après les
années 50, ont bénéficié de cette revalorisation de
leur image.
I.4- Enquête et constitution d'un corpus.
A- Méthodologie : élaboration de questionnaires
Nous avons élaboré trois questionnaires, un pour
chaque génération : les primo- migrants, leurs enfants et leurs
petits-enfants. Ils ne comportent délibérément qu'une
dizaine de questions, sous forme de choix multiples, de sorte à ce que
quelques minutes suffisent pour les compléter. Ce type de questionnaire
ne permet pas d'approfondir certains points et les différentes
propositions peuvent influencer les réponses données. Cependant,
il nous a semblé qu'un nombre plus important de questions aurait pu
décourager les personnes ayant accepté de témoigner et que
des questions ouvertes auraient pu leur poser des difficultés de
rédaction.
Les personnes interrogées avaient par ailleurs la
possibilité de cocher la case « autres », et beaucoup n'ont
pas hésité à préciser, justifier leur
réponse, ou leur absence de réponse, lorsqu'elles en ont ressenti
le besoin.
Le premier questionnaire60 était
destiné à la première génération. La plupart
des personnes ayant répondu, sont arrivées en France entre 1953
et 1970. Les onze questions exigeaient d'elles un effort de mémoire,
puisqu'elles concernaient leur connaissance du français à leur
arrivée en France, les enjeux et les difficultés de son
59 Ibidem, p.158.
60 Cf. Annexe 7 : Questionnaire première
génération.
apprentissage, les discriminations subies ou non, le maintien
des traditions italiennes dans leur foyer, leur rapport à leur langue
maternelle et enfin leur sentiment d'appartenance à la France ou
à l'Italie.
Le second questionnaire61, destiné aux
enfants d'immigrés, était composé de 8 questions qui
déterminaient la langue parlée en famille, les motivations de
l'apprentissage de l'italien, les éventuelles discriminations subies et
leurs sentiments par rapport à leurs origines.
Enfin le troisième questionnaire62, soumis
aux petits-enfants d'immigrés s'articulait en 10 questions. Les
premières questions concernaient les grands-parents : leur région
natale, les causes de leur départ pour la France, puis la transmission
de leur langue maternelle à leurs enfants et/ou à leurs
petits-enfants, le maintien ou non de traditions italiennes. Enfin, s'adressant
plus spécifiquement aux petits-enfants, les questions suivantes les
interrogeaient sur ce qui avait motivé le choix d'apprendre l'italien,
leur connaissance de l'Italie et de l'histoire personnelle de leurs grands-
parents.
Les questions sont presque les mêmes afin que nous
puissions comparer les choix et le ressenti des différentes
générations.
B- Caractéristiques de l'échantillon
Dans un premier temps, les questionnaires ont
été diffusés dans les trois principales régions
d'implantation de l'immigration italienne : en PACA, en Rhône-Alpes et en
Lorraine : Ils ont été distribués dans les
collèges, les lycées et les associations culturelles. Les
collégiens, lycéens et adhérents des associations ont
été invités à les diffuser à leur tour dans
leur entourage familial.
Par la suite, leur diffusion a été
étendue à l'ensemble du territoire national, via internet,
grâce à la liste de diffusion des professeurs d'italien et
à des forums hébergés par des sites consacrés
à l'Italie.63
L'intérêt de diversifier les modes de diffusion
était d'obtenir des témoignages de personnes appartenant à
différentes catégories socioprofessionnelles.
61 Cf. Annexe 8
62 Cf. Annexe 9
63 http://www.racinesitaliennes.org/
http://forum .italieaparis.net/ http://www.italie1.com/
http://www.touristie.com/
Les personnes qui ont répondu au 1er
questionnaire sont âgées de 42 à 85 ans, avec une
prédominance très nette de femmes.
Le deuxième questionnaire a été rempli
par des hommes et des femmes en nombre à peu près égal,
âgés de 13 à 83 ans, dans leur grande majorité
nés en France, de deux parents italiens :
Enfin, le troisième questionnaire a recueilli les
témoignages de collégiens et de lycéens, âgés
de 11 à 19 ans, avec une légère prédominance de
filles.
C- Objectifs
Notre recherche se propose d'examiner le rôle des langues
dans l'intégration des immigrés, puis dans la construction de
l'identité de leurs descendants.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur l'étude des
questionnaires, dans une approche intergénérationnelle :
l'objectif est de déterminer quelle(s) langue(s) les immigrés
italiens - ayant participé à cette enquête - parlaient
à la maison, quelle était leur langue d'échange avec leurs
enfants et de savoir s'ils leur avaient transmis leur langue maternelle.
Le corpus limité sur lequel s'appuie notre
réflexion ne permet pas de généraliser des pratiques, mais
grâce aux résultats quantitatifs obtenus, nous pourrons observer
des tendances propres à chaque génération et essayer
d'établir des liens entre l'expérience des représentants
de la 1ère génération et les choix
opérés quant à la transmission ou à la
non-transmission de leur langue maternelle et de leur culture. Dans un
deuxième temps, nous réfléchirons aux conséquences
du choix de transmission ou de non-transmission, de maintien ou d'abandon des
pratiques culturelles italiennes dans la construction de l'identité des
enfants et petits-enfants d'immigrés. Les résultats de notre
enquête mettront en évidence la complexité et les paradoxes
du sentiment identitaire de cette population.
Nous tenterons de comprendre dans quelle mesure le contexte
historique et socioculturel a pu influencer le rapport aux langues (langue
maternelle et langue du pays d'accueil) et les stratégies
d'acculturation ou d'assimilation.
Notre propos ne s'appuiera pas exclusivement sur les
données chiffrées des questionnaires, mais sera
étayé par les conversations non-directives que nous avons eues
avec des représentants des différentes générations
et par les témoignages écrits, recueillis par Isabelle Felici
dans Racines italiennes.
II. Le rapport ambigu entre langue et identité
chez les immigrés
italiens
II. 1. La quête identitaire des immigrés
A- Le poids du regard des autres
La France a mené une politique d'assimilation, surtout
dans les années 50. Bon nombre d'immigrés ont abandonné
leur langue et leur culture pour s'intégrer à la
société d'accueil. Or, paradoxalement, on n'a cessé de
leur faire sentir qu'ils restaient toujours un peu étrangers.
Comment pourraient-ils se sentir français à part
entière si leur entourage leur rappelle qu'ils sont venus d'ailleurs ou
les désigne toujours en tant que "fils d'immigrés" ?
Lors d'une interview Michel Platini s'est insurgé contre
cette stigmatisation :
" Un jour, j'étais reçu par un adjoint au
maire de Belfort en tant qu'entraîneur de l'équipe de France. Dans
son discours, il a parlé de moi comme un bon exemple
d'intégration. J'ai failli l'insulter (...) Je ne me suis jamais
considéré comme étranger, je n'avais jamais parlé
italien, mon père non plus. Mon grand-père parlait lui aussi
français. Je suis de 3ème génération. Il
était temps que je sois intégré !"64
Constatant que pour son fils et ses camarades, se sentir
français n'allait pas de soi, Guy Girard, petit-fils d'une
immigrée italienne, a sillonné la France pour recueillir des
témoignages visant à définir l'identité
française65. Au cours de son reportage Les
Français, il a posé une question provocatrice à un
Français « de souche » : "faites- vous une
différence entre les Français et les vrais
Français ?". La personne interrogée a répondu que
selon elle, un vrai Français était celui qui - quelle que soit
son origine - était content de vivre en France.
64 Michel Platini, L'Humanité, 9 décembre
2005.
65 «Je suis né à Vitry sur Seine le 31
juillet 1950. Ma grand-mère était italienne. Nous n'avions pas
d'argent mais je ne trouvais pas que nous étions pauvres. Dans la cour
de l'école, les copains étaient d'origine espagnole, portugaise,
polonaise, algérienne. Le communautarisme n'existait pas et la
question de l'identité nationale ne se posait pas, soit qu'elle
semblk~t hors de propos, soit qu'elle f€~t une évidence.
Nous nous sentions Français, un point c'est tout. Dans les
années 90, quand mon fils invitait ses copains à la maison, j'ai
remarqué que pour eux, r tre Français n'était plus une
évidence. La question des origines devenait un vrai sujet de
conversation. Quelque chose avait changé. Je me demande ce que signifie
le fait d'rtre Français aujourd'hui. Qu'est-ce qui fait qu'on se sente
Français », Guy GIRARD, Les Français, JEM
productions, 1994.
Aujourd'hui cette distinction touche principalement les
Français d'origine maghrébine puisque les Italiens ont acquis -
avec le temps ! - le statut de « bons immigrés ». De jeunes
Français d'origine algérienne soulignent l'absurdité de la
question « vous sentez-vous Français » en
répondant à Guy Girard qu'ils ne peuvent que se considérer
Français puisqu'ils sont nés en France et ne connaissent que ce
pays. L'un d'entre eux, montre la même exaspération que Michel
Platini, en constatant que même lorsqu'une famille est implantée
en France depuis plusieurs générations, ses membres sont toujours
considérés comme des étrangers :
"J'ai un pote, il est de la 4ème
génération et on lui demande encore « d'où tu viens
», il ne
peut pas se dire fier d'r~tre français".
Pour avoir le sentiment d'appartenir à une nation, il faut
s'y identifier mais également être reconnu par ses membres comme
l'un d'entre eux. Les immigrés et leurs descendants ne peuvent se sentir
réellement français que s'ils ne perçoivent plus de
différence dans le regard et l'attitude des Français à
leur égard.
Nous avions conscience lors de l'élaboration des
questionnaires que la dernière question66 pouvait blesser
voire agacer les personnes qui ont obtenu la naturalisation et surtout leurs
enfants et petits-enfants.
Il fallait néanmoins que nous la posions, le sentiment
identitaire étant au coeur de notre réflexion. Les personnes
interrogées avaient la possibilité de formuler une réponse
personnelle, quelques-unes ont d'ailleurs répondu « européen
» ou « citoyen du monde » marquant ainsi leur refus de
s'enfermer dans le cadre réducteur d'une appartenance nationale ou d'une
double appartenance.
Si l'on compare les réponses des primo-migrants et des
enfants d'immigrés, on observe une différence notable : tandis
que 43 % des représentants de la première
génération déclare se sentir italiens, la majorité
des enfants d'immigrés (53 %) revendique sa double appartenance et 30 %
d'entre eux se sent français.
Vous vous sentez :
L Italien(ne)
L Français (e)
L Italien(ne) et Français (e)
L Autre (précisez)
1ère génération 2ème
génération
B- Le sentiment d'être étranger en France comme en Italie
Le fait de quitter son pays est presque toujours un
déchirement. Jusqu'en 1960, les Italiens qui ont quitté l'Italie,
l'ont fait par nécessité. Beaucoup rêvaient
d'économiser pendant quelques années en France puis de regagner
leur pays. Or, à leur arrivée, ils n'ont pas trouvé la vie
meilleure et plus facile qu'ils imaginaient. Mais malgré les
difficultés et les sacrifices, en France, il y avait du travail pour
eux. Les sentiments qu'ils nourrissent à l'égard de leur terre
natale sont donc ambivalents : la souffrance de l'exil les amène parfois
à haïr leur patrie ou, au contraire, à en conserver un
souvenir nostalgique dans les moments difficiles.
Beaucoup d'immigrés arrivés en France au
début du XXème siècle sont retournés en
Italie suite aux violences xénophobes ou parce qu'ils ont
été expulsés au moment de la 1ère guerre
mondiale. Le retour au pays ne s'est pas toujours bien passé, comme en
témoigne une dame interviewée par Guy Girard :
" -1 la guerre de 14, ils ont été
expulsés en Italie et maman elle disait toujours qu'ils avaient
été très mal reçus, parce qu'ils
disaient « Vous venez manger notre pain, retournez en France
!»
Ce témoignage ne suffit pas pour affirmer que les
retours dans la mère-patrie se sont toujours mal passés, mais il
est intéressant parce que nous notons que le reproche adressé aux
parents de cette dame est exactement le même que celui que les
Français faisaient aux immigrés italiens en période de
crise. Ceux qui se sont sentis
rejetés en France, puis en Italie, dans leur propre pays,
se sont sentis apatrides, indésirables où qu'ils aillent.
Dans les années 60, l'amélioration du niveau de vie
des ouvriers permet aux immigrés de retourner dans leur village natal au
moins une fois par an.
Ils effectuent souvent le voyage en voiture, symbole de leur
réussite dans le pays d'accueil. Après la souffrance de l'exil
forcé et les sacrifices qu'ils ont faits pour faire vivre leur famille
et envoyer un peu d'argent en Italie, ils éprouvent le besoin d'une
reconnaissance de leur réussite.
Mais le retour au pays s'accompagne souvent de la prise de
conscience que rien n'est plus comme avant. En vivant en France et en
s'efforçant de s'intégrer à la société
française, les immigrés se sont ouverts à une nouvelle
culture, ils portent à présent un autre regard sur les choses qui
les entourent, ils ont adopté un autre mode de vie, une autre
façon de penser. L'éducation donnée aux enfants par
exemple est souvent moins traditionaliste, moins rigide. Ils ont alors
conscience de n'être plus tout à fait les mêmes, se sentent
différents de leurs parents et amis.
Les signes extérieurs de leur réussite (certains
ont réussi à se construire une maison, possèdent une
automobile, leurs enfants font des études plus longues) suscitent des
jalousies et des réflexions désagréables :
"Adesso sei ricco, sei un Signore"67
La modernisation et l'industrialisation n'ayant pas
touché le Sud de l'Italie, ils ont l'impression de replonger dans le
passé. Les enfants sont encore plus sensibles à la
différence, ils se sentent souvent étrangers à ce monde si
éloigné de leur univers quotidien, d'autant plus s'ils n'y ont
jamais vécu ou trop peu pour s'en souvenir.
Le témoignage de Salvatore Maggiore nous donne le point de
vue d'un enfant de retour en Sicile avec ses parents pour les vacances :
"Au cours de ce même été, les parents
instituèrent cette espèce de longue transhumance, le retour au
pays pour les congés payés. Ces voyages entrepris chaque
année se transformaient en véritables expéditions. Dans
des trains bondés, surchargés de bagages, ils passaient la
quasi-totalité du trajet debout ou couchés dans le couloir. Ces
séjours ne coûtaient presque que le prix des billets, à
tarif réduit du reste, et quelques kilogrammes de sucre, de café
et plaques de chocolat, en échange de l'hospitalité familiale. Le
gamin en garda un mauvais souvenir et une très grande aversion pour les
voyages en train.
Il s'ennuyait à mourir dans ce pays qui n'était
plus le sien, où les seules occupations consistaient à rendre
visite à la famille et aux amis"68.
67 Maintenant tu es riche, tu es un Monsieur?
L'attitude des habitants du village envers les anciens enfants
du pays, partis travailler ailleurs, accentue parfois leur sentiment
d'étrangeté. Il arrive en effet qu'ils les désignent par
leur nouvelle nationalité "Voilà, les Américains,
les Suisses, les Français !" ou qu'ils leur fassent
remarquer qu'ils ont oublié leur dialecte natal.
C'est ainsi que les immigrés, après s'être
sentis étrangers dans leur pays d'accueil, le deviennent aussi un peu
dans le village où ils sont nés.
Néanmoins, la grande majorité des
représentants de la 1ère génération que
nous avons interrogés considère l'Italie comme son pays.
Aucun d'entre eux ne se sent différent au point
d'affirmer que l'Italie est devenue pour eux un pays étranger. Bien
qu'ils aient conscience d'avoir changé, de porter un autre regard sur
leur ville ou leur village natal, c'est là que se trouvent leurs
racines.
68 Salvatore MAGGIORE, Logotomie, paroles
d'immigré, deuxième partie, [consultée en ligne],
http://ulysse51.over-blog.com/article-29278494.html
II.2. La langue, élément fondateur ou
simple constituant de l'identité?
A- Rôle de la langue maternelle dans la construction de l'identité.
La langue maternelle ou première a un rôle
primordial dans la construction de l'identité car elle est indissociable
de la pensée, comme l'affirme Henri Delacroix :
"la pensée fait le langage en se faisant par le
langage".
C'est lorsqu'il commence à parler, que l'enfant pense.
Mais bien avant d'être capable de parler, donc de penser, l'enfant entend
la langue de ses parents et comprend ou plutôt établit des liens
entre les actions de sa mère et les mots qu'elle prononce. Dès
les premiers mois de sa vie, l'enfant est très sensible aux sons, aux
couleurs, aux formes de ce qui l'entoure.
C'est la raison pour laquelle le lieu où l'on naît
est déterminant dans la construction de l'identité.
La langue est également un marqueur d'identité :
les locuteurs d'une même langue appartiennent au même groupe, ils
se comprennent entre eux et sont facilement identifiés par les autres.
Le fait de parler un dialecte définit plus précisément
l'identité du locuteur, puisque sa langue trahit sa provenance
régionale. Un Napolitain ne s'exprime pas du tout comme un Milanais : il
parle plus fort, accompagne son discours de gestes, son accent est plus
prononcé, les consonnes sont redoublées, la langue est chantante.
Le dialecte Milanais, moins exubérant, a une toute autre
musicalité, transmet moins de chaleur et d'allégresse. La langue
et l'attitude du locuteur sont donc en accord parfait et s'influencent
mutuellement. Ce n'est pas par hasard que nous avons choisi de comparer les
dialectes de deux régions très éloignées
géographiquement : le lieu de naissance influence certainement notre
mode de vie, notre façon d'être et notre façon de
penser.
Par ailleurs, la langue n'est pas seulement un outil de
communication, un système de signes et de sons. Elle permet de formuler
la pensée et d'exprimer la vision du monde d'un peuple :
"On ne peut pas dissocier une langue de sa culture et du
contexte de la société dans
laquelle elle existe. Tout interagit : la langue fait la
société, c'est-à-dire les rapports qui, à
Notre façon de concevoir les choses, de voir le monde
qui nous entoure, de structurer de notre pensée est liée à
notre langue maternelle. Il s'agit du concept de relativité linguistique
qu'Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf ont exprimé sous forme d'une
hypothèse :
"L'hypothèse énonce que le langage n'est pas
seulement la capacité d'exprimer oralement des idées, mais est ce
qui permet la formation mr me de ces idées. Quelqu'un ne peut pas penser
en-dehors des limites de son propre langage. Le résultat de cette
analyse est qu'il y a autant de visions du monde qu'il y a de langages
différents."
En effet, chaque langue a des structures qui lui sont propres,
ce qui signifie que le cheminement de la pensée de locuteurs de langues
différentes ne sera pas le même. Dans chaque langue, il existe des
expressions que l'on ne peut pas traduire littéralement dans une autre
langue. Les expressions imagées reflètent la vision du monde d'un
peuple, elles ne peuvent par conséquent être identiques, d'une
langue à l'autre même lorsqu'elles expriment le même
concept, comme le prouve l'exemple suivant : Quand les poules auront des
dents / quando gli asini voleranno70.
Comme nous l'avons évoqué
précédemment, le lieu de naissance exerce une grande influence
sur notre façon d'être et sur notre vision du monde. On remarque
en effet, des différences de perception sensorielle entre les individus
qui ont une langue maternelle différente : chaque langue transcrit les
onomatopées - les cris des animaux par exemple - en fonction des sons
dont elle dispose et qu'elle utilise le plus fréquemment.
Les langues possèdent un vocabulaire plus ou moins
riche pour désigner les couleurs. Le caractère chinois
ts'ing peut désigner le bleu ou le vert. Le même terme
russe peut traduire le jaune ou le vert. Les Japonais, par exemple, sont plus
sensibles à l'aspect mat ou brillant. Les occidentaux distinguent les
couleurs chaudes des couleurs froides tandis que les Africains font la
même distinction entre couleur sèche et humide.
Les confusions ou au contraire, les nombreuses
dénominations d'une même couleur dans certaines langues, ont
amené les linguistes et les anthropologues à s'intéresser
à l'influence de la langue maternelle sur la perception des couleurs.
69 Philippe BLANCHET, Parlons provençal, p.34.
70 Littéralement : « Quand les ânes
voleront »
On ne peut pas affirmer avec certitude que ces
différences de perception proviennent du langage ou du milieu, mais
force est de constater que les différentes populations ne nomment pas
les choses qui les entourent de la même façon. Il semble donc
évident qu'elles ne les voient pas de façon identique : tandis
que les Français parlent du jaune d'uf, les Italiens parlent du
« rouge d'oeuf » rosso dell'uovo.
L'exemple le plus fréquemment donné pour
illustrer les différentes interprétations du monde est celle de
la langue inuit qui possède plus de vingt termes pour désigner la
neige sous ses différentes formes. Ces distinctions n'existent pas dans
les autres langues parce qu'elles ne renvoient à aucune
réalité connue pour les autres peuples. Selon Boas, les mots
d'une langue sont adaptés à l'environnement dans lequel ils sont
utilisés.
Dans le même ordre d'esprit, le symbolisme lié
aux fleurs, aux couleurs, aux animaux varie selon les cultures : le
chrysanthème associé à la mort dans les cultures
occidentales est une fleur sacrée au Japon, liée à la
joie.
On s'habille de noir en Europe pour porter le deuil tandis qu'au
Viêt Nam, en Corée du Sud ou en Inde, on revêt des habits
blancs.
En comparant des expressions familières italiennes et
françaises, qui associent des couleurs aux émotions, on constate
qu'elles ne recourent pas à la même couleur, bien que leur
signification soit la même :
Enfin, la langue véhicule la culture d'un peuple, au sens
large du terme, c'est-à-dire, l'ensemble des connaissances (historiques,
littéraires, religieuses, populaires...) partagées par le plus
grand nombre.
Les expressions populaires se nourrissent de ces
références, difficiles à comprendre pour des
étrangers.
71 Traduction littérale: "rire vert"
72 Traduction littérale : "avoir une trouille verte"
73 Traduction littérale: "Être noir de
colère"
Citons quelques exemples :
C'était Waterloo (référence
historique)
Pleurer comme une Madeleine (référence
biblique) Un repas gargantuesque (référence
littéraire)
Nous pouvons donc affirmer que la langue maternelle n'est pas
un simple constituant de l'identité, mais qu'elle la construit et
qu'elle influe sur notre conception du monde. La pluralité des langues
implique donc une pluralité de visions du monde.
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B- Peut-on changer d'identité en adoptant une autre langue ?
Au début de l'apprentissage, le passage par le stade de
traduction de la pensée est inévitable et source de nombreuses
erreurs. Penser dans sa langue maternelle conduit à des productions
langagières erronées, parce que le locuteur calque les structures
des phrases sur celles de sa langue maternelle.
Or, comme nous l'avons évoqué
précédemment, de nombreuses différences existent entre
l'italien et le français bien qu'il s'agisse de deux langues romanes. On
peut donc en déduire que plus les langues sont éloignées,
plus le cheminement de la pensée sera différent.
Lorsque l'on maîtrise correctement une langue
étrangère, on pense directement dans cette langue, sans traduire
sa pensée préalablement dans sa langue maternelle. Cela
sous-entend que l'on a également acquis une bonne connaissance de la
culture du pays, puisque nous venons de le voir, la culture est
inhérente à la langue. Si comme l'affirme Georges Mounin, "chaque
langue reflète et véhicule une vision du monde", les
immigrés installés depuis de nombreuses années en France,
ne portent plus le même regard sur le monde : ils ne pensent plus de la
même manière, ils sont donc différents. Ce qui ne signifie
pas qu'ils pensent comme les Français. En effet, ils ont un background
culturel qu'un Français ne possède pas et inversement : certains
d'entre eux étaient plurilingues avant la migration - ils parlaient leur
dialecte natal et maîtrisaient plus ou moins bien l'italien - selon
qu'ils avaient été scolarisés ou non dans leur pays, ils
avaient acquis des connaissances métalinguistiques dans leur propre
langue ainsi que des références culturelles qui ne sont pas
celles des Français. En revanche, même s'ils ont acquis une
très bonne
compétence linguistique en français, il est rare
que les primo-migrants accèdent aux savoirs culturels partagés
des Français, sauf s'ils apprennent la langue de façon
formelle.
En parlant le français quotidiennement, ils
acquièrent de nouvelles connaissances, s'habituent à
appréhender les choses sous un angle différent, mais cela ne
signifie pas qu'ils oublient leur passé. Même lorsqu'ils le
parlent peu, ils restent attachés à leur dialecte natal, à
sa mélodie, à sa cadence, aux mots propres à leur
région qui leur évoque un monde familier. Leur identité
s'enrichit de cette nouvelle vision du monde.
Il en va de même pour les enfants d'immigrés qui
ont été scolarisés quelques années dans leur pays :
il est normal qu'ils se sentent différents des autres lorsqu'ils
intègrent l'école française : en effet, ils portent en eux
des expériences scolaires, des connaissances, des
références, inconnues à leurs camarades français.
Les enfants apprenant beaucoup plus rapidement que les adultes, ils
acquièrent une compétence linguistique et socioculturelle
égales à celle de Français natifs.
Leur identité va donc nécessairement se modifier
au contact du milieu français et de la langue française, mais
sans pour autant se superposer à leur identité
précédente. Seul l'abandon total de leur langue d'origine
(dialecte ou italien) peut en causer l'oubli et l'incapacité à
s'exprimer. Ils ne perdront toutefois jamais la faculté de
compréhension.
II.3- Le rapport ambivalent à la langue
française. A- La langue « du pain » et la langue
« du coeur »
La plupart des primo-migrants (66 % des personnes
interrogées) ne parlait pas du tout français à son
arrivée en France. Mais beaucoup affirment qu'elles pouvaient
aisément se faire comprendre, leur dialecte étant parfois proche
de certains patois français.
Nous avons déjà évoqué le
rôle clef de l'apprentissage du français dans l'intégration
des immigrés. Pour les adultes, l'apprentissage du français a
été difficile, d'autant plus qu'ils n'avaient jamais
été - ou très peu - scolarisés dans leur enfance.
Ceci étant, les hommes réussissaient à communiquer sur les
chantiers ou dans les usines car il y avait de nombreux immigrés de
différentes nationalités. Tous faisaient donc des efforts pour se
faire comprendre.
Pour ceux qui ont dû apprendre le français en
prenant des cours du soir après leur journée de travail, cet
apprentissage s'est souvent révélé fastidieux. Le
français était pour eux « la langue du pain », pour
s'intégrer et donc survivre, il fallait l'acquérir. Cette
motivation leur a donné le courage nécessaire pour apprendre le
vocabulaire de la vie quotidienne et du travail. L'apprentissage de la langue a
certainement été encore plus difficile pour les femmes qui ne
travaillaient pas, et qui avaient par conséquent moins d'occasions de
communiquer avec des Français.
Le graphique ci-après montre néanmoins qu'il s'agit
d'une minorité (12 %), la plupart ayant appris le français en
communiquant avec les autochtones.
Si l'on compare les chiffres concernant le mode d'apprentissage
et les difficultés
rencontrées, on observe que ceux qui ont appris le français en parlant avec les
rencontrées, on observe que ceux qui ont appris le français en parlant avec les
Français, n'ont pas le souvenir que cet apprentissage ait
été difficile. Les graphiques ci-après mettent en
évidence la corrélation entre facilité et
communication.
En revanche, 27 % des personnes interrogées
déclarent avoir eu des difficultés plus ou moins importantes.
Ceux qui ont trouvé l'apprentissage très difficile sont ceux qui
n'ont bénéficié d'aucune aide.
Les immigrés qui ont banni l'usage de leur langue
d'origine dans leur foyer ne sont pas nécessairement ceux qui
s'attachent le plus au français. Pour certains, la « langue du
coeur », celle qu'ils aiment par-dessus tout, reste leur langue d'origine,
souvent leur dialecte natal, souvenir de leur enfance, langue de la
spontanéité. C'est souvent à elle qu'ils recourent pour
exprimer leurs émotions : leurs sentiments, leur joie mais aussi leur
colère. Aline, que nous avons interrogée sur la langue
utilisée par ses parents déclare :
"Mes parents ont toujours parlé en français,
même entre eux, mais si mon père se faisait mal en bricolant, il
jurait toujours en italien !"
L'abandon complet de leur langue d'origine était
dicté, la plupart du temps, plus par la volonté de
s'intégrer et de protéger leurs enfants que par le rejet de leurs
origines. C'est peut-être ce qui explique le fait que leur langue
ressurgisse dans l'intimité :
"Jamais je n'ai entendu parler italien à la m
aison...l'intégration totale était de mise, le parler
français sans accent de rigueur !...Mais « mezza voce » un
« duemilasessantatre » filtrait à travers les cloisons du
bureau comme un ruban soyeux et prometteur : qui pourra m'expliquer l'alchimie
du cerveau qui obligeait mon père à faire ses comptes dans sa
langue maternelle ?"74
Les amitiés, les rencontres amoureuses peuvent
néanmoins influer sur l'attachement
à la langue. Lorsque le français devient le seul vecteur de communication avec les
enfants, il acquiert une autre sonorité : il devient capable d'exprimer des sentiments.
à la langue. Lorsque le français devient le seul vecteur de communication avec les
enfants, il acquiert une autre sonorité : il devient capable d'exprimer des sentiments.
74 Emmanuelle NIGRELLI, «La marina: Castel di Tusa», in
Racines Italiennes, p 112.
Si elle ne substitue pas la « langue du coeur », elle
devient peu à peu familière et amicale.
Le graphique ci-dessus révèle en effet que la
majorité des primo-migrants exprime ses émotions en
français.
B- Le français : langue étrangère, langue
d'adoption ou langue maternelle pour les enfants de migrants ?
L'approche avec le français a été plus
brutale pour les enfants de migrants en âge d'être
scolarisés. Ils se retrouvaient du jour au lendemain, arrachés
à leur environnement habituel, à leurs amis et face à un
maître qui leur parlait dans une langue dont ils ne comprenaient pas un
traître mot. Beaucoup se souviennent d'avoir détesté cette
langue, qui leur semblait froide, dure, hostile. Inès Cagnati,
écrivain d'origine italienne, décrit ce qu'elle a ressenti
étant enfant, lorsqu'elle est entrée à l'école dans
le Lot-et-Garonne :
"À l'école, le monde a basculé. Je ne
comprenais rien à ce que l'on me disait, je ne pouvais
m r me pas obéir, je ne savais pas ce que l'on me
voulait. Les Français n'avaient plus rien de fascinant. Leur monde
était hostile, agressif, il ne nous voulait pas ; je ne comprenais ni
son langage ni ses lois et ni ce que je devais faire non pour être
tolérée, mais au moins pour être pardonnée d'r~tre
moi, différente..."75
Les instituteurs ont généralement fait de leur
mieux pour intégrer les enfants étrangers au sein de leur classe,
mais plusieurs témoignages prouvent que cela n'a pas toujours
été le cas :
"J'ai eu des maîtresses d'école neutres
à notre égard, parfois bienveillantes. Mais j'en ai eu une
surtout (...) de particulièrement haineuse. Sa haine, sans cesse
renouvelée, pleuvait sur les Italiens avec la ténacité, la
violence et la certitude des pesticides."76
75 Inès CAGNATI, Sud- Ouest Dimanche, 1984,
citée par P.MILZA, Op.cit. p 391.
76 Ibidem
Au cours d'un entretien, Albert Balducci confie à Pierre
Milza, le traumatisme qu'a été pour lui son premier jour
d'école en Lorraine, alors qu'il était âgé de sept
ans :
"Non je n'ai pas été heureux à
l'école. Vous savez les gosses, c'est les gosses... Je me rappelle
toujours, l'instituteur, je me rappelle comme aujourd'hui. (...) Le premier
jour il me dit d'aller au tableau. Alors j'y vais. Je vais au tableau. Mais je
ne comprends rien aux questions qu'il me pose. Alors il me balance deux paires
de claques. Qu'est-ce que je fais... Quand je retourne à la maison, je
gueule. Mais ma mère, qui a déjà tellement souffert, avec
mon père qui ne sait ni lire ni écrire, alors elle me dit qu'il
faut que j'aille à l'école."77
L'incompréhension, les brimades des maîtres ou
les moqueries des autres élèves, l'obligation de l'apprentissage
ont entraîné un rejet, voire une haine de la langue
française qui semblent bien naturels. Mais avec le temps, le rapport des
enfants à la langue a évolué. Peu à peu, le
français devient pour eux une langue de socialisation, qui perd sa
connotation négative lorsqu'elle est associée à des choses
agréables : conversations amicales, encouragements des maîtres,
jeux, chansons...
Malgré l'ampleur des difficultés, les enfants
apprennent vite lorsqu'ils sont immergés dans le bain linguistique.
Par ailleurs, comme nous l'avons évoqué
précédemment, pour faciliter l'intégration de leurs
enfants, les parents ont souvent choisi de ne parler que français
à la maison, ce qui a incontestablement favorisé l'acquisition de
la langue :
" (...) Des familles dont les gosses ne parlaient que le
français, les parents s'efforçant de ne pas parler italien entre
eux pour « pas embarrasser la tA'te aux petits, qu'ils ont déza
assez du mal comme ça d'apprendre oune langue, allora qu'est-ce
qué ça serait avec deux, qué ça leur
péterait la tête !"78
"Ma grand-mère qui vivait avec nous, cuisinait
napolitain, nous éduquait napolitain, vivait napolitain, sans jamais
parler autre chose que marseillais."79
L'usage du français dans le cercle familial n'implique
pas toujours la perte de la langue d'origine, car lorsque les parents ne
maîtrisaient pas suffisamment le français, ils s'adressaient
à leurs enfants en italien et ceux-ci répondaient en
français.
C'est cette alternance linguistique qui explique la contradiction
apparente entre les réponses des primo-migrants et celles des enfants
d'immigrés : en effet, la majorité des représentants de la
1 ère génération déclare qu'elle
s'adressait à ses proches en italien (44 %) tandis qu'un pourcentage
légèrement inférieur (40 %) des
77 P.MILZA, Interview d'Albert Balducci, 1992, in Voyage en
Ritalie, p.392.
78 François CAVANNA, Op.cit. p 250.
79 Nicole GIACOMUZZO, «Saveurs d'enfance» in
Racines italiennes, p.104.
représentants de la 2ème
génération affirme qu'ils parlaient uniquement en français
avec leurs parents.
Les enfants jouaient un rôle de médiateurs au sein
de la famille : c'est par leur intermédiaire que les parents apprennent
le français.
L'acquisition rapide de la langue confère aux enfants
un nouveau statut au sein de la famille : c'est à eux qu'incombe la
tâche de remplir les documents administratifs, de faire les
démarches auprès des institutions car les parents ont souvent des
difficultés avec la langue écrite. Ces responsabilités
valorisent les enfants et changent par conséquent leur perception de la
langue française. Autrefois hostile et synonyme d'échec, elle
devient un motif de fierté :
"Les jours, les semaines et les mois s'écoulaient
ainsi. Peu à peu de nouvelles racines et un nouvel attachement
s'implantaient imperceptiblement dans sa tête. Il surmontait les
difficultés quotidiennes, comme autant d'obstacles destinés
à prouver sa volonté d'intégration. À mesure, que
sa s ur et lui progressaient dans la maîtrise de la langue, leurs
parents, leur demandaient d'assumer les démarches administratives qui ne
manquaient pas : sécurité sociale, inspection du travail,
commissariat de police."80
Avec le temps, cette langue imposée, la langue de
l'école, acquiert une sonorité plus douce pour les enfants
d'immigrés et devient leur langue, ils se l'approprient. Le
rapport à la langue est évidemment différent pour les
enfants de migrants nés en France. Si on ne peut parler en ce qui les
concerne de langue maternelle dans le sens étymologique du mot
« langue transmise par la mère » - sauf dans le cas où
les parents ne parleraient exclusivement français en présence de
l'enfant - le français est néanmoins leur langue première,
celle qu'ils ont entendue dès les premiers mois de leur vie et la
première qu'ils ont appris de façon formelle. Leur
compétence linguistique est celle de locuteurs natifs, ce qui les
différencie de leurs parents. Ils
80 Salvatore MAGGIORE, Logotomie, paroles d'immigré,
deuxième partie, [consultée en ligne]
http://ulysse51.over-blog.com/article-29278494.html
sont naturellement attachés à cette langue, dont
ils entendent la mélodie depuis toujours.
La langue d'origine de leurs parents peut leur être
totalement étrangère, ou vaguement familière. Dans le cas
où les parents continuent à parler leur langue à la
maison, l'enfant apprenant le français et l'italien en même temps,
devient bilingue.
Le fait que le français soit leur langue première
au même titre que les Français de souche a des conséquences
évidentes sur leur sentiment d'identité nationale.
Il est intéressant de constater qu'aucune personne
interrogée n'a déclaré ignorer complètement la
langue d'origine de ses parents, cela s'explique par la communication
alternée que nous avons évoquée précédemment
et également par le fait que beaucoup aient choisi d'étudier
l'italien à l'école. Certains d'entre eux ont alors
découvert qu'ils avaient d'immenses facilités à apprendre
cette langue qui ne leur était pas étrangère même
s'il est était "interdite" à la maison :
"Par un bel hasard objectif, après avoir voulu
opter pour le grec ancien en quatrième (mais faute d'un nombre suffisant
d'hellénistes en herbe, le cours ne serait pas ouvert), ( ) je
devais commencer à apprendre à défaut du grec l'italien.
Et à aimer aussitôt l'italien. A retenir sans peine listes de
mots, conjugaisons et règles de grammaire italiennes. A très vite
parler couramment cette langue étrangement intime, à la surprise
enthousiaste de mon enseignante."81
"Ce voyage, il avait une autre raison de l'entreprendre,
presque instinctive comme une nécessité vitale. Il avait
dénigré son pays natal depuis qu'il l'avait quitté. Plus
encore, il en avait une vision méprisante. Cette certitude avait
été quelque peu ébranlée par l'apprentissage de
l'italien qu'il avait choisi comme deuxième langue au collège
puis comme unique langue étrangère au lycée. La
découverte de la littérature italienne et surtout des
écrivains du Sud, lui ouvrit les yeux sur un monde qu'il connaissait peu
en fin de compte".82
81 Christophe MILESCHI, « Les silences de Guizèpe
», in Racines italiennes, p.140.
82 Salvatore MAGGIORE, Logomie, paroles
d'immigré, troisième partie, [consultée en ligne],
http://ulysse51.over-blog.com/article-29278458.html
III. La langue maternelle, un signe distinctif à
effacer ou un héritage
à transmettre à ses descendants
?
III.1- Le rejet de ses origines et la non-transmission de la langue.
A- Causes : volonté d'oublier un passé
douloureux / idéalisation du pays d'accueil Au début du
XXème siècle, les campagnes italiennes étaient
surpeuplées : jusqu'en 1950, il n'y avait pas de travail pour tous. Les
conditions de vie étaient très difficiles. Cependant, Pierre
Milza insiste sur le fait que
"Ce ne sont pas toujours les plus démunis qui ont
pris le chemin de l'exil (...) ce sont bien souvent les plus entreprenants, les
mieux armés pour remplir la mission plus ou moins explicitement
confiée au migrant par le clan, qui sont partis."83
Toutefois, la souffrance du déracinement, de la
solitude, les difficultés rencontrées dans le pays d'accueil, ont
souvent amené les immigrés à dénigrer leur pays
d'origine, qu'ils décrivent comme un pays "où on mourait de faim"
et à idéaliser le pays d'accueil, pays nourricier, symbole de
modernité et de liberté.
De nombreux immigrés ont ainsi essayé d'oublier
leur pays, peut-être pour se protéger émotionnellement. Le
fait de valoriser le pays d'accueil les aidait sans doute à ne pas
regretter leur choix.
L'image négative de leur pays natal était aussi
- surtout - celle que leur renvoyaient les Français, en temps de crise.
François Cavanna se souvient des attaques qui fusaient dans la cour de
récréation :
"Dans votre pays de paumés, on crève de faim,
alors vous êtes bien contents de venir bouffer le pain des
Français"84.
L'hostilité ne cessant de croître au moment de la
seconde guerre mondiale, les immigrés désireux de
s'intégrer ont voulu prouver leur fidélité à la
France en combattant à ses côtés et en demandant la
naturalisation, symbole de la rupture avec leur pays d'origine.
83 Pierre MILZA, Op.cit p.567.
84 François CAVANNA, Op.cit p.43.
B- Conséquences : une intégration qui va parfois jusqu'à l'assimilation
Pour obtenir la naturalisation, les immigrés devaient
prouver qu'ils s'étaient bien intégrés dans la
société française.
Une enquête sur les immigrés a été
réalisée par l'INED en 1951. Ce sont principalement des
instituteurs qui ont été chargés de l'effectuer. Ronald
Hubscher montre comment, considérant que les immigrés devaient se
fondre dans le creuset français, ils ont cherché à
"débusquer toute trace d'italianité (...) le
fichu ou la mantille des femmes, le chapeau en feutre noir des hommes
désignent l'étranger. La couleur vive des robes des immigrantes
est qualifiée de criarde et manifestement ne correspond pas au
goût français de la mesure. L'intérieur des maisons est
scruté avec attention : le tableau d'un paysage cisalpin ou un
calendrier italien accrochés au mur sont considérés comme
des lieux d'une mémoire qui n'est pas
effacée."85
La maîtrise du français, indispensable pour
obtenir la naturalisation, ne leur suffisait pas, ils relevaient la moindre
erreur de prononciation et toute trace d'accent italien. Ainsi il ressort de
quelques dossiers ces commentaires :
"Il parle le français à peu près
correctement avec une légère déformation de certains
sons"86
"Peut-on l'assimiler à un vrai et loyal
Français ? Non : il a encore quelque chose d'italien dans son allure et
sa prononciation."87
Ronald Hubscher dénonce la falsification des
résultats de cette enquête. En effet, seuls les jugements positifs
sur la France ont été retenus tandis que les problèmes
évoqués par les immigrés ont été
minimisés. En revanche, tout commentaire négatif sur l'Italie a
été soigneusement rapporté.
On comprend alors que les Italiens qui ont rejeté leur
pays, y ont été fortement encouragés par les
représentants de l'État français et par l'opinion
publique.
Étant donné la facilité avec laquelle les
Français ont associé tous les Italiens à Mussolini, puis
la rancoeur provoquée par l'alliance de l'Italie avec l'Allemagne, il
était important pour les Italiens qui comptaient s'établir
définitivement en France, de prouver leur attachement à la France
et de ne pas "se faire remarquer ", autrement dit de s'assimiler pour devenir
transparents.
85 Ronald HUBSCHER, Op.cit. p.195.
86 GIRARD et STOETZEL, Français et immigrés.
L'attitude française. L'adaptation des Italiens et des Polonais,
Paris, INED, «Travaux et documents» Dossier n°17, cité
par Ronald Hubscher, Op cit. p.196.
87 Ibidem, dossier n°74.
Marie-Claude Blanc-Chaléard souligne néanmoins que
seule une minorité a choisi de s'assimiler, selon elle "la
réalité est plutôt celle d'une majorité silencieuse
qui cultive dans son espace privé ses traditions identitaires entre deux
cultures"88.
C'est en effet ce qui ressort de la comparaison des
réponses données par les représentants de la 1
ère et de la 3ème génération
quant au maintien des habitudes italiennes. Seuls 7 % des primo-migrants disent
avoir renoncé à leurs coutumes, à leur mode de vie. C'est
exactement le même chiffre que l'on obtient en interrogeant les
petits-enfants.
C- La naturalisation, construction d'une nouvelle
identité ou utopie ? ? Pourquoi vouloir devenir Français ?
Pour les primo-migrants, la naturalisation était souvent
la dernière étape du parcours vers une intégration
réussie.
Le fait de devenir français simplifiait les
démarches pour trouver du travail et assurait un avenir à la
famille : en effet, la menace des expulsions planait toujours au-dessus de la
tête des immigrés (il y a eu de nombreuses expulsions au moment de
la première guerre mondiale, puis dans les années 20 lorsque
Mussolini accède au pouvoir, mais aussi dans les années 34-35,
période de crise économique).
Pour obtenir la nationalité française, il
fallait résider en France depuis de nombreuses années, prouver
son attachement à la France, maîtriser la langue et ne pas avoir
d'idées politiques contraires au gouvernement :
88 Marie-Claude BLANC-CHALÉARD, Les Italiens en France
depuis 1945, p. 22.
"Nous on est toujours restés Italiens parce qu'on
était de gauche ! Et la naturalisation française, on l'a jamais
eue parce que politiquement...Eh ! Mon père il l'a demandée deux
fois(...) il faisait la demande et elle était refusée,
refusée politiquement. À ce temps-là, quand t'étais
de gauche, on te la donnait pas"
Les délais étaient parfois très longs, mais
peu avant la seconde guerre mondiale, de nombreux immigrés ont
été naturalisés pour être appelés au front
:
"Nous on a eu le droit de vote en 1939 ; mon père
l'avait demandée en 1930 [la naturalisation] et il l'a obtenue seulement
en 1939.89
La volonté de devenir français peut
également résulter des discriminations subies en France et/ou
dans leur propre pays. L'image négative que les autres leur renvoient
d'eux-mêmes les amène à se dévaloriser. Certains ne
supportant plus de se sentir apatrides, ont voulu devenir Français pour
se construire une nouvelle identité.
Les enfants sont également au coeur de leurs
préoccupations, surtout lorsqu'ils ont souffert en étant
rejetés, méprisés. Ils souhaitent protéger leurs
enfants, faciliter leur intégration :
"La majorité des Italiens, ils votent ici, pour
faire étudier leurs enfants, ils ont fait la naturalisation, ils sont
devenus français. Mon fils il est français, parce que le fils
d'un Italien qui est né ici il doit choisir : ou faire le service
militaire en Italie ou le faire ici"90.
C'est rarement un sentiment patriotique envers la terre
d'accueil qui amène les enfants d'immigrés nés en Italie
à choisir la nationalité française. La plupart du temps ce
sont des raisons matérielles qui motivent leur demande : il est plus
facile pour un Français de s'insérer sur le marché du
travail ou de créer une entreprise. Pour les garçons, c'est
souvent pour éviter le service militaire (obligatoire en Italie jusqu'en
2005).
? Peut-on changer d'identité en changeant de
nationalité ?
Cette question renvoie à celle que nous nous sommes
posée précédemment, à savoir : peut-on changer
d'identité en changeant de langue ?
Il nous semble évident que la naturalisation comme
l'adoption du français ne peuvent changer l'identité d'une
personne. Notre identité se construit peu à peu, tout au long de
notre vie. Elle se modifie avec le temps et selon les expériences que
nous vivons.
89 Antonio CANOVI, «La communauté italienne
d'Argenteuil. Identité et mémoires en question» in Les
Italiens en France depuis 1945, Op.cit.p.248.
90 Ibidem
Le fait que les primo-migrants aient voulu être sur un
plan d'égalité avec Français ne signifie pas pour autant
qu'ils voulaient effacer leurs origines italiennes, en s'assimilant
complètement à la société française. Ils ont
été obligés de "jouer le jeu", d'effacer leurs
spécificités pour sembler Français, puisque telles
étaient les conditions pour obtenir la naturalisation. Giovanna Campani
et Maurizio Catani expliquent que "l'invisibilité doit rtre
étudiée comme une stratégie" et soulignent que
"la capacité de se cacher, de se dissimuler
n'implique pas forcément l'intériorisation des traits culturels
de la nation de résidence, mais seulement la connaissance de ses
catégories culturelles".91
Mais la plupart d'entre eux sont restés dans leur coeur
calabrais, siciliens, toscans... .plus rarement italiens.
Girard et Stoetzel insistent sur le fait que92 "
l'acquisition de la nationalité française exprime un
changement dans une situation juridique. Elle ne modifie en rien les sentiments
profonds, elle ne fait pas disparaître les différences entre
immigrés et Français s'il en existe.
Il est vrai que certains immigrés se sont si bien
intégrés à la société française que
rien dans leur mode de vie, dans leur façon de parler et de penser ne
laisse transparaître leur origine étrangère. Mais ce n'est
pas parce qu'elle est invisible que la différence n'existe pas. Elle
réside peut-être tout simplement dans la mémoire : des
souvenirs lointains de leur enfance : des paysages, des couleurs, des parfums
différents, le souvenir d'êtres chers laissés au pays... et
du départ, de l'éprouvant voyage vers un pays inconnu, de la
solitude et des privations, de la nostalgie... Même s'ils ont
essayé de refouler les souvenirs les plus douloureux, est-il possible
qu'ils aient tout oublié ? Et qu'en est-il des souvenirs heureux ? Cette
mémoire n'est pas celle des Français qui n'ont jamais vécu
ailleurs qu'en France. Grâce à la naturalisation, les
immigrés deviennent Français "sur les papiers", mais il ne s'agit
pas d'une seconde naissance. Girard et Stoetzel ont défini très
précisément ce sentiment de différence qui habite les
immigrés :
"Porteur d'un passé vécu sous un autre ciel,
l'immigrant en garde un souvenir, qu'actualise dans toutes ses démarches
ce qu'il voit, comparé à ce qu'il avait d'abord vu. Au point de
vue professionnel, il peut s'habituer aux modes de culture ou de travail
français, il reste en lui quelque chose de ses impressions du premier
jour, quand il n'était qu'un étranger qui regarde et observe
(...) ses habitudes de vie se modifient au contact du milieu, mais il
en
91 Giovanna CAMPANI & Maurizio CATANI, «Les
réseaux associatifs en France et les jeunes» in
Persée, revue européenne de migrations internationales,
décembre 1985, vol.1, p. 143-160.
92 GIRARD & STOETZEL, Op. Cit. p.291
persiste toujours quelque chose : dans ses
préférences alimentaires, dans sa manière de
célébrer les fêtes par exemple. Il écoute toujours
les nouvelles de son pays avec une attention inconnue aux Français.
(...) Il a beau appartenir à la mr me religion, le c ur ne participe pas
aux cérémonies françaises. Les évènements
internationaux, les crises économiques lui rappellent qu'il n'est pas
semblable en tout à ceux qui l'entourent."93
Ils ressentent d'autant plus cette différence qu'ils
l'observent en se comparant à leurs propres enfants. En effet, ceux-ci
nés en France n'ont aucun souvenir qui les lie à l'Italie, si ce
n'est peut-être des souvenirs de vacances. Le français est leur
langue maternelle, leurs références culturelles sont
françaises, bien qu'ils ne renient pas pour autant leurs origines
italiennes. La plupart des représentants de la 2ème
génération se définissent Français et
Italiens.94
Certains ont pu rejeter leurs origines pendant une période
de leur vie, puis avoir une sorte de "déclic" qui leur fait prendre
conscience du lien qui les unit à l'Italie :
"Qu'il le veuille ou non, le souvenir du petit
garçon qu'il avait été, se trouvait inscrit dans ce
paysage, dans chaque pierre, dans l'air qu'il respirait et qui le contaminait
à nouveau. Une part importante de lui provenait de là, belle,
insouciante, innocente et pure. Rien ni personne ne pourrait la lui arracher.
Qu'il le veuille ou non il appartenait à cette terre.
Plus jamais il ne dénigrerait ses origines et il en
parlerait avec fierté mais pas par nationalisme, sentiment qui lui
était totalement étranger, uniquement parce qu'il savait, enfin,
que ce qu'il était devenu il le devait à ses racines. Les
rabaisser signifiait se discréditer et se nier
lui-même".95
93 GIRARD & STOETZEL, Op. Cit. p. 88-89
94 Cf. Annexe 10, Interviews, Les Français, Guy
GIRARD.
95Salvatore M AGGIORE, Logotomie, paroles
d'immigré, troisième partie, [en ligne] httpi/ulysse51
.overblog.com/article-29278458.html.
III.2. Le désir de la 3ème génération d'un retour aux sources.
A- Une génération « préservée »
La plupart des jeunes qui ont répondu au
troisième questionnaire sont des adolescents âgés de 13
à 18 ans. Ils sont souvent issus d'un mariage exogamique, leurs parents
sont généralement nés en France et les ont
éduqués "à la française ". Rien ne les distingue de
leurs camarades de classe, si ce n'est parfois un patronyme à consonance
italienne. On peut donc parler de génération
"préservée" dans le sens où elle n'a pas connu les
difficultés auxquelles se sont confrontés leurs grands- parents
(souffrance de l'exil, difficultés financières, rejet,
discriminations...) puis de leurs parents, marqués de l'étiquette
« fils / fille d'immigré ».
Nombreux sont ceux qui disent avoir été victimes de
moqueries (45 %) et d'insultes (34 %), la plupart du temps à
l'école.
Bien qu'ils n'aient pas connu le climat italophobe dans lequel
ont dû vivre leurs parents, certains ont subi des discriminations :
"Il lui fallait choisir une orientation. Il essaya de
glaner quelques informations sur les différentes filières, peine
perdue, les quelques bribes qu'il récolta ne lui servaient à
rien. Il voulait devenir architecte. Comment y arriver ? Il s'adressa à
son professeur principal. Il s'entendit répondre qu'il était
dommage qu'il ne fût pas de nationalité française, il
l'aurait bien vu à l'École Normale. La réponse ne
l'étonna qu'à moitié, ne l'avait-il pas
félicité devant ses camarades, quelque temps auparavant, en leur
disant de prendre exemple sur lui parce qu'il n'était pas intelligent
mais sérieux et travailleur ? Ce faux compliment l'avait
profondément blessé."96
Sous le poids de la pression familiale, ils se devaient de
réussir, pour l'honneur de la famille et pour sortir de la
précarité et de la pauvreté. La plupart d'entre eux a
réussi :
96 Salvatore MAGGIORE, Logotomie, Paroles
d'immigré, deuxième partie, [en ligne],
http://ulysse51.over-blog.com/article-29278494.html
bien qu'ils exercent généralement des
professions modestes, ils se sont effectivement élevés sur
l'échelle sociale, par rapport à leurs parents, et ont pu offrir
une meilleure qualité de vie à leurs enfants. Ils sont souvent
français, parce qu'ils sont nés après la naturalisation de
leurs parents ou parce qu'ils ont choisi la nationalité française
à leur majorité.
Les représentants de la troisième
génération ont donc profité de la réussite de leurs
parents et n'ont rien à prouver : ils sont français à part
entière.
Et pourtant, à l'adolescence, ils redécouvrent
leurs origines italiennes et revendiquent leur différence alors que
leurs parents avaient tout fait pour l'effacer et paraître "comme tout le
monde".
Il ne faut pas oublier qu'ils n'ont pas grandi dans un climat
hostile, voire italophobe, comme leurs aînés.
Les relations entre la France et l'Italie sont devenues
très amicales, au point que l'on parle souvent des "soeurs latines".
D'indésirables, les Italiens sont passés au statut de "bon
immigré" par opposition aux représentants de la nouvelle
immigration, en provenance du Maghreb, sur lesquels s'est concentrée la
xénophobie française. Les épisodes parfois violents qui
ont marqué l'histoire de l'immigration italienne sont tombés dans
l'oubli, on préfère retenir que les Italiens se sont bien
intégrés à la société française.
Pourtant les jeunes de la 3e
génération déclarent souvent avoir subi des insultes et
des discriminations ; il s'agit selon toute vraisemblance de moqueries, plus ou
moins méchantes mais difficilement comparables aux injures, aux marques
de mépris voire de haine qu'ont enduré les
générations précédentes. Ils manquent de recul et
méconnaissent souvent l'histoire de leur famille, c'est pourquoi ils
n'ont pas conscience d'évoluer dans un milieu non hostile.
B- Une relation privilégiée avec les grands-parents
Comme nous l'avons déjà évoqué,
les immigrés italiens ont été souvent très durs
avec leurs enfants, leur interdisant de parler italien ou dialecte à la
maison, et exigeant une tenue exemplaire et de bons résultats à
l'école. Ils donnaient parfois leur approbation aux châtiments
corporels affligés par les maîtres. Ils ne voulaient naturellement
que le bien de leurs enfants, rêvant pour eux d'un avenir meilleur que
la vie qu'ils menaient. Toutefois, leur intransigeance a parfois
été mal comprise par leurs enfants.
En revanche, la relation avec les petits-enfants est exempte
de pressions, leurs parents ayant réussi à s'intégrer dans
la société française, il n'y a plus de risques qu'ils
traversent les mêmes épreuves qu'eux. Les souffrances de l'exil
étant un souvenir plus lointain, l'avenir de la famille étant
assuré, il est plus facile pour les grands-parents de transmettre leur
histoire à leurs petits-enfants.
Par ailleurs, les petits-enfants représentent la
dernière occasion de transmettre une mémoire oubliée.
À de rares exceptions près, les grands-parents ne transmettent
qu'une image positive de leur expérience : ils évoquent leur
enfance au pays natal, leur départ pour la France, mais taisent les
difficultés et les sacrifices.
C- Désir de retrouver ses racines et d'apprendre la langue de ses grands-parents.
Les jeunes de la 3ème
génération connaissent très peu de choses de l'Italie. Ils
en ont souvent une image positive, véhiculée par les livres ou
les reportages télévisés qui montrent des villes et des
oeuvres d'art.
À la question, « qu'est-ce que vos grands-parents
vous ont transmis de l'Italie ? » beaucoup répondent
« rien ».
Et pourtant, 53 % d'entre eux disent qu'ils connaissent
quelques mots d'italien et 18 % que leurs grands-parents leur parlaient souvent
en italien. Ces jeunes n'auraientils pas conscience que transmettre sa langue
maternelle, c'est transmettre un peu de sa culture ?
L'héritage culturel se limite pour eux à quelques
objets, des recettes de cuisine, des chansons et quelques récits.
C'est peut-être justement ce mystère autour de leurs
origines, qui suscite leur curiosité et leur désir d'en savoir
plus.
La passion pour le football et les succès de
l'équipe nationale italienne, pour les voitures de courses, pour la
mode, jouent un rôle considérable dans l'image qu'ont les
adolescents de l'Italie. L'Italie étant devenue la destination
touristique privilégiée des Français, ils y passent leurs
vacances avec leurs parents et en gardent une image idéalisée et
plutôt réductrice : le soleil, la mer, les pâtes, les pizzas
sont les termes qui reviennent le plus souvent lorsqu'on leur demande ce que
leur évoque l'Italie !
Aujourd'hui, les jeunes sont fiers d'avoir des origines
italiennes et les affichent en portant des pendentifs représentant la
péninsule, tee-shirt de l'équipe nationale de football par
exemple. Ce n'est pas pour communiquer avec leurs grands-parents qu'ils
choisissent d'étudier l'italien, puisque ceux-ci ne parlent
généralement que leur dialecte, mais peut-être pour leur
faire plaisir et surtout pour revendiquer leur italianité.
De nos jours, la double appartenance est un enrichissement et la
connaissance de plusieurs langues presque indispensable pour trouver du
travail.
Le lien affectif très fort qui les unit à leurs
grands-parents est probablement à l'origine de la survalorisation de
leur italianité. Ils sont également à l'âge
où ils cherchent à affirmer leur personnalité et où
ils veulent exprimer leur différence. Ils souhaitent concilier les
différentes facettes de leur identité et être reconnus en
tant que Français d'origine italienne.
CONCLUSION
Notre recherche visait à montrer le rôle
primordial des langues dans l'intégration et dans la construction de
l'identité des immigrés italiens et de leurs descendants. La
notion d'identité est une question complexe en soi, car, comme le
souligne Lipiansky, "elle se propose, au niveau même de sa
définition, dans le paradoxe d'être à la fois semblable et
différent, unique et pareil aux autres". Mais elle est encore plus
délicate lorsque l'on se penche sur la construction de l'identité
des immigrés italiens, d'une part parce qu'ils sont plurilingues et
d'autre part parce que le statut d'immigré implique un
déchirement, une perte de repères et une quête
identitaire.
Nous avons démontré que la langue maternelle ou
langue première, influe sur notre mode de pensée et sur notre
vision du monde, par conséquent les immigrés ont, non seulement
dû apprendre une nouvelle langue, mais également apprendre
à penser autrement. Ils ont acquis, en même temps que les outils
linguistiques du français une compétence socioculturelle qui a
modifié leur façon d'être.
Nous avons tenté de comprendre ce qui a motivé
le recours à différentes stratégies identitaires -- le
maintien des traditions et la transmission de la langue d'origine ou au
contraire, la non-transmission et l'assimilation -- en étudiant le
contexte historique de l'immigration italienne en France et en nous appuyant
sur des témoignages de représentants des trois
générations.
Notre étude comparée révèle que
très peu d'Italiens se sont assimilés à la
société française, la plupart ayant réussi à
s'intégrer tout en préservant leur culture et leurs traditions.
Nous avons également observé que dans la grande majorité
des cas, la stratégie d'assimilation a été choisie dans un
contexte socio-historique peu favorable aux Italiens.
Généralement, lorsque les primo-migrants n'ont
pas transmis leur(s) langue(s) d'origine (dialecte et/ou italien) c'est parce
qu'ils ont subi des discriminations, plus ou moins violentes, qu'ils veulent
éviter à leurs enfants. On retrouve, chez tous les
immigrés que nous avons interrogés, le désir que leurs
enfants deviennent de vrais Français pour qu'ils puissent
étudier et obtenir une meilleure situation que la leur.
Néanmoins, plus nombreux sont ceux qui ont
continué à parler dans leur langue - au moins le temps
d'apprendre la langue française - tandis que leurs enfants leur
répondaient en français, jouant ainsi le rôle de
médiateurs linguistiques.
La plupart des représentants de la
2ème génération se dit bilingue, mais on note
dans les fratries des sentiments opposés à l'égard de
leurs origines : entre amour et indifférence. En effet, il n'est pas
rare de trouver dans une même famille un enfant devenu professeur
d'italien tandis que ses frères et soeurs ne manifestent aucun
intérêt pour la langue d'origine de leurs parents. Toutefois,
aucun d'entre eux ne semble ignorer complètement l'italien, même
lorsque sa connaissance se limite à quelques mots.
Le fait qu'une partie des enfants d'immigrés ait pris
une certaine distance avec les origines de sa famille peut s'expliquer une fois
encore par les discriminations subies dans l'enfance, par le refus d'être
enfermés dans le statut de "fils / fille d'immigré", par les
pressions familiales visant la réussite, l'intégration
parfaite.
Il est intéressant de noter que beaucoup d'entre eux,
arrivés à l'âge de la maturité, ressentent le besoin
de renouer avec leur pays d'origine et fréquentent les associations
culturelles pour apprendre l'italien mais aussi découvrir l'art, la
littérature, la gastronomie et les coutumes du pays de leurs parents.
Quant au sentiment d'appartenance, nous avons remarqué
que ce sont surtout les représentants de la 1ère
génération qui ont des difficultés à l'exprimer, ce
qui est parfaitement compréhensible puisque ce sont eux qui ont connu le
déchirement des séparations, la souffrance de l'exil, le mal du
pays... Pour la plupart, ils se sentent toujours Italiens, mais une grande
partie d'entre eux se sent Français ou Franco- Italiens. Les nombreuses
années vécues en France, le sentiment de différence
ressenti lors des retours dans leur pays d'origine, le fait que leurs enfants
et/ou parfois leur conjoint soient Français sont autant
d'éléments qu'ils évoquent pour justifier ce sentiment
d'appartenance à leur pays d'adoption. Il faut souligner qu'ils se
sentent obligés de le justifier.
Leurs descendants, pour la plupart nés et
scolarisés en France depuis leur plus jeune âge, se sentent
surtout Français, mais beaucoup revendiquent leur double appartenance,
surtout les petits-enfants, qui n'ont subi aucune expérience
négative par rapport à leurs origines, méconnaissent
souvent l'histoire de leur famille et idéalisent l'Italie. Il semble que
la revendication de leur italianité soit un moyen
d'affirmer leur différence à un moment
décisif de la construction de leur identité. Leur désir
d'apprendre l'italien peut être lié au lien affectif particulier
qui les unit à leurs grands-parents. Peut-être affichent-ils leurs
origines italiennes avec fierté pour se démarquer de leurs
parents qui ont tout fait pour les effacer. Le fait qu'ils grandissent dans une
époque où l'on valorise le plurilinguisme et le multiculturalisme
n'est sans doute pas anodin.
Cette étude intergénérationnelle montre
l'échec des politiques d'assimilation. En effet, même lorsque les
primo-migrants ont choisi de ne pas transmettre leur langue à leurs
enfants et d'adopter un mode de vie français, leurs enfants devenus
adultes et / ou leurs petits-enfants ressentent souvent le besoin d'un retour
aux sources.
Si tout le monde s'accorde aujourd'hui pour qualifier de
"réussie" l'intégration des Italiens, nous remarquons qu'elle ne
rime pas pour autant avec assimilation comme le souhaitait le gouvernement
français dans les années 50.
L'exemple des immigrés italiens prouve donc que l'on peut
s'intégrer parfaitement à la société d'accueil sans
pour autant renier ses origines et oublier sa culture. Pourtant aujourd'hui
encore, une volonté assimilatrice persiste envers les immigrés
d'origine maghrébine. À l'époque de l'ouverture des
frontières sur l'Europe, comment peut-on enfermer les immigrés
dans l'inévitable question : Vous sentez-vous Italiens ou
Français, Algériens ou Français ? Ne serait-il pas plus
constructif de réfléchir à la richesse des appartenances
multiples ?
Il serait intéressant, par exemple, d'étudier les
influences lexicales et culturelles apportées par ces Français,
venus de tous horizons, à la langue française.
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