Le Roman français
Enquête sur les phénomènes
éditoriaux
et
L'avenir de la littérature
francophone face au manifeste pour une littérature
monde
Mame Diarra DIOP
SOMMAIRE
Introduction.....................................................................VI
I Des nouvelles formes de la littérature
contemporaine ou tendances dominantes de
celle-ci..............................................................................8
A L' autofiction, phénomène
éditorial.......................................................10
1. L' autofiction
pure........................................................................10
2. La chicken
littérature ou littérature de
poulette....................................11
3. Les témoignages de
vie.....................................................................12
4. Les essais
politico-people..................................................................12
B De la nécessité des prix
littéraires........................................................15
1. Descriptif des cinq grands prix
littéraires : du plus prestigieux au moins
médiatisé..................................................................................................15
2. De la valeur marchande d'un
prix......................................................18
3. Quand les prix divisent, consacrent et
créent la polémique........................ 19
-a les
jurées.................................................................................19
-b les écrivains
ensuite....................................................................21
-c les éditeurs, la
combinaison
galligrasseuil.........................................22
C Conclusion de la première
partie..........................................................23
II De l'avenir de la francophonie au manifeste
pour une littérature Monde XXV
A Qu'est-ce que la
Francophonie ?....................................................................26
1. Définition et
Historique.................................................................26
2. L'organisation Internationale de la
Francophonie................................28
B Francophonie et
Littérature.................................................................29
1. Le prix des cinq continents de la
Francophonie....................................34
2. Les collections
dédiées aux auteurs
étrangers.......................................35
C Le manifeste pour une Littérature
Monde..............................................39
1. Extraits Choisis et Analyse d'un
Contexte.........................................40
La convention de Saint
Malo..........................................................45
2. Réactions au
manifeste................................................................49
- En
France..............................................................................49
- A
l'étranger...........................................................................51
- Quelques intellectuels
analysent le manifeste..................................57
3. Le classement des auteurs
francophones en rayon.................................63
4. Pour une littérature Monde,
l'ouvrage..............................................70
D Conclusion de la seconde
partie...........................................................72
Conclusion
Générale..................................................................73
- Annexes
- Bibliographie (76)
- Sources médias et
Internet
I
Le Roman français
Enquête sur les phénomènes
éditoriaux
Introduction
Le roman français contemporain en
péril ? Le philosophe et sémiologue Tzvetan Todorov
s'interroge aujourd'hui sur l'avenir de la littérature moderne. Dans un
entretien accordé au journal la Croix Littéraire1(*), il évoque la production
littéraire actuelle largement mise en avant par les deux rentrées
de Septembre et de Janvier. Premier constat : « Le péril
viendrait de l'enseignement scolaire qui a subi une mutation au lendemain de
68. Pour Todorov, l'absurde serait un trait dominant de cette
littérature, à laquelle l'exigence même de produire des
beaux textes, alors une connexion entre le monde réel et le monde
imaginaire de l'écrivain, ceci pour mieux nous comprendre,
manquerait... Si les critiques littéraires sont jugés fautifs,
trois autres phénomènes sont à l'origine de la faiblesse
du roman contemporain, le formalisme, le nihilisme et
l'autofiction ». Or Todorov juge la
littérature porteuse de sens avant tout, symbolique et merveilleuse. Il
estime également que si les écrivains modernes écrivent
comme ils peuvent, leur univers en revanche est pauvre et monotone, ce qui
justifie le faible manque d'intérêt de la littérature
française à l'étranger...
Par ailleurs, André Schiffrin,
éditeur et auteur de l'ouvrage Le contrôle de la
parole, évoque un système dépendant de deux grands
groupes que sont Editis et Hachette et qui imposent des pratiques commerciales
sauvages au livre, cet objet culturel devenu un produit marketing, ceci au
détriment du pôle éditorial et surtout de la
découverte des auteurs. Car aujourd'hui, dans l'édition, on
fabrique plus d'auteurs qu'on en découvre. Nous partirons donc de ces
constats pour développer notre argumentation autour de la
littérature contemporaine. Nous allons également décrypter
des phénomènes éditoriaux comme Les
Bienveillantes2(*),
véritable tour de force littéraire, ceux qui promettent le
succès commercial, comme les nombreuses autofictions exposées sur
les rayons des librairies parisiennes, de même que nous parlerons des
prix littéraires qui ont couronné à l'automne dernier, des
écrivains d'origine étrangère,communément
appelés auteurs francophones.
Dans notre deuxième partie, nous nous
intéresserons à la francophonie, à la littérature
francophone et aux écrivains qui la représentent. D'ailleurs,
est-il possible de parler de la littérature française et
francophone sans évoquer un fait littéraire très important
qui a eu lieu cette année au mois de Mars. En effet, 44
écrivains ont publié dans Le Monde des Livres3(*) un manifeste afin de
prêcher pour une « Littérature Monde en
français » et rejeter l'appellation «
francophonie ».
A partir de là, nous analyserons les
réactions des uns et des autres (éditeurs, auteurs, lecteurs ou
libraires) et nous verrons qu'il est n'est pas évident de se faire une
plume quand on vient d'ailleurs et sans faire l'objet d'une
catégorisation littéraire ou appartenir à une collection
au sein d'une grande maison d'édition française. Des questions
que nous approfondirons en prenant l'exemple de plusieurs écrivains
confirmés ou débutants comme le congolais Wilfried
Nsondé 4(*) ou la
mauricienne Ananda Devi 5(*), parmi tant d'autres...
La démarche linguistique que nous adopterons
sera celle de l'enquête, un peu comme un long article de presse, et
à cet égard, il y aura des témoignages et des commentaires
tirés de sources périodiques ou Internet pour illustrer notre
propos.
I Des nouvelles formes de la
littérature contemporaine ou tendances dominantes de
celle-ci :
Une grande partie des livres étalés sur
les rayons des librairies et des grandes surfaces commerciales de Paris comme
la Fnac ou Virgin, donnent le là les tendances littéraires
dès la rentrée de Septembre. Au détour des allées
et diverses sections de littérature, on trouve de plus en plus
d'ouvrages dont une brochette appartenant à la catégorie
Meilleures Ventes. Le réflexe du consommateur est donc
de se diriger vers cette sélection plutôt que vers les oeuvres
anciennes ou classiques cachées au fond de rayons poussiéreux.
La littérature moderne a subi une véritable mutation dans sa
forme et sa cible, d'où une nuance entre une oeuvre reconnue et une
oeuvre installée. La deuxième catégorie s'attache aux
auteurs des siècles passés, dont les oeuvres sont
étudiées dans les programmes scolaires ou universitaires et la
première, à des auteurs contemporains dont les livres sont
reconnus des pairs et de la critique, mais ne sont pas encore soumis aux
études académiques...
Dans les années 50, on a parlé du
nouveau roman. A l'école, on a lu les chansons de geste, les textes de
Molière, de Corneille, les pensées des philosophes, tel Kant,
Hegel ou Lacan. Nos professeurs nous ont joyeusement initié à
l'essence de la littérature classique, puis contemporaine... Et de
belles chronologies nous ont été lues :
L'odyssée d' Ulysse du poète Homère, des
biographies comme celle de Voltaire, humaniste et homme d'idées, des
oeuvres intemporelles comme Anna Karenine de Tolstoï, ou
Crime et Châtiment de Dostoïevski, décryptées
par les étudiants du monde entier. Toutefois, la grande
littérature se limite t-elle à ces grands classiques
même si les intellectuels les prennent en référence dans
les débats télévisés ou dans les
conférences ? Et peut-on se prétendre intellectuel en ne
lisant que ce qu'on trouve sur les rayons de la rentrée ? Pour
être simple lecteur d'une grande maison d'édition comme Gallimard
ou Grasset, il faut une érudition époustouflante, à
l'instar de Raymond Queneau 6(*) ou de Jean-Marie Laclavetine 7(*). Par ailleurs, que sait-on des
manuscrits de Tombouctou ou des parchemins de l'antiquité
égyptienne ? Quels textes merveilleux enferment les papyrus
marqués de savants hiéroglyphes et que nous ne saurions
déchiffrer, hormis les initiés et les traducteurs ? Que
savons-nous des chefs d'oeuvres de la littérature mondiale à
l'heure où plus de six cent livres sont produits et
éparpillés dans les libraires de l'hexagone ? Enfin,
qu'est-ce qui nous garantit la qualité littéraire de ces
oeuvres ?
Ayant grandi au Sénégal, mon fond
littéraire a été constitué d'oeuvres
variées. Des aventures du Club des Cinq8(*) aux Rêveries du
promeneur solitaire9(*), le voyage est enivrant... Petite, j'ai
aimé lire et ceci lorsqu' Internet ne faisait point partie de ma vie, je
rentrais alors de l'école pour lire jusqu'à ce que le sommeil
m'emporte. Puis, en grandissant, ma soif de littérature est un peu
retombée. D'autres matières plus urgentes l'ont
supplanté : l'économie, la géographie, puis la
philosophie et l'étude des textes fondateurs jusqu' à ce que la
filière littéraire encourt le risque d'une suppression pure et
simple aujourd'hui. Pourquoi enfin ? Que s'est-il passé ?
Est-ce la faute à Internet ? Aux nouvelles technologies ou à
nous mêmes ? Todorov a-t-il raison de dire qu'aujourd'hui, l'univers
d'un écrivain est à déplorer ? Pauvre et monotone
comme les arbres en automne ? Qu'est-ce qui différencie JK
Rowling, auteur fantastique d' Harry Potter10(*) de Christine Angot racontant ses aventures
intimes dans Rendez-vous ? Ceci a donc légitimé ce
qu'on appelle l'autofiction ou l'art intime de se raconter :
A L'autofiction, phénomène
éditorial
De cette tendance littéraire, on pourrait
dégager trois courants :
1/ l'autofiction pure
Christine Angot défend son statut
d'écrivain par rapport à cette forme littéraire et contre
les mauvaises langues. Avec Rendez-vous paru chez Flammarion,
Christine Angot avait été annoncée comme
l'évènement de la rentrée littéraire de 2006 par
Les Inrockuptibles11(*), mais son livre a été
détrôné par les Bienveillantes, pavé
historique de 900 pages sur l' Holocauste de l' américain Jonathan
Littel et couronné prix Goncourt. Toutefois, Christine Angot reste la
reine de l'autofiction avec cet art fabuleux de mettre en scène sa
propre vie. Gare à ceux qui la fréquentent car ils pourraient
bien se retrouver transformés en personnages de ses prochains romans. En
2000, Christine avait publié le non moins nombriliste Sujet
Angot12(*),
s'inscrivant d'emblée dans la tendance autofictive. Dix sept livres au
total pour cet auteur plutôt prolixe.
Dans un genre plus autobiographique, car l'autofiction
semble être une posture revendiquée, il y a le
phénomène belge Amélie Nothomb. Depuis la sortie de
Hygiène de l'Assassin, aux éditions Albin Michel en
1992, elle réussit tous les ans l'exploit de réunir des lecteurs
fidèles au mois d'Août. Et Amélie Nothomb a
véritablement du mal à ne pas se mettre en scène dans la
plupart de ses romans. On peut citer : Biographie de la faim,
paru en 2004, Métaphysique des Tubes en 2000,
Grand prix du Roman de l'Académie Française, Le Sabotage
amoureux en 1993, où elle déroule son récit
à la première personne. Une internaute du forum
www.guidelecture.com, écrivait en comparant Angot et Nothomb :
« Qu'est ce qui fait que c'est plus agréable de lire
Amélie Nothomb que Christine Angot? Avec l'une, on a un
détachement et un regard plein d'humour, même sur les choses
tragiques, alors que l'autre crie à l'injustice et à
l'incompréhension. L'une dit : « Je ne comprends pas ce
qui m'arrive », tandis que l'autre revendique son statut
d'écrivain et attaque ceux qui osent le remettre en question
! ». Voilà qui résume tout l'engouement qu'il peut
exister autour d'Amélie Nothomb et de Christine Angot. Et l'on n'a pas
fini d'entendre parler de ces deux auteurs...
On peut également citer un troisième
auteur : Frédéric Beigbeder ! Il a fait un
véritable carton avec 99francs paru chez Grasset en 2000. La
narration, bien que déroulée par un personnage Octave
Parangon, mêle autofiction et mise en scène. Beigbeder
s'inspire de sa propre collaboration avec une agence de pub dont il a
été viré. Et 99francs a fait l'objet d'une
adaptation cinématographique grâce à son succès
populaire. Depuis, l'auteur a rédigé d'autres ouvrages, comme
Windows on The World13(*) en 2003, couronné Prix Interallié.
Critique littéraire, chroniqueur télé et éditeur
chez Flammarion 14(*),
constituent l'essentiel de ses activités aujourd'hui... Cette
année, Frédéric Beigbeder a récidivé avec un
nouveau livre au titre plus que douteux : Au secours pardon !
2/ La Chicken littérature ou
littérature de poulettes
C'est une forme beaucoup plus romancée de
l'autofiction. Lancé par la new-yorkaise Candace Bushnell, auteur de
« Sex and the City » et décliné en
série TV, le phénomène a gagné l'hexagone. Cette
littérature relate les crises existentielles de trentenaires, belles,
riches mais malheureuses en amour avec humour, cynisme et dérision. Il
y a eu « Le diable s'habille en Prada »,
l'énorme succès de Lauren Weisberger qui
décrit la tyrannie de son ex patronne, grande prêtresse de la
mode new-yorkaise. On peut citer Le journal de Bridget Jones, de la
britannique Helen Fielding ou tout récemment chez Anne Carrière,
Sainte Futile d'Alix Girod de l'Ain, journaliste à
l'hebdomadaire Elle...
3 / Les témoignages de vie
C'est un genre qui affleure sur les rayons. Est-ce une
autre forme d'autofiction ? Seulement, quand des personnalités,
des artistes en devenir ou des footballeurs célèbres comme Lilian
Thuram avec 8 Juillet 1998, se mettent à
écrire ( et beaucoup recourent à un nègre) pour raconter
leur vie ou des expériences marquantes, cela donne matière
à vendre. Chez Robert Laffont, Un conte de fée
Républicain de la djiboutienne Safia Otokoré se situe dans
la veine : c'est l'histoire d'une femme engagée et membre du parti
socialiste qui narre son parcours de Djibouti sa ville natale à
l'arrivée en France et l'entrée dans la vie politique...
4 / Les essais politico people
Sans réellement être de l'autofiction,
ils reviennent sur des tranches de vie, des scandales, des faits personnels et
analysent la politique et la société dans laquelle nous vivons
via l'oeil de quelques experts patentés, journalistes et commentateurs
politiques etc... Avec la période de campagne électorale, il y a
eu une floraison d'essais sur les rayons des librairies. A la rentrée
2006, Sexus Politicus de Christophe Deloire, un ouvrage
narrant les relations entre hommes politiques et femmes journalistes, n'a
pas réussi à atteindre son objectif. On peut également
citer La Madone et le Culbuto, de Carl Méeus et Marie-Eve
Malouines ou L'Inconnu de l' Elysée par l'ex journaliste du
Monde, Pierre Péan, sans oublier tous ceux qui ont accompagné
les dernières élections présidentielles...Tout
récemment, Femme Fatale, écrit par deux journalistes du
Monde, remporte tous les suffrages et Ségolène Royal,
principale concernée, a intenté un procès pour
empêcher la diffusion de ce livre. En vain.
Depuis le siècle des lumières où
des textes fondateurs ont surgi et jusqu' à l'apparition de ce qu'on a
appelé le Nouveau roman, la littérature en France a
évolué de même que la notion d'auteur, plus
précisément cette fonction d' auteurialité. De
nos jours, il s'agit d'être visible grâce à un nom et
à une image plutôt que d'écrire pour l'immortalité
comme Balzac, Dumas ou Zola au début du siècle. Ceux-ci
scribouillaient les ardeurs de leur époque, racontaient des chroniques
sociales, longues et fournies en descriptions, quand tant de livres modernes
brillent par leur nombrilisme, d'où la masse de romans qui
éclosent à chaque rentrée littéraire et qui
s'engagent dans la course aux prix d'automne. Prenons l'exemple du prestigieux
Goncourt qui promet une immortalité à l'un et l'autre, avant de
consacrer une nouvelle plume l'année d'après. Admirable pour les
écrivains primés, si ce n'est que très peu sur l'ensemble,
atteignent le graal littéraire : être un best seller et vivre
pleinement le fantasme de l'écrivain populaire...se nourrir de sa plume
donc !
L'édition en France a véritablement
muté pour devenir une entreprise hautement commerciale avec la
concentration des groupes industriels comme Editis et Lagardère. Claude
Durand, PDG des éditions Fayard, raconte avec nostalgie l' époque
où Arthème Fayard fonda au début du siècle la
libraire Fayard, en publiant les oeuvres de l'italien Garibaldi ou du
Chansonnier Béranger sous forme de fascicules reliés et vendus
à cinq francs pièce jadis. Aujourd'hui, les éditeurs ont
recours à la fameuse Cameron, une machine infernale qui peut
imprimer 7000 livres à l'heure quand il s'agit d'un best-seller. Et avec
des évènements comme le Salon du Livre, on voit l'augmentation de
la production littéraire année après année, les
nouveaux éditeurs affleurer et les visiteurs croître davantage.
Alors, il devient cornélien de choisir des oeuvres de qualité,
celles qui nous laisseront cette impression durable par leur caractère
universel. Car ce qui fait un livre, n'est-ce cette tentation urgente de le
rouvrir une fois la lecture terminée ? Combien de livres peuvent
prétendre à cette particularité et combien d'auteurs
jouissent du succès d'estime si cher à l'idée
française de la littérature, car l'écrivain populaire
serait piètre en littérature. En effet, lorsqu' on vend beaucoup
en France, on est boudé par le milieu et par la critique. Fi de ce
constat, il y a les best-sellers imposés par les Médias, ceux
qu'il faut absolument lire, adaptables en films et générant des
produits dérivés comme le Da Vinci Code visible entre
toutes les mains l'été 2005. Ainsi, même le livre
n'échappe pas au marketing de masse et fait l'objet de multiples
stratégies commerciales. On répond alors à une demande, on
anticipe les besoins du lecteur, on lui propose des produits et on
étudie ses attentes. Le temps du décideur dans sa tour
d'ivoire a vécu ; les éditeurs sont de plus en plus à
l écoute du marché », estime Nicolas Roche,
directeur général des éditions Stock. Les éditeurs
misent sur des opérations spéciales (publicités sur les
panneaux de quais de gare, affichages dans les couloirs du métro...) et
des informations ciblées pour faire connaître leurs nouveaux
romans. De nouvelles collections naissent (Milles et une Nuits), des formats
attractifs sont fabriqués, accompagnés de cadeaux, comme la
série des mini polars d'été offerts en supplément
dans des magazines grand public comme Elle ou Marie-Claire.
Mais le succès passe surtout par les libraires, rappelle
Philippe Dorey directeur commercial chez Lattès puis par les
journalistes. Si la télé est le premier prescripteur de ventes
livres, les magazines se placent en deuxième position. Un roman comme le
Da Vinci Code de Dan Brown, a bénéficié d'une
campagne promotionnelle soutenue avec la Une de Livres Hebdos et un
gros service de presse. Plus d'une centaine de livres ont ainsi
été dispatchés dans toutes les grandes rédactions
parisiennes et les journalistes n'ont pas tari d'éloges sur le polar de
l'été 2005. « Avec «Da Vinci Code», Dan
Brown fait fort, mais alors vraiment très fort, puisqu' il
ébranle rien de moins que les fondations de
l'Eglise... », écrivait Bernard Loupias du Nouvel
Observateur et Anne Berthod de l'Express, affirmait :
« Avec une trame machiavélique, digne d'Arturo
Pérez Reverte, un rythme (des chapitres courts, un rebondissement toutes
les quatre ou cinq pages) d'une efficacité redoutable, ce polar
érudit reste remarquablement bien ficelé. Et donne envie, une
fois refermé, de courir revoir la célèbre Cène de
Léonard de Vinci, celle que l'on croyait si bien
connaître ». Ajouté à l'engouement
populaire, le roman a du se balader sur toutes les plages du monde en
détournant les lecteurs du reste de la production littéraire.
Voilà comment fonctionne la rentrée littéraire
française, avec ce paradoxe étrange : Publier plus de six
cent livres chaque année et n'en faire émerger qu'un ou deux,
dans le meilleur des cas. « Peut-on alors parler de
diversité culturelle en littérature, quant cette culture est
imposée par les mass médias, notamment pour ce lecteur
consommateur non averti. Quant on nous impose ce qu'il faut lire, ce qu'il
faut voir au cinéma, que reste t-il de la diversité
culturelle », des idées que défendait l'
écrivaine indienne Alka Saraogi, invitée du salon du Livre 2007,
lors d'une conférence sur les enjeux de la mondialisation.
B. De la nécessité des prix
littéraires
1. Descriptif des cinq grands prix
littéraires de France : du plus prestigieux au moins
médiatisé :
- Le prix Goncourt
Il représente le graal pour celui qui
l'obtient et récompense chaque année le meilleur ouvrage
d'imagination en prose d'un auteur de langue française. Crée en
1896 par le testament d' Edmont Goncourt qui a lui-même a
rédigé de nombreux ouvrages avec son frère Jules Goncourt,
le premier prix Goncourt a été décerné le 21
décembre 1903 par la Société littéraire des
Goncourt à John Antoine Nau pour son ouvrage La force
ennemie, hélas, cet auteur est vite tombé dans l'oubli.
Alphonse de Chateaubriand l'a obtenu en 1911 pour Monsieur de Lourdines
et André Malraux en 1933 avec La Condition Humaine. Dans
la deuxième moitié du siècle, des auteurs comme Tahar ben
Jelloun avec La Nuit Sacrée en 1986 ou Patrick Chamoiseau avec
Texaco en 1992, l'ont obtenu. Si le prix n'apporte pas de
récompense financière sinon un montant symbolique de dix euros,
il promet une notoriété au lauréat qui verra les ventes de
son livre doubler et attirer l'attention des lecteurs les plus
récalcitrants. Didier Zaitoun, libraire à Hyères, raconte
au journal La Marseillaise du 22 octobre 2007, que le Goncourt est le
livre qui se vend le plus et qu'on offre souvent à Noël. C'est
donc le prix plus convoité par les auteurs. Aujourd'hui, il est
attribué aux alentours du mois de Novembre (après
délibération des membres du jury au célèbre
restaurant Drouant) et il fait l'objet de toutes les spéculations
à chaque rentrée littéraire. C'est la fameuse course des
prix. Aussi, faute du Goncourt, le Renaudot est une merveilleuse consolation.
-Le prix Renaudot
Proclamé au même moment que le Goncourt
au restaurant Drouant, il fut crée en 1926 par dix critiques
littéraires et perpétue le souvenir de Théophraste
Renaudot, médecin de Louis XIII, par ailleurs instigateur d'institutions
comme l' agence pour l'emploi, la presse et les petites annonces... Au cas
où le lauréat du Renaudot aurait déjà eu le
Goncourt, un deuxième auteur est désigné. Ce prix a pour
réputation de réparer les injustices éventuelles du
Goncourt et il n'est doté d'aucun montant financier. Comme le Goncourt,
il garantit un succès d'estime au lauréat et lui promet de belles
ventes. Des écrivains comme Céline, Aragon ou Jean Marie Gustave
le Clézio et tout dernièrement Alain Mabanckou avec
Mémoires de Porc-Épic en 2006, l'ont obtenu. Parmi les
membres du jury, figurent des personnalités du monde littéraire
comme Patrick Besson, André Brincourt ou le journaliste Franz Olivier
Giesbert. En 2005, c'est la franco-algérienne Nina Bouraoui qui
été couronnée avec Mes mauvaises
Pensées et Irène Nemirovsky en 2003 avec Suite
Française. Avec des paris audacieux et un jury tournant, le prix
Renaudot est un peu moins académique et fait la part belle aux femmes.
Sur un siècle d'attributions, le Goncourt a aussi
récompensé des femmes, parmi lesquelles Marguerite Duras ou
Simone de Beauvoir...
- Le Femina
Contrairement à ce que son nom pourrait laisser
croire, ce prix récompense aussi des hommes. Crée en 1922
à l'initiative de vingt deux collaboratrices du magazine La Vie
Heureuse, (actuel Femina), il a été décerné
l'année dernière à la romancière franco-canadienne
Nancy Huston pour Lignes de Faille publié chez Actes
Sud.
- Le prix Interallié
Comme pour le Renaudot, des journalistes attendant les
délibérations du Femina, se sont réunis en 1930 pour
créer un prix qui récompense un journaliste auteur d'un roman. En
2006, il a été attribué à Michel Schneider pour
Marilyn, dernières séances, chez Grasset. Le premier
lauréat fut le célèbre André Malraux pour La
Voie Royale et Patrick Poivre d' Arvor en 2000 pour son roman
L'irrésolu. C'est un prix très aimé en France et
qui introduit l'auteur dans la sphère des éditeurs les plus
courtisés.
- Le Grand prix du Roman de l'Académie
Française
C'est le prix le plus prestigieux de l'Académie
Française, décerné depuis 1918. Faisant un doublé
avec le Goncourt 2006, il a récompensé Les
Bienveillantes de Jonathan Littel. En 1996, il a été
attribué à la camerounaise Calixthe Beyala pour son roman Les
honneurs perdus, publié chez Albin Michel. Amélie Nothomb
l'a également obtenu avec Stupeurs et Tremblements en 1999.
Pour citer un sixième prix qui ne figure pas
parmi les cinq plus prestigieux, il y a celui du Livre Inter, dont le
jury est présidé par l'écrivain Camille Laurens. Il a
été récemment attribué à François
Vallejo pour son roman Ouest. Ce dernier qui avait été
2è pour le Goncourt 2006, ne veut pas qu'on lui parle de prix de
consolation et s'est réjouit d'avoir été primé. Un
débat sur France Inter avec les jurés, expliquait le
choix de cet ouvrage. D'un avis commun, ils ont souligné l'imagination
de l'auteur, son style littéraire et cette maîtrise des
personnages qui ont séduit et exercé un fort pouvoir
d'identification sur les lecteurs. François Vallejo semble donc
échapper à ce terrible constat de la littérature
centrée sur le moi, loin du phénomène d'autofiction
répandu sur les rayons des librairies. D'ailleurs, l'auteur estime que
la littérature française reste vive et riche dans son expression
globale. Pourtant, parmi les pays les plus traduits en langue
étrangère, les auteurs français restent loin
derrière les italiens, les anglais ou même les indiens à
l'honneur au Salon du Livre 2007. L'une des jurés signalait aussi une
grande ouverture au monde dans ce roman de François Vallejo, rejoignant
l'idée du manifeste pour une Littérature Monde et dont nous
parlerons dans la deuxième partie de ce Mémoire.
Les prix littéraires abondent en France et sont
attendus chaque année à l'automne, période à
laquelle, ils sont pour la plupart attribués. Le Goncourt des
Lycéens est également important et permet de faire
émerger un auteur. C'est le cas de Léonora Miano, auteur de
Contours du jour qui vient chez Plon et lauréat 2006. Ainsi,
les éditeurs, les auteurs et les jurés spéculent et les
chiffres de vente d'un livre primé sont calculés d'avance. Alors
quelle est la valeur marchande d'un prix ?
2/ De la valeur marchande d'un prix
Une chose est sûre, un prix littéraire va
augmenter les ventes d'un livre. L'exemple le plus illustrant cette
année est Les Bienveillantes de Jonathan Littel, qui s'est
vendu à plus de 500000 exemplaires, après attribution du
Goncourt. Avec le Renaudot, Alain Mabanckou a également vu les ventes de
Mémoire de Porc-épic doubler, quant on
sait qu'un auteur qui vend relativement bien, se situe entre 9000 et 25000
exemplaires, on peut imaginer l'impact d'un prix littéraire sur ces
chiffres qui peuvent tripler et même quintupler...Parmi les maisons
d'édition qui vendent le plus, on trouve Albin Michel avec Amélie
Nothomb qui atteint 165 millions d'euros de chiffre d'affaire global. Marc
Lévy, l'auteur à succès de « Et si
c'était vrai ? » totalise près de 116
millions d'euros avec Robert Laffont et son dernier livre Les enfants de
la liberté15(*), va augmenter ce montant. Quant à Max
Gallo, auteur de la série des Napoléon aux
éditions Fayard, il est à près de 46 millions d`euros,
des chiffres vertigineux qui incluent les ventes à l'étranger. Ce
sont ce qu'on peut appeler des auteurs
« bankable » et ces chiffres restent exclusifs aux
best-sellers ou mega-long-sellers. En France, ils sont environ une
dizaine à jouir de ce privilège. Anna Gavalda a rejoint le cercle
très fermé des écrivains valant des millions, en publiant
un livre très populaire : Ensemble, c'est tout, aux
éditions Le Dilettante.
Dans la catégorie Essais, l'ouvrage Femme
Fatale rédigé par Ariane Chemin et Raphaëlle
Bacqué et mettant en scène Ségolène Royal et son ex
compagnon François Hollande, se place en tête du top 20 des
meilleures ventes loin des 38000 exemplaires du premier tirage, selon Livres
Hebdos 16(*).
3 Quand les prix littéraires consacrent,
divisent et créent la polémique :
a) les jurés eux-mêmes :
Cette année, l'affaire du Femina a
secoué le petit monde des jurés littéraires. Madeleine
Chapsal, auteur prolifique et ancienne journaliste à
L'Express, publiait à la rentrée 2006 Journal
d'hier et d'aujourd'hui chez Fayard et dans lequel elle
dénonçait la « petite cuisine des prix ».
Offusquées par ses révélations
« diffamatoires » sur les conditions de
délibération internes, les membres du jury Femina (parmi
lesquelles, Mona Ozouf, Viviane Forrester), ont exclu Madeleine Chapsal de leur
association. Voici ce qu' a déclaré Madeleine Chapsal en
date du 8 novembre 2005 à la presse : « Raconter une
remise du prix Femina, le jour J, relève de l'impossible, tant il se
passe de petits faits et gestes entre douze dames, plus la secrétaire du
prix, Anne de Caumont... Quant à ces dames, six d'entre elles avaient
décidé mordicus et avant même d'entrer en scène de
voter pour Gallimard en faveur de Régis Jauffret. Je n'avais rien
contre, mais c'est ce côté « gang » qui m'a
énervée. En soutien à l'exclusion de Madeleine
Chapsal, Régine Desforges a démissionné du jury :
« Comment ces femmes, écrivains, supposées
intelligentes ont-elles pu en arriver là, montrant leur intransigeance,
leur susceptibilité, face aux propos somme toute plutôt anodins
d'une des leurs ? De plus, quel manque d'humour ! Mais ça, il
ne faut pas trop en demander. Mes propos ne leur ont pas plu. C'était
à qui justifierait sa décision mais avec quelle hargne pour ne
pas dire quelle haine ; j'avais l'impression d'assister à une
curée de chiennes excitées par l'odeur du sang. Il est vrai que
nous n'étions pas loin de la place où se dressa la guillotine...
Cette mésaventure me pose une question : Madeleine n'aurait-elle
pas mis le doigt sur ce que certains journalistes n'hésitent pas
à appeler « les magouilles des prix » ? On peut
se poser la question, non ? Je dois préciser que je n'ai jamais
été témoin de « magouilles » au sein
du Femina, du moins si cela a été le cas, on ne m'en a pas
avertie », déclarait-elle à son tour au quotidien
Le Figaro, le 2 novembre 2006. Alimentant la polémique,
Madeleine Chapsal a été jusqu' à prôner la
suppression pure et simple des prix littéraires, car elle estime que le
Fémina n'a pas récompensé les plus grands. Quant à
Claude Durand, PDG des éditions Fayard, il a suggéré de
remettre les prix avant l'été, ce qui risque bien de chambouler
le concept de rentrée littéraire, mais l'idée n'a pas
séduit. Ailleurs, les éditeurs en Espagne, en Italie ou
même aux Etats-Unis considèrent la rentrée
littéraire de Septembre comme une exception française et la
course aux prix reste une spécificité de l'hexagone et à
laquelle ils prêtent une certaine attention, ceci afin de repérer
les auteurs qu'ils vont traduire et dont ils vont négocier les droits de
traduction. A contre courant, Anjali Singh, éditrice aux Etats-Unis
chez Houghton Mifflin, précise : « Même moi
qui parle le français, je prête assez peu d'attention à la
rentrée littéraire parce que la masse de livres publiés
est accablante ! » Voilà qui est dit. De son
côté, le chinois Hu Xiaoyue, responsable de la littérature
étrangère chez Sea Sky, rétorque : «
La rentrée m'aide beaucoup à faire des choix car presque tous
les bons livres paraissent à ce moment là, cela m'évite de
me fier au hasard », un entretien tiré de Livres
Hebdo 17(*).
b) les écrivains ensuite...
Ils sont bien sûr les principaux
concernés. Comment bouder un prix quand on le reçoit et quand on
sait qu'il va apporter un coup de projecteur à son oeuvre. En
général, les écrivains sont entretenus par leurs
éditeurs de ces cuisines internes. Dans sa chronique du magazine
Lire18(*),
Frédéric Beigbeder se confie : « Il y a
cependant une chose dont personne ne parle, l'effet atroce des prix sur ceux
qui n'en ont pas. Plusieurs fois, il m'est arrivé d'être le loser
d'une de ces guerres picrocholino-germanopratines. En 2000, PPDA me souffla un
Interallié qu' Yves Berger m'avait fait miroiter pour 99
francs... » Plus loin, il ajoute : « La valse
des prix infantilise les auteurs. Je me souviens en 2003 quand Pierre
Mérot n'a pas eu le prix Décembre pour Mammifères :
il souffrait vraiment comme un bon élève qui avait une mauvaise
note. » Autre cas : Michel Houellebecq,
débauché des éditions Flammarion par l'éditeur
Raphaël Sorin, avait d' abord été repéré chez
un petit éditeur du nom de Maurice Nadeau, grâce au succès
de « Extension du domaine de la lutte ».
Malheureusement, Houellebecq a raté le Goncourt qui lui avait
été quasiment assuré avec La possibilité d'une
île, publié chez Fayard en 2005. C'est François
Weyergans qui l'a emporté avec Trois jours chez ma mère,
entretenant la fameuse combinaison historique Galligrasseuil...
c) et les éditeurs - La combinaison
Galligrasseuil,
On verra donc que très souvent Gallimard,
Grasset ou Seuil sont les maisons d'édition favorites, pour remporter
des prix prestigieux comme le Goncourt. Avec 121 récompenses
attribuées, Gallimard est en tête du trio, suivi par Grasset avec
91 distinctions. Viennent ensuite Le Seuil, Mercure de France,
Flammarion, Julliard, Fayard ou Calmann-Lévy... Alors, la
rentrée devient la période d'acharnement, une bataille terrible
pour l'obtention des prix. André Rollin, journaliste et écrivain
raconte dans un article paru dans le Canard
Enchaîné19(*): « Ils font tous partie de ce
« petit milieu » de l'édition ; Ils
s'observent, se jalousent, avec des sourires par devant et des coups de griffe
dans le dos. On se serre les mains pour mieux se faire des crocs en jambe. On
se félicite à haute voix pour mieux se dénigre dans les
chuchotements. C'est ce petit monde de combines. » Ce sont ces
mêmes combines que Jacques Brenner, à l'instar de Madeleine
Chapsal, mais dans un tout autre genre, dénonce dans « La
cuisine des prix » 1980-199320(*). Mort en 2001, l'ancien collaborateur de Grasset
et ex-membre du jury Renaudot, a tout noté : ses rencontres, ses
coups de fil, les déjeuners, les petits arrangements entre amis... C'est
au cours de ces combines, que tout se décide, que sont choisis les
jurys, eux même affiliés aux éditeurs et aux futurs
lauréats des prix. Ironique, Brenner écrira encore :
« Pour remercier Robbe Grillet d'avoir fait obtenir le
Médicis à Bernard-Henri Lévy, on (Grasset) publiera un
mauvais érotique de sa femme (14 avril 1985). » Le 8
novembre, il cite Angelo Rinaldi, critique féroce mais
écrivain médiocre et candidat au prix dire : «
Antoine Gallimard m'a téléphoné. Un accord a
été conclu entre Gallimard et Grasset. Les jurés Gallimard
voteront Grasset pour le Goncourt et les jurés Grasset voteront
Gallimard pour le Renaudot. » Et ces confidences
s'étalent à près de sept cent pages, un pavé dans
la mare que beaucoup d'éditeurs ne démentiront pas. «
Les ennemis des jurys ont bien raison quand ils parlent de magouilles et je
donnerais ma démission du Renaudot si je n'en retirais moi-même
quelques bénéfices », confesse Brenner le 16
octobre 1993 dans son Journal, suite du tome I, publié chez
Fayard. D'ailleurs, Claude Durand, PDG rebelle de Fayard, ne se privera
pas de répondre aux questions des journalistes, quant à ces
magouilles éditoriales et auxquelles sa propre maison n'échappe
pas. Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche21(*), il reste pessimiste face
à la prépondérance de cette combinaison
Galligrasseuil et admet ne pas avoir apprécié la
manière dont Michel Houellebecq a raté le Goncourt 2005.
Toutefois, Claude Durand qui est par ailleurs l'éditeur de Soljenitsyne,
d'Ismaël Kadaré ou encore celui qui a traduit en
français Cent ans de Solitude22(*), reste optimiste quant à l'avenir de
l'édition française et cela, à court et moyen terme. Quand
on spécule sur son départ possible des éditions Fayard, il
prépare son prochain coup d'éclat. Ce qu'explique bien un autre
observateur dans son ouvrage La grande magouille, Guy Konopnicki
écrivait qu'un Goncourt rapporterait plus de dix millions d'euros de
chiffre d'affaires », un chiffre qui ne laisse aucun éditeur
indifférent et à regarder la composition des jurys immuables, on
ne peut ignorer le jeu des influences. Mais la France pourra t-elle un jour
adopter le système anglo-saxon du Booker Prize ou celui du
Pulitzer américain, à savoir dissoudre un jury
dès proclamation des résultats ? L'exception
française risquerait d'en être profondément
atteinte ?
Nous avons observé le milieu de
l'édition en France, à travers la description des prix
littéraires et les nouvelles formes du roman moderne, nous avons aussi
retracé les courants qui dominent le marché, un marché de
l'édition lui-même soumis à la loi du profit car
appartenant à des industriels. Hachette, dirigé par Arnaud
Lagardère, et Editis, gouverné par le baron Ernest Antoine
Seillière, se partagent le gâteau de l'édition. Fort
heureusement, il existe des maisons indépendantes comme Gallimard ou
Flammarion et aussi de toutes petites maisons d' édition qui font un
travail éditorial soutenu et se dédient à découvrir
des auteurs plus qu'en à fabriquer. A l'heure où l'auteur
pourtant n'existe qu'à partir d'un nom et d'une visibilité
médiatique, certains prix permettent de révéler des
auteurs étrangers qui écrivent en langue française.
Même s'ils sont encore catalogués comme écrivains
francophones et si leurs livres se trouvent classés dans des rayons
spéciaux en librairies ou en grande surface commerciale, Saint
Germain des Prés comme l'on a coutume de nommer l'ensemble des
éditeurs français, est entrain de subir des changements qui la
forcent à s'éloigner de son centre névralgique pour
regarder vers le monde. L'an dernier, l'écrivain français
d'origine congolaise, Alain Mabanckou a reçu le prix Renaudot pour son
livre Mémoires de Porc-épic et Léonora Miano,
celui du Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient,
alors va-t-on continuer à les qualifier d'auteurs francophones ? C'est
tout le débat lancé par la publication du Manifeste des 44 dans
les pages du Monde des Livres23(*), un texte qui appelle à Une
littérature Monde en Français...
II
De l'avenir de la Francophonie
Face au manifeste pour une Littérature
Monde.
Il convient dans un premier temps de définir
la francophonie pour comprendre pourquoi il y a des auteurs francophones et des
auteurs français même s'ils utilisent tous la langue
française pour écrire. La question suscite polémiques et
débats, depuis que 44 écrivains parmi lesquels Erik Orsenna,
Ananda Devi, Boualem Sansal, ou encore Jean Marie Gustave Le Clézio, se
sont érigés contre le concept de littérature francophone
pour plébisciter ce qu'ils ont appelé La Littérature
Monde en Français...
A D'où vient la francophonie ?
1) Historique :
On ne dit pas anglophonie mais les pays anglophones ou
le Commonwealth. On ne dit pas non plus lusophonie mais des pays lusophones.
Alors, comment le terme francophonie est-il apparu dans la langue de
Voltaire ? Onésime Reclus 24(*) l'a utilisé pour la première fois dans
son ouvrage La France et ses colonies, après avoir
dénombré les populations sous la gouverne de la France et qui
utilisaient le français comme langue de communication. Le terme est
ensuite oublié pendant une cinquantaine d'années et refait
surface dans les années soixante, notamment avec l'ouvrage de Georges
Tougas, La francophonie en péril, et grâce aux
organisations naissantes autour du concept de Francophonie. Si d'un point de
vue politique, des agences comme l' ACCT (Agence de coopération
culturelle et technique), ont vulgarisé le terme de francophonie, la
paternité ne leur en revient pas. Au lendemain des indépendances,
on avait même utilisé le mot francité, pour
désigner les caractéristiques linguistiques et culturelles
transmises par la langue de Molière. Le terme francophonie connotait
alors fortement de relents coloniaux, désapprouvés par les
milieux intellectuels de l'époque. Il a fallu attendre les
années 80 pour que la France elle même se considère comme
faisant partie de la francophonie. Selon une définition commune, la
francophonie désigne un ensemble d'états et de gouvernements
ayant le français en partage. » Toutefois,
il faut distinguer les pays où le français est la
langue officielle comme les pays créolophones, et ceux où le
français est la langue maternelle (l'Europe du nord et le Canada
francophone). Par ailleurs, ceux où le français n'est
parlé que par certaines classes sociales (Maghreb, Madagascar...). En
France, le français est la langue d'Etat et ailleurs, en Afrique
subsaharienne, au Sénégal par exemple, la langue a
été héritée de la colonisation pour devenir langue
officielle de l'administration après un apprentissage à
l'école. On estime aujourd'hui à 200 millions, le nombre de
locuteurs du français dans les pays membres de l' OIF 25(*), (Organisation Internationale
de la francophonie). Outre les zones de pays appartenant à l'OIF, il y
a dans le monde, environ 100 millions de personnes qui apprennent le
français au cours de leurs études et dans des instituts comme
l'Alliance Française.
Par ailleurs, une confusion demeure entre le concept
de francophonie littéraire et la défense de la francophonie par
l' OIF, qui reste une entité politique, économique et culturelle,
regroupant un certain nombre de pays, où le français n'est pas
forcément reconnu comme langue officielle et utilisé
fréquemment. Un pays comme le Québec se dit appartenir à
la francophonie, mais il garde toute sa culture québécoise,
notamment ce charmant accent qui caractérise si bien les canadiens
francophones.
Pour l'écrivain Henri Lopes 26(*), qui s'est exprimé lors
d'un débat à l' Ecole Normale Supérieure de Paris, le 26
mai dernier, il subsiste beaucoup d'idées reçues autour de la
francophonie. « Je ne ressens aucun complexe à me
dire francophone et je me trouve à un moment de l'histoire où il
est trop tard pour changer de posture », admet-il. L'auteur
d'ouvrages célèbres comme Le Pleurer Rire, a
également une fonction d'ambassadeur plénipotentiaire du Congo en
France, qui l'empêche de participer au débat autour de la
Francophonie, et cela, quant elle revêt une forte connotation coloniale
pour beaucoup. Mais l'idée de francophonie et tout ce qu'elle
fédère comme valeurs et idées culturelles, reste
défendue envers et contre tout par l'OIF.
L'OIF ou Organisation Internationale de la francophonie
L' OIF est une institution dont les membres,
constitués d'Etats ou de gouvernements participants, ont en commun le
partage de la langue française. Elle met aussi en avant des valeurs de
diversité culturelle et regroupe 55 d'états membres parmi
lesquels 13 pays observateurs...
Abdou Diouf, l'ancien président du
Sénégal, est le Secrétaire Général de l' OIF
depuis le IXè sommet de la Francophonie, qui s'est tenu à
Beyrouth au Liban en 2002. Il a succédé à Boutros Boutros
Ghali et a été élu pour quatre ans, avant de voir son
mandat renouvelé au XIè sommet à Bucarest en Roumanie.
Chaque année, le 20 mars, est
célébrée la Journée Internationale de la
Francophonie, avec des manifestations culturelles partout dans le monde. Cette
année, dans un discours, le Secrétaire Général a
appelé : « à fêter la langue
française qui nous offre la chance formidable de communiquer par
delà les frontières et les océans, de nous rencontrer,
d'entrecroiser nos cultures, nos traditions, nos imaginaires. »
Pour atteindre ces nobles objectifs, l'OIF s'appuie
sur l'Agence Universitaire de la Francophonie, la chaîne de diffusion
francophone TV5, l'Université Senghor, Radio France Internationale (RFI)
qui diffuse des émissions en français facile et d'autres
assemblées consultatives de même que de multiples associations.
L'OIF intervient également dans de multiples domaines comme la
consolidation de la Démocratie et des Droits de l'Homme dans l'espace
francophone. Elle entend promouvoir la diversité culturelle,
l'éducation dans le monde et la formation, au service de
l'économie et du développement. La littérature reste un
domaine privilégié pour l'OIF et il existe un Prix des Cinq
Continents de la Francophonie, dont Ananda Devi a été
lauréate en 2006 pour son roman : Eve de ses
décombres. Abdou Diouf s'est aussi exprimé sur le manifeste
des 44 écrivains pour une littérature monde dans le
journal Le Monde27(*) et nous y reviendrons dans la deuxième
partie de ce travail
B Francophonie et littérature
Les deux sont liées et évoluent ensemble
d'un point de vue historique. Progressivement, les termes
« littérature de langue française hors de
France » ou « littérature d'expression
française » ont été remplacés par
celui de « Littérature francophone ».
Ensuite, il a fallu faire une distinction entre écrivains de langue
française à l'intérieur de l'hexagone et ceux de langue
française, géographiquement éloignés de la France
et appelés auteurs francophones. C'est ainsi que le terme de
littérature francophone a pris son envol et s'est imposé au fil
du temps.
A présent, intéressons-nous à la
littérature francophone d'Afrique 28(*), même si les écrits du Maghreb et de la
Caraïbe, en sont des composantes. Tout commence avec l' Abbé
Boilat, au XIXè siècle, écrivain et métis
sénégalais. Il fut l'un des premiers à écrire des
ouvrages en langue européenne, puis au début du XXè,
René Maran, un fonctionnaire colonial d'origine antillaise, publiera
Batouala29(*), un
roman qui a pour décor l' Oubangui Chari et couronné du Prix
Goncourt en 1921. Cet ouvrage suscita la polémique et la
désapprobation de la classe intellectuelle française, en donnant
une description singulière de l'Afrique qui tranchait avec les
récits coloniaux à connotation exotique de l'époque, ceux
de missionnaires ou d'administrateurs coloniaux, pétris de l'idée
d'une « mission civilisatrice » de l'Occident sur
l'Afrique sauvage et barbare.
Vint ensuite le mouvement de la Négritude, une
étape clé dans le développement des Lettres africaines et
l'émergence d'intellectuels éminents comme Léopold
Sédar Senghor, le martiniquais Aimé Césaire, ou
Léon Gontran Damas, puis la fondation de revues de protestation
comme L'étudiant noir 1934-1940, La revue du monde
noir, dans les années trente. Avec la négritude, il
s'agissait : d'une entreprise de réhabilitation des valeurs de
l'homme noir, en créant un mythe inverse de celui de la
dénégation blanche », écrit Josias
Semujanga, dans l'ouvrage Introduction aux littératures
francophones30(*).
Avec La Nouvelle Anthologie de la poésie nègre et
malgache, publié en 1948 par Senghor et préfacé par
Jean Paul Sartre sous le titre Orphée noir, émerge
véritablement la littérature africaine d'expression
française. L'enfant Noir31(*) du guinéen Camara Laye, reste de nos
jours l'un des grands classiques de la littérature africaine,
même s'il aura suscité à sa sortie de vives critiques quant
à l'image d'une Afrique « paisible, belle, maternelle,
conforme à l'image attendue par le petit bourgeois »...
Après lui, des écrivains comme Mongo Béti ( Le pauvre
Christ de Bomba, 1956 , Ville Cruelle, 1954), Ferdinand Oyono
( Le vieux nègre et la médaille, 1956), Cheikh Hamidou
Kane (L' aventure Ambiguë, 1961) tenteront de rompre avec le
discours colonial, pour décrire une Afrique vivante, à travers un
style d'écriture sobre, un réalisme saisissant et un engagement
clairement exprimé. De cette première génération,
post-indépendance, deux courants revenaient dans la production
littéraire africaine. D'une part, le roman historique :
Soundjata ou l'épopée Mandingue32(*) de Djibril Tamsir Niane
en 1961 et Le Monde s'effondre de Chinua Achebe en 1958...
D'autre part, le roman d'éducation ou initiatique avec Les bouts de
bois de Dieu de Ousmane Sembene 33(*) en 1960. Dans les années soixante dix, une
deuxième génération d'écrivains, comme Sony Labou
Tansi ( La vie et demi) ont opéré une véritable
rupture stylistique, et surtout l'ivoirien Ahmadou Kourouma, auteur du
Soleil des Indépendances34(*) et lauréat du Renaudot 2000 avec
Allah n'est pas obligé, aux éditions du Seuil. Du
français, il a fait une langue vive, imagée, ironique, presque
cinématographique pour décrire une Afrique post-coloniale et
raconter le fonctionnement des systèmes politiques du continent
à partir des années 50. Kourouma traduit ainsi l'univers
Malinké en français. De l'avis de beaucoup d'intellectuels, comme
Caya Makélé, directeur des éditions Acoria, il est un
grand écrivain, dont l'oeuvre s'est véritablement
appropriée la langue française, comme on peut le voir à
travers cet extrait de Allah n'est pas obligé :
« M'appelle Birahima. J'aurais pu
être un gosse comme les autres (dix ou douze ans, ça
dépend). Un sale gosse ni meilleur ni pire que tous les sales gosses du
monde si j'étais né ailleurs que dans un foutu pays d'Afrique.
Mais mon père est mort. Et ma mère, qui marchait sur les fesses,
elle est morte aussi. Alors je suis parti à la recherche de ma tante
Mahan, ma tutrice. C'est Yacouba qui m'accompagne. Yacouba, le
féticheur, le multiplicateur de billets, le bandit
boiteux... »
Par ailleurs, le guinéen Tierno
Monénembo auteur de Peuls, le sénégalais Boubacar
Boris Diop, Le temps de Tamango35(*) ou William Sassine, Mémoire d'une
peau36(*), ont
été de cette génération d'écrivains qui ont
inspiré de nombreux auteurs modernes et tracé une ligne nouvelle
dans la littérature d' Afrique. Leurs récits sont politiquement
engagés et empruntent à la mémoire, à la tradition
et aux travers de l'être humain. Dans les années 80, les femmes
entrent en littérature : Aminata Sow Fall, grande figure des
lettres sénégalaises publie en 1979, La grève des
Battù, qui deviendra un immense succès car traitant d'un
fait de société : en effet, les mendiants de la capitale
dakaroise décident de se mettre un jour en grève au grand dam des
citoyens qui ne savent plus à quels saint se vouer pour accomplir leurs
rites sacrificiels. Puis, Mariama Bâ, avec Une si longue
lettre37(*),
dépeint la condition de la femme à travers la polygamie et Ken
Bugul, dans un style imagé, exploite certains travers de la
société africaine ou l'introspection intérieure et les
expériences de vie marquantes comme dans Riwan ou le chemin de
sable et plus récemment Rue Félix Faure et La
pièce d'Or... Toutes ces femmes en tant qu'écrivains ont
participé au développement d'un genre romanesque centré
sur le récit autobiographique. Cependant, la dernière
génération d' écrivains, ceux des années 90 et
2000, auront été les plus qualifiés d'écrivains
francophones : il y a notamment le djiboutien Abdourahman Waberi (
Cahier Nomades, Aux Etats-Unis d'Afrique), le somalien Nuruddin Farah
( Dons), l'ivoirienne Véronique Tadjo ( L'ombre d'Imana
), la Suisso-gabonaise Bessora ( Petroleum, Cueillez-moi jolis
messieurs ), le congolais Alain Mabanckou ( Verre Cassé, Bleu
BlancRouge, Mémoires de Porc-épic ), la burkinabé
Monique Ilboudo ( Le mal de peau ), l'algérien Boualem Sansal
( Harraga ) ou le togolais Samy Tchak, ( Le Paradis des
Chiots) etc. 38(*)
Ensemble, ils ont grossi les rangs des auteurs dits francophones. Le salon du
Livre 2006 leur a rendu hommage en installant un pavillon d'honneur sous le
titre Francofffonies , une orthographe
délibérément choisie, avec de nombreux prix à
décerner pour les genres du conte, de la poésie ou du roman. Les
organisateurs de cette thématique se doutaient-ils à pareille
époque que l'année suivante, la francophonie et le concept de
littérature francophone, se verrait contesté par ces
mêmes écrivains, parmi lesquels la
célébrissime Maryse Condé ( Ségou, les
Murailles de la Terre I et II ) ou Edouard Glissant ( La
Lézarde, 1958 ), l'un des dignes représentants de la
littérature francophone des Caraïbes et du concept
d' antillanité, une recherche stylistique
mélangeant les tournures et expressions créoles avec le
français classique. Plus tard, Raphaël Confiant, Patrick
Chamoiseau et Jean Bernabé, défendront le concept de
créolité en publiant un manifeste -c'était
déjà une mode- intitulé Eloge de la
Créolité en 1989. Une démarche esthétique
visant à produire un langage créole, au sein de la langue
française, en la métissant davantage.
Si le concept de francoffonies s'employait
lors du salon du livre 2006 à intégrer toutes ces
littératures venues d'Afrique, d'outremer ou d'ailleurs, pour d'autres
écrivains, notamment du Maghreb, la revendication se situait ailleurs,
c'est-à-dire dans l'acceptation de la richesse de leurs langues
d'origine, celles là marginalisées par la langue du colon devenue
langue officielle d'administration de leurs patries. Mais des figures comme
Amin Maalouf ou Assia Djebar ont véritablement conquis les lettres
françaises. Le premier a obtenu en 1993 le prix Goncourt pour son roman
Le rocher de Tanios et la deuxième est membre de
l'Académie Française depuis le 16 juin 2005 aux
côtés d' Hélène Carrère d'Encausse... Pour
Kateb Yacine : « La francophonie est une machine politique
néocoloniale, qui ne fait que perpétuer notre aliénation,
mais l'usage de la langue française ne signifie pas qu'on soit l'agent
d'une puissance étrangère, et j'écris en français
pour dire aux français que je ne suis pas
français », une déclaration énoncée
en 1966. Ensuite, Kateb Yacine s'est dédié à la traduction
de ses textes en berbère. Parmi ses oeuvres les plus
appréciées, il y a Nedjma aux éditions du Seuil,
1956 ou encore le Polygone étoilé publié en 1966.
Son oeuvre traduit essentiellement la quête d'identité d'un pays
aux cultures variées et les aspirations d'un peuple fier...
On a brièvement retracé cette
littérature francophone marquée de tournants chronologiques et
syntaxiques, on l'a connu dynamique et célébrée par les
institutions, on la découvre discutée aujourd'hui par des
écrivains d'Afrique, d'Amérique du Nord, du Maghreb,
d'Océanie ou même d`Asie qui soutiennent le mouvement de la
Nouvelle littérature monde, en rejetant l'idée
d'enfermement. D'autres littératures, celles d'Haïti, des
Caraïbes ou du Canada s'inscrivent aussi dans le combat, avec leur
histoire personnelle et leurs propres ruptures, et des auteurs sont
couronnés du prestigieux prix des Cinq continents de la
Francophonie.
1 Le prix des Cinq continents de la francophonie
Créé en 2001 par l'OIF, le prix des cinq
continents consacre le roman d'un auteur d'expression française.
Doté d'une valeur de dix milles euros, il met en valeur l'expression de
la diversité culturelle et éditoriale de la langue
française au coeur des cinq continents. L'an dernier, le 8 septembre
2006, il a été décerné à la mauricienne
Ananda Devi pour son roman Eve de ses décombres, publié
aux éditions Gallimard. Or cette dernière compte parmi les
signataires du manifeste pour Une littérature Monde.
Pourquoi Ananda Devi a-t-elle été
élue au prix des cinq continents de la francophonie ? Selon le jury,
présidé par l'écrivain congolais Henri Lopes et
composé de Lise Bissonnette (Canada-Québec), Monique Ilboudo
(Burkina Faso), Paula Jacques (France-Égypte), Vénus Khoury-Ghata
(Liban), Jean-Marie Gustave Le Clézio (Maurice-France), Andreï
Makine (Russie), René de Obaldia (Hong Kong), Leila Sebbar
(Algérie), Denis Tillinac (France), Lyonel Trouillot (Haïti) et
Alain Mabanckou (Congo), lauréat 2005 pour Verre cassé,
on a plébiscité « sa très belle écriture
représentative de la diversité des cultures dans l'espace
francophone ainsi que pour l'originalité de ses personnages qui vont aux
lisières de l'animalité afin de remuer la conscience de ceux qui
pensent représenter l'humanité ». Ainsi ce prix
s'attache à promouvoir la diversité, un concept très
à la mode aujourd'hui. Rama Yade, l'actuelle Secrétaire
d'état aux Affaires Etrangères, n'était-elle pas
auparavant chargée du volet francophonie et diversité à
l' UMP. Il semble que ce prix revête un caractère politique, une
vitrine de défense du français dans un monde où l'anglais
est de loin la langue dominante, aussi bien dans les affaires que dans la
littérature. Par ailleurs, le Booker Prize et le
Pulitzer sont autant de prix prestigieux qui récompensent des
écrivains de langue anglaise mais qui dans leur dénomination, ne
connotent pas d'un combat linguistique et politique.
Avec Eve de ses décombres, Ananda Devi
a séduit la francophonie et celle-ci le lui a bien rendu. Evoquant sa
chère île Maurice, son roman narre d'une écriture
singulière le destin de quatre adolescents ayant commis un crime odieux.
Ethnologue de formation et titulaire d'un doctorat en Anthropologie sociale de
l'université de Londres, Ananda Devi a aussi publié :
Le voile de Draupadi, Moi l'interdite, Soupir, Pagli
et La vie de Joséphin le Fou... C'est tout récemment
qu'elle est passée à la collection
« blanche » de Gallimard grâce à Eve de
ses Décombres, alors que ses précédents romans
étaient presque tous édités dans la collection
Continents Noirs de Gallimard ou chez l' Harmattan et parfois aux
éditions Dapper.
Nous allons maintenant parler de ces collections
spéciales, qui comptent tant d'auteurs francophones à leur
actif avant d'évoquer le manifeste pour une Littérature
monde en Français...
2 De ces collections
« ghettos » dédiées aux auteurs
étrangers
Pourquoi des collections pour éditer des
auteurs d'origine étrangère qui utilisent la langue
française ? Le flot est-il si important qu'il faut le juguler dans des
collections particulières ? Et quelle est donc la
spécificité de ces collections ? En quoi mettent-elles en
valeur des auteurs étrangers dont la plume est vivace ? Si beaucoup
jugent qu'elles enferment les écrivains et empêchent leurs livres
d'être lus à large échelle, Jean Noël Schifano,
directeur de la collection Continents Noirs de Gallimard,
répond dans un entretien accordé au site Africultures.com :
« En avion, il y a 5473 km entre l'aéroport Charles De
Gaulle et celui de Libreville. J'étais avec Antoine Gallimard. Nous
allions faire des conférences au Gabon. Au milieu du vol, Antoine a
parlé de Tutuola, qui avait été traduit jadis par Queneau.
Et puis, on s'est demandé s'il y avait un grand fleuve africain portant
les livres d'une façon claire. On a parlé du bon travail fait
chez Hatier, L'Harmattan, Le Serpent à Plumes, Actes Sud,
Présence Africaine, voire chez Gallimard, Grasset, Le Seuil, Albin
Michel, qui, de temps en temps, publient un auteur d'Afrique ou de la diaspora.
Mais tout ça était un peu éparpillé. On voyait mal
le puissant courant d'écritures africaines. Nous nous sommes alors dit
que nous allions relever le défi. Et il m'a confié la direction
de la future collection. Nous l'avons donc annoncée à la
conférence de presse de Libreville fin janvier 1999 ; fin janvier
2000, le contrat oral est respecté, avec cinq premiers titres. On ouvre
le siècle avec l'Afrique et ce n'est pas fini. Les éditeurs ont
tous du pain sur la planche. Il va se créer une exigence de
qualité. L'Afrique a au moins tout le siècle pour nous
étonner, parce qu'on aura, avec les écritures africaines,
beaucoup plus de surprises créatrices qu'on n'en a eu avec les
écritures d'Amérique latine »39(*)
Or cette collection Continents Noirs,
créée pour donner une meilleure visibilité à ce que
Jean-Noël Schifano appelle « le puissant courant
d'écritures africaines », comporte des livres tous
similaires à la couverture jaune pâle (et blanche au tout
début), décorés d'une poignée de terre rouge
représentant la latérite et qui se déplace au gré
de l' oeuvre. Et même si l'auteur d'un texte est bon, si son histoire
vaut le détour et qu'en plus, il possède un titre accrocheur
comme Rêve d' Albatros40(*) du togolais Kangni Alem, force est de constater
que très peu, émergent sur la scène littéraire
française, quant aux autres, ils vont se rajouter à la masse des
auteurs inconnus déjà publiés sous cette typographie
particulière. C'est là que Michel Cadence, directeur des
éditions Ndzé intervient et déclare : «
Quelle proportion d'Africains, c'est à dire de femmes ou d'hommes
vivant en Afrique, peut-on trouver chez Continents noirs de
Gallimard ? Chez Ndzé, c'est 80%
des auteurs, et si je poursuis ce travail, ce sera bientôt 90%.
J'édite les laissés-pour-compte de Gallimard, Hachette et autres
Serpents. Et j'en suis fier. Je publie des textes impubliables sur lesquels je
fais travailler les auteurs pendant trois ans ». Bien entendu,
tout le monde ne partage pas cet avis, et certains trouvent leur compte
à être publié chez Continents Noirs en
dépit des mauvaises langues ou des critiques
frustrés : C'est le cas d'Eugène Ebodé, auteur de
La Transmission puis La Divine Colère et
Silikani, une trilogie éditée chez Continents Noirs en
raison des très bons rapports de l'écrivain avec la maison. Ce
qui montre bien que la relation que l'on peut entretenir avec un éditeur
est primordiale, la collection ne fait alors plus cas de discussions et seul
compte le livre, cet objet q'il faut soumettre au lecteur, cet objet qui doit
séduire le lecteur !
- ACTES SUD
Chez Actes Sud, Bernard Magnier dirige la collection
Afriques depuis 2000. Créée afin de promouvoir les
littératures africaines, elle fait preuve d'une grande qualité
dans les choix éditoriaux et l'esthétisme des livres
dédiés aux lettres africaines, ne se différencie pas
radicalement avec la collection officielle... Dans un entretien accordé
au site www.linternaute.com, Bernard Magnier explique que l'exil familial,
économique ou politique d'africains, est susceptible de créer un
besoin en littérature et qu'il existe cette attraction de la France vue
comme prestigieuse pour les écrivains africains. Il admet aussi que les
livres publiés en France, sont mieux diffusés mais plus chers.
A l'inverse, les livres édités en Afrique ont très peu de
chance d'être diffusés en France. En Afrique, ajoute Bernard
Magnier, le livre constitue encore un objet singulier et rare, et la lecture
reste une activité solitaire, qu'il n'est pas facile de concilier avec
les réalités africaines.
Le Serpents à plumes et la collection Motifs
Elle a révélé beaucoup de
talents africains. Appartenant à la maison d'édition, Le
Serpent à Plumes, elle fut un temps dirigée par Pierre
Astier aujourd'hui agent littéraire à son propre compte. Des
auteurs comme Abdourahman Waberi, Ken Bugul, ou Boniface Mongo Boussa y ont
publié de même qu'Aminata Sow Fall ( Le jujubier du
Patriarche) et Boubacar Boris Diop, ( Le Temps de Tamango).
D'après Pierre Astier, les auteurs lui faisaient confiance et il les
suivait dans leur parcours littéraire. Mais après que le Serpent
à Plumes ait été racheté par les Editions du
Rocher, et intégré à un groupe commercial, la ligne
éditoriale s'en est trouvée radicalement changée et
beaucoup d'auteurs ont cherché par des procès, à obtenir
leurs droits financiers et à se défaire de leurs contrats avec le
Serpent à Plumes. Pierre Astier se souvient de l'aventure du Serpents
à Plumes sur le blog 41(*) d' Alain Mabanckou :
« La création de la maison
d'édition en 1993, grâce à la détermination
de Claude Tarrène (actuel directeur commercial du
Dilettante) fut un moment fort, marqué par le succès du premier
livre publié au Serpent : La Grande Drive des esprits de
Gisèle Pineau, qui reçut successivement le Prix
Carbet de la Caraïbe 1993 et le Grand Prix des Lectrices de Elle 1994. La
découverte d'auteurs, le lancement de collections (Motifs, Serpent noir,
etc.) furent chaque fois, avec mes collaborateurs, Tania Capron
et Pierre Bisiou, de magnifiques
moments... »
Pierre Astier dirige également un
département de littérature française, aux Editions
Naïves : « J'observe qu'il y a de moins en moins de
collections spécialisées et de plus en plus d'auteurs d'origine
africaine qui se fondent dans des collections de littérature et c'est
tant mieux, car l'humanité ne peut plus, au XXIe siècle, se
concevoir sur la base de communautés cloisonnées, ni la
société française, ni a fortiori la littérature de
langue française. Sur la question des collections ghettos, on a
beaucoup glosé sur la collection Continents noirs de Gallimard, omettant
de souligner que les collections de littérature française, chez
bon nombre d'éditeurs français, étaient des collections
ghettos pour écrivains nationaux français dans lesquels pouvaient
au mieux se glisser un Belge ou un Suisse francisé à
l'extrême, mais quasiment jamais un « francophone »
extra-européen. Ma politique éditoriale, au Serpent à
Plumes, a été de mêler auteurs du Nord et auteurs du Sud,
auteurs américains et auteurs européens, auteurs africains et
auteurs asiatiques ».
En dépit des critiques, ou du caractère
dit ghettoïsant de ces collections appartenant à des
maisons prestigieuses, elles continuent d'attirer les écrivains
africains qui préfèrent y être publiés plutôt
qu'ailleurs. En raison de problèmes de diffusion, de promotion ou de
suivi éditorial, beaucoup d'auteurs préfèrent
éviter les petites structures africaines installées à
Paris, car elles ne les satisfont pas entièrement pour l'exploitation de
leurs livres. Citons Présence Africaine, la doyenne : un
nom, un fond extraordinaire d`auteurs, une maison qui a déniché
de nombreux talents mais souffre d'une gestion financière critiquable.
Certains vont même jusqu' à dire que Présence
Africaine aurait pu être le Gallimard de l'Afrique, au lieu de voir
s'échapper ses auteurs vers le Seuil, Plon ou Anne Carrière...
Mais il semblerait que la maison ait fait son temps. Et ce qui fait
véritablement débat aujourd'hui, c'est le manque de
considération des auteurs étrangers écrivant en
français. Alors, coup d'éclat ! Le 15 Mars 2007, 44
écrivains publiaient un manifeste dans Le Monde des Livres, en
proclamant l'avènement d'une littérature monde en
français. Et grâce à l'attribution de prix prestigieux
comme le Renaudot et le Goncourt aux auteurs « venus
d'ailleurs », le moment était tout idéal La Canadienne,
Nancy Huston, le congolais Alain Mabanckou et la Camerounaise Léonora
Miano, en ont été les heureux récipiendaires...
C Le Manifeste des 44
Le texte intitulé Pour une
Littérature Monde en français est paru dans Le Monde des
Livres le jeudi 15 Mars 2007 et signé par une cinquantaine
d'auteurs dont Muriel Barbery, Tahar Ben Jelloun, Alain Borer, Roland Brival,
Maryse Condé, Didier Daeninckx, Ananda Devi, Alain Dugrand, Edouard
Glissant, Jacques Godbout, Nancy Huston, Koffi Kwahulé, Dany
Laferrière, Gilles Lapouge, Jean-Marie Laclavetine, Michel Layaz, Michel
Le Bris, JMG Le Clézio, Yvon Le Men, Amin Maalouf, Alain Mabanckou, Anna
Moï, Wajdi Mouawad, Nimrod, Wilfried N'Sondé, Esther Orner, Erik
Orsenna, Benoît Peeters, Patrick Rambaud, Gisèle Pineau,
Jean-Claude Pirotte, Grégoire Polet, Patrick Raynal, Jean-Luc V.
Raharimanana, Jean Rouaud, Boualem Sansal, Dai Sitje, Brina Svit, Lyonel
Trouillot, Anne Vallaeys, Jean Vautrin, André Velter, Gary Victor,
Abdourahman A. Waberi...
La plupart sont écrivains, puis éditeurs ou
directeurs de festivals comme Michel Le Bris 42(*), lecteur attitré comme Jean-Marie Laclavetine,
musiciens comme Wilfried Nsondé, académicien comme Erik Orsenna,
écrivain-voyageur comme JMG Le Clézio et même
infirmière en psychiatrie comme Gisèle Pineau. Tous viennent
d'horizons divers, mais tous écrivent en français et pour toutes
ces raisons et d'autres inavouées, ils se sont proclamés
hérauts de ce manifeste à caractère
révolutionnaire.
1/ Extraits choisis et Analyse d'un contexte ( Voir
annexe)
« Plus tard, on dira peut-être que
ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de
l'Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des
lycéens, décernés le même automne à des
écrivains d' outre France... »
Dès les premières lignes, le manifeste a
voulu s'inscrire dans un moment historique et dans la continuité d'un
automne particulier où les prix ont récompensé des
auteurs étrangers. A partir de cette « révolution
copernicienne », poursuit le texte, « le centre, ce
point depuis lequel était supposée rayonner une
littérature franco-française, n'est plus le
centre ». Et allant plus loin, ces 44 auteurs, affirment sans
ambages et sans détour :
« Fin de la francophonie. Et naissance
d'une littérature monde ! »
Face à une telle sanction, la réaction fut
immédiate. C'est Abdou Diouf, Secrétaire Général de
l' OIF, le premier, qui a publié un droit de réponse :
« Mais vous me
permettrez de vous faire irrespectueusement remarquer, mesdames et messieurs
les écrivains, que vous contribuez dans ce manifeste, avec toute
l'autorité que votre talent confère à votre parole,
à entretenir le plus grave des contresens sur la francophonie, en
confondant francocentrisme et francophonie, en confondant exception culturelle
et diversité culturelle. Je déplore surtout que vous ayez choisi
de vous poser en fossoyeurs de la francophonie, non pas sur la base d'arguments
fondés, ce qui aurait eu le mérite d'ouvrir un débat, mais
en redonnant vigueur à des poncifs qui décidément ont la
vie dure... »43(*)
Une deuxième réaction, celle de Nicolas
Sarkozy, alors président de l' UMP et candidat à
l'élection présidentielle, est venue alimenter le débat
naissant. Rappelons que l' UMP a un volet francophonie et diversité. Et
dans les colonnes de la rubrique « Opinions et
Débats » du Figaro, l'actuel président de la
République, déclarait ceci :
« Ce n'est pas un hasard si, parmi les
derniers pays que j'ai visités, le Sénégal et
l'Algérie ont offert à notre Académie deux des plus
fervents amoureux de la langue française, Assia Djebar et Senghor. Dans
l'enseignement supérieur, il est urgent de commencer à
réfléchir à la création de chaires francophones,
quasi inexistantes en France, afin de retenir des talents littéraires
comme Maryse Condé, Alain Mabanckou ou Achille Mbembe, qui ont fini par
s'exiler aux États-Unis. Le coeur et l'avenir de la francophonie sont de
moins en moins français, mais, paradoxalement, de plus en plus
anglo-saxons. La francophonie sauvée par l'Amérique ? Un
comble ! »44(*)
Ainsi, plutôt que
d'enterrer définitivement cette francophonie, Nicolas Sarkozy, proposait
de créer plus de chaires francophones, afin de maintenir la langue
française dans l'enseignement des lettres et surtout face à la
prépondérance de l'anglais. Un propos qui souligne bien le manque
de considération des doctorants en Lettres et Littérature en
France. Force est de constater que très peu parviennent à trouver
des postes d'enseignants titulaires en France et préfèrent donc
s'exiler aux Etats-Unis, où il existe une demande très forte par
rapport à la littérature francophone. Le problème de la
terminologie francophone ne se pose plus, on parle surtout de
littérature africaine et dans les universités américaines,
on cherche des enseignants qualifiés pour dispenser la
littérature mondiale, ce qui constitue une bonne nouvelle pour les
auteurs...
« Le monde
revient. Et c'est la meilleure des nouvelles. N'aura-t-il pas
été longtemps le grand absent de la littérature
française ? Le monde, le sujet, le sens, l'histoire, le
"référent" : pendant des décennies, ils auront
été mis "entre parenthèses" par les
maîtres-penseurs, inventeurs d'une littérature sans autre objet
qu'elle-même, faisant, comme il se disait alors, "sa propre
critique dans le mouvement même de son
énonciation », poursuit le manifeste. Et
depuis trop longtemps, déplorent les signataires, la littérature
française, restait fermée sur elle-même, rejetant tout ce
qui faisait sa richesse, ignorant tous ceux qui contribuaient, même en
silence, à la rendre vivante et les choses ne s'arrêtent pas
là, en effet :
« Le roman
était une affaire trop sérieuse pour être confiée
aux seuls romanciers, coupables d'un "usage naïf de la langue", lesquels
étaient priés doctement de se recycler en linguistique. Ces
textes ne renvoyant plus dès lors qu'à d'autres textes dans un
jeu de combinaisons sans fin, le temps pouvait venir où l'auteur
lui-même se trouvait de fait, et avec lui l'idée même de
création, évacué pour laisser toute la place aux
commentateurs, aux exégètes. Plutôt que de se frotter au
monde pour en capter le souffle, les énergies vitales, le roman, en
somme, n'avait plus qu'à se regarder
écrire... »
Cette littérature française au lieu de
vibrer, se regardait écrire, se laissait commenter par les seuls
« capables », cela au détriment de ceux qui la
faisaient naître. Les penseurs, commentateurs et autres
exégètes, du haut de leur savante exégèse, en
avaient oublié jusqu' à la saveur même de la
littérature, celle d'être lue, d'être ressentie comme un
plaisir, d'être vécue comme une communion avec le monde, avant
toute interprétation intempestive et réductrice.
« Que les
écrivains aient pu survivre dans pareille atmosphère
intellectuelle est de nature à nous rendre optimistes sur les
capacités de résistance du roman à tout ce qui
prétend le nier ou l'asservir... »
On rejoint ici le propos du philosophe Tzvetan Todorov
qui dénonce le danger d'appauvrissement de la littérature
actuelle à travers trois tendances, à savoir le nihilisme, le
formalisme et l'autofiction 45(*), et qui ensemble, contribueraient de façon
alarmiste à la faiblesse du roman contemporain. D'où ce
désir exprimé par quarante quatre écrivains de
retrouver :
« ... Les
voies du monde, ce retour aux puissances d'incandescence de la
littérature, cette urgence ressentie d'une "littérature
monde... »
Une urgence donc, de retrouver une littérature
fortement empreinte du monde, des récits de voyages, d'aventures, la
littérature dans toute sa capacité d'expression infinie et
variée :
« Les récits de ces
étonnants voyageurs, apparus au milieu des années 1970, auront
été les somptueux portails d'entrée du monde dans la
fiction. D'autres, soucieux de dire le monde où ils vivaient, comme
jadis Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avaient dit la ville
américaine, se tournaient, à la suite de Jean-Patrick Manchette,
vers le roman noir. D'autres encore recouraient au pastiche du roman populaire,
du roman policier, du roman d'aventures, manière habile ou prudente de
retrouver le récit tout en rusant avec "l'interdit du roman". D'autres
encore, raconteurs d'histoires, investissaient la bande dessinée, en
compagnie d'Hugo Pratt, de Moebius et de quelques autres. Et les regards se
tournaient de nouveau vers les littératures "francophones",
particulièrement caribéennes, comme si, loin des
modèles français sclérosés, s'affirmait
là-bas, héritière de Saint-John Perse et de
Césaire, une effervescence romanesque et poétique dont le secret,
ailleurs semblait avoir été perdu... »
Le manifeste entend lancer un appel et brandir cette
effervescence romanesque, celle de littératures en mutation constante,
cela quand :
« Bruce Chatwin partait pour la
Patagonie, et son récit prenait des allures de manifeste pour une
génération de travel writers ("J'applique au réel les
techniques de narration du roman, pour restituer la dimension romanesque du
réel"). Puis s'affirmaient, en un impressionnant tohu-bohu, des romans
bruyants, colorés, métissés, qui disaient, avec une force
rare et des mots nouveaux, la rumeur de ces métropoles exponentielles
où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous
les continents. Au coeur de cette effervescence, Kazuo Ishiguro, Ben Okri,
Hanif Kureishi, Michael Ondaatje - et Salman Rushdie, qui explorait avec
acuité le surgissement de ce qu'il appelait les "hommes traduits" :
ceux-là, nés en Angleterre, ne vivaient plus dans la nostalgie
d'un pays d'origine à jamais perdu, mais, s'éprouvant entre deux
mondes, entre deux chaises, tentaient vaille que vaille de faire de ce
télescopage l'ébauche d'un monde nouveau. Et c'était bien
la première fois qu'une génération d'écrivains
issus de l'émigration, au lieu de se couler dans sa culture d'adoption,
entendait faire oeuvre à partir du constat de son identité
plurielle, dans le territoire ambigu et mouvant de ce frottement. En cela,
soulignait Carlos Fuentes, ils étaient moins les produits de la
décolonisation que les annonciateurs du XXIe
siècle... »
Un roman enrichi de brassages culturels, de
métissage, d'identité plurielle, la littérature ayant pour
fonction de dire le monde de demain et esquisser les générations
d'écrivains à venir. Mais si cette mutation s'opérait
naturellement parmi les écrivains anglophones, félicités
pour avoir dignement pris possession de la langue anglaise, chez les
francophones, elle les marginalisait et le manifeste questionne ses
destinataires :
« Combien d'écrivains de langue
française, pris eux aussi entre deux ou plusieurs cultures, se sont
interrogés alors sur cette étrange disparité qui les
reléguait sur les marges, eux "francophones", variante exotique tout
juste tolérée, tandis que les enfants de l'ex-empire britannique
prenaient, en toute légitimité, possession des lettres anglaises
? »
Plusieurs hypothèses sont émises et une
allusion à la mission civilisatrice de l'occident envers les peuples
noirs, ce que perpétuerait la francophonie, en dépit du renouveau
des lettres françaises, opéré par des écrivains
venus d' ailleurs : Ici politique, littérature et langue, viennent
se confondre :
« Fallait-il
tenir pour acquis quelque dégénérescence
congénitale des héritiers de l'empire colonial français,
en comparaison de ceux de l'empire britannique ? Ou bien reconnaître que
le problème tenait au milieu littéraire lui-même, à
son étrange art poétique tournant comme un derviche tourneur sur
lui-même, et à cette vision d'une francophonie sur laquelle une
France mère des arts, des armes et des lois continuait de dispenser ses
lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse d'apporter la
civilisation aux peuples vivant dans les ténèbres ? Les
écrivains antillais, haïtiens, africains qui s'affirmaient alors
n'avaient rien à envier à leurs homologues de langue
anglaise... »
Une évidence s'est alors imposée aux
écrivains d'outre-mer et la Créolité est devenue
une forme de résistance :
« Le concept de "créolisation"
qui alors les rassemblait, à travers lequel ils affirmaient leur
singularité, il fallait décidément être sourd et
aveugle, ne chercher en autrui qu'un écho à soi-même, pour
ne pas comprendre qu'il s'agissait déjà rien de moins que d'une
autonomisation de la langue... »
Ainsi, la langue n'appartient pas à un seul
peuple ou à une seule élite capable de la comprendre et de la
manier. Elle serait la propriété de tous ceux qui la pratiquent
et l'enrichissent au jour le jour : La rentrée 2006 et la distribution
des prix d'automne l'a démontré, souligne le manifeste et les
lettres françaises sont prêtes pour s'inscrire dans un champ
d'expression encore plus vaste. Plus rien ne peut arrêter le mouvement,
pas même la francophonie qui ne renverrait qu'à un monde
virtuel :
« Soyons clairs : l'émergence
d'une littérature monde en langue française consciemment
affirmée, ouverte sur le monde, transnationale, signe l'acte de
décès de la francophonie. Personne ne parle le francophone, ni
n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière
d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné
par la langue d'un pays virtuel ? Or c'est le monde qui s'est invité aux
banquets des prix d'automne. A quoi nous comprenons que les temps sont
prêts pour cette révolution... »
La révolution, pourquoi n'a-t-elle pas eu lieu
plus tôt ? La réponse est sans équivoque :
« Parce que le monde, alors, se trouvait
interdit de séjour. Comment a-t-on pu ne pas reconnaître en
Réjean Ducharme un des plus grands auteurs contemporains, dont L'Hiver
de force, dès 1970, porté par un extraordinaire souffle
poétique, enfonçait tout ce qui a pu s'écrire depuis sur
la société de consommation et les niaiseries libertaires ? Parce
qu'on regardait alors de très haut la "Belle Province", qu'on
n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums
de vieille France... »
Quant à ce pacte entre la nation et la langue,
qui a tenu l'écrivain si longtemps dans les marges, il y a urgence
à s'en affranchir pour toujours :
« Et l'on pourrait égrener les
écrivains africains, ou antillais, tenus pareillement dans les marges :
comment s'en étonner, quand le concept de créolisation se trouve
réduit en son contraire, confondu avec un slogan de United Colors of
Benetton ? Comment s'en étonner si l'on s'obstine à postuler un
lien charnel exclusif entre la nation et la langue qui en exprimerait le
génie singulier - puisqu'en toute rigueur l'idée de
"francophonie" se donne alors comme le dernier avatar du colonialisme ? Ce
qu'entérinent ces prix d'automne est le constat inverse : que le pacte
colonial se trouve brisé, que la langue délivrée devient
l'affaire de tous, et que, si l'on s'y tient fermement, c'en sera fini des
temps du mépris et de la suffisance. Fin de la "francophonie", et
naissance d'une littérature monde en français : tel est l'enjeu,
pour peu que les écrivains s'en emparent... »
Le concept de littérature monde serait-il
un échappatoire vers une liberté créatrice sans bornes et
sans marginalisation du milieu lui-même ?
« Littérature monde parce que,
à l'évidence multiples, diverses, sont aujourd'hui les
littératures de langue françaises de par le monde, formant un
vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais
littérature monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le
monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des
décennies d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a
été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs :
la tâche de donner voix et visage à l'inconnu du monde - et
à l'inconnu en nous... »
Maintenant que le texte a été
publié et le mouvement lancé, il ne doit plus
s'arrêter :
« Enfin, si nous percevons partout
cette effervescence créatrice, c'est que quelque chose en France
même s'est remis en mouvement où la jeune
génération, débarrassée de l'ère du
soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction
pour ouvrir de nouvelles voies romanesques. En sorte que le temps nous
paraît venu d'une renaissance, d'un dialogue dans un vaste ensemble
polyphonique, sans souci d'on ne sait quel combat pour ou contre la
prééminence de telle ou telle langue ou d'un quelconque
"impérialisme culturel". Le centre relégué au milieu
d'autres centres, c'est à la formation d'une constellation que nous
assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif avec
la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la
poésie et de l'imaginaire, n'aura pour frontières que celles de
l'esprit... »
Le vaste ensemble polyphonique, voilà en
dernier lieu, ce que prône le manifeste, sans aucun impérialisme
culturel pour brider la langue, cette matière première. La langue
libérée de son pacte exclusif avec la nation étant une
condition absolue à la perpétuation et la reconnaissance de la
littérature monde, proclamée par 44 écrivains. Mais tous
l'entendent-ils de cette oreille ?
Pour Julien Kilanga-Musinde, Directeur de la
Langue Française et de la Diversité linguistique à l'
OIF, il persiste une grande confusion entre la francophonie institutionnelle,
dont il est le représentant et la francophonie littéraire, pour
laquelle il oeuvre. Mais avant tout, il y a matière à se poser
des questions car : « La littérature africaine en
langue française » nous convie à un banquet de l'esprit
ouvert à tous les souffles en posant des questions essentielles au
devenir de la Francophonie à un moment où on s'interroge sur
ses contours. Une francophonie polyphonique ? La littérature
africaine en langue française ». Et Monsieur
Kilanga donne sa définition personnelle de la francophonie à
laquelle il attribue d'abord: « Un sens géographique, la
Francophonie saisie comme l'ensemble des peuples et des hommes dont la langue
(maternelle, officielle, courante ou administrative) est le
français ». Quant à la littérature monde,
elle est un terme trop vague, qui englobe tout et rien à la fois !
La Convention de Saint-Malo
Avant d'analyser les réactions
médiatiques au manifeste, signalons qu'il a donné lieu à
la convention de Saint-Malo. Le festival « Etonnants
Voyageurs », chapeauté par Michel Le Bris, et qui s'est tenu
entre le 26 et le 28 mai 2007 dans la ville aux remparts mythiques, a
été le cadre idéal pour instaurer une convention
destinée à rendre visible le mouvement de la nouvelle
littérature monde :
« Cette nouvelle
pléiade, nous avons la volonté de la rendre visible, de suivre sa
trace poétique, de l'accompagner, de la rendre évidente, en
créant un regroupement de trente écrivains représentatifs
de cette diversité littéraire et géographique, qui par la
publication d'une revue annuelle captant les miroitements de cette
constellation et par la remise d'un prix de printemps, servira, nous
l'espérons, de caisse de résonance à ce mouvement que les
prix littéraires d'automne - et leurs jurés écrivains -
ont contribué à révéler. Le groupe se dissoudra
dans cinq ou dix ans. Accompagner un mouvement n'est pas
l'encadrer... »
- Réactions en France
« La photo entrera peut-être
dans l'histoire : une quinzaine de romanciers serrés sous leurs
parapluies, sur le pont du navire-école Belem à Saint-Malo. On
reconnaît Michel Le Bris et Jean Rouaud, Muriel Barbery et Jacques
Godbout, Jean-Luc Raharimanana et Michel Tremblay... Tous ont signé le
fameux Manifeste des 44, « Pour une littérature-monde en
français », publié dans Le Monde du
16 mars 2007. Un manifeste à double lame. La première
annonce la mort de la francophonie dans sa forme actuelle et la naissance d'une
littérature-monde riche de toutes les littératures en langue
française animées par « l'envie de goûter
à la poussière des routes, au frisson du dehors, au regard
croisé d'inconnus ». La seconde s'en prend aux
« maîtres-penseurs » de la
littérature et de l'édition, ces « inventeurs
d'une littérature sans autre objet qu'elle-même »,
qui « se regarde écrire ». Traduisez :
les héritiers du nouveau roman, du structuralisme ou de la
déconstruction, qui s'égarerait aujourd'hui dans le formalisme et
l'autofiction...»46(*)
Pour sa part, l'écrivain Abdourahman. A Waberi
(l'un des quatre rédacteurs du manifeste avec Michel le Bris, Alain
Mabanckou et Jean Rouaud), remarquait à propos de la francophonie :
« Non seulement elle nous transforme en espèce
«exotique» aux yeux du public, mais elle creuse un
fossé symbolique entre les auteurs. Comme s'il existait un «centre
pur» - Paris et les écrivains français «de
souche» - et une périphérie, une «annexe»,
avec les «francophones».
Un commentaire entériné dans un article
du journal Marianne47(*), sur les enjeux de la francophonie
: « Face au mépris » des élites
intellectuelles françaises autocentrées, pour qui la
création littéraire francophone est une sorte de tiroir
qui relègue les auteurs africains ou canadiens en « marge » de
la création dans la langue de Molière, 44
écrivains, dont Jean Marie Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Edouard
Glissant, Amin Maalouf ou Alain Mabanckou - rien que ça - ont
lancé le manifeste pour une « littérature-monde en
français », qui signerait ni plus ni moins «l'acte de
décès de la francophonie » telle que vécue
jusqu'à aujourd'hui, avec son centre - la France - et sa
périphérie exotique. Force est de constater que la
France a tendance à se replier sur ses (maigres) ressources. C'est
pourtant à un autre niveau que se situent les enjeux d'une
diversité culturelle pleine et assumée, face à
l'homogénéisation des contenus culturels dans le
monde...».
Le journaliste Jean Pierre Bourcier ajoutait :
« Que la langue française est aussi nourrie par d'autres
espaces dans le monde, comme c'est déjà le cas pour les
écrivains de langue anglaise. En France, ajoutent les signataires
(Didier Daeninckx, Nancy Huston, Amin Maalouf...), une« jeune
génération [...] débarrassée de l'ère du
soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction
pour ouvrir de nouvelles voies romanesques ». Et ils soulignent notamment
le rôle éminent des« récits de ces étonnants
voyageurs apparus au milieu des années 70... »48(*)
La francophonie continue de susciter critiques et
commentaires divers. Un fonctionnaire de l'OIF, qui a voulu rester anonyme,
me confiait lors d'un entretien et non sans une pointe d'agacement :
« On nous a beaucoup critiqué sur notre position mais les
gens oublient que nous oeuvrons pour la diversité culturelle et le
rayonnement de la langue française, regardez, nous avons
créée un prix des cinq continents de la francophonie !
Littérature monde ? Ca ne veut rien
dire ! ».
« Alors que la francophonie politique
s'est imposée comme une force avec laquelle, il faut désormais
compter, la francophonie littéraire, continue de susciter
méfiance et rejet... le centre est désormais partout, la
francophonie qui servait à regrouper les marges, n' a plus de raisons
d'être »49(*), notait de son côté Tirthankar
Chanda, journaliste culturel à l'hebdomadaire Jeune Afrique.
On l'aura compris, le manifeste a ouvert un
débat et des réactions continuent d'être publiées
dans divers journaux. Le phénomène a même gagné
l'Amérique, où beaucoup de signataires du manifeste sont
installés et enseignent la littérature francophone dans les
grandes universités, notamment à UCLA 50(*)
Les réactions à l'étranger
«In Paris,
Language sparks culture War ! » : c'est le titre de
l'article d'Alan Riding publié dans le New York Times51(*). Autrement dit :
A Paris, la langue entraîne une guerre des Cultures, un titre
qui traduit la vision manichéenne américaine, avec un
vocabulaire légèrement guerrier, sans doute pour mieux accrocher
le lecteur. Et la première phrase de l'article, le confirme, avec le
terme « Battle ». Alan Riding explique ensuite ce
qui a conduit à la publication du manifeste : «With
French long engaged in a losing battle against, English around the world, a new
way of fighting back has been proposed by a multinational group of authors who
write in French: uncouple the language from France and turn French literature
into «world literature» written in French. For guardians of the
language of Molière, Voltaire and Victor Hugo, this is tantamount to
subversion. But the 44 signatories of a manifesto published in Le Monde this
month are in a rebellious mood. They assert that it is time for the French to
stop looking down on francophone authors, as foreigners writing in French are
known, because these very novelists -- many from former French colonies -- hold
the key to energizing French literature.»
La prépondérance de l'anglais comme
langue d'affaire internationale a conduit ce groupe d'écrivains
multinationaux, à proposer une nouvelle forme de résistance.
Celui de la littérature monde. Pour les héritiers de la langue
de Molière, de Voltaire et de Victor Hugo, c'était un mouvement
à caractère subversif. D'une humeur révolutionnaires, les
44 signataires ont publié ce texte afin que la France cesse de voir en
eux des auteurs francophones, car ils contribuent à enrichir la langue
française, et cela en dépit de leur rattachement aux anciennes
colonies françaises 52(*)...
Quant au quotidien suisse, Le Temps, il
reprenait l'intégralité du manifeste sans autre forme de
commentaires, tandis que l'article d'Alan Riding, était repris dans le
Hérald Tribune. Et Radio Canada offrait un commentaire sur son
site web :
« Leur but est
double: redonner au roman une ouverture sur le monde et le souffle de la
fiction; s'élever contre les inventeurs d'une littérature
nombriliste sans autre objet qu'elle même. Une idée dans l'air du
temps. Cette idée d'une littérature monde en français
était déjà dans l'air. En novembre dernier, le
Français Jean Rouaud et le Franco Congolais Alain Mabanckou avaient
abordé ce thème, lors d'une manifestation tenue à Bamako,
au Mali. À cette occasion, Jean Rouaud avait écrit: « La
langue française a quitté l'île de la Cité pour
composer un archipel »53(*)
Le manifeste est loin d'être passé
inaperçu. Michel Le Bris et ses collaborateurs ont donc fait de la
littérature monde, le thème principal du dernier Festival
Etonnants Voyageurs à Saint Malo. Lors d'un café
littéraire, l'amoureux de lettres en a profité pour rebondir sur
les diverses réactions médiatiques, en insistant sur la
nécessité de : « prendre le temps de discuter
de cette littérature monde, avec des débats, un prix
littéraire, l'édition d'une revue annuelle qui permettrait de
publier des articles et remarquer de jeunes auteurs talentueux. Contrairement
à l'engouement de la presse sur le débat autour de «
la mort de la francophonie », Le Bris ajoute que ce n'était
pas l'idée première du manifeste. Si le roman du 19è
siècle, a engendré ce qu'il appelle le Romantisme, il se demande
pourquoi à un moment donné, les écrivains se sont
retirés du monde, pour se regarder le nombril. La littérature de
voyage, elle tient vraiment sa place, au sein du Festival Etonnants
Voyageurs... Et s'il y a autofiction, alors, il s'agit d'un moi qui se cogne
au monde, se révèle par le rapport à autrui, mais pas
d'un moi qui s'admire... »
Michel Le Bris reste
toutefois optimiste, car ajoute t-il, la littérature française
reprend vie. A cette littérature, s' ajoute même de nouvelles
formes : Le Slam, ou les déclamations de poétiques de jeunes
en quête d'expression personnelle ou encore les problématiques de
la banlieue, défendus par Thomté Ryan avec
« Banlieue Noire », Rachid Djaïdani dans
« Viscéral » ou encore Faïza
Guène 54(*),
invitée à Saint Malo, tandis que Wilfried Nsondé,
d'origine congolaise et qui vit à Berlin, a récemment
publié chez Actes Sud, Le Coeur des Enfants Léopards, un
récit moderne engagé, aux allures poétiques sur la
condition difficile des jeunes de quartier en France...Tous doivent être
pris dans le courant vif et révolutionnaire de La littérature
Monde, sans faire l'objet de catégorisation et c'est justement cette
séparation des littératures qui a conduit l'écrivaine
vietnamienne Anna Moï, à signer le manifeste :
« J'ai été invitée
lors du salon du livre 2006 dont le thème était la Francophonie
et je croyais que cela intégrait tous les auteurs écrivant en
français. Et puis, une journaliste m'a posé cette question :
Est-ce que vous lisez des auteurs francophones ? De là, j'ai
compris, qu'il y avait d'un côté, les auteurs
franco-français, issus de l'hexagone, et d'autre part, les autres,
originaires des anciennes colonies françaises et
considérés comme ne faisant pas partie de la grande
littérature française. Et puis, il y avait les
catégorisations dans les librairies, ceux qui étaient du Canada
ou d' Océanie, n' étaient pas classés dans les même
rayons que ceux venus d' Afrique, et pourquoi, on ne trouvait pas des auteurs
français en rayon littérature
francophone ?... ».
Le suédois, Bjorn Lassund, écrivain et
professeur à l'Université de Lund en Suède, va plus loin
et livre une fine analyse du manifeste et en général de la
littérature étrangère et sa réception en France :
« On accuse souvent la France de ne pas
s'intéresser suffisamment à la littérature
étrangère. Cependant, le chauvinisme culturel de la France n'est
pas -- ou n'est plus -- pire qu'ailleurs ; celui-ci a beaucoup à
envier aux pays anglo-saxons où, par exemple, l'attribution d'un prix
Nobel à un écrivain « étranger » se
remarque à peine dans les ventes -- si encore l'écrivain est
traduit. Gardons le sens des proportions : on a toujours abondamment
traduit la littérature étrangère en France et les
écrivains se sont largement laissés influencer par celle-ci. Sans
Kafka, Joyce, Dostoïevski, Hemingway, Dos Passos, Calvino et d'autres
encore la littérature française ne serait pas devenue ce qu'elle
est. Aujourd'hui encore, il suffit d'ouvrir Le Monde des Livres ou Le Magazine
Littéraire pour voir que la littérature étrangère
est loin d'être négligée. Le succès du festival des
Étonnants voyageurs à Saint-Malo a été en grande
partie construit sur l'ouverture au monde. Il n'empêche que les
oeuvres littéraires sont presque toujours classifiées par leurs
origines dans les librairies et dans les catalogues des éditeurs. Il y a
des collections pour la littérature étrangère, pour la
littérature africaine ou pour la littérature hispanique, que
celles-ci soient traduites ou écrites directement en français.
Les magazines et suppléments littéraires consacrent
régulièrement des pages à la littérature de tel ou
tel pays. À Paris, on trouve des librairies spécialisées
dans la littérature d'un seul pays. Sur la quatrième de
couverture, l'information incontournable est le pays d'origine de
l'écrivain. Récemment, j'ai découvert qu'un de mes romans,
Le cercle celtique, était décoré d'un bandeau rouge qui
portait le texte « Polar suédois ». Pour un roman
qui parle d'identité celtique sans contenir un seul mot sur la
Suède et qui est écrit par un écrivain
déraciné et dénationalisé comme moi qui vit
à l'étranger depuis vingt ans ! ».
Muriel Barbery, auteur de L'Elégance du
Hérisson55(*),
se dit quant à elle « séduite par le concept de
littérature monde », car il colle avec son amour des
« romans généreux, ceux qui s'attachent à dire
une condition humaine restituée dans le souffle du monde, de Guerre
et Paix à Autant en emporte le vent. » Mais
elle ajoute aussitôt qu'elle n'a pas l'intention de
« donner des leçons à qui que ce
soit »...
*
Voyons maintenant comment le manifeste a
été accueilli dans le milieu de l'édition, car n'est-il
pas la cible première de ses revendications ? N'est-ce pas le milieu de
l'édition qui est considéré comme « ce centre
» décrié par des écrivains en quête de
liberté, « ce centre » qui les a tenu si longtemps
à la périphérie de la République des Lettres,
d'autant que le débat s'articule également autour de la
littérature intimiste, qui minerait le roman avec un grand R. Et quand
Michel Le Bris dit :
« Je n'ai rien contre la
littérature intimiste, et d'ailleurs la réflexion sur le moi est
une tradition ancienne dans la littérature française. Mais Angot,
ce n'est pas Montaigne ! »
Paul Otchakovsky-Laurens, patron des éditions
POL, répond : « Quant à affirmer que l'autofiction,
ou la recherche formelle, ne « disent » pas le monde, cela
même est discutable : « Tous les dix ou quinze
ans, on assiste à une attaque contre la soi-disant «censure»
que certaines maisons d'édition feraient subir au roman... Chaque fois,
on célèbre le retour du romanesque contre une littérature
supposée nombriliste et desséchée. Cette année,
c'est le concept très séduisant de «littérature
monde» qui fait fureur - mais l'ouverture au monde se fait aussi
à travers les romans les plus introspectifs ! »56(*)
Olivier Pascal Moussellard, rapporte aussi les propos
agacés d'Olivier Cohen, des Editions de l'Olivier : «
Je n'aime pas cette façon d'opposer les écrivains les
uns aux autres. La littérature, c'est une addition, pas une soustraction
de talents. Notre métier n'est pas de vendre des catégories
d'écrivains, mais de publier des auteurs, tous singuliers. Tracer une
«ligne de démarcation» entre les écrivains en fonction
de leur «camp», me paraît très dangereux. »
Pour Pierre Astier aux éditions
Naïves, il s'agit d'intégrer les écrivains francophones dans
la littérature française :
« Le problème est
désormais moins de savoir comment la littérature française
intègre les écrivains francophones (de ce qu'elle conçoit
encore comme une périphérie) que de savoir comment les
écrivains français intègrent la vaste
« Francophone Literature » comme la définit sans
état d'âme le très sérieux trimestriel
étasunien « World Literature Today » qui passe
brillamment en revue les littératures du monde d'un seul point de vue
linguistique, sans considération et hiérarchie
géopolitiques aucune ».
- Quelques intellectuels analysent le
manifeste
Commençons avec Achille Mbembe, l'un des
intellectuels africains les plus en vue aujourd'hui. Il est professeur
d'Histoire et de Sciences Politiques à l'Université du
Witwatersrand à Johannesburg et directeur de Recherches au
Witwatersrand Institue for Social and Economic Research (WISER)...
Dans l'analyse qu' il livre du manifeste, Achille
Mbembe commence d'abord par opposer la France et l' Amérique en
précisant les atouts de cette dernière: « Le
premier, c'est leur capacité presque illimitée de capter et de
recycler les élites mondiales. Au cours du dernier quart du
vingtième siècle, leurs universités et centres de
recherche sont parvenues à attirer presque tous les meilleurs
intellectuels noirs de la planète - ceux d'entre eux qui avaient
été formés en France, voire des universitaires
français noirs auxquels les portes des institutions françaises
sont restées hermétiquement fermées... »
Un commentaire qui rejoint celui de Nicolas Sarkozy,
même si ce dernier n'est pas homme de lettres mais avocat en premier
lieu. Il n'empêche que la France souffre de ne pas savoir valoriser et
retenir ses intellectuels d'origine étrangère, ce qui les
amène à être sollicités par le pays de l'Oncle Sam
et son « éthique de l'hospitalité »,
poursuit Achille Mbembe, une éthique qui serait rare en
France... : « Ceci dit, c'est cette éthique
de l'hospitalité qui fait défaut à la France
contemporaine. Son absence explique, en partie, l'incapacité
française à penser ce qu'Édouard Glissant appelle le
« Tout Monde». Et cela en raison de bien de facteurs
historiques liés à la langue française :
« Ce rapport métaphysique
à la langue s'explique lui-même par la double contradiction sur
laquelle repose l'Etat nation français. D'une part, les noces de la
langue et de l'État trouvent une partie de leur origine dans la Terreur
(1793-1794) durant la Révolution. C'est de cette époque que date
le réflexe du monolinguisme - cette idée typiquement
française selon laquelle la langue française étant une,
indivisible, et centrée sur une norme unique, tout le reste n'est que
patois. Il s'agit, d'autre part, de la tension, elle aussi
héritée, du moins en partie, de la révolution de 1789,
entre le cosmopolitisme et l'universalisme... »
Là encore, Achille Mbembe, même s'il n'a
pas signé le manifeste, évoque « ce centre »
tourné vers lui-même et qui a longtemps rejeté toute forme
de métissage ou réappropriation de la langue française...
Or ce qui veut prévaloir de nos jours, c'est le
« Tout Monde », un terme dont la paternité revient
au romancier antillais Edouard Glissant, Docteur ès Lettres, Prix
Renaudot 1958 pour son roman La Lézarde, Distinguished
Professeur of French, à la City University de New York ( CUNY) et
surtout poète reconnu :
« J'appelle Tout-monde notre univers tel
qu'il change et perdure en échangeant, et, en même temps la
« vision » que nous en avons ».
« Le divers du monde a besoin des langues
du monde », affirme aussi Glissant dans son
Traité du Tout Monde57(*).
Dans La Poétique de la Relation58(*), il va plus loin :
« Véhiculaire ou non, une langue
qui ne se hasarde pas au trouble du contact des cultures, qui ne s'engage pas
à l'ardente réflexibilité d'une relation paritaire aux
autres langues, me paraît, peut-être à long terme,
condamnée à l'appauvrissement réel ».
Il ne faut plus s'attarder sur la Francophonie, mais
parler d'une francopolyphonie du Tout-Monde ou les expressions
multiples d'une appartenance commune à travers le vecteur de la Langue,
seraient frottés à des facteurs culturels, destinés
à enrichir la langue.
Pour Pierre Assouline, écrivain, journaliste et
auteur du blog très fréquenté de la
« République des Lettres », il n' était peut
être pas nécessaire de faire autant de bruit autour de cette
littérature monde, qui selon lui était déjà en
marche et à l'insu des auteurs :
« Etait-il indispensable de
l'officialiser avec tambours et trompettes ? Malgré les ravages de
l'autofiction, le nombrilisme bien connu des écrivains
métropolitains, le ronronnement de la francophonie institutionnelle et
le centralisme de l'édition germanopratine, ils sont tout de même
un certain nombre depuis un certain temps, les écrivains de langue
française qui font de «la littérature monde»sans le
savoir comme M.Jourdain de la prose ».
Alain Diassé, un autre critique
littéraire et Docteur en Sciences du Langage et Analyse du
Discours, voit en la littérature monde une notion vide de sens :
« Je trouve que c'est une autre manière de nommer la
francophonie ou la littérature francophone. Je crois qu'il est
important pour les signataires de ce manifeste de se penser comme des
écrivains d'expression française qui veulent s'adresser au monde
sans pour autant se prévaloir de la francophonie. Ce qui est
différent de cette notion barbare de ''littérature monde'' en
français. Je crois que se réclamer de la
''littérature monde'', est une façon de se renier !
».
Un avis pour le moins tranché et pour
l'intellectuel Romuald Fonkoua qui s'exprimait à l' Ecole Normale
Supérieure : « le manifeste se trompe de cible et
il existe une grande confusion entre France et Francophonie : Le titre
même du manifeste, qu'il traduit par World Literature in French, reste
ambigu. » S'il est certain qu'en France, il y a un déficit de
l'enseignement des littératures francophones, un terme qui ne semble pas
gêner Fonkoua car le débat est ailleurs, il faut que la
littérature française prenne conscience de ses
« excroissances » et cela en terme d'Histoire
Littéraire. A titre d'exemple, Fonkoua cite les littératures
émergentes comme celles dites de banlieue. En conclusion, il ajoute
qu'il faut penser la littérature dans ses formes multiples et la sortir
des terminologies douteuses.
Romuald Fonkoua est éditeur chez
Présence Africaine. Universitaire reconnu, il est aujourd'hui professeur
de Littérature Française et Francophone à l'Institut de
Littérature Française de l'Université Marc Bloch de
Strasbourg II, après avoir été Maître de
Conférences à l'Université de Cergy Pontoise, en
littérature générale et comparée.
Pour Léonora Miano, lauréate 2006 du
Goncourt des Lycéens pour Contours du jour qui vient59(*), le manifeste
présente quelques faiblesses :
« Il ne m'a pas été
demandé de signer le manifeste. J'ai été approchée
pour participer à l'ouvrage qui a suivi, mais mon texte n'a pas
été retenu. On m'a expliqué qu'il était trop
court...Ce que je pense de ce manifeste, c'est que ses intentions sont
louables, mais qu'il n'est pas de nature à influencer vraiment les
pratiques du milieu littéraire français. Or, après avoir
entendu Michel Le Bris dans l'émission Répliques d'Alain
Finkielkraut, l'objectif premier de ce manifeste (et du livre qui a suivi),
était de mettre fin au complexe de supériorité qu'affiche
le microcosme littéraire, vis à vis des auteurs francophones non
occidentaux... ».
Léonora Miano poursuit en fustigeant
Gallimard, une maison pourtant indépendante :
« Il me semble que pour atteindre des
telles visées, il aurait fallu commencer par publier le manifeste
ailleurs que chez Gallimard. Cette maison qui est la plus prestigieuse de ce
pays, est la seule à publier des auteurs noirs écrivant
directement en français dans une collection où seule la couleur
de leur peau les rassemble. Continents Noirs ne reconnaît pas les univers
d'auteurs, et présente l'origine ethnique comme vectrice d'un corpus.
C'est aberrant, pour dire le moins. Le manifeste se saborde lui-même, en
paraissant chez ceux qui procèdent de cette façon. Comment faire
après cela, pour que les auteurs noirs de langue française soient
mieux considérés ? »
Elle pose ensuite la question de la reconnaissance des
auteurs et réfute l'accusation du manifeste sur la supposée
tendance nombriliste de la littérature française
contemporaine :
« En outre, le manifeste, si mes
souvenirs sont bons, fustige la littérature française
écrite de nos jours, pour son côté centré sur
elle-même, sa propension à se regarder le nombril plutôt
qu'à prendre le monde en compte. Là encore, je ne suis pas
d'accord. Il existe un grand nombre d'auteurs français contemporains qui
écrivent sur le monde qui les entoure. Ce n'est pas parce qu'ils sont
mal promus, qu'on peut prétendre qu'ils n'existent pas ».
Quant à la notion de littérature monde,
Léonora Miano pense que chaque auteur représente le monde
à sa façon et quel que soit ce qu'il écrit :
« Ensuite, parler du monde, en
littérature, c'est toujours et avant tout parler de soi.
L'écriture est un acte intime, solitaire. Lorsque l'auteur choisit un
sujet, quel qu'il soit, il le traite en fonction d'un point de vue particulier.
Si on admet cela, il est raisonnable de postuler que ces auteurs qui semblent
parler d'eux-mêmes, parlent aussi des autres. Parce qu'ils sont des
humains. Leur expérience recoupe celle des autres, et touche, de ce
fait, à l'universel. On ne peut pas dire aux gens sur quoi
écrire, et comment le faire ».
Pour conclure son propos, Léonora Miano
déplore le côté compassé et bourgeois de toute cette
affaire :
« Enfin, je regrette beaucoup le
côté compassé et bourgeois de cette affaire. Il me semble
qu'on tente, en prétendant s'ouvrir, de créer un autre
sérail. Un sérail coloré, mais quand même... Je ne
sais pas ce que les lecteurs peuvent en tirer. Je crois que les
universités continueront d'enseigner séparément
littérature française et littératures francophones, et que
les libraires ne modifieront pas leur organisation ».
Ici, se pose la question de l'organisation de la base
de la chaîne du livre : les libraires. Et cela, même si on a
tendance à se précipiter vers les rayons Meilleurs
Ventes des grandes surfaces commerciales. Car une fois les auteurs
publiés, comment ceux qui sont chargés de les mettre en valeur,
font-ils leur classement sur les rayons ? Je me suis rendue à la
Fnac Montparnasse et à celle des Halles pour étudier le
compartimentage des auteurs et entendre l'avis de responsables dans plusieurs
librairies parisiennes. Je leur ai aussi demandé leur avis sur le
manifeste pour de la littérature monde.
3 Le classement des auteurs francophones en
librairies
Pour Denis Laborey, responsable à la librairie
L'oeil écoute, situé sur le boulevard du Montparnasse,
il n'est pas facile de classer les auteurs étrangers ou auteurs
francophones. Si le manifeste n'évoque rien dans son esprit, la
francophonie renvoie d'abord aux auteurs québécois ou
caribéens et Denis Laborey précise que dans sa librairie, il n' y
pas de classement séparé entre littérature
française et littérature francophone d' autre part. Dans ses
rayons, on trouve aussi bien Edouard Glissant que Gisèle Pineau ou Alain
Mabanckou à côté d'Erik Orsenna, de Dany Lafferière
ou de Lyonel Trouillot, tous considérés comme des auteurs de
langue française. « De toute façon, ajoute
Denis Laborey, je n'ai pas le choix et ici, c'est surtout une librairie
touristique, alors le client doit pouvoir trouver de tout ».
A la Fnac 60(*) de Montparnasse, dès l'entrée dans le
rayon littérature, on distingue deux catégories :
Littérature française et Littérature Etrangère.
Aucune trace d'un rayon francophone comme à la Fnac de
Châtelet-Les Halles. Pourquoi ? Virginie Parmentier, une employée
m'explique que dans la Littérature française, on trouve aussi les
auteurs antillais. Si auparavant, le classement se faisait par collections,
aujourd'hui, il s'agit de bassins linguistiques et la littérature dite
francophone se fond très bien dans la littérature
française. Cela a d'ailleurs posé problème à une
époque. En effet, certains clients se sont plaints car ils ne trouvaient
plus la section Antilles auparavant couplée avec l'Afrique et
le Maghreb, alors, la Fnac de Montparnasse a du réaménager ses
étagères pour séparer les auteurs antillais des auteurs de
métropole. Toujours présents dans le rayon Littérature
française, ils sont groupés sur une étagère annexe,
afin de permettre à tout un chacun de choisir entre Maryse Condé,
Patrick Chamoiseau ou l'haïtienne Kettly Mars. D'ailleurs, quand tous les
livres étaient mélangés, les ventes de littérature
antillaise avaient chuté. Mais comme chacun le sait, le client d'une
grande surface culturelle est roi.
Pour la littérature d'Afrique Noire, un rayon
intitulé Roman Afrique, accueille les auteurs de Continents
Noirs61(*) comme la
gabonaise Bessora, ou la sénégalaise Ken Bugul, publiée
chez Motifs, une section des éditions du Serpents à
Plumes. Il y aussi le djiboutien Abdourahman A. Waberi ou le togolais Kangni
Alem et même la camerounaise Calixte Beyala, qui s'est plainte de ne pas
être classée en Littérature française, car
après tout, son dernier livre L'Homme qui m'offrait le
ciel62(*),
évoque à peine de l'Afrique. De plus, Calixthe Beyala, a
reçu le Grand Prix de l'Académie Française pour son roman
Les Honneurs Perdus en 1996, ce qui lui vaut un traitement
particulier. Alors, la Fnac a décidé de classer ses livres dans
les deux rayons, Afrique et Littérature
Française pour éviter toute discrimination, explique
Hélène Perentidis, une autre employée. Pour elle, le terme
francophonie revêt une forte connotation politique et renvoie
aux blessures de la décolonisation. Quant à la littérature
monde, cette jeune diplômée des Métiers du Livre, pense
qu'il n' y a pas une littérature monde tel que l'affirme le manifeste,
mais plusieurs littératures mondes. Un terme qu'il aurait fallu mettre
au pluriel afin de satisfaire l'ego de tous. Hélène
considère également que le débat autour de la francophonie
est un faux débat même s'il révèle ce désir
des auteurs étrangers, utilisant le français comme langue de
travail, d'être acceptés parmi la grande littérature
française. En fin de compte, quelle posture, ou quelle identité
défendent les auteurs ? Une rencontre organisée entre
libraires parisiens et les Fnac sur le thème de la francophonie
après la publication du Manifeste, a suscité maintes questions
parmi ces acteurs de l'industrie du Livre. La francophonie reste
décidément vague, indéfinissable ou à signification
multiple pour les uns et les autres. Si Virginie Parmentier se
référait aux auteurs québécois et un client aux
auteurs étrangers écrivant en français, pour les plus
virulents détracteurs de la Francophonie, il s'agit tout bonnement des
écrivains originaires des ex-colonies françaises. Le débat
n'est pas prêt de s'essouffler...
On voit bien que le classement des auteurs
étrangers pose des difficultés aux responsables de librairies,
mais il sous tend également la question de l'identité d'un
auteur. Le commentaire de l'intellectuelle Lilyan Kesteloot 63(*), est clair et sans
équivoque à ce propos : « Dire, je ne
suis pas un romancier africain, quand on écrit sur l'Afrique
avec cette facilité, ce naturel, c'est ridicule. Pourquoi cacher ou
refuser son identité ? Le premier courage de l'homme, c'est de
s'assumer. Après quoi, on peut se tenir debout. Rappelez-vous de Peaux
Noires, Masques Blancs...64(*) ».
Continuant mon enquête, je me suis rendue chez
à la Fnac des Halles où il y a une large section
intitulée Roman Francophone et dans laquelle sont
classés des auteurs du monde entier. Dans le même espace, il y a
les section Roman Afrique et Roman Antilles. Il y a aussi la
section Roman Anglophone et les romans de Terroirs.
« Voilà un bon compromis linguistique et
géopolitique pour satisfaire tout le monde, même si Tahar Ben
Jelloun, s'est indigné d'être classé dans le rayon Maghreb
plutôt qu'en Littérature Française »,
explique Erik, responsable de ce rayon, avec humour. Et il ajoute que la
francophonie est un fourre-tout. Pour lui, il y a d'abord des auteurs africains
et des auteurs antillais. Quant à la littérature monde, la
notion reste vague, et la reconnaissance des auteurs francophones reste une
affaire complexe. D'un autre côté, on ne peut pas nier à un
écrivain sa maîtrise de la langue française. Et pour
conclure, Erik estime que, tant qu'une langue émettra de la
littérature écrite, elle existera davantage... Or la
littérature écrite en langue africaine n'est pas très
développée, et seul le sénégalais Boubacar Boris
Diop a commis un roman intégralement écrit en wolof et
intitulé Doomi Golo65(*). ou l'enfant du singe.
J'ai ensuite été à la librairie
Le Divan, une filiale du groupe Gallimard, afin de voir comment le
manifeste influençait le classement des auteurs en rayons : Sur
place, j'ai été un peu déçue de trouver la
librairie en remaniement. En effet, faute de place, les romans africains par
exemple, étaient cachés au fond d'une pauvre
étagère en attente d'être mis en valeur, m'expliqua Louis,
l'un des employés. « Et il y aura un rayon
Francophonie ! Oui, nous ferons en sorte que cette littérature du
Québec, des Antilles et d'Afrique, soit visible ». Et sur
d'autres rayons promotionnels, on trouve ensemble des auteurs français,
des auteurs africains, des auteurs israéliens ou même arabes,
pourvu qu'ils aient eu du succès, à l'instar de Lily La
Tigresse de l'israélienne Alona Kimhi ou Lignes de
Faille66(*), de la
canadienne Nancy Huston, prix Femina 2006...
Pour Anne, une autre employée au Divan,
la francophonie renvoie d'emblée aux québécois. Et le
Maghreb reste une littérature à part. C'est tout
récemment que cette jeune libraire a découvert la
littérature francophone à travers Les Petits enfants
nègres de Vercingétorix d'Alain Mabanckou ou L'hibiscus
Pourpre de la Nigériane Chimamanda Ngozie Adichie, pour la
littérature anglophone. Anne admet qu'elle méconnaît encore
la littérature francophone et que les auteurs sont tout aussi valables
que les écrivains hexagonaux du simple fait qu'ils écrivent dans
la langue française. Et rejoignant l'avis d' Erik de la Fnac des
Halles, Anne estime que la francophonie est une notion ambiguë et fourre
tout qui sert à mettre des littératures complètement
différentes et originales dans un même sac. Dommage...
Enfin, j'ai rendu visite à quelques librairies
africaines installées à Paris. Pour cause de fermeture estivale,
je n'ai pu recueillir d'avis chez Présence Africaine,
installée à la Rue des écoles. Je me suis donc rabattue
sur les librairies Anibwe et l' Harmattan toutes aussi
célèbres que la doyenne des lettres africaines :
Pour Kassi Assemian d'origine ivoirienne et
propriétaire d'Anibwe, carrefour d'un public amoureux de
lettres plurielles, l'équation est simple : « Il n' y
a pas de littérature monde, mais des littératures de pays. Ceux
qui se réclament de cette littérature monde, n'assument pas leur
africanité, ajoute t-il en citant quelques noms
célèbres... Il n'existe pas de littérature tout court
mais une littérature italienne, une littérature
américaine, une littérature belge ou
haïtienne... ». Quant à la francophonie, c' est un
faux prétexte pour des auteurs qui n'assument pas d'où ils
viennent, juge Kassi Assemian, légèrement énervée
par ces « débats stériles » ou ces
« nouvelles terminologies », qui dénotent
d'un complexe d'infériorité...
Chez l'Harmattan, j'ai rencontré
Raphaëlle, responsable du magasin et auteur d'un mémoire sur Le
Bilinguisme dans le Roman Sénégalais. Dans ses locaux,
Raphaëlle affirme qu'un rayon francophonie serait tout simplement
impossible à gérer, car il comporterait tellement d'auteurs qu'il
serait compliqué pour les clients de s'y retrouver. Alors chez
l'Harmattan, on retrouve des rayons multiples et variés. Rien que pour
l' Afrique Noire, on fait la distinction entre les écrivains africains
d'expression française, lusophone ou anglaise. Pour le Maghreb, on
distingue la littérature libanaise de la littérature arabophone
classique ou moderne. Il y a même un rayon pour la littérature
dite beur ou littérature des auteurs issus de
l'immigration, avec des plumes comme Rachid Djaïdani ( Viscéral,
Mon Nerf et Boumkoeur67(*)), ou Mohamed Razane ( Dit Violent) chez
Gallimard...Quant à la littérature monde, Raphaëlle, pense
que c'est un terme trop vague et Edouard Glissant s'est déjà
exprimé sur cette notion avec le concept de Tout-Monde... Si le
terme francophonie ne gêne en rien la jeune libraire, il se
réfère juste aux auteurs d'expression française et n'a
aucune connotation négative ou coloniale... Il faut aller au-delà
d'une telle terminologie pour se consacrer aux textes seuls. De toute
façon, ajoute Raphaëlle, la francophonie n'est pas Une
mais variée et les auteurs sont d'abord des écrivains avec un
univers singulier...
Précieux, le témoignage de Marie France
Emery, responsable de la section Francophonie à la
Bibliothèque François Mitterrand de Paris, m'a un peu
plus éclairé sur la question : bibliothécaire avertie et
grande lectrice d'ouvrages, puisque chargée de les mettre en valeur,
Marie France Emery estime que la francophonie littéraire est très
difficile à définir et qu'elle englobe plusieurs choses à
la fois. Elle est à double sens : Si d'un côté, elle
met en valeur les auteurs, de l'autre, elle les marginalise. Mais il est
certain que l'on va vers la fin de la francophonie, sa mort, comme l'a
annoncé le manifeste... Alors que faudra t-il dire à
l'avenir ? Littérature française d'expression
africaine ? Littérature antillaise d'expression
française ? Littérature monde ? Marie France Emery
confie que certains auteurs de province, qui peinent à se faire un nom
à Paris, auraient aimé bénéficier du sceau de la
francophonie lors du salon du livre 2006, tandis que d' autres y voyaient un
enfermement, une séparation d'avec la littérature
franco-française. « Pourtant, ajoute Madame
Emery , la littérature francophone est une littérature
métissée, qui dit le monde. C'est évident. C'est une
littérature qui est beaucoup plus traduite à l'étranger
que la littérature franco-française. Alors, il faut
reconnaître à ces auteurs francophones, une plume originale et qui
a toute sa légitimité dans le champ littéraire de
l'hexagone. Si le concept de littérature monde est une belle
idée, il vaut mieux dire des littératures mondes. Mais l'un des
risques de ce manifeste, c'est encore de créer une autre
catégorisation littéraire, alors qu'on cherche justement à
sortir des cercles élitistes... Dire, qu'il y a là de la grande
littérature et ailleurs, une littérature intimiste ou mineure,
consiste à porter un jugement ». Or, un auteur a tout
à fait le droit d'exprimer son Moi. D'ailleurs, Marie France
Emery, fonctionnaire dans une institution qui compte près de 13 millions
de titres, aime lire de tout : aussi bien le japonais Murakami 68(*) que le camerounais Gaston Paul
Effa 69(*) ou
l'haïtien, Lyonel Trouillot qui vient de sortir L'amour avant que
j'oublie, chez Actes Sud.
Pour Alain Mabanckou, signataire du manifeste, des
questions se poseront encore : « Verrons-nous bientôt
venir ce jour où des écrivains africains cesseront vraiment
d'être francophones ?», il est évident que nous nous
éloignons du domaine de la création pour emprunter les sentes
embourbées de la militance. Être francophone nous
empêche-t-il d'être des écrivains ? L'ombre de la
France pèserait-elle si fort au point de nous empêcher
d'écrire en toute liberté ? N'avons-nous pas encore compris
qu'il y a longtemps que la langue française est devenue pour les
Français eux-mêmes une langue étrangère, et que
l'Académie française n'en a plus le contrôle ? Que
dire de l'impertinence, des fugues de langue venant d'un Ahmadou Kourouma, d'un
Patrick Chamoiseau, d'un Sony Labou Tansi ou d'un Daniel Biyaoula ? Si,
dans le terme «écrivain francophone», l'adjectif
« francophone » est de trop pour certains, peut-être
faudrait-il déjà commencer par être écrivain tout
court ! ».
4. Pour une littérature Monde :
l'Ouvrage
Nous l'avions annoncé, le manifeste a
donné lieu à un ouvrage collectif. Sous la direction de Michel Le
Bris et Jean Rouaud, écrivain, une trentaine d'auteurs choisis, dont
Tahar ben Jelloun, Maryse Condé ou Nancy Huston, poursuivent le combat
et apportent leur points de vues dans Pour
une Littérature Monde, publié chez
Gallimard. En voici quelques extraits et le premier, Michel Le Bris
s'exprime :
« Littérature Monde très simplement
pour revenir à une idée plus large, plus forte de la
littérature, retrouvant son ambition de dire le monde, de donner un sens
à l'existence, d'interroger l'humaine condition, de reconduire chacun au
plus secret de lui-même... »
Plus loin, Maryse Condé affirme :
« J'aime à répéter
que je n'écris ni en français, ni en créole, mais en
Maryse Condé... »
La jeune martiniquaise Fabienne Kanor développe
son argumentation en s'amusant avec les mots et les terminologies douteuses :
« Suis-je un auteur
créolofrancophone qui s'ignore ? Une écrivaine
négropolitanophone? Francopériphéricophone ?
Négroparigophone ? Francophone ? Où ne suis-je pas
plutôt un auteur tout court qui, à l'instar de Maryse
Condé, rêve d'une littérature sans épithète
mais avec toutes les bâtardises possibles. D'une langue sans origine, ni
étiquette, qui ne serait que celle de l'auteur. Des langues originales
pour dire les mondes... »
Plus élogieux, l'écrivain tchadien
Nimrod, s'épanche sur la République des Lettres :
« Il est un territoire que j'aime
particulièrement en France : il s'appelle la
littérature ! Les français savent en faire commerce avec une
générosité sans égale. Les salons du livre, les
festivals, les prix littéraires les plus grandioses ou les plus farfelus
font des belles lettres, un paysage à lui tout seul. C'est dans ce
territoire là que je me sens le plus accueilli... »
Quant au marocain Tahar Ben Jelloun et prix Goncourt
pour La Nuit Sacrée70(*), il porte un jugement sans appel :
« La France pense que sa langue est
assez forte pour résister toute seule aux assauts de l'anglais ou de
l'espagnol. Cette arrogance est de l'ignorance... »
L'universitaire et romancier français
Grégoire Polet, ajoute avec une certaine inspiration
« L' art du roman est à l' aube d'
une ambition nouvelle : donner le spectacle du monde entier, dans son
perpétuel mouvement présent, un spectacle qui dépasse les
capacités de toute science et qui les comprend toutes, qui les rend
visibles et les met en rapport dans une fresque sans résumé, et
dont le travail d'un romancier, ne saurait constituer qu' un détail, et
dont les oeuvres de plusieurs romanciers, mises bout à bout et
articulées par les lecteurs, commenceront de représenter
l'ampleur et les profondeurs et l'innombrable
émerveillement... »
Enfin, le congolais Wilfried Nsondé,
rencontré à Paris et auteur de Le Coeur des Enfants
léopards71(*),
conclut : « D'abord, en ce qui concerne la francophonie en tant
qu'institution, c'est quelque chose que je connais très mal. Or la
polémique entre la littérature Monde et la francophonie se base
sur une critique de la francophonie en tant qu'institution, qui tiendrait
à créer une différence dangereuse entre français et
francophones. Pour ma part, j'ai signé le manifeste parce que mon profil
correspond à toutes les catégories de littératures
connues : française, africaine, francophone. Il n'y a que dans un
concept plus global comme la littérature Monde en langue
française que je pouvais me sentir pleinement à
l'aise. »
Conclusion de la seconde partie
Dans cette deuxième partie, nous avons
analysé le manifeste et recueilli les diverses réactions qu'il a
suscitées, aussi bien dans les médias qu'entre écrivains,
intellectuels et critiques. Entre les lignes de ce texte dont le
caractère révolutionnaire reste à prouver, nous avons
dégagé plusieurs questions, à savoir celle de la
reconnaissance des auteurs francophones et nous avons également
tenté de définir les contours de la francophonie, qui reste un
concept à lectures variables. Enfin, nous avons tenté de
comprendre cette littérature qui se veut imprégnée du
monde, même si toute la république des lettres n' y adhère
pas ...
Conclusion Générale
Au début de cette enquête, nous
étions partis du constat de Todorov sur la faiblesse du roman
contemporain français pour retracer des phénomènes
éditoriaux et leurs valeurs littéraires ou esthétiques.
Or le cru 2006, aura été surprenant, avec plus de six cent romans
publiés quant 2007, en annonce plus de sept cent. L'automne dernier, qui
précéda l'attribution des cinq grands prix littéraires de
France, en a surpris plus d'un, en récompensant des écrivains
étrangers dont l'américain Jonathan Littel, double lauréat
du Goncourt et du Grand Prix de l'Académie Française pour Les
Bienveillantes. Forts de ce contexte inhabituel et propice, un nouveau
concept, celui de Littérature Monde est apparu. Ensuite, une
polémique est née, qui a passionné médias,
critiques, intellectuels et même les politiques ! Le manifeste
signé par quarante quatre écrivains, a été
publié dans le but de crever l'abcès et dissiper un malaise
longtemps entretenu : celui d'un enfermement des auteurs à travers un
« centre » réducteur et qui aurait pour
conséquence, l'appauvrissement de la langue française. Pourtant,
Todorov se trompe, affirme Michel Le Bris, car la littérature
française reprend vie. En fait, elle ne s'est jamais aussi bien
portée qu'en ce troisième millénaire, en
s'élançant dans les voies du monde, en disant le monde, en
révélant des auteurs, des plumes neuves, des expressions urbaines
et en mutant dans ses formes, tout en intégrant des sensibilités
diverses. Le manifeste a donc pris le train en marche et tous ceux qui ont bien
voulu y monter, se sont lancés dans cette exaltation de la
littérature francophone, trop longtemps acculée à la
«périphérie », tenue dans les marges mais si vous
chassez le naturel, ne revient-il pas au galop ? Et la francophonie, en
dépit des critiques, entend défendre cette langue
française, dans sa pluralité et sa diversité, en la
confrontant aux autres langues de son espace institutionnel... et à sa
manière.
Reste la position des auteurs, car si aux uns, la
francophonie pose problème et la littérature monde, une certaine
indifférence, aux autres, incombe le défi de la reconnaissance de
leur art. Celui de pouvoir émerger un jour en tant qu'auteur et rien que
cela. Dira t-on encore, l'écrivain franco congolais Alain Mabanckou ou
simplement l'écrivain camerounais Eugène Ebodé ? En
quoi ce manifeste va-t-il changer la donne, concernant le classement des
auteurs en librairies ou les habitudes du milieu littéraire
français et d' ailleurs, n' y a-t-il pas des littératures mondes
plutôt qu'une littérature monde ? Des littératures
étrangères et des littératures d'expressions lusophones,
arabophones ou maghrébines pour évoquer la dimension
géographique ? Cet intitulé de littérature
monde va-t-il mieux définir ses contours ou se laisser aller
à interprétations multiples. Et d'ailleurs, peut-on être
qualifié d'écrivain monde ? Cela a t-il plus de sens qu'un
écrivain belge, italien ou russe qui écrit en
français ? Si une lectrice rencontrée au détour d'une
librairie à Genève, insistait sur la manie de catégoriser
et d'inventer des terminologies qui enferment plus qu'elles ne libèrent,
l'écrivain doit-il se laisser embarquer dans de telles
considérations ou se concentrer sur son art ?
« Le manifeste a voulu mettre plusieurs oeufs dans le même
panier, et il n' y a rien à en dire », affirmait le
camerounais Boniface Mongo Boussa, publié chez Continents Noirs,
« de plus, l'écrivain n' a pas forcément la
légitimité pour se pencher sur ces
revendications ». Quant à l'avenir de la
francophonie, « l' amalgame doit cesser d'être fait
entre l'institution et la littérature foisonnante »,
insistait Julien Kilanga Musinde de l'OIF, et chacun doit se demander
pourquoi il écrit et au nom de quoi ? Faut-il mélanger
identité, culture avec la langue ou se contenter d'utiliser celle-ci,
bien qu'héritée de l'histoire, comme simple outil de
travail ? L'écrivain est-il là pour polémiquer ou
livrer son art, qui une fois publié, ne lui appartiendra plus, mais au
lecteur qui se sera approprié son texte ?
Enfin, cette notion de littérature monde
fait-elle réellement sens quand ses contours apparaissent trop vagues,
pour ouvrir une critique véritable de la littérature
française contemporaine ? On ne peut toutefois nier au manifeste son
caractère médiatique, ce qui n'a pas été inefficace
pour mettre en lumière quelques auteurs, dont certains,
déjà encensés par le salon du livre 2006 et le festival
Francofffonies. Et dans le cru de la rentrée littéraire
2007, Ananda Devi, lauréate du prix des cinq continents de la
Francophonie, vient de publier Indian Tango dans la collection blanche
de Gallimard cette fois, un roman que les critiques jugent prometteur... Le
mérite en revient-il uniquement à son talent
littéraire ?
Bibliographie :
- Un Monde sans Auteurs, Où va le
Livre ? Antoine Compagnon, Paris, La Dispute, 2000
- La littérature en péril, Tzvetan
Todorov, Flammarion 2006
- Dictionnaire Universel Francophone, Hachette,
1997
- La francophonie et le dialogue des cultures,
Paris-Lausanne : l'Age d'homme, 2001.
- L'Atlas Mondial de la Francophonie. Paris,
Gérard Sournia, Fabrice Le Goff,
- Post-Francophonie, Olivier Milhaud, Espaces
Temps.net
- Le contrôle de la Parole, l'Edition sans
éditeurs, André Schiffrin, La Fabrique.
- Introduction aux littératures francophones,
Afrique, Caraïbes, Maghreb. Christiane Ndiaye.
- Qu'est-ce que la Francophonie ?, Tetu Michel,
Paris, Hachette, Edicef, 1997.
- La Francophonie en péril, Georges
Tougas, Montréal, Cercle du Livre de France, 1967.
- Pour une ambition francophone. Dominique Gallet, Le
désir et l'indifférence, Paris, L'Harmattan, 1995.
- Quelle Francophonie pour le XXIe siècle?,
Collectif, 2e Prix international de la Francophonie Charles-Hélou,
Paris, Karthala, ACCT, 1997.
- Peaux Noires, Masques blancs, Frantz Fanon, Le
Seuil, 1952
- Pour une littérature Monde en
français, Collectif, Jean Rouaud, Michel Le Bris,
Gallimard, 2007
Romans, liste sélective
Rendez-vous, Christine Angot, Flammarion, 2006
Amkoullel l'enfant peul, Amadou Hampâté
Bâ, Actes Sud, 1991
Personne ne sait mon nom, James Baldwin, Gallimard,
1954
Le ventre de l'atlantique, Fatou Diome, Anne
Carrière, 2003.
Eve de ses décombres, Ananda Devi Gallimard,
Continents Noirs, 2005.
Indian Tango, Ananda Devi, Gallimard, 2007
Doomi Golo, Boubacar Boris Diop, Papyrus Editions,
2003.
Kiffe, Kiffe demain, Faïza Guène, Robert
Laffont, 2004
La Lézarde, Edouard Glissant, Le Seuil,
1958
Allah n'est pas obligé, Ahmadou Kourouma, Le
Seuil, 2000
L'Enfant Noir, Camara Laye, Plon, 2007
Les Bienveillantes, Jonathan Littel, Gallimard, 2006.
Verre Cassé, Alain Mabanckou, Le Seuil,
2005
Contours du jour qui vient, Léonora Miano,
Plon, 2006.
Batouala, René Maran, Albin Michel, 1921
L'hibiscus Pourpre, Chimamanda Ngozi Adichie, Anne
Carrière, 2004.
Les bouts de bois de Dieu, Sembene Ousmane, Le livre
contemporain, 1960
La France et ses colonies, Onésime Reclus, Ed
Jacques Gandini
Harraga, Boualem Sansal, Gallimard, 2005
Nouvelle Anthologie de la Poésie nègre et
malgache, Léopold Senghor, PUF, 1948
Banlieue Noire, Thomté Ryan, Présence
Africaine, 2006.
Nedjma, Kateb Yacine, Le Seuil, 1956
Presse écrite et Web
- Livres Hebdos,
- Lire Magazine
- Quotidien La Croix, jeudi 11 janvier 2007-01-14
- Le Monde des Livres, semaine du 8 au 14 janvier
2007
- Le magazine littéraire.
- L'express hebdomadaire.
- La Croix littéraire.
- Fabula.org
- Linternaute.fr
- Le monde.fr
- Radio France Internationale
- Entre les lignes, Catherine Fruchon-Toussaint
- La danse des mots, Yvan Amar...
Sites Institutionnels
Librairies
FNAC des Halles : Forum des Halles, Paris 1er
FNAC Montparnasse : Rue de Rennes Paris 6è.
Librairie Le Divan, 203 Rue de La Convention, 75015
Paris
Libraire L' Harmattan, 16 rue des Ecoles, 75005 Paris
Librairie Présence Africaine, 25 bis rue des
écoles, 75005 Paris
Librairie Anibwe, 52 rue Greneta, 75002 Paris
Librairie, L'oeil écoute, 77 boulevard du
Montparnasse, 75006 Paris
Annexe 1
1. Le manifeste pour une littérature
Monde
Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment
historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l'Académie
française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens,
décernés le même automne à des écrivains
d'outre France.
Simple hasard d'une rentrée éditoriale
concentrant par exception les talents venus de la "périphérie",
simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ?
Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne.
Copernicienne, parce qu'elle révèle ce que le milieu
littéraire savait déjà sans l'admettre : le centre,
ce point depuis lequel était supposée rayonner une
littérature franco-française, n'est plus le centre. Le centre
jusqu'ici, même si de moins en moins, avait eu cette capacité
d'absorption qui contraignait les auteurs venus d'ailleurs à se
dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la
langue et de son histoire nationale : le centre, nous disent les prix
d'automne, est désormais partout, aux quatre coins du monde. Fin de la
francophonie. Et naissance d'une littérature monde en
français.
Le monde revient. Et c'est la meilleure des nouvelles.
N'aura-t-il pas été longtemps le grand absent de la
littérature française ? Le monde, le sujet, le sens,
l'histoire, le "référent" : pendant des décennies,
ils auront été mis "entre parenthèses" par les
maîtres-penseurs, inventeurs d'une littérature sans autre objet
qu'elle-même, faisant, comme il se disait alors, "sa propre critique dans
le mouvement même de son énonciation". Le roman était une
affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls
romanciers, coupables d'un "usage naïf de la langue", lesquels
étaient priés doctement de se recycler en linguistique. Ces
textes ne renvoyant plus dès lors qu'à d'autres textes dans un
jeu de combinaisons sans fin, le temps pouvait venir où l'auteur
lui-même se trouvait de fait, et avec lui l'idée même de
création, évacué pour laisser toute la place aux
commentateurs, aux exégètes. Plutôt que de se frotter au
monde pour en capter le souffle, les énergies vitales, le roman, en
somme, n'avait plus qu'à se regarder écrire.
Que les écrivains aient pu survivre dans pareille
atmosphère intellectuelle est de nature à nous rendre optimistes
sur les capacités de résistance du roman à tout ce qui
prétend le nier ou l'asservir...
Ce désir nouveau de retrouver les voies du monde, ce
retour aux puissances d'incandescence de la littérature, cette urgence
ressentie d'une "littérature-monde", nous les pouvons dater : ils
sont concomitants de l'effondrement des grandes idéologies sous les
coups de boutoir, précisément... du sujet, du sens, de
l'Histoire, faisant retour sur la scène du monde - entendez : de
l'effervescence des mouvements antitotalitaires, à l'Ouest comme
à l'Est, qui bientôt allaient effondrer le mur de Berlin.
Un retour, il faut le reconnaître, par des voies de
traverse, des sentiers vagabonds - et c'est dire du même coup de quel
poids était l'interdit ! Comme si, les chaînes
tombées, il fallait à chacun réapprendre à marcher.
Avec d'abord l'envie de goûter à la poussière des routes,
au frisson du dehors, au regard croisé d'inconnus. Les récits de
ces étonnants voyageurs, apparus au milieu des années 1970,
auront été les somptueux portails d'entrée du monde dans
la fiction. D'autres, soucieux de dire le monde où ils vivaient, comme
jadis Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avaient dit la ville
américaine, se tournaient, à la suite de Jean-Patrick Manchette,
vers le roman noir. D'autres encore recouraient au pastiche du roman populaire,
du roman policier, du roman d'aventures, manière habile ou prudente de
retrouver le récit tout en rusant avec "l'interdit du roman". D'autres
encore, raconteurs d'histoires, investissaient la bande dessinée, en
compagnie d'Hugo Pratt, de Moebius et de quelques autres. Et les regards se
tournaient de nouveau vers les littératures "francophones",
particulièrement caribéennes, comme si, loin des modèles
français sclérosés, s'affirmait là-bas,
héritière de Saint- John Perse et de Césaire, une
effervescence romanesque et poétique dont le secret, ailleurs, semblait
avoir été perdu. Et ce, malgré les oeillères d'un
milieu littéraire qui affectait de n'en attendre que quelques piments
nouveaux, mots anciens ou créoles, si pittoresques n'est-ce pas, propres
à raviver un brouet devenu par trop fade. 1976-1977 : les voies
détournées d'un retour à la fiction.
Dans le même temps, un vent nouveau se levait
outre-Manche, qui imposait l'évidence d'une littérature nouvelle
en langue anglaise, singulièrement accordée au monde en train de
naître. Dans une Angleterre rendue à sa troisième
génération de romans woolfiens - c'est dire si l'air qui y
circulait se faisait impalpable -, de jeunes trublions se tournaient vers
le vaste monde, pour y respirer un peu plus large. Bruce Chatwin partait pour
la Patagonie, et son récit prenait des allures de manifeste pour une
génération de travel writers ("J'applique au réel les
techniques de narration du roman, pour restituer la dimension romanesque du
réel"). Puis s'affirmaient, en un impressionnant tohu-bohu, des romans
bruyants, colorés, métissés, qui disaient, avec une force
rare et des mots nouveaux, la rumeur de ces métropoles exponentielles
où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous
les continents. Au coeur de cette effervescence, Kazuo Ishiguro, Ben Okri,
Hanif Kureishi, Michael Ondaatje - et Salman Rushdie, qui explorait avec
acuité le surgissement de ce qu'il appelait les "hommes traduits" :
ceux-là, nés en Angleterre, ne vivaient plus dans la nostalgie
d'un pays d'origine à jamais perdu, mais, s'éprouvant entre deux
mondes, entre deux chaises, tentaient vaille que vaille de faire de ce
télescopage l'ébauche d'un monde nouveau. Et c'était bien
la première fois qu'une génération d'écrivains
issus de l'émigration, au lieu de se couler dans sa culture d'adoption,
entendait faire oeuvre à partir du constat de son identité
plurielle, dans le territoire ambigu et mouvant de ce frottement. En cela,
soulignait Carlos Fuentes, ils étaient moins les produits de la
décolonisation que les annonciateurs du XXIe siècle.
Combien d'écrivains de langue française, pris
eux aussi entre deux ou plusieurs cultures, se sont interrogés alors sur
cette étrange disparité qui les reléguait sur les marges,
eux "francophones", variante exotique tout juste tolérée, tandis
que les enfants de l'ex-empire britannique prenaient, en toute
légitimité, possession des lettres anglaises ? Fallait-il
tenir pour acquis quelque dégénérescence
congénitale des héritiers de l'empire colonial français,
en comparaison de ceux de l'empire britannique ? Ou bien reconnaître
que le problème tenait au milieu littéraire lui-même,
à son étrange art poétique tournant comme un derviche
tourneur sur lui-même, et à cette vision d'une francophonie sur
laquelle une France mère des arts, des armes et des lois continuait de
dispenser ses lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse
d'apporter la civilisation aux peuples vivant dans les
ténèbres ?
Les écrivains antillais, haïtiens, africains qui
s'affirmaient alors n'avaient rien à envier à leurs homologues de
langue anglaise. Le concept de "créolisation" qui alors les
rassemblaient, à travers lequel ils affirmaient leur singularité,
il fallait décidément être sourd et aveugle, ne chercher en
autrui qu'un écho à soi-même, pour ne pas comprendre qu'il
s'agissait déjà rien de moins que d'une autonomisation de la
langue.
Soyons clairs : l'émergence d'une
littérature-monde en langue française consciemment
affirmée, ouverte sur le monde, transnationale, signe l'acte de
décès de la francophonie. Personne ne parle le francophone, ni
n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière
d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné
par la langue d'un pays virtuel ? Or c'est le monde qui s'est
invité aux banquets des prix d'automne. A quoi nous comprenons que les
temps sont prêts pour cette révolution.
Elle aurait pu venir plus tôt. Comment a-t-on pu ignorer
pendant des décennies un Nicolas Bouvier et son si bien nommé
Usage du monde ? Parce que le monde, alors, se trouvait interdit de
séjour. Comment a-t-on pu ne pas reconnaître en Réjean
Ducharme un des plus grands auteurs contemporains, dont L'Hiver de force,
dès 1970, porté par un extraordinaire souffle poétique,
enfonçait tout ce qui a pu s'écrire depuis sur la
société de consommation et les niaiseries libertaires ?
Parce qu'on regardait alors de très haut la "Belle Province", qu'on
n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums
de vieille France. Et l'on pourrait égrener les écrivains
africains, ou antillais, tenus pareillement dans les marges : comment s'en
étonner, quand le concept de créolisation se trouve réduit
en son contraire, confondu avec un slogan de United Colors of Benetton ?
Comment s'en étonner si l'on s'obstine à postuler un lien charnel
exclusif entre la nation et la langue qui en exprimerait le génie
singulier - puisqu'en toute rigueur l'idée de "francophonie" se donne
alors comme le dernier avatar du colonialisme ? Ce qu'entérinent
ces prix d'automne est le constat inverse : que le pacte colonial se
trouve brisé, que la langue délivrée devient l'affaire de
tous, et que, si l'on s'y tient fermement, c'en sera fini des temps du
mépris et de la suffisance. Fin de la "francophonie", et naissance d'une
littérature-monde en français : tel est l'enjeu, pour peu
que les écrivains s'en emparent.
Littérature-monde parce que, à l'évidence
multiples, diverses, sont aujourd'hui les littératures de langue
françaises de par le monde, formant un vaste ensemble dont les
ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature-monde,
aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous
émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies
d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a été le fait
des artistes, des romanciers, des créateurs : la tâche de
donner voix et visage à l'inconnu du monde - et à l'inconnu en
nous.
Enfin, si nous percevons partout cette effervescence
créatrice, c'est que quelque chose en France même s'est remis en
mouvement où la jeune génération,
débarrassée de l'ère du soupçon, s'empare sans
complexe des ingrédients de la fiction pour ouvrir de nouvelles voies
romanesques. En sorte que le temps nous paraît venu d'une renaissance,
d'un dialogue dans un vaste ensemble polyphonique, sans souci d'on ne sait quel
combat pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue ou
d'un quelconque "impérialisme culturel". Le centre relégué
au milieu d'autres centres, c'est à la formation d'une constellation que
nous assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif
avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la
poésie et de l'imaginaire, n'aura pour frontières que celles de
l'esprit.
Liste des 44 auteurs signataires de ce
Manifeste :
Muriel BABERY, Tahar BEN
JELLOUN, Alain BORER, Roland BRIVAL,
Maryse CONDE, Didier DAENINCKX, Ananda
DEVI, Alain DUGRAND, Edouard
GLISSANT, Jacques GODBOUT, Nancy
HUSTON, Koffi KWAHULE, Dany
LAFERRIERE, Gilles LAPOUGE, Jean-Marie
LACLAVETINE, Michel LAYAZ, Michel LE
BRIS, JMG LE CLEZIO, Yvon LE MEN,
Amin MAALOUF, Alain MABANCKOU, Anna
MOI, Wajdi MOUAWAD, NIMROD,
Wilfried N'SONDE, Esther ORNER, Erik
ORSENNA, Benoit PEETERS, Patrick
RAMBAUD, Gisèle PINEAU, Jean-Claude
PIROTTE, Grégoire POLET, Patrick
RAYNAL, RAHARIMANANA, Jean
ROUAUD, Boualem SANSAL, Dai
SITJE, Brina SVIT, Lyonnel
TROUILLOT, Anne VALLAEYS, Jean
VAUTRIN, André VELTER, Gary
VICTOR, Abdourahman A. WABERI
* 1 La Croix, édition du
11 janvier 2007
* 2 Les Bienveillantes, Jonathan
Littel, Roman, Gallimard, 2006
* 3 Supplément
littéraire du journal Le Monde.
* 4 Wilfried Nsondé, Le
coeur des enfants léopards, Actes Sud, 2006.
* 5 Ananda Devi, Eve de ses
décombres, Gallimard, Continents Noirs, 2005
* 6 Romancier, dramaturge,
poète, auteur de Zazie dans le Métro, 1959
OEuvres complètes, collection La Pléiade,
Gallimard.
* 7 Editeur, romancier, lecteur
chez Gallimard.
* 8 Le club des cinq, Enyd
Blyton, Bibliothèque verte, Hachette Livres, 1955
* 9 Les rêveries du
promeneur solitaire, Jean Jacques Rousseau, Gallimard.
* 10 Harry Potter, tome
1à 6, Gallimard
* 11 Magazine français
d'arts et de culture.
* 12 Sujet Angot, Fayard, 1998.
* 13 Roman,
Frédéric Beigbeder, Grasset 2003
* 14 Maison d'édition
parisienne.
* 15 Les enfants de la
liberté, Robert Laffont, 2006
* 16 Edition du 25 mai 2007
* 17 Edition du 13 octobre
2006
* 18 Chronque de
Décembre 2006
* 19 Edition du 1 er
novembre 2006
* 20 La cuisine des prix, tome
5, Fayard, Jacques Brenner, 2006
* 21 Edition du 19 novembre
2006
* 22 Roman de Gabriel Garcia
Marquez, Le Seuil, 1968
* 23 Edition du 15 mars
2007
* 24 Auteur et
géographe (1837-1916), voir bibliographie.
* 25 Organisation
Internationale de la francophonie
* 26 Ecrivain d'origine
congolais, ambassadeur du Congo-Brazaville en France
* 27 Edition du 19 Mars 2007
* 28 P16, introduction aux
littératures francophones, Afrique, Caraïbes, Maghreb. Christiane
Ndiaye.
* 29 Batouala, René
Maran, Albin Michel, 2001
* 30 Introduction aux
littératures francophones, sous la direction de Christiane Ndiaye,
Presse de l' Université de Montréal, 2004.
* 32 Soundjata ou
l'épopée mandingue, Djibril Tamsir Niane, 1961
* 33 Cinéate, romancier,
récemment décédé, auteur de nombreux films ( La
noire de..., Moolade, Camp de Thiaroye...)
* 34 Le soleil des
Indépendances, Ahmadou Kourouma, Le seuil,1968
* 35 Le temps de Tamango,
Boubacar Boris Diop, LHarmattan, 1981
* 36 Mémoire d' une
peau, William Sassine, Présence Africaine
* 40 Rêves d' albatros,
Kangni Alem, Continents Noirs, Gallimard.
* 41 Blog :
http://www.congopage.com/rubrique217.html
* 42 Directeur du festival
itinérant Etonnants Voyageurs de St Malo.
* 43 Le Monde, 19 mars 2007.
* 44 Le Figaro, édition
du jeudi 22 mars 2007,
* 46 Télérama,
éd du 16 juin 2007, Olivier Pascal Moussellard.
* 47 Marianne, 16 mars 2007.
* 48 La Tribune, 23-24 Mars
2007.
* 49 Jeune Afrique, 18-24
mars2007
* 50 Université de
Californie, Los Angeles
* 51 New York Times, 31 mars
2007
* 52 Traduction du propos d'
Alan Ridind.
* 53 Radio-canada.ca, 15 mars
2007
* 54 Faiza Guène est
l'auteur de Kiffe-Kiffe Demain, Du Rêve pour les Oufs,
Hachette Littérature.
* 55 L'élégance
du Hérisson, Gallimard, 2006
* 56 Télérama,
Olivier Pascal Moussellard, 16 juin 2007
* 57 Traité du Tout
Monde, ed Gallimard, 1997.
* 58 Poétique de la
relation, Gallimard, 1990
* 59 Contours du jour qui
vient, Plon,2006.
* 60 Chaînes de magasins
spécialisées dans la distribution de produits culturels.
* 61 Collection Afrique de
Gallimard.
* 62 Editions Albin Michel,
2006.
* 63 Professeur à
l'université de Dakar et chercheuse à l' IFAN, Institut
fondamental d' Afrique Noire...
* 64 Frantz Fanon, Peaux
Noires, Masques blancs, Le Seuil, 1952
* 66 Lignes de Failles, Actes
Sud, 2006
* 68 Auteur japonais, La fin
des Temps, Le Seuil,1992.
* 69 Le cri que tu pousses ne
réveillera personne, Continents Noirs, Gallimard,
* 71 Roman,Actes Sud, 2006.
|
|
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire