Introduction
I) Entre fantaisie et vérité : le
paradoxe du souterrain
1) L'imaginaire du souterrain
a) Une représentation
géographique fabulée
b) Le souterrain de Paris, refuge
d`une population surnaturelle
2) Le souterrain, espace de
vérité
a) Le souterrain parisien : un
espace d'authenticité
b) Les souterrains de Paris comme
aboutissement à toute quête.
II) La représentation de Paris :
une image double
1) « Ecce Paris, ecce homo »
a) La personnification de Paris
appliquée aux souterrains
b) Le souterrain, ou
l'inconscient
2) Paris ombre et Paris lumière
a) La division physique de Paris
b) Quand le souterrain sort de
terre
III) Paris et ses souterrains,
mythe d'hier et de demain
1) Le mythe parisien appliqué aux
souterrains
a) L'engloutissement programmé de
Paris
b) Paris, nouvelle Babylone : les
résurgences bibliques dans la littérature du Paris souterrain
2) Le souterrain de Paris, un
lieu atemporel ?
a) Etude comparée de la
mythologie chtonienne et de la littérature sub-parisienne
b) Les souterrains de Paris, à
l'image de la capitale : un lieu hors du temps
Introduction
On a relativement peu écrit sur
les souterrains : parler des souterrains fait peur. A l'écrivain tout d'abord.
Et pour cause : le souterrain est obscur, enfoui, profond, sale dans
l'imaginaire collectif. C'est l'endroit des égouts, de ce que la société
rejette. Parler de ce que rejette la société, c'est également prendre le risque
d'être soi même rejeté, en tant que romancier. C'est le risque de « salir » ses
lettres avec la boue du sous-sol. Assurément, écrire sur l'amour ou sur
l'honneur est un pari moins dangereux pour le littérateur.
Le souterrain dégoûte, mais fait
peur également au lecteur. Combien de légendes les ont peuplés de créatures
toutes plus fantastiques et effrayantes les unes que les autres ? C'est enfin
un univers inconnu, dangereux, où l'homme n'a ni sa place, ni ses repères.
La saleté, la peur,
l'obscurité... Voilà qui pourrait cependant nourrir les imaginations les moins
fertiles. Mais cette crainte d'aborder le souterrain, n'est-ce pas avant tout
la peur de découvrir ses propres souterrains ? Car là est tout l'intérêt de
notre travail : un travail de mineur, d'archéologue, de psychanalyste même
serait-on tenté de dire. Quelles richesses, quels secrets, quels mystères les
premiers explorateurs-romanciers qui ont osé braver les sous-sols ont-ils pu
dénicher en profondeur et cacher à demi-mots derrière leurs lignes ? Quel monde
parallèle ont-ils découvert et quelles sont les règles, les us, les traits caractéristiques
qu'ils lui ont attribué ? Bachelard, à ce sujet, évoque les « images sincères »
1(*). L'image sincère, c'est la représentation vraie, en l'occurrence ici, du
monde souterrain, qui se tapisse derrière le style de l'écrivain, de cette «
mythologie en acte », sorte d'inconscient collectif auquel n'échappent pas les
romanciers. Autrement dit, la représentation du monde souterrain obéit à des
règles communes, et ce, depuis que l'homme a la capacité d'imaginer.
Cela étant dit, la particularité
de notre sujet sera de restreindre cette étude aux souterrains de Paris.
Pourquoi cette restriction ? Tout d'abord parce que la ville est une
construction humaine, régie par des règles strictes, une organisation, et que
le souterrain va devenir de ce fait son pendant absolu : lieu sauvage, bestial
et naturel, chaos, danger... Ensuite, parce que Paris concentre entre ses murs
l'humanité à une échelle moindre. Il nous suffit de citer Balzac qui, par la
bouche du jeune Calyste, parle de mordre « la pomme parisienne de la
civilisation. ». Paris, c'est l'art. La province, c'est la nature. Opposer le
monde souterrain à une ville telle que Paris, c'est faire se confronter deux
entités absolument contraires. Alors, de là part toute la force de la
démonstration des romanciers. Car plus la chute est haute, plus la révélation
est grande. Il ne servirait à rien, sinon, de transporter un personnage depuis
une province jusque dans le milieu souterrain, si ce dernier passe d'un cadre
naturel, sauvage et d'un état végétatif à... un cadre naturel, sauvage et à un
état végétatif. Le passage au souterrain est un passage violent, souvent
contraint. Et c'est en cela qu'il porte tout son intérêt : sous terre, les
masques sont arrachés. C'est douloureux, certes, mais c'est en grattant cette
carapace que l'on découvre peu à peu des vérités. Et cette expérience
s'applique non seulement aux personnages, qui vont vivre les plus folles
aventures, au romancier, derrière le style duquel des éléments cachés vont
apparaître, mais encore et enfin au lecteur, qui découvre dans les méandres des
catacombes et des égouts, le reflet des ses propres questionnements et de sa
plus secrète intimité. C'est sans doute en cela que la littérature du
souterrain suscite inconsciemment tant de curiosité, mais s'attire aussi les
foudres des critiques. Littérature sale, vulgaire, avilissante : la vérité fait
peur et rebute. Alors on l'enterre et on la repousse, et gare aux profanateurs
de ces caveaux-poubelles !
Nous avons donc sélectionné pour
notre étude dix oeuvres, toutes du 19ème siècle. Et pour cause, la littérature
du souterrain n'est apparue vraiment qu'à partir des années 1830. Nous avons
volontairement mis de côté la littérature sub-parisienne du 20ème siècle,
préférant nous attacher tout particulièrement à ses prémices, sans doute plus
riches car plus spontanés, plus purs car non influencés. Les souterrains du
métropolitain brilleront donc par leur absence dans nos lignes, leur
fréquentation et leur vulgarisation transformant radicalement la vision et l'interprétation
globale des souterrains parisiens dans la littérature.
C'est en 1827 que Gérard de
Nerval publie sa nouvelle intitulée Le
monstre vert, et en 1834 que les lecteurs s'arrachent Les Catacombes de Paris
d'Elie Berthet. Le thème du souterrain ne se développera vraiment qu'à partir
de la monarchie de juillet pour prendre son plein essor sous le second Empire.
En effet, à partir de 1852, date à laquelle Joseph Méry publie ses Salons et
souterrains de Paris, les imaginations brimées par une époque trop éclairée, se
réfugient dans les souterrains où fourmillent tous les mystères qui prêteront
leurs noms à une série d'oeuvre du temps (Les Mystères de Paris, Le Mystère de
la chambre jaune...). On y trouve les mêmes recettes de fabrication, les atmosphères
se recyclent, les crimes et les bandits pullulent etc....Les souterrains se
rattachent de ce fait à un certain type de littérature, un type souvent
déprécié, sans doute injustement, mais au type du roman populaire ou du roman
policier. Mettons Victor Hugo et Gérard de Nerval en dehors de cette
appréciation et observons les auteurs retenus : Elie Berthet, Pierre Zaconne,
Joseph Méry, Gaston Leroux, même Alexandre Dumas n'échappent pas à la sentence.
Comment qualifier le roman
populaire : on peut distinguer deux périodes, celle de l'essor du roman
populaire qui profite du développement de la presse, qui va de 1836 (date de
parution du premier roman feuilleton dans La Presse) à 1870. Ce sont les années
des grandes aventures rocambolesques, des grands héros, les années Berthet,
Zaconne, Dumas. Va se développer par la suite une littérature plus policière, à
l'instar de celle de Gaston Leroux. Le roman populaire s'adresse au peuple, et
met le peuple en scène. Son style est souvent dicté par les exigences des quotidiens,
favorisant les rebondissements, le suspens, en bref, un style riche en
recettes, « trucs » et clichés.
Cependant, la littérature du
Paris souterrain n'épargne personne, et certains romantiques se laisseront
tenter. Victor Hugo ou Gérard de Nerval par exemple. Qu'est-ce que le
romantisme si ce n'est l'art de transporter son lecteur dans des contrées
inconnues, de le dépayser en quelque sorte, de rechercher le secret, le mythe.
Au 19ème, les souterrains de Paris, loin des techniques que nous possédons
actuellement, étaient un univers où il ne faisait pas bon s'aventurer. De ce
fait, ces kilomètres de galeries restaient la plupart du temps inexplorés, ou
inconnus, de quoi nourrir les imaginations les plus fertiles. Il est
intéressant d'ailleurs de noter que les réalistes n'ont pas leur place dans ce
travail, et pour cause. Si les romantiques découvrent de nouveaux pays, les
réalistes se chargent de nous montrer les lieux connus sous un nouveau jour, à
la lueur de leur plume. Le romantique à l'inverse, ou l'auteur populaire, devra
user de toute son imagination pour offrir à son lecteur une description
d'univers inédits. Et quand l'imagination est appelée, il arrive qu'elle
divague, ou qu'elle se laisse entraîner loin, très loin, parfois aux frontières
du paranormal.
Cette débauche d'imagination va
donner lieu à une première étude, qui va mettre en avant le paradoxe du
souterrain. Alors même que la topographie et les habitants des souterrains tels
qu'ils sont décrits dans les oeuvres flirtent avec le paranormal, voir même la
féerie, c'est dans ces lieux fantastiques, grâce à ces monstres et ces diables
que les personnages vont découvrir leurs vérités. Les souterrains eux-mêmes
vont servir de révélateur de personnalité et, comme nous le disions plus haut,
vont faire tomber les masques. Fruit de l'imagination et en même temps témoin
de la réalité, le souterrain parisien évolue sur ce fil de funambule d'un bout
à l'autre des romans.
Double rôle, double jeu et double
enjeu. Le souterrain parisien semble être marqué par le sceau de la dualité.
Pour preuve, les catacombes, les égouts sont l'envers des rues et des maisons
de Paris. L'un ne peut exister sans l'autre, puisque l'un a été construit par
l'autre : si Paris n'avait pas tiré ses pierres de son sous-sol, ce dernier
n'existerait pas. Etroit lien de filiation qui fait de Paris une ville à
l'image de l'homme avec ses contradictions, ses organes, ses différents niveaux
de conscience. Paris est une personne, et ses souterrains prennent une fonction
tantôt organique (les égouts sont les viscères de Paris), tantôt psychique (les
catacombes sont l'inconscient de Paris). Cette dépendance de ces deux éléments
géographiques s'inscrit dans une sorte de complémentarité. Car tout les oppose,
donnant à Paris deux visages, celui du jour et de la nuit. Mais le manichéisme
n'est pas total, car, à la manière du yin et du yang, le souterrain vient à
déborder, et la surface investie les souterrains. Complémentarité donc, mais
rivalité.
I) Entre fantaisie et vérité : le
paradoxe du souterrain
1) L'imaginaire du souterrain
a) Une représentation
géographique fabulée
Les eaux souterraines :
On doit à Elie Berthet le fait de
s'être renseigné très précisément sur le monde, les particularités, les
anecdotes et même le vocabulaire des catacombes de Paris. Joseph Méry, à
l'inverse, s'est sans doute davantage livré aux trésors de son imagination
qu'aux richesses de la documentation. On dit de Joseph Méry qu'il avait un
talent pour se transporter dans des pays qu'il ignorait complètement, preuve
d'une imagination fertile. Et nous ne contredirons pas les critiques sur ce
point là à en juger par la description fantasmagorique des souterrains dans
Salons et souterrains de Paris. Il ne serait pas étonnant d'apprendre que
Joseph Méry n'ait jamais mis le pied dans un de ces souterrains. Les héros de
Salons et souterrains de Paris fréquentent quatre types de souterrains
parisiens : il y a tout d'abord les catacombes, lieu souterrain de prédilection
et qui encadre le roman. La description des anciennes carrières demeure
cependant une des plus réalistes. Autres souterrains, ceux de l'hôtel
Saint-Paul, des Tournelles, de la Bastille, de l'hôtel de Nesle, de l'abbaye
Saint-Victor et de Saint-Germain des prés. Bien évidemment, l'auteur n'y a
jamais mis les pieds, ces souterrains n'ayant pour la plupart jamais existé
tels qu'ils sont dépeints. Mais les passages où le romancier fait pénétrer ses
personnages dans les aqueducs sont sans doute les plus intéressants pour notre
recherche. En effet, ces derniers offrent par la même occasion une description
surréaliste de canaux enfouis de la Villette au centre de Paris qui, s'ils
n'appartiennent pas au réseau des égouts ni à celui du service des eaux,
appartiennent donc à l'imagination.
Le mythe des rivières enfouies
sous Paris n'est pas un phénomène nouveau. Nous pouvons nous appuyer sur
l'ouvrage d'Armand Jardillier, Une légende bien parisienne, la Rivière de la
Grange-Batelière. L'auteur retrace ce mythe qui tout au long du 19ème siècle
jusqu'à maintenant encore a la vie dure. Il fait notamment référence à
Geoffroy, l'humble habitant de ce lieu dit de la Grange-Batelière qui légua son
arpent de terre à l'Etat contre une place à l'hospice. L'imagination de
certains auteurs le transforma donc en passeur sur la rivière du même nom, en
vertu d'une transposition mythologique de Charon, passeur sur les rives de
l'Achéron. Ce n'est donc pas pour rien que Armand Jardillier nomme Paris le «
haut lieu du Royaume du merveilleux ».
Cette croyance tenace qui entoure
la rivière de la Grange-Batelière a tout particulièrement nourri la légende du
lac souterrain qui étendrait ses eaux sous l'opéra Garnier, légende
immédiatement reprise et enrichie par Gaston Leroux dans le Fantôme de l'Opéra
où l'anti-héros, le sinistre Erik, s'installe aux abords du lac souterrain.
Certes, l'Opéra Garnier repose bel et bien sur une cuve noyée, mais l'eau
provient d'une nappe phréatique sans lien aucun avec la légendaire rivière de
la Grange-Batelière. Lors de l'édification du monument, l'architecte Garnier a
dû ainsi pomper l'eau qui se trouvait sous terre pour asseoir son oeuvre,
procédure qui dura près de huit mois, sans compter deux années pour
l'assèchement. Mais il a conservé une partie de cette eau pour prévenir tout
risque d'incendie dans l'Opéra.
L'existence de cette nappe d'eau,
les trois étages de souterrains, le statut même de l'Opéra, haut lieu du
lyrisme par excellence, offrent un décor idéal au fantastique. Qui plus est, la
magnificence impériale, presque tapageuse, du monument, les sommes
astronomiques qui ont été allouées à son édification, ont concouru à entretenir
le mythe. Le roman de Gaston Leroux est ainsi fait que, s'adressant à un public
populaire, peu familier de l'Opéra, son décor devient « une sorte de temple
inaccessible », l'histoire elle-même se déroulant à huis clos. Et quel huis
clos oppressant quand les deux héros se retrouvent sur les rives du lac, sous
la surveillance tacite du fantôme de l'Opéra... La belle Christine Daaé,
enlevée par Erik, décrit ainsi le lac : « Nous étions au bord d'un lac dont les
eaux de plomb se perdait au loin, dans le noir... »2(*). Autant dire que par
cette phrase, Gaston Leroux exagère l'étendue du plan d'eau, et transforme ces
sous-sols humides en un univers à part entière, c'est-à-dire sans frontière.
On rencontre chez le même auteur,
une autre référence à ces lacs souterrains : celui des Talpa, dans La double
vie de Théophraste Longuet. Ce lac, « aux eaux d'une transparence cristalline
», n'a pas grand-chose à voir avec celui du fantôme Erik. M. Milfroid n'en
revient pas des « eaux enchantées de ce lac »3(*) où ses yeux croisent la
nudité de ce que l'on pourrait de prime abord croire être une sirène.
Description presque féerique qui nous aie exposée ici... Il faut dire, mais
nous expliciterons ce sujet plus tard, que les eaux souterraines ont inspiré de
nombreuses légendes. Mais à défaut de légendes, elles ont inspiré les
romanciers qui ont empli ces souterrains d'une population merveilleuse.
b) Le souterrain : refuge
de population surnaturelle
Quand on ne connaît pas un lieu,
on l'imagine. Et quand on doit peupler un lieu imaginé, l'esprit adapte
l'habitant à la configuration de l'endroit. Aussi, catacombes, égouts, aqueducs
et caves de Paris vont donc être peuplés par les romanciers d'après la
description première qu'ils auront fait des souterrains. On peut dresser ici
différentes catégories de ces habitants sub-terriens. Nous verrons dans un
premier temps les êtres surnaturels, qui se rattachent à des lieux ou féerique
comme le lac des Talpa, ou lyrique, comme l'opéra Garnier, pour nous pencher
par la suite sur ces êtres humains qui, par la suite d'un accident, d'un
événement quelconque, se sont retrouvés parachutés dans les sous-sols de Paris.
Les êtres surnaturels :
La figure type lié au souterrain
est sans aucun doute le diable, dont la demeure, les enfers, est toujours dans
les profondeurs de la terre. L'art en général au 19ème siècle était très friand
des figures diaboliques. La peau de chagrin de Balzac, La salamandre
d'Eugène Sue, la peinture de Méphistophélès de Delacroix ou le Faust
de Berlioz sont autant de réminiscence de la figure diabolique. La personne du
diable est alors considérée comme une sorte de génie, habile possesseur de la
connaissance universelle. Nuls secrets ne lui résistent, pas même les murs. Le
personnage de Médard, ce jeune sauvage nyctalope qui hante Les Catacombes de
Paris d'Elie Berthet a, dans ses dons surnaturels, celui de pouvoir se
déplacer dans la nuit, celui d'apparaître et de disparaître tout aussi
rapidement, et celui de ne jamais se perdre. Autant d'atouts qui ont quelque
chose de diabolique. L'abbé de Chavigny ne peut réprimer cette
exclamation : « Mais cette homme est possédé du démon ! »4(*),
et les occurrences qui le comparent à un diable ou un démon foisonnent tant
qu'il serait inutile et laborieux de les relever toutes ici.
Le diable est parfois représenté
comme un ange déchu, un être malheureux, qui tenterait de se racheter « par
l'amour qu'il éprouverait envers quelque mortelle »5(*).
Cette vision que l'on retrouve dans La chute d'un ange de Lamartine, Une
larme du diable de Théophile Gautier ou Tristesse du diable de
Leconte de Lisle, s'appliquerait davantage au personnage d'Erik qui, ayant
obtenu de sa bien aimée une affection sincère, la libère de ses chaînes en se
décidant enfin à mourir : « j'ai arraché mon masque pour ne pas
perdre une seule de ses larmes... Et elle ne s'est pas enfuie !... Et elle
n'est pas morte ! Elle est restée vivante, à pleurer... sur moi... avec
moi... Nous avons pleuré ensemble !... ».6(*)
Erik possède également du diable
la ruse machiavélique, et l'imagination morbide lui dicte des supplices dignes
des enfers. La chaleur qui envahit la chambre des supplices, pièces
rectangulaires en totalité recouverte de miroirs, fait crier au vicomte de
Chagny : « J'étouffe ! disait-il... Toutes ces glaces se
renvoient une chaleur infernale !... »7(*).
Rousselin possède les mêmes
caractéristiques du génie sadique. « Le génie de la torture n'inventera
jamais des horreurs comparables au supplice de ces labyrinthes ténébreux,
nommés Catacombes. »8(*)
Ainsi, en enfermant Lecerf dans les catacombes, Rousselin apporte la preuve
qu'il possède le même raffinement dans la recherche de la souffrance qu'Erik.
Mais ce caractère diabolique est renforcé par ses pouvoirs quasi surnaturels.
Sa résurrection, ou son retour au grand jour après son séjour dans les
catacombes, sont autant de miracles. Sa connaissance précise des souterrains tend
à prouver son intelligence diabolique, une intelligence et une connaissance qui
dépassent celles de l'être humain.
Cette ruse, cette finauderie
semblent qualifier Acharias, le passeur des aqueducs de Salons et
souterrains de Paris. Joseph Méry n'hésite pas à comparer son personnage au
diable boiteux de Lesage : «Parfois les amateurs qui cherchent les
vieux livres sur nos quais ont retrouvé l'édition première d'un roman de
Lesage, le Diable boiteux. En tête du livre se voit une vieille estampe qui
représente le héros diabolique, avec un crâne dénudé, le torse rompu et brisé
comme le tronc noueux d'un arbre pittoresque, les jambes cagneuses et d'inégale
longueur ; avec cela l'oeil vif, perçant, moqueur, la lèvre sardonique, le
sourire narquois, un ensemble de physionomie enfin qui révèle l'intelligence.
Tel est le diable boiteux, tel serait le portrait que nous pourrions tracer
d'Acharias. »9(*)
Acharias partage également avec Rousselin qu'il promène dans sa barque, cette
connaissance totale du monde souterrain qui fait de lui le maître absolu de ces
lieux engloutis... d'où sa comparaison au diable, maître des enfers.
Enfin, Gérard de Nerval reprend
une légende parisienne, celle du diable Vauvert et la transforme à sa manière,
en une nouvelle fantastique. Ayant goûté aux vins des caves de l'ancien château
de Vauvert, l'intrépide sergent et sa couturière de femme mettent au monde un
enfant vert, cornu et flanqué d'une queue qui est en quelque sorte le
fils du diable, si ce n'est la réincarnation du diable lui-même, car il est
« têtu, colère et malicieux »10(*).
Dans les autres types de
personnages surnaturels qui peuplent les souterrains de Paris, nous rencontrons
bien évidemment le fantôme qui se caractérise par sa transparence, sa capacité
à apparaître et disparaître comme par magie et à traverser les murs. Le fantôme
de l'Opéra, alias Erik que nous avons déjà évoqué, possède, bien qu'il n'en
soit pas un, les caractéristiques du fantôme : sa faculté à être partout à
la fois, à se mouvoir sans être vu entre les étages de l'Opéra, comme s'il
pouvait se déplacer à l'intérieur de la pierre, sa laideur et son teint
cadavérique, enfin, sa tête de mort.
Fantôme ou vampire : Erik
est présenté comme un être nocturne par Christine Daaé sur les toits de
l'opéra : « Nous sommes chez nous, chez moi, dans le ciel, en
plein air, en plein jour. Le soleil est en flammes, et les oiseaux de nuit
n'aiment pas à regarder le soleil ! Je ne l'ai jamais vu à la lumière du
jour. »11(*).
L'oiseau de nuit, c'est Erik, bien évidemment, « l'homme au manteau et
au masque noir »12(*).
Comme si une fatalité avait frappé les êtres des souterrains, Erik n'apparaît
jamais au grand jour. Même sur les toits de l'Opéra, il se cache derrière les
statues. Et quand il sort enfin de l'Opéra, quand il ôte enfin son masque au
grand jour (bien qu'il interdise toujours qu'on regarde ses traits), c'est pour
mourir trois semaines plus tard. N'est-ce pas le propre du vampire de mourir,
une fois touché par les rayons du soleil ?
Nous venons de parler de la
laideur qui semble donc associée au souterrain en ce qu'elle est le pendant de
la beauté, comme l'obscurité l'est de la lumière, ou le souterrain de la
surface. Dans cette opposition systématique, le souterrain est le lieu de
l'assouvissement de tous les fantasmes les plus réprimés, ceux que l'on tente
d'enfouir au fond de nous même, dans les caves de notre inconscient, mais qui
se rappellent à nous par pulsions (nous ferons une étude plus approfondie des
relations entre le souterrain et l'inconscient à la deuxième partie de notre
deuxième chapitre : Les deux Paris). Comme le disait Bachelard, « la
cave est alors la folie enterrée, des drames murés. Les récits de caves
criminelles laissent dans la mémoire des traces ineffaçables. »13(*).
On ne s'étonnera donc pas de
retrouver chez nos feuilletonistes français les preuves évidentes d'une
influence de la littérature gothique ou du roman noir, sous la houlette d'Anne
Radcliffe ou de Lewis pour ne citer que ces deux là.
Et pour cause, les romanciers
gothiques ont réussi à atteindre dans leurs écrits un degré d'horreur avancé,
qui donne parfois la nausée devant tant de chair putréfiée, de sang, de
tortures ; au point que l'on se demande parfois si l'on ne sombre pas dans
le simple voyeurisme morbide à lire avec tant de complaisance la description de
tels spectacles. Dans The Monk, Lewis n'épargne pas à son lecteur la
description d'une crypte peuplée de corps en décomposition, où le cruel
Ambrosio a enfermé vive la pauvre Agnès. Un épisode de La double vie de
Théophraste Longuet, sans doute le roman le plus cru de son auteur, ne nous
épargne pas une scène du genre. Cartouche, à la fin de sa vie, après être passé
à la question, est jeté à moitié mort dans le charnier de Montfaucon. Dans
cette horreur souterraine, les corps mutilés et putréfiés composent le paysage,
et Cartouche lui-même, qui est dans un état plus que critique, constate
l'aspect hideux de la scène. « On apporte ici tous les suppliciés de la
ville. Il y en a de frais, il y en a de pourris, il y en a de bien conservés et
tout secs ; mais d'autres ne sont pas présentables : ils tombent en
ruine. »14(*)
Nous passerons sur les détails des horreurs narrés par la suite, mais l'esprit
est là.
De même, Gaston Leroux ne nous
épargne pas les scènes des tortures infligées à Cartouche dans les souterrains
de la conciergerie. « On ouvre une grille... Je suis dans les ténèbres
des caves[...] Je suis dans la chambre de la torture. J'ai devant moi des
hommes vêtus de longues robes, mais je ne distingue pas leurs
visages. [...] Je crois bien que les gaillards vont me faire souffrir tout
mon saoul et que la journée sera rude[...]. »15(*).
Effectivement, s'ensuit une longue description des souffrances de
Cartouche-Théophraste Longuet d'un réalisme à choquer les âmes sensibles.
Est-ce la franchise qu'inspirent les souterrains qui pousse l'auteur à ces
épanchements lugubres, ou bien le style de cette littérature
« souterraine » et populaire qui encourage l'horreur à
s'afficher ?
Toujours du même auteur, Le
roi mystère du même auteur nous offre la description d'une décapitation
dans les caves de Montmartre. « Un coup retentit dont l'échafaud tout
entier résonna, derrière le rideau rouge. Et après coup, on entendit un cri de
douleur atroce et des plaintes... et des plaintes... et il y eut un autre
coup... et il y eut encore des plaintes... un gémissement lamentable qui ne
demandait qu'à finir. Et on entendit encore un coup !... Et puis
l'échafaud se tut !... »16(*)
Nous obtenons le même résultat
dans Les Drames des catacombes de Pierre Zaconne. La description de la
torture au fer rougi de Reynaut à qui on veut arracher son trésor est pour le
moins brutale. Une fois de plus, les descriptions qui s'attardent sur les
plaies crépitantes font parfois douter des intentions de l'auteur. Hélas, lui
aussi a un inconscient et une fascination pour l'horreur. Mais nous y
reviendrons.
La faune des catacombes :
Nous venons de parler des êtres
surnaturels qui peuplent les catacombes et les caves de nos romanciers. Cette
association systématique entre le caractère effrayant du diable ou du fantôme
(effrayant car inconnu, immaîtrisable, dangereux) et le souterrain (mêmes
qualificatifs) s'étend par la même occasion à toute la population souterraine.
Les habitants de chair et d'os des souterrains sont d'entrée de jeu marqués du
sceau des profondeurs. Cette marque se lit sur leurs traits, leur comportement,
leur aspect général, qu'il en soit des hommes ou des animaux.
Commençons dans un premier temps
par étudier la faune souterraine de notre littérature.
La plus remarquable est sans
doute celle de Joseph Méry qui nous offre une fois de plus une description
fantasmagorique des souterrains : « La barque marchait, et
réveillait par le bruit des rames, les chauves-souris collées aux voûtes[...]
Sur le trottoir étroit [...], on voyait courir d'affreux coléoptères, des
lézards, des animaux sans nom, auxquels parfois venaient se mêler des rats
gigantesques, quadrupèdes qui osent ou daignent disputer ce domaine aux
reptiles. Au loin, on entendait les coassements du crapaud, animal hideux qui
fuit la lumière [...]. L'étranger plongea la main et la retira aussitôt tenant
un énorme serpent [...].»17(*)
Ainsi, la faune du souterrain
chez Joseph Méry est assez repoussante. Cependant, elle reste bien évidement
fabulée, les souterrains de Paris n'ayant jamais accueilli que des insectes et
des rats dans les égouts, et des chauves-souris dans ses carrières. Mais les
catacombes les plus enfouies offrent un cadre trop inhospitalier pour permettre
la survie d'une quelconque espèce.
Un écrivain comme Victor Hugo se
laissera pourtant tenté par ce même genre de fabulation animalière. N'est-ce
pas en effet un moyen supplémentaire pour rendre ces lieux encore plus
inhospitaliers qu'ils ne l'étaient auparavant ? Ainsi découvre-t-on, dans Les
Misérables, des « scolopendres de quinze pieds de long »18(*).
Nous avons cependant un autre
exemple de cette faune imaginaire dans le roman de Gaston Leroux, la double vie
de Théophraste Longuet. Aux abords du lac souterrain que nous avons évoqué
précédemment, M. Longuet et le commissaire Milfroid rencontrent des canards.
Mais le plus intéressant, si ce n'est déjà de noter qu'il n'y a évidemment pas
de canards dans le sous-sol parisien, c'est l'acclimatation des canards qui, à
en juger par le récit du commissaire Milfroid sur les canards du lac de
Zirknitz, sont eux aussi « complètement aveugles et presque entièrement
nus, c'est-à-dire sans plumes. »19(*).
Ce déterminisme lié au milieu dans lequel l'animal évolue s'applique également
aux poissons qui peuplent le lac, « des poissons merveilleux aux
écailles incolores, sans yeux, nullement sauvages. »20(*).
L'aspect monstrueux de ces animaux hybrides s'incère parfaitement dans la
lignée des êtres fantastiques, habitants des profondeurs. Les tares physiques
(la laideur chez Erik, le visage bestial de Médard...) semblent être un
code propre aux souterrains. Ces caractéristiques sont cependant intéressantes
à relever ici, car elles renforcent l'idée d'autonomie des souterrains de
Paris, idée que nous avions exposée au chapitre sur les villes souterraines de
Paris. La faune du Théophraste Longuet annonce le thème de la cécité dans les
souterrains de Paris, handicap important puisqu'il va se transformer en
avantage pour ceux qui en seront frappés. Mais nous nous pencherons davantage
sur le sujet dans notre deuxième partie. Enfin, le souterrain de Paris dévoile
ici son aspect sauvage, loin de la civilisation.
C'est cet aspect sauvage du
souterrain, mis en relief par la civilisation poussée en surface que va évoquer
ce paragraphe. Paris est au 19ème siècle, la capitale de l'élégance,
de la culture, du raffinement, en bref, la capitale française éclaire des feux
de sa civilisation le restant de l'Europe, ouvrage que les conquêtes de
Napoléon, puis l'empire de Napoléon III ont tenté d'achever. La description
offerte de la société parisienne en surface respire la grâce, le bon goût, les
bonnes manières, ou tout ce qui élève l'être humain au rang d'homme civilisé.
Aussi, quel contraste dans la description des êtres quand la plume des
romanciers s'enfonce sous le pavé parisien !
L'homme souterrain y est présenté
comme un animal, comme un être primitif qui n'aurait jamais connu l'évolution.
Pour reprendre la théorie du déterminisme du lieu que nous avons évoqué à
propos des poissons et des canards de La double vie de Théophraste Longuet,
il semble que les hommes subissent dans la littérature la même influence :
l'homme des souterrain est réduit au stade animal.
Prenons l'exemple de Médard, la
créature nyctalope d'Elie Berthet dans Les Catacombes de Paris. Le jeune
Médard est un « loup affamé »21(*),
« avec la légèreté d'un chat »22(*)
et doué du « rugissement d'un lion »23(*).
Mais surtout, « ses yeux, fauves et ronds comme ceux d'un oiseau de nuit,
paraissaient avoir aussi la faculté de voir dans les ténèbres, et la faible
clarté de la lampe suffisait pour les offenser d'une manière sensible. »24(*).
Cette transformation complète de
l'homme en animal, sorte de loup garou qui devient bête sauvage une fois plongé
dans l'obscurité des souterrains, se retrouve dans la description peu flatteuse
que fait Rousselin, le sinistre héros de Salons et souterrains de Paris,
à Grégoire Mâchefer, un galérien qui a élu domicile dans les catacombes. La description
est sans ambages, mais on y retrouve les caractéristiques des mammifères, des
oiseaux, des ruminants et des fauves : « tu as un profil
horrible ; des yeux enfoncés et couverts de poils ; un nez qui
ressemble à un bec ; une bouche de bélier sauvage ; un teint de
vampire au clair de lune ; un cou d'autruche déplumée, un regard de tigre
à jeun. ».25(*)
On notera ici aussi l'allusion au vampire, thème qui a fait l'objet d'une
analyse précédemment.
Cependant, tous les habitants des
sous-sols ne sont pas des « animaux » à part entière. On remarquera
toutefois que leurs comportements reprennent ceux des bêtes sauvages et
invitent l'auteur à la comparaison. Ainsi en est-il de Rousselin, qui voit sa
physionomie se transformer en celle d'un fauve. Les occurrences sont nombreuses
à ce sujet, notamment quand celui-ci voit la porte d'un souterrain se refermer
sur lui et qu'il se retrouve comme une « bête fauve tombée dans un
piège et se débattant avec la planche fatale dressée par le chasseur. »26(*),
un sombre dénouement alors même que le dit Rousselin avait pris ainsi ses
précautions :
« De même que le tigre
qui change de caverne avance avec précaution son mufle à l'entrée de son
nouveau domicile et flaire les émanations intérieures, pour s'assurer s'il n'y
a aucun locataire plus redoutable que lui, Rousselin hésita longtemps sur le
seuil de cette porte avant de la franchir. »27(*).
Ainsi, semble-t-il nécessaire à
tout individu de devenir « animal » dans les souterrains pour assurer
sa propre survie. Sans quoi, celui-ci court un danger. Car une fois entré dans
les catacombes, le parisien laisse son orgueil à l'entrée et retombe en quelque
sorte au stade primitif. Sans feu, sans outil, il devient vulnérable, presque
moins qu'un animal puisqu'il n'a ni son instinct, ni ses facultés. A un tel
dénuement seront confrontés, Jean Valjean, empêtré dans la fange, Philippe de
Lussan, Raoul et le Persan, Lecerf, enfermé dans les catacombes, ou Théophraste
Longuet qui, « ayant serré de deux crans sa ceinture »28(*),
n'entend que les plaintes de son estomac. La détresse de l'abbé de Chavigny en
est une des preuves ; détresse qui, puisqu'il est un homme et non un
« animal », a pour conséquence le fait que « ses idées
superstitieuses étaient revenues, autant du moins qu'il pouvait avoir des idées
dans l'affreuse prostration physique et morale où il était tombé. »29(*).
La religion est son seul salut, celle qui, une fois l'issue trouvée, lui fera
crier : « c'est un miracle, mon ami, c'est un miracle ! »30(*).
De même, Jean Valjean, poussé aux bouts de ses forces, prêt à sombrer dans les
sables mouvants de la fange des égouts, trouve sous ses pieds « un
point d'appui ». A nouveau, c'est un miracle qui vient de se réaliser.
Et Jean Valjean « tomba sur les genoux. Il trouva que c'était juste, et
y resta quelque temps, l'âme abîmée dans on ne sait quelle parole à Dieu. »31(*).
Il semble donc que l'élévation de l'âme soit encore le seul moyen d'échapper à
l'hostilité du milieu naturel. Comme nous le verrons plus loin, le second moyen
sera l'usage de la raison, faculté qui différencie encore l'homme de la bête.
Nous avons ainsi abordé la faune
des souterrains, dans le sens premier du terme, c'est-à-dire comme « l'ensemble
des animaux que renferme une région » selon le petit Larousse.
Occupons-nous donc maintenant des régions sub-parisiennes et prenons le terme
de faune dans son sens plus argotique, qui désignera alors plus généralement la
population peu fréquentable de ces souterrains. Les composants de cette faune
ont un habitat naturel, répondant aux particularités de chacun. Les écrivains
du 19ème ont pour la plupart adhéré à la théorie des milieux.
« Ils sont persuadés que l'homme est le produit de son milieu, et que
chaque quartier de paris sécrète des types différents : les vieilles maisons
sordides du quartier des halles par exemple, expliquent chez Balzac la
parcimonie des usuriers ou des artisans qui y vivent. »32(*).
Comme les châteaux abritent les nobles, comme les bourgeois abritent de grands
appartements, comme les mansardes abritent les artistes de Bohême, les
souterrains abritent eux aussi une certaine catégorie : celle des
proscrits, des truands, des bandits, des gueux, des malfrats, des faussaires,
en bref, et pour synthétiser cette liste non exhaustive, tous ceux qui ne
peuvent ou ne veulent se montrer au grand jour, car ils ont quelque chose à
cacher. Jean-Noël Blanc ne voit cependant pas en ces habitants des souterrains
que des « criminels et [des] fous. Ce sont aussi des misérables.
Ecrasés par la ville, rejetés dans les ténèbres intérieures et inférieures,
ils font leur trou dans le trou où la ville les assigne en résidence. Ils y
trouvent un abri, précaire, certes, mais suffisant. Condamnés à s'enterrer, ils
se terrent, et survivent. »33(*).
Le conspirateur semble être
l'habitant le plus usuel des souterrains de Paris. Le trio
Lecerf-Rousselin-Benoît qui se réunit dans les catacombes des Salons et
souterrains de Paris échafaude des plans ingénieux pour conquérir la dot de
nobles créatures, pêchant hélas par leur laideur. Ils impriment d'ailleurs de
faux articles du journal des Tribunaux : « Les trois acteurs de
cette scène étrange pénétrèrent dans un carrefour voisin, où se trouvait un
petit atelier d'imprimerie, pourvu du strict nécessaire. »34(*).
Cette contrefaçon est à
rapprocher de celle des faussaires des Catacombes de Paris d'Elie
Berthet. Réfugiés dans une cave, ces derniers fondent leur monnaie à l'abri du
regard de la police. C'est dans ce même roman que l'on retrouvera la présence
d'une presse, celle de Philippe de Lussan et de l'abbé de Chavigny. Ce dernier
voit dans le souterrain le lieu idéal « pour y cacher notre presse,
parbleu ! Pour y établir notre atelier, et pour y installer notre prote,
nos ouvriers. Nous pourrons alors imprimer tous les pamphlets, tous les
libelles, toutes les épigrammes qui nous passeront par la cervelle. »35(*).
La conspiration, encore et
toujours est ce qui réunit les Mohicans de Paris dans les salles obscures
éclairées au flambeau des catacombes de Paris. « Ces hommes
paraissaient réunis pour une affaire de la plus haute importance, car ils se
pressaient autour d'un orateur [...]. Soit que l'orateur eût la voix faible,
soit qu'il parlât doucement avec intention, [...] l'inspecteur de la sûreté
publique [...] n'avait pas encore, au bout de cinq minutes d'attention, pu
entendre un traître mot de ce qui se disait. »36(*)
Cette tendance des écrivains à
enfouir leurs « conspirateurs » est tout ce qu'il y a de plus
naturelle. Quel meilleur endroit que le sous-sol pour contenir un secret ?
Reprenons le mythe de Midas et de son malencontreux barbier qui, incapable
de conserver son secret qui lui brûle les lèvres, le confie à la terre. Hélas,
la terre a parfois des oreilles, et c'est ce que nous analyserons dans notre
sous-partie consacrée aux sens dans les souterrains.
Deuxième habitant de
prédilection : le galérien évadé. La littérature du roman populaire
utilise parfois à outrance le personnage du galérien évadé, en cela que son
statut précaire lui impose la discrétion. Sa cruauté foncière et son immoralité
sont également en accord avec la réputation du souterrain, représenté comme un
sauvage et dangereux. Le meilleur exemple à citer est le personnage de Robert
dans Les Drames des catacombes qui fait des catacombes son repaire et le
lieu propice à ses débauches. Benoît, galérien évadé du bagne de Toulon dans Salons
et souterrains de Paris, ne se réfugie pas exactement dans les souterrains.
Mais son personnage de conspirateur et de forçat en fait une créature
prédisposée aux souterrains. Enfin, nous pouvons citer Jean Valjean, personnage
atypique, galérien avant tout mais que l'on ne pourrait comparer aux autres. Sa
présence dans les égouts ne relève pas précisément de son caractère de forçat,
mais davantage de la fuite rendue nécessaire par l'arrivée de l'armée sur les
barricades de 1832. La figure de la police et de l'ordre, personnifiée sous les
traits de Javert, lui impose de trouver un refuge pour échapper à cette justice
terrestre impartiale. Il s'en remet donc à la justice souterraine qui va
trancher en lui offrant la vie.
Cependant, d'une manière
générale, les égouts et les catacombes demeurent les refuges idéaux des bandits
de toute sorte. « La truanderie, cette picareria gauloise, acceptait
l'égout comme succursale de la cour des miracles »37(*),
peut-on lire dans les Misérables. C'est dans les égouts que Jean Valjean
rencontre Thénardier. Et les brigands Babet, Gueulemer, Claquesous et
Montparnasse, vont se réfugier dans les catacombes. « Le jour, fatigués
des nuits farouches qu'ils avaient, ils s'en allaient dormir, tantôt dans les
fours à plâtre, tantôt dans les carrières abandonnées de Montmartre ou de
Montrouge, parfois dans les égouts. Ils se terraient.»38(*).
Mais nous reviendrons plus précisément sur ces drôles d'oiseaux de nuit
lorsqu'il s'agira d'évoquer la pollution de la surface de Paris par ses
souterrains.
La population régulière des
souterrains est donc une population sauvage. Est-ce un hasard de trouver dans
les catacombes les « mohicans de paris », une organisation secrète du
même nom que cette tribu indienne qui, pour l'époque, n'était qu'une tribu de
sauvages aux moeurs barbares ?
Les romanciers populaires ont
donc fait des souterrains parisiens, le haut lieu des basses classes. Ce
décalage nourrira une étude ultérieure sur l'éclat de Paris et la noirceur si
opaque de ses mondes souterrains.
2) Paris et ses souterrains ou
le royaume du faux contre le royaume du vrai
Il ne semble pas de meilleure
introduction à cette deuxième partie que ce commentaire de Jean-Noël Blanc à
propos de la dualité de la ville, son dessus, flamboyant, son dessous,
effrayant, et sa mise en relief qui fait de la ville un élément en trois
dimensions. « La ville monte des profondeurs : sous la surface, un
monde caché, creusé. Au-dessus, la ville policée, les moeurs pleines
d'urbanité, les séductions, les illusions, oui, au-dessous, la ville réelle, la
dureté, les luttes impitoyables, le drame. L'apparente plénitude urbaine
recouvre les vides. Les évidences masquent des évidements. Le jour se change en
nuit dans cette ville verticale qui perd ses certitudes et sa tranquillité
parce que, dans ces failles souterraines, il se révèle que la ville a quelque
chose à cacher »39(*).
Aussi, nous nous éblouirons dans
un premier temps avec les fastes du Paris des années 1800 pour mieux réhabituer
nos yeux par la suite à l'obscur profondeur des souterrains parisiens :
alors nous découvrirons comme l'ont fait avant nous les personnages des romans
étudiés, la plus simple vérité. Ainsi que le disait Gaston Bachelard :
"c'est en se tenant assez longtemps à la surface irisée que nous
comprendrons le prix de la profondeur".40(*)
Le théâtre de Paris :
Ce n'est pas pour rien que l'on a
surnommé Paris la ville aux mille lumières. Car le Paris du 19ème
siècle éblouit ses visiteurs. Paris la magnifique, paris l'ensorceleuse,
théâtre de l'illusion où prolifèrent les théâtres. Les ouvrages qui reprennent
cette image du Paris comme royaume des faux semblants ne se comptent plus.
Prenons seulement Balzac et sa vaste comédie humaine : on n'y voit la vie
parisienne que comme une immense mascarade. Les illusions perdues
portent dans leur titre la mystification de Paris. De même, dans La
mascarade de la vie parisienne, Champfleury nous décrit-t-il une
arrivée d'un train de provinciaux à Paris en ces termes : « Pleins
de confiance, avant d'arriver, les vicieux, les corrompus et les débauchés,
n'en attachaient pas moins sur leurs figures les masques d'humanité, de
religion, de probité, de morale, qui devaient leur servir pour jouer leur rôle
dans la mascarade de la vie parisienne. »41(*).
L'aristocratie est la première
touchée par cette hypocrisie que lui imposent les rigueurs de l'étiquette. Les
salons deviennent de ce fait le lieu de la fausseté par excellence. Dans Salons
et souterrains de Paris, cette opposition est nettement mise en valeur. Les
trois personnages principaux apparaissent dans les salons de Célestine
Desglajeux sous une fausse identité. Rousselin s'y fait ainsi appeler
Pritchard, et les trois amis feignent de ne point se connaître. Leurs faits et
gestes sont calculés. Rien n'est naturel ni spontané. Cependant, le roi du
paraître est assurément le roi mystère. Ou faut-il l'appeler le roi des
catacombes, R.C., Teramo-Girgenti, Robert Carel ou Robert Pascal ? Le
nombre de ses identités équivaut au nombre de ses déguisements. Quant à ses
réceptions, elles ont l'éclat de ses manières. Or, nous le savons, tout est
faux : comble du roman, le lecteur apprend que l'histoire n'est qu'un
roman-feuilleton dans le roman, dont les ficelles étaient tirés par le
personnage du gnome Macallan.
Mais le second Empire nous offre
encore un exemple de pierre et d'acier encore plus flagrant de ce soucis de
paraître : l'Opéra Garnier. Mastodonte dédié aux arts lyriques, sa
magnificence devait initialement refléter la gloire de l'empire. Dorures, parures,
sculptures prolifèrent et dégringolent sur la façade du bâtiment. Or, c'est ce
temple de l'illusion comique que Gaston Leroux choisira comme décor pour son
roman « Le fantôme de l'Opéra ». Et quelle autre vision plus
complète de cette « mystification » parisienne l'auteur aurait-il pu
nous donner que ce bal masqué ainsi décrit : « Tout le monde
remarqua que MM. Les directeurs démissionnaires avaient l'air gai, ce qui, à
Paris, fut trouvé de fort bon goût. Celui-là ne sera jamais Parisien qui n'aura
point appris à mettre un masque de joie sur ses douleurs et le
« loup » de la tristesse, de l'ennui ou de l'indifférence sur son
intime allégresse. [...] A Paris, on est toujours au bal masqué et ce
n'est point au foyer de la danse que des personnages aussi « avertis »
que MM. Debienne et Poligny eussent commis la faute de montrer leur chagrin qui
était réel. »42(*).
Le contraste entre les deux entités est ici le plus flagrant. Car sous cette
beauté du lieu, se cache la laideur du monstre souterrain, Erik, qui porte un
masque pour se cacher du regard des autres.
Car pénétrer dans les souterrains
de Paris revient à franchir la frontière d'un autre monde. Un vers de Delille à
l'entrée des catacombes met en garde le visiteur : « Arrête, c'est
ici l'empire de la Mort. ». N'entre-t-on pas, dans la mythologie,
complètement nu dans le royaume de la mort pour le jugement dernier ? La
littérature reprend cette idée de dépouillement total de tout artifice à
l'entrée des souterrains, qui, envers du dessus, s'instille en royaume du vrai.
Aussi, n'est-il pas étonnant de voir Rousselin dire à ses compagnons « Changeons
de toilette. » au sortir des catacombes. Ainsi prend-il « dans
une armoire secrète deux costumes complets, dont la mode ancienne et bourgeoise
contrastait beaucoup avec les habits dont ils se dépouillèrent, comme deux
acteurs qui vont jouer un rôle nouveau. » 43(*).
Plongeons désormais dans les
profondeurs de Paris. Mais pour cette plongée, nul besoin de masque. A
l'inverse des personnages des Salons et souterrains de Paris, ôtons nos
déguisements et ouvrons les yeux. Joseph Méry nous fraye le passage :
« La bonne ville de Paris n'est connue qu'à sa surface ; si la
main de dieu arrachait l'épiderme hérissé de maisons qui couvre les entrailles
du sol dans une circonférence de vingt lieues, les regards seraient épouvantés
de cette révélation souterraine, de ces formidables arcanes que n'éclaira
jamais le soleil, et qui sont les hideux trésors ensevelis par les siècles
avares, et qu'aucun oeil ne peut voir, aucune main ne peut enlever. Nous marchons,
nous rions, nous dansons, nous jouons sur un tapis composé d'horribles choses,
des choses que ne désigne aucune langue et qui attendront toujours un nom. »44(*).
Voilà ce que tout lecteur s'apprête à découvrir en parcourant les lignes de
cette littérature des ombres : la sombre vérité derrière l'étincelante
apparence.
L'abolition des apparences :
Etincelante apparence... Là est
tout le problème et la facilité de la surface, du monde du dessus : la
lumière y brille, les yeux peuvent voir, et on se satisfait souvent de cette
première analyse sans chercher à dépasser ces simples apparences. Certes, mais
qu'advient-il une fois plongé dans les obscurs souterrains des
catacombes ?
Il n'y a que deux personnages qui
puissent voir dans l'obscurité : Médard qui doit cette faculté davantage à
son caractère animal qu'à une quelconque puissance magique, et Rousselin, dont
la ruse le transforme en une sorte de renard, et qui de ce fait, doit sa
faculté lui aussi à son animalité. La vue n'est d'ailleurs pas le seul sens qui
soit développé chez ces deux êtres. Thérèse, la fiancée de Philippe de Lussan
se rend compte de l'ouïe surdéveloppée de Médard. « Il m'interrompit en
me faisant signe d'écouter. Je me tus machinalement et je prêtai
l'oreille ; je n'entendis rien. Cependant mon ravisseur, dont les sens
étaient sans doute plus exercés que les miens, éprouvait une inquiétude
évidente. »45(*).
Il en est de même pour Rousselin dont l'ouïe « avait une vertu féline
qui ne souffrait pas qu'on l'accusât d'imposture. »46(*).
De même, dans les catacombes, « Rousselin y voyait clair dans les
ténèbres comme en plein soleil. »47(*)
Grégoire Mâchefer, le comparse de
Rousselin, qui possède les mêmes facultés, va pour sa part substituer ses yeux
à ses oreilles « Nos oreilles sont des yeux, et nous voyons très clair
lorsque nous entendons. »48(*).
Les autres personnages, ceux qui
ne possèdent pas les facultés animales dédiés à Rousselin, Médard et Grégoire
Mâchefer, les êtres de la surface donc, qui se retrouvent par accident dans les
souterrains, ces personnages donc, vont subir l'obscurité comme un handicap
certain.
Serait-il pléonastique d'évoquer
l'obscurité des souterrains ? Toujours est-il que les romanciers ne
cessent d'appuyer cette caractéristique paradoxalement fort visible. Mais cet
effort tend à produire deux effets : en premier lieu, la référence à
l'obscurité renforce les capacités de l'imaginaire morbide et effrayant. Cet
emploi de l'obscurité serait à rapprocher de notre partie concernant le
phénomène d'étirement propre au souterrain. Mais ce qui nous intéresse tout
particulièrement ici, c'est la conséquence handicapante de cette obscurité.
Elle semble être une fatalité de ces souterrains. Si une quelconque lumière
jaillit, elle est inexorablement pâle et ne permet jamais une vision complète
de la situation. « L'obscurité serait complète, si quelques lampes
sépulcrales ne jetaient de loin en loin une lumière terne, blafarde, vacillante
sur les eaux. »49(*).
Seul Gaston Leroux fait entorse à la règle et, pour faire « nouveau jeu »50(*)
et se moquer des récurrences des romans populaires, dote le commissaire
Milfroid de lampes électriques qui éclairent le souterrain « d'une
lueur féerique »51(*).
Autre dérèglement, il fait de Théophraste Longuet un personnage sourd par
intermittence, après que M. de la Nox lui a « versé de l'eau chaude
dans les oreilles »52(*).
L'être humain en tant que tel
plongé dans les souterrains va donc devoir faire appel à ses autres sens, et
notamment l'ouïe qui va devenir le moyen de se repérer et d'appréhender le
monde par excellence quand les ressources visuelles deviennent inexistantes.
« Des ténèbres massives tombèrent comme un voile de plomb sur les yeux des
deux hommes, et on n'entendit plus que le fracas sourd de la ville des vivants,
assise sur la ville des morts. »53(*).
Les sons prennent alors la place
prépondérante dans les souterrains. Ils deviennent moyens de repère, de communication,
événements, facteurs déclencheurs etc.... Comme le dit Bachelard, l'oreille
devient « le sens de la nuit ». Son pouvoir par rapport à la vue est
ainsi décuplé. On retiendra en conclusion de ce paragraphe le mot de D. H.
Lawrence dans Psycho-analysis : « L'oreille peut entendre plus
profondément que les yeux ne peuvent voir. ».
Le son peut se caractériser par
son existence, ou bien, son contraire, par le silence. Car c'est le silence, le
silence de mort, le silence initial absolu qui est l'état premier des
souterrains. Les occurrences qui font référence à ce silence absolu sont
nombreuses : « l'eau autour de nous ne faisait aucun bruit. »54(*).
Or, à l'instar de l'obscurité et
de la lumière dans les souterrains, les sons qui viennent se greffer sur le
silence ne sont jamais clairement définis. On ne peut pas bien en cerner les
contours. Ils sont soit incompréhensibles, soit inarticulés, caractérisés pour
la plupart par leur aspect inachevé, leur côté sauvage, hostile. Ce ne sont
jamais des paroles articulés, humaines. Ces sons sont déshumanisés, animales
presque. Il s'agit de « cris furieux »55(*),
de «plainte», d' « un cri de rage ou de douleur »56(*),
de soupirs : « Même quand il n'est pas là, mes oreilles sont
pleines de ses soupirs... »57(*)
se plaint Christine Daaé. Tantôt anéantis, tantôt multipliés à l'infini, les
sons n'ont pas de repères fixes, à l'instar de l'homme perdu dans le
souterrain. « On se fatigue très vite de chanter dans les catacombes
parce que la voix ne porte pas. » déclare le commissaire Milfroid58(*).
A l'inverse, ces sons semblent parfois prendre une autonomie nouvelle, en
deviennent presque vivants. « Les hurlements du jeune homme se
prolongeaient d'échos en échos, se brisaient contre des milliers d'angles
aigus, bondissaient sous des voûtes infinies, et ne trouvant pas d'issue
eux-mêmes, reprenaient les carrefours déjà parcourus, se croisaient, se
confondaient, se heurtaient en formant une lamentation immense, comme si les
ossements des catacombes eussent entendu sonner la trompette de Josaphat. Puis
le silence retombait. »59(*).
On peut s'apercevoir grâce à cet
extrait de ce phénomène d'amplification créé par les souterrains. L'imagination
humaine tend effectivement à amplifier les choses, une fois plongée dans le
noir. L'obscurité les étire jusqu'à leur donner une dimension nouvelle.
L'imagination n'a plus de limites, puisque les frontières ne sont plus
visibles. D'où ce prolongement du son d'échos en échos dans une course folle,
que l'immensité labyrinthique des catacombes vient sceller. Des phénomènes
infimes prennent une importance considérable, à la manière de ces objets
inanimés et communs (un rideau, une peluche) qui deviennent dans les cauchemars
enfantins, monstres et fantômes. Ainsi, les sons les plus infimes deviennent
des coups de tonnerre. « En pareille latitude, le moindre bruit qui
n'est plus en harmonie avec tous les petits murmures qu'on écoute depuis
longtemps, arrête le pas, brûle les oreilles, agite la racine des cheveux,
étreint les muscles du cou. »60(*).
Nous avons ainsi développé le
thème des sens, qui, si l'on s'en réfère à nos dictionnaires, sont au
nombre de cinq. Pourtant, le souterrain fait appel à un sixième sens, celui que
nous pourrons appeler le « sens logique ». Le souterrain tel que nous
l'avons présenté est ainsi le royaume du vrai. Il est surprenant de noter ce
phénomène qui fait coïncider réflexion sur un thème donner ou un problème à
résoudre, et inspection des souterrains. A croire que les personnages, en parcourant
le labyrinthe des sous-sols, parcouraient en parallèle les méandres de leur
logique. Le plus bel exemple que nous ayons à citer est ce passage qui fait se
dialoguer Théophraste Longuet et le commissaire Milfroid. A peine tombés
dans les catacombes, le commissaire entreprend de résoudre une énigme sur
laquelle Théophraste Longuet butait sans parvenir à trouver de réponse. « Cette
conversation si naturelle entre deux hommes au fond des catacombes »
va permettre au commissaire de prendre « le bon bout de [sa] raison »
et de faire la lumière sur ce qu'il appelle « la vérité éternelle »
61(*).
Conclusion paradoxale : c'est dans l'obscurité que l'on finit par y voir
clair. Le souterrain, espace de vérité, espace de découverte, va donc devenir
l'issue fatale de toute quête.
a) le souterrain comme
l'aboutissement de toute quête :
Tout au long des oeuvres et
depuis la mythologie, le souterrain a toujours été un espace d'exploration. Il
est le terrain inconnu que l'on défriche peu à peu. Et quels trésors n'y
trouve-t-on pas !
Le lieu de la découverte :
Mais les quêtes ne se ressemblent
pas. Nous pouvons en discerner plusieurs. Il y a tout d'abord la recherche de
sa propre personnalité, celle de sa virilité et de son passage au monde des
adultes, quête qui intéressera notre partie sur l'inconscient. La deuxième
quête, est celle de la vérité, donc. Souvent inconsciente elle aussi, elle
pousse le personnage devant les vérités enfouies par l'oubli et le nombre des
années.
Il n'est donc pas surprenant de
rencontrer ces révélations récurrentes au fil de nos lectures. Que va chercher
Robert dans ses catacombes ? La découverte de la vérité sur l'identité de
son fils, alors même qu'il vient de le tuer. « Le fils assassiné par le
père !... Oh ! Il y a donc une justice divine !... »62(*).
Cette vérité qui s'accompagne d'une punition, celle de ses crimes, n'est pas la
seule à l'ébranler. La réapparition quasi fantomatique de la mère de son enfant
dans les souterrains fait ressurgir les crimes odieux de son passé qu'il
s'était bien chargé de faire taire. «-C'est elle, te dis-je. -Mais qui,
elle ? -Thérésa ! » 63(*)
lui dit Jacques, son compagnon de débauche. C'est la lutte contre l'oubli. Robert
qui croyait son passé enterré, voit une main surgir de la motte de terre.
« -Souviens-toi de Thérésa ! »64(*)
lui jette la mère de Georges au visage.
C'est la vérité, celle qui fait
mal à entendre, celle qui éclate au visage qui réapparaît. Et elle va engendrer
la punition.
La vengeance :
Nous l'avons vu, le souterrain
est un espace vierge, sauvage, absolument étranger à toute civilisation. De ce
fait, la justice se fait naturellement, selon un principe fort simpliste, celle
de la loi du Talion. Si tu as tué, tu seras tué etc.... Aussi, la pitié, le
pardon, valeurs toutes chrétiennes sont exclues de ces sombres labyrinthes. Une
lutte sans merci s'engage donc entre les prisonniers de ces couloirs de la
mort...
La vengeance est nourrie et
enrichie par l'atmosphère lugubre de ces souterrains, et elle devient une sorte
de monomanie chez les protagonistes qui en sont hantés. Le héros de Pierre
Zaconne, Robert, qui sait très bien qu'il sera guillotiné déclare « cependant,
vous le voyez, je n'ai pas quitté la capitale, où mille agents mystérieux me
recherchent avec une activité incessante... et je ne la quitterai pas jusqu'à
ce que je me sois vengé !... »65(*).
C'est son fils qu'il cherche à venger, celui-là même à qui il a planté un
couteau dans le coeur par un autre espoir de vengeance. C'est la loi du Talion,
celle de la jungle, où toute considération humaine est absente. « La haine
qui les animait tous deux était aveugle et sauvage. »66(*).
Georges, le fils sacrifié, alors même qu'il « apportait maintenant, dans
la lutte, une âpreté désespérée qui n'avait plus rien d'humain. » 67(*),
se sachant condamné, formule un ultime désir : « Oh ! Me
venger ! ... Me venger !... murmura Brown, qui râlait déjà. »68(*).
Ce désir de vengeance est lui
aussi la seule raison de vivre de Médard. Ayant vu son père torturé en place de
grève, « Le fils de Lubin Pernet, fidèle au serment qu'il avait fait au
supplicié, avait accepté le legs d'une monstrueuse vengeance contre une
population entière. »69(*).
Fait étonnant, seul l'amour semblerait faire oublier ses élans destructeurs au
monstre des cavernes. « Si Thérèse vient avec moi, je pardonne ;
plus de vengeance, plus de colère, plus rien. »70(*).
A croire que ce qui fait de l'homme un animal doué de sensibilité, doué d'âme,
lui donne aussi la faculté du pardon, élément primordial de la civilisation qui
empêche la destruction de la société. Médard sortirait alors des souterrains de
sa morale. Hélas, Médard est incapable de s'extraire de ses souterrains réels.
De ce fait, toute justice humaine lui est impossible. Pas étonnant donc, que la
jeune et fraîche Thérèse, croyant être victime d'un viol réclame réparation
auprès de Philippe de Lussan : « vengez-nous l'un et l'autre, car
il nous a séparés pour toujours ! »71(*).
Dans le milieu souterrain, les
rapports humains sont d'une franchise à toute épreuve. Il est le lieu de la
vérité par excellence. La trahison y est donc vue comme l'un des crimes les
plus odieux. Elle est punie de ce fait par la mort immédiate. Salomon Hartmann,
le malheureux guide de Philippe de Lussan et du petit abbé de Chavigny prédit
les conséquences de son acte : « Nous y périrons tous, et si nous
en réchappions cette fois, il saurait bien le punir plus tard de ma
trahison. »72(*).
Prédictions qui se révèlent juste puisque quelques pages suivants, Médard
déclare à Philippe de Lussan avec son laconisme habituel : « Hartmann
ne viendra pas... mort. [...] Il m'avait trahi. »73(*).
Jugement pour le moins sans appel.
Eustache Grimm, Sinnamari et le
colonel Régine connaîtront le même sort dans le roi mystère pour avoir trahi
l'innocence de la mère du roi mystère. De la même façon, l'amitié qui liait
Lecerf et Rousselin est tranchée par la même sorte de couperet. Rousselin nous
offre ainsi une longue tirade qu'il illustre à merveille notre propos :
« Lecerf, [...] Tu es un traître ! et si tu ne m'as pas trahi, tu
me trahiras ! [...]Tu as violé tous les serments de l'amitié ; tu
t'es révolté contre ton bienfaiteur ; tu as déchiré la main qui t'a retiré
de la boue pour t'endormir sur une mine d'or ! Eh bien ! trois fois
traître, trois fois lâche, trois fois vil, tu ne sortiras pas de ce
souterrain ; tu ajouteras un squelette de plus à cette noire population de
la mort ! [...]Ici, je ne crains rien ; ici, je savoure les deux
plus douces choses de ce monde, la vengeance et l'impunité.»74(*).
Ainsi, se perpétue cette idée d'une justice parallèle, une justice souterraine,
presque animale. Dans la bouche de Lecerf ressuscité, ou plutôt tiré de ses
souterrains par l'aide impromptue de l'avocat Benoît, cette justice animale
devient une justice d'outre-tombe. Elle prend alors une valeur encore plus
symbolique, devient plutôt une sorte de justice éternelle. « Tu crois
voir devant toi un fantôme de minuit, un spectre vengeur sorti du tombeau pour
t'épouvanter ? Eh bien ! Tu ne te trompes pas. La justice des hommes
ne peut pas te poursuivre, et cette idée faisait ta sécurité. [...] Voilà ce
que tu n'as pas prévu : le fantôme de minuit ! »75(*).
L'isolement des personnages souterrains est renforcé par l'incapacité de la
police à pénétrer dans les catacombes. Ou bien, quand elle y parvient, sa
couardise n'accorde aucune place à la capture des malfrats, laissant par la
même le héros de l'histoire se débrouiller seul. Philippe de Lussan sait à quoi
s'attendre : « Cet homme ne peut éviter longtemps le châtiment que ses
crimes ont mérité. »76(*).
Certes, mais il devra la rendre seul, cette justice. Mais ces remarques
nourriront davantage notre deuxième chapitre.
Il n'y a donc pas de demi mesure
sous terre, symbole de la franchise quasi animale qui s'y pratique. L'amour et
la haine s'opposent également, mais ne se mélangent jamais. Cependant, dans
cette lutte entre le bien et le mal, les "monstres" du souterrain ne
sont pas foncièrement mauvais. Disons qu'ils obéissent à leur logique toute
particulière. A plusieurs reprises, leurs actions vont contrecarrer ce
manichéisme qui venait opposer distinctement le bien de la surface, du mal des
souterrains. Nous avons abordé le thème de la trahison. Mais il s'agit là du
côté négatif de l'amitié, tant soit que le mot amitié ne soit pas encore trop
faible pour caractériser les liens qui unissent les amis dans les souterrains.
« Quel intérêt ai-je à te trahir ? Tu me dois la vie »77(*)
déclare Rousselin à Grégoire Mâchefer, le forçat réfugié dans les catacombes.
Si la lutte qui oppose les ennemis dans les catacombes est une lutte à la vie à
la mort, l'attachement l'est de même entre amis. Peut-être peut-on expliquer
ceci par cette phrase de Rousselin : « Je connais les hommes ; la
reconnaissance est pour eux un fardeau plus lourd que cette voûte qui t'écrase. »78(*).
Une fois engloutie dans les profondeurs des souterrains, peut-être la
reconnaissance leur parait-elle plus légère. Toujours est-il que la pureté des
rapports amicaux est mise en lumière par la franchise des mondes
souterrains : rien ne se cache, tout se sait. Les personnages se
retrouvent donc propulsés dans un milieu hostile, où, poussés dans leurs
retranchements, ils se montrent tels qu'ils sont. Il est étonnant de remarquer
que c'est toujours en situation de crise que les personnalités se révèlent.
« Je ne te quitte pas, Chavigny, dit Philippe avec résolution ;
nous partagerons le même sort ; si tu meurs, je mourrai... »79(*) Voilà
qui est la preuve du plus beau dévouement, et le symbole de la pureté qui
habite le héros de l'histoire. .
Erik réagit de même vis-à-vis de
son ancien ami le Persan. Il lui sauve ainsi la vie in extremis. Tel est le
récit du Persan : « Tout à coup, deux bras monstrueux sortirent du sein
des eaux et m'agrippèrent le cou, m'entraînant dans le gouffre avec une force
irrésistible. J'étais certainement perdu si je n'avais eu le temps de jeter un
cri auquel Erik me reconnut. Car c'était lui, et au lieu de me noyer comme il
en avait eu certainement l'intention, il nagea et me déposa doucement sur la
rive. »80(*)
Le conte de Chagny, le frère de Raoul, n'aura lui, pas cette chance, qui
sera noyé dans les eaux noires du lac de l'Opéra. N'est pas ami qui veut avec
un fantôme...
II) La représentation de Paris :
une image double.
Paris est une ville. Paris est
une capitale. Paris est un mythe. Et Paris est une personne. Pourquoi cette
tendance des écrivains, à partir du 19ème siècle à personnifier la ville
lumière ? Parce qu'elle rayonne sans doute. Parce qu'elle séduit comme une
femme, surprend comme une personne, parce qu'elle vit, tout simplement. Or, si
Paris a une vie propre, elle possède donc les moyens nécessaires à sa survie.
Les hommes ont un coeur. Paris en trouve un. Disons, la bourse de Paris. Les
hommes ont du sang dans les veines. Paris en a également : ce sont les milliers
de passants qui circulent dans ses artères. Les hommes ont un estomac, un
intestin. Et Paris ?
1) ecce Paris, ecce homo
a) La personnification de Paris
« L'intestin de Léviathan » :
Tel est le titre d'un des
chapitres des Misérables de Victor Hugo. A quoi fait-il donc référence ? Aux
égouts, bien évidemment. Car les égouts sont ici assimilés à des organes.
Maxime Du Camp a consacré un ouvrage entier à la description de la capitale,
ouvrage qu'il a intitulé : Paris, sa vie, ses organes et ses fonctions. Le titre
est révélateur. Qu'est-ce qu'un organe sinon l'élément vital d'un corps vivant
?
Dans sa préface, Maxime Du Camp
écrit : « Paris étant un grand corps, j'ai essayé d'en faire l'anatomie. Toute
mon ambition est d'apprendre au Parisien comment il vit et en vertu de quelles
lois physiques fonctionnent les organes administratifs dont il se sert à toute
minute sans avoir jamais pensé à étudier les différents rouages d'un si vaste,
d'un si ingénieux mécanisme. [...] Paris trouve en abondance tout ce qui concourt
au développement de sa vie physique et de sa vie intellectuelle. Il peut
manger, boire, se promener, se baigner, fumer, aller au spectacle. » Paris et
le Parisien ne font donc qu'un : Paris fait le Parisien et le Parisien est
Paris.
Très tôt cependant, la
personnification de Paris va perdre de sa superbe et la capitale va être
comparée à un monstre. Elle va devenir le « colosse endormi » du prince
Schwarzenberg81(*). Et pour cause : le 19ème siècle, c'est le début de l'ère
industrielle, l'ère du progrès, de la pleine croissance. Les patrons ont besoin
de machines qui ont besoin de bras. L'exode rural explose. Paris attire dans
son ventre les espérances de conquête, de fortune. « Tout ce monde criait
intérieurement : Paris ! Paris ! Tous criaient : Fortunes, honneurs, argent !
Et le train qui les renfermait rencontrait d'autres trains immenses chargés de
vin, d'animaux, de légumes, de farines, de denrées de toute espèce, que l'ogre
de Paris, qui a faim d'hommes, de femmes, de jeunes gens, de jeunes filles et
d'enfants, allait avaler d'un bouchée. »82(*) Voilà sur quelle image s'achève
La mascarade de la vie Parisienne de Champfleury.
Mais il lui faut donc digérer
tout ce monde. L'ogre Paris est donc doté d'un intestin, et pour le trouver, il
faut creuser, sous « le ventre de Paris », pour reprendre la terminologie de
Zola, dans ses souterrains. Victor Hugo reprend cette idée du monstre qui
digère. « Rien n'égalait l'horreur de cette vieille crypte exutoire, appareil
digestif de Léviathan »83(*) dans lequel les coups de feu deviennent les «
borborygmes de ce boyau titanique »84(*). Tantôt catacombes, ils digèrent les
morts, tantôt égouts, ils digèrent l'ordure.
L'opéra Garnier :
Si nous appliquons cette attitude
anthropomorphique à l'opéra Garnier qui intéresse tout particulièrement une de
nos oeuvres, nous pourrons relever une particularité, que l'on pourra discuter
certes, mais qui paraît après réflexion, tout à fait probable. L'Opéra Garnier,
dans son architecture et dans son aura, est un concentré de Paris, et, à la
lumière du chapitre précédent, un concentré de l'être humain.
Expliquons-nous. Nous avons parlé
de Paris et de l'ouvrage de Maxime Du Camp « Paris, sa vie, ses organes et ses
fonctions ». Appliquons cette même théorie à l'opéra Garnier. Si l'on dissèque
le monument, qu'observons-nous ? Sa façade est son sourire, son paraître,
l'image que tout un chacun renvoie de sa personnalité. Sa scène est son
intimité, livrée aux cercles des heureux élus, des amis. Ses couloirs sont ses
vaisseaux sanguins, sa direction est sa tête pensante, son centre nerveux, ses
salles de danses, son coeur qui bat. Les salles des machines sont les multiples
rouages qui lui permettent la vie, ses organes vitaux plus simplement. L'Opéra
a d'un côté la tête dans les étoiles, sur son dôme de zinc, dans la salle de
danse sous ses toits. C'est l'élévation de son âme, c'est le sublime. De
l'autre, l'Opéra a les pieds dans l'eau de ses souterrains. C'est son
inconscient, ce qu'il voudrait bien cacher. C'est l'eau noire de son lac et de
ses cauchemars. Ce sont les caves où furent assassinés les communards. Ce sont
les pulsions que l'on voudrait bien enterrer.
Quoi de plus complet que ce
microcosme purement symbolique ? L'Opéra Garnier a les pieds enracinés dans le
plus profond de la terre quand sa tête va chatouiller les nuages. Inconscient
quasi inaccessible si ce n'est au prix de maints efforts, surmoi difficile à
atteindre, hall d'entrée luxuriant comme un sourire d'accueil et qui dissimule
ces coulisses : l'Opéra a tout d'un être humain. Naturellement disposé à l'art,
ici la danse et la musique dont les notes s'élèvent jusqu'à sa coupole, il a
les pieds dans les sous-sols ténébreux, plongés dans une eau croupie qui a
servi de refuge à bien des légendes. Ne dit-on pas que les contes et légendes
sont les vestiges de l'inconscient collectif ?
Toujours est-il que voilà bien
des contrastes pour un tel monument. Mais n'est-ce pas le reflet même de
l'individu, ni bon, ni méchant, loin de tout manichéisme ? C'est ce qu'entend
exprimer le traité de Nietzsche intitulé « Par-delà bien et mal » : l'âme
humaine est complexe et ne peut se réduire à une simple opposition. Car les
degrés de conscience se mélangent et brouillent les pistes. Or, si les
souterrains de l'Opéra Garnier sont la métaphore de notre inconscient, par
extension, les souterrains de Paris le sont aussi, l'inconscient du
Paris-personne. Et pour cause, « Paris n'est-ce pas le cerveau qui pense, qui
délibère, qui agit ? [...] la province suivra Paris. ». Mieux encore, les souterrains
de Paris sont la métaphore de l'inconscient de la France entière... et pourquoi
pas, même, du monde entier, puisque Paris concentre l'humanité ? « Paris est
un, pour cette raison qu'il est le diminutif, le résumé, la réduction complète
et rigoureusement exacte du monde, et que le monde est un. Il n'y a en cet
univers de parfaitement UN que le monde et Paris. »85(*). Si Paul Féval le
dit...
Et Louis-Sébastien Mercier de
renchérir : « Paris est un gouffre où se fond l'espèce humaine. », car, selon
lui, on « peut parvenir à la connaissance entière du genre humain, en étudiant
les individus qui fourmillent dans cette immense capitale. »86(*). On trouve de
tout à Paris, Paris la gigantesque, « la ville [qui] écrase les personnages.
Elle les enfonce. Jusqu'à des profondeurs sans nom. Jusqu'au plus profond
d'elle-même, là-bas en bas : au trente-sixième dessous. Elle y entraîne les
plus faibles. Elle les ensevelit. Alors se révèle toute l'ampleur du piège. Le
trou, la fosse. Car elle n'est pas lisse, cette ville. Elle est creusée. On y
descend, on s'y débat, on peut s'y enterrer irrémédiablement. »87(*). Voilà
donc l'intérêt profond, et c'est le cas de le dire, d'avoir choisi le
souterrain urbain pour cette étude. Voilà comment, en partant d'une
restriction, nous parvenons à un résultat plus exhaustif.
b) Le souterrain ou
l'inconscient
Mais qu'est-ce que l'inconscient,
cette chose qui fait peur, qui surgit parfois, que l'on essaye d'enfouir, qu'on
aimerait que ça n'existe pas mais qui demeure pourtant, bien réelle ?
Cette idée d'une fracture et d'une multiplicité du moi a commencé justement à
poindre au alentour des années 1860. Ainsi se questionne, en 1862, Wilkie
Colins dans son roman Non Name : « Existe-il, avec
d'infinies variations pour chaque individu, des forces innées du Bien et du mal
en nous tous, des forces situées en profondeur, hors d'atteinte de
l'encouragement des mortels, et de la censure des mortels - le bien caché et le
mal caché, tous deux pareillement à la merci de l'occasion libératrice et de la
tentation assez forte ? » Et si l'on reprend la formule de Patrick
Wotling, « loin d'être l'essence de l'homme, la conscience n'est qu'un
phénomène de surface »88(*),
le parallèle entre Paris-conscience et Souterrains-subconscient est tout à fait
plausible : l'inconscient, c'est bien cette « pensée du sous-sol »
au sens propre comme au sens figuré.
Le souterrain est donc la
métaphore de notre inconscient. Mais c'est d'abord le refuge primaire, le
ventre de la mère. C'est l'endroit sécurisé, sécurisant, coupé du monde
extérieur où nulle menace ne semble pouvoir pénétrer. La symbolique de la terre
comme élément matriciel est une référence fréquente dans la mythologie ou dans
l'inconscient collectif. Gaïa, déesse de la terre, première déesse de la genèse
gréco-romaine, n'est-elle pas la mère nourricière par excellence, la « Matrice
universelle »89(*) comme
le dit Bachelard ? Le verset d'Isaïe s'adressant aux juifs reflète une fois de
plus cet attachement entre la terre et le concept d'enfantement. « Rappelez
dans votre esprit cette roche dont vous avez été taillés et cette citerne
profonde d'où vous avez été tirés. » (LI, 1).
Or, qui dit souterrain dit dans
la terre, donc, dans le ventre de cette mère universelle. Il est intéressant à
ce sujet de relever les allusions peu vraisemblables à l'atmosphère de ces
souterrains. Chez Joseph Méry, le sol des catacombes « est argileux,
gluant, humide. »90(*).
Chez Elie Berthet, l'entrée des souterrains est représentée comme « un
trou sombre d'où s'échappait un air tiède, humide, nauséabond.»91(*) .
Curieuse référence quand on sait que la température des catacombes oscille
entre 15 et 18°C.
Ces citations dénotent
l'ambivalence des souterrains : sombres, inconnus, ils font peur. Mais
coupé du monde, ils attirent et offrent l'assurance d'une sécurité quasi
inviolable, comme dans le ventre de la mère. « La sécurité, pour
certaines familles, n'existait qu'à cent pieds sous la surface du sol ;
par exemple, les troubles religieux ont fait creuser plus de souterrains qu'ils
n'ont fait bâtir de maisons. »92(*)
Tel fut le cas des Huguenots pendant la Saint-Barthélemy. L'exploration du
souterrain peut donc en quelque sorte être considéré comme la recherche du
paradis perdu de la petite enfance. On notera ainsi le besoin quasi primitif
des personnages à s'y construire un « nid », un refuge pour échapper
aux recherches de l'extérieur, alors blottis dans ce qu'ils projètent comme le
giron maternel. Bachelard donne une explication très claire à ce sujet :
« passé un certain seuil de mystère et d'effroi, le rêveur entré
dans la caverne sent qu'il pourrait vivre là. Qu'on y séjourne quelques minutes
et déjà l'imagination emménage. Elle voit la place du foyer entre deux gros
rochers, le recoin pour le lit de fougères... »93(*).
Il serait intéressant, à la
lumière de cette citation, d'éclairer les textes de Joseph Méry, Salons et
souterrains de Paris, de Gaston Leroux, Le fantôme de l'Opéra, et
enfin, Les Drames des catacombes de Pierre Zaconne. En effet, dans
chacun de ces ouvrages, on peut remarquer que les protagonistes installent leur
habitation dans les souterrains de Paris (à la différence par exemple du roi
mystère qui, s'il aménage effectivement une parcelle des catacombes de Paris,
ne fait des anciennes carrières que son lieu de travail, et n'y séjourne pas
quotidiennement.).
Erik, le fantôme de l'Opéra,
aménage dans les sous-sols du théâtre un vaste palais, mais qui renvoie en
contre partie l'image d'un vraie petit nid douillet qui tranche avec le
sinistre aspect du propriétaire : « Ce lit-bateau, ces chaises d'acajou
ciré, cette commode et ces cuivres, le soin avec lequel ces petits carrés de
dentelle au crochet étaient placés sur le dos des fauteuils, la pendule et de
chaque côté de la cheminée les petits coffrets à l'apparence si inoffensive...
enfin, cette étagère garnie de coquillages, de pelotes rouges pour les
épingles, de bateaux en nacre et d'un énorme oeuf d'autruche... le tout éclairé
discrètement par une lampe à abat-jour posée sur le guéridon... Tout ce
mobilier qui était d'une laideur ménagère touchante, si paisible, si
raisonnable « au fond des caves de l'Opéra », déconcertait
l'imagination plus que toutes les fantasmagories passées. »94(*).
De même, Lecerf de Salons et souterrains de Paris, contraint de se
cacher car passant pour mort, parvient à aménager un espace relativement
coquet, soit : « une chambre, où la lumière des lampes remplaçait
avantageusement le soleil de l'hiver Parisien. L'humidité des murs avait
disparu derrière d'épaisses boiseries. [...] Le sol, très bien parqueté, et
recouvert, en outre, d'un tapis moelleux, n'eût pas déparé la chambre nuptiale
d'une riche héritière, et le plafond, avec son dôme éclatant d'étoffes de
Perse, dissimulait artistement la voûte d'un caveau. »95(*).
Même constat de la part de Rousselin, entrant dans une partie des catacombes
jadis occupée par des révolutionnaires : « A en juger par les
ornements des pierres, plus gracieux, plus coquets, plus capricieux, ce devait
être le boudoir de ces demeures souterraines. Une couchette à peu près
convenable, deux fauteuils, un bahut composaient l'ameublement de cette pièce.
Ce bahut était en vieux bois de chêne sculpté avec un certain goût, mais ne
remontait pas au temps que les voûtes désignaient comme celui de la
construction du souterrain. »96(*).
Enfin, Georges, le bandit des Drames des catacombes, s'est constitué
dans une partie des catacombes « une sorte de salon, meublé avec un
grand luxe, et sur lequel une lampe carcel répandait une douce lumière. »97(*).
Ainsi, les souterrains offrent à
nos personnages un refuge. Or, quels points communs ces personnages
réunissent-ils ? Il s'agit là tous de proscrits, soit par leur laideur
(c'est le cas d'Erik. Son physique disgracieux en fait un être en dehors de
l'espèce humaine, donc de la société), soit par le vice (les règles de la
société rejettent dans les profondeurs Lecerf, Rousselin ou Georges tels qu'ils
sont derrière leur apparence). Le souterrain offre donc un lieu où ces
proscrits trouvent la tranquillité nécessaire pour vaquer à leurs occupations
souvent peu recommandables. C'est une cachette, le seul endroit où ils peuvent
encore évoluer. Bachelard précise bien, et son idée est ici confirmée, que la
grotte reste le lieu « où l'on se résigne à vivre. »98(*),
car elle s'adresse avant tout aux individus en proie à certains maux qui les
empêche de trouver une sécurité ou un réconfort ailleurs. La grotte n'est pas
un choix, mais une nécessité.
Sortir de la caverne signifie
donc une transition, un passage de la vie végétative, à la « vraie »
vie. Si l'on considère le souterrain comme le ventre maternel, de ce fait, le
passage de l'obscurité au grand jour s'assimile à une naissance. Mais l'on peut
considérer que l'être humain a deux naissances. La première, naturelle, qui va
marquer le passage du liquide amniotique à l'air extérieur. La deuxième
naissance est le passage à l'âge adulte, qui s'annonce à la puberté et se
révèle à la fin de l'adolescence. Alors seulement l'individu accède à la
« vraie » vie.
Sortir de la caverne équivaut
donc à une naissance. Mais sortir du labyrinthe correspond à la seconde
naissance. C'est ici que nous allons faire la distinction entre ces deux types
de souterrains : la caverne ou la grotte, et le labyrinthe. Nous verrons
en quoi le souterrain Parisien s'assimile davantage au labyrinthe.
Dans le premier cas, il n'y a pas
d'action puisqu'il n'y a pas de déplacement. La grotte aménagée est l'endroit
du repos, c'est l'endroit du repli. Mais la nuance apparaît au moment où les
issues de cette caverne se ferment. Alors, la notion de sécurité disparaît. Là
débute celle du labyrinthe, où le prisonnier devra chercher lui-même la sortie.
Comme le dit Bachelard, « on veut être protégé, mais on ne veut pas
être enfermé »99(*).
Or, la littérature souterraine va beaucoup exploiter ce thème du
souterrain-labyrinthe, puisque l'enjeu de la séquestration sera une libération,
une émancipation du héros, et donnera lieu à une multitude de péripéties.
« Au lieu des rêveries du repos prennent place des volontés de creuser,
d'aller plus profondément dans la terre. »100(*).
L'individu doit donc chercher une
issue à son état inconfortable, et ainsi, fuir son état végétatif. Cette prise
de conscience marque le début de la quête.
Il serait intéressant d'illustrer
cette transition entre la grotte et le labyrinthe par l'exemple de Victor Hugo,
exemple d'autant plus intéressant qu'il met en relation la quête de l'auteur et
celle de son personnage. Freud a soutenu qu'il existait une parenté entre l'art
et les rêves, autrement dit entre la littérature et l'interprétation que l'on
peut faire des rêves. Ainsi, l'imagination des auteurs est également un moyen
pour leur inconscient de s'exprimer. En cela, le choix du thème d'un livre
n'est donc pas anodin.
L'ouvrage de Charles Baudoin est
représentatif de cette théorie, qui trace un parallèle entre l'évocation dans Les
Misérables du débordement des égouts en 1802 et le fait que 1802 soit
l'année de naissance de l'écrivain. Il insiste ensuite longuement sur
l'exploration du cloaque de 1805 à 1812, années pendant lesquelles Victor Hugo
effectue ses propres recherches sur le mystère des origines. L'exploration des
égouts, c'est l'exploration de la sexualité, la découverte du sexe opposé. Car
entrer dans le souterrain répond à notre « besoin de pénétrer, d'aller
à l'intérieur des choses, l'intérieur des êtres, c'est une séduction de
l'intuition de la chaleur intime. Où l'oeil ne va pas, où la main n'entre pas,
la chaleur s'insinue. »101(*).
C'est donc la curiosité qui nous
pousse à braver notre peur de l'inconnu, et à entamer notre exploration.
Bachelard distingue bien cette ambivalence entre les « grottes d'effroi »
et les « grottes d'émerveillement. » Si cette obscurité
rebute, elle attire inexorablement l'individu. Certains, pour des raisons non
avouables. Ainsi, Joseph Méry rapporte-t-il, à propos du passeur de ses
aqueducs souterrains et imaginaires, qu'« Acharias, comme tant
d'autres, a maintes fois sacrifié au dieu du jour ; l'or fait descendre
dans les canaux souterrains ceux qui n'auraient jamais dû les voir. »102(*)
Car cette curiosité peut avoir de fâcheuses conséquences pour l'équilibre de la
surface. Ou pour les individus qui n'ont pour unique dessein que leur
curiosité. Le chef machiniste du Fantôme de l'Opéra paiera ainsi de sa
vie. Le persan narre ainsi sa triste fin : « Le chef machiniste
avait dû, comme moi, surprendre certain soir Erik au moment où il faisait jouer
la pierre du troisième dessous. Curieux, il avait à son tour tenté le passage
avant que la pierre ne se refermât et il était tombé dans la chambre des
supplices, et il n'en était sorti que pendu. »103(*)
Et le piège est fatal, car la
curiosité est un vilain défaut dans les catacombes. Une fois qu'on y a pénétré,
on ne peut plus en sortir. Et à la sécurité du souterrain se substitue
l'enfermement. « Ce long boyau, droit en blanc, n'avait ni grandeur ni
caractère ; on cherchait un travail de géant et on ne trouvait qu'un trou
de taupe. »104(*)
Le souterrain perd son aspect confortable et devient un univers oppressant.
D'autant plus oppressant que le confinement des lieux est renforcé par le
gigantisme et l'infini de ce qui se cache derrière la pierre visible :
« Le rêveur de la cave sait que les murs de la cave sont des murs
enterrés, des murs à une seule paroi, des murs qui ont toute la terre derrière
eux. Et le drame s'en accroît, et la peur s'exagère. »105(*).
Les souffrances de la séquestration se transforment en claustrophobie.
Ces pareils inconvénients sont
ressentis par le brave Théophraste Longuet et le commissaire Milfroid,
séquestrés par le peuple Talpa. Ce dernier nous fait part de ses inquiétudes en
ces termes : « Je songeai sérieusement à les quitter et je me
proposais d'exécuter mon dessein, quand j'appris par damoiselle de Coucy [...] que
les places publiques avaient décidé de ne nous laisser partir que lorsque les
vingt mille Talpa nous auraient passé les doigts sur le visage, pour que le
peuple talpa fût dégoûté à jamais de tenter de retourner sur le dessus de la
terre dont il est parlé dans les livres sacrés. »106(*).
Thérèse chez Elie Berthet, Marthe chez Pierre Zaconne, le commissaire Jackal
chez Alexandre Dumas ; subiront de pareils séquestrations. Mais cet
enfermement va enclencher un processus nouveau.
Car voilà tout l'intérêt du
labyrinthe souterrain : c'est dans ses méandres que l'individu va débuter
sa quête, et ayant trouvé l'issue, il accédera à un nouveau savoir, à une
nouvelle richesse qui marquera son passage à une vie nouvelle. Comme le dit
Bachelard, « L'imagination ne travaille pas dans la terre comme à la
surface de la terre. Sous terre, tout chemin est tortueux. C'est une loi de
toutes les métaphores du cheminement souterrain. »107(*).
Les cheminements dans les souterrains s'assimilent à ceux de notre inconscient.
Et pour cause, primitivement, la
terre est la matière du mystère, celle que l'on creuse pour en extirper les
trésors. N'est-ce pas Reynaut, le malheureux torturé des Drames des
catacombes qui y enfouie son trésor : « au pied de l'escalier,
à gauche ; tu gratteras la terre, tu verras une trappe, et c'est là ! »108(*).
De même, Lecerf, qui « avait gagné vingt-huit mille francs la première
nuit de ses noces », est « impatient d'ensevelir tout cet or dans
la cave la plus discrète du château »109(*).
Victor Hugo aurait ainsi, selon
une théorie de Charles Baudoin, un « complexe » anal qui lui ferait
associer les excréments à de l'or : « Si notre or est fumier, en
revanche, notre fumier est or. »110(*).Victor
Hugo intègre ainsi dans Les Misérables un long développement sur la
possibilité de recycler la boue des égouts comme engrais, idée qu'expose
également Maxime Du Camp. L'idée qu'il faut en retenir est que la terre recèle
des richesses, et que le souterrain, à l'instar de la mine, permet cette
extraction. Par extension, il faut donc en déduire que notre inconscient qui
est représenté par le souterrain est lui aussi source de richesses.
Voilà qui peut intéresser les
héros de nos histoires, qui tous, sont confrontés aux difficultés du souterrain
labyrinthique. Car si un séjour sous la capitale n'est pas une partie de
plaisir, c'est qu'en contrepartie, justement, il y a un enjeu, un
enrichissement à la clef. L'enrichissement ici n'est plus matériel, mais
personnel. Alexandre Dumas utilise la métaphore du souterrain pour illustrer
l'état psychique des personnages. « Vous savez ce qui arrive au
voyageur perdu dans les catacombes, au voyageur qui, écrasé de fatigue, assis
sur une pierre creuse, sur un ancien tombeau, le front couvert de sueur,
regarde et écoute avec angoisse s'il ne verra pas une lumière, s'il n'entendra
pas un bruit : il entrevoit une lueur, il perçoit un son, il se lève :
"peut-être!" dit-il. Il en était ainsi de Pétrus : il venait de voir
briller une lueur dans le souterrain sombre. »111(*)
Prenons le cas de Philippe de
Lussan, qui est sans doute le plus représentatif de ce parcours initiatique.
Amoureux de Thérèse, Philippe voit sa promise enlevée par un monstre
souterrain, le dénommé Médard. Confronté à ce faux dilemme qui est d'allé
chercher sa promise ou non, Philippe s'engouffre dans les souterrains qui se
révèlent être bientôt semés d'embûches. Car la quête n'est pas évidente :
on ne parvient pas ainsi à cette « virilité » qui transforme le petit
garçon en un homme. « Le but suprême ne s'atteint que par l'effort
humain, une volonté tenace. »112(*).
Ce n'est qu'après ces souffrances nécessaires que « l'homme alors
conscient, en sortira transfiguré ; il sera un autre être, un initié. »113(*).
Devant ces souterrains, le
constat est irrémédiable : « même aspect, même multiplicité de
routes qui se croisaient sans cesse. »114(*).
« Les obstacles et les difficultés se multiplient d'une façon vraiment
décourageante. »115(*).
Or, cette épreuve, il ne peut qu'être seul à l'affronter. Philippe en a bien
conscience, qui déclare au petit abbé : « Si maintenant tu voulais
revenir en arrière, je serais capable d'aller seul. C'est un défi que je me
suis jeté à moi-même ! »116(*).
Certes, l'abbé de Chavigny continue à l'escorter. Mais qui est-il, sinon la
part enfantine de Philippe de Lussan ? La littérature a souvent flanqué
ses héros principaux d'un personnage secondaire, souvent léger, une sorte de
fou du roi. Ces deux personnages sont pour autant inséparables, et pour
cause : ils sont la même personne, dont les deux personnalités se
retrouvent séparées pour une meilleure lisibilité. Une fois réunifié, le héros
de l'histoire devient, à la fin de son périple, un héros à part entière. Sa
part enfantine, ayant bravé elle aussi les dangers, accède au monde des
adultes. Comme le dit Jean-Pierre Bayard, « en descendant aux enfers,
dans le feu qui ne brûle que les méchants, l'homme prouve sa vraie
nature ; purifié il sort grandi de cette épreuve »117(*).
Mais l'aboutissement de
l'initiation intervient sans doute au moment où Philippe de Lussan tue Médard.
La remarque qui échappe à Philippe jette une lumière nouvelle sur les liens qui
le rapprochait du sauvage. « C'était un monstre de férocité !
murmura-t-il ; pourtant il n'y avait peut-être qu'un homme au monde qui
aurait dû épargner sa vie ! et cet homme c'était moi... »118(*).
Philippe lui devait la vie, Médard l'ayant sauvé une multitude de fois. Doit-on
y voir une figure du père, qui expliquerait en quoi Philippe était le seul
« au monde qui aurait dû épargner sa vie » ? Ou bien
l'étouffement des caprices enfantins incarnés par le personnage de
Médard ? Toujours est-il que par cet acte, son mariage avec la jeune
Thérèse devient possible. Philippe entre dans la nouvelle vie. Seulement alors,
l'épilogue nous raconte que « dès le lendemain de ce jour, une armée
d'ouvriers et d'ingénieurs habiles s'emparait de ces carrières redoutables, qui
ne devaient plus avoir de mystère désormais et allaient devenir les
Catacombes. »119(*).
Les souterrains défrichés, il n'y a plus de secrets, de peurs puisque la
lumière est apparue.
Ce thème du jeune homme qui
descend dans les souterrains y chercher sa promise est un thème récurrent de
nos littératures. Dans Les Drames des catacombes, Henri va affronter les
labyrinthes avec une étonnante facilité qui fait s'interroger
Georges « par quel instinct avait-il pu se guider au milieu des
complications de cet inextricable réseau ? »120(*)
L'instinct, ou plutôt, le désir de retrouver Marthe, évidemment.
Raoul de Chagny va lui aussi tout
faire pour affronter les souterrains et le monstre de l'Opéra Garnier qui les
peuple, afin de retrouver la belle Christine Daaé. « Il lui semblait
entendre les cris de la jeune fille à travers ces planches fragiles qui le
séparaient d'elle ! Il se penchait, il écoutait !... Il errait sur le
plateau comme un insensé. Ah ! Descendre ! descendre ! descendre !
dans ce puits de ténèbres dont toutes 121(*)les
issues lui sont fermées ! » Le souterrain est ce lieu du
retour à l'état zéro. On se met à nu devant ses peurs, ses doutes, et on part
en exploration afin d'acquérir ce qui nous faisait tant défaut. On dit bien
qu'il faut toucher le fond pour pouvoir rebondir...
Pour Jean Valjean, la quête est
quelque peu différente. Il s'agit davantage d'une quête religieuse. Il y a,
dans le parcours de Jean Valjean, une volonté d'échapper à la boue du cloaque.
On aura noté là-dessus la récurrence des références négatives et de
l'assimilation du souterrain à la saleté tout au long des oeuvres étudiées.
Mais nous y reviendrons ultérieurement.
Il serait intéressant, pour clore
ce passage sur la quête, de noter la configuration des escaliers qui donnent
accès à ces souterrains. « On descendait en tournoyant dans un
abîme. »122(*).
L'escalier est tantôt « un escalier à spirale dont les marches étaient
presque détruites par l'infiltration des eaux. »123(*),
tantôt un « escalier noir et tortueux [qui] semblait descendre dans un
abîme. »124(*),
tantôt « un escalier tournant et roide.» 125(*).
La spirale est une figure
symbolique, qui signifiera dans un premier temps un mouvement de pénétration.
La spirale creuse le roc, creuse la terre. L'escalier en spirale creuse le sol
jusqu'aux catacombes, et, tel une foreuse de mineur, sert d'outils aux héros de
nos histoires. La spirale, c'est aussi le cercle infini, la « gidouille »
du père Ubu qui matérialise sa soif de pouvoir, de jouissance exacerbée. Le
père Ubu est en quelque sorte un personnage du souterrain, qui réagit aux
exigences de son ça. La spirale de l'escalier reprend ainsi cette image, et
confère l'idée d'une profondeur titanesque, presque infinie si l'on peut
s'exprimer ainsi. Effectivement, le ça n'a pas de frontières matérielles, et le
meilleur moyen de l'atteindre est sans doute encore de se laisser littéralement
entraîner dans des gouffres sans fond.
Ainsi, comme le dit Bachelard, le
souterrain est l'occasion d'une émancipation de soi. Le souterrain lui apparaît
comme « le berceau des premières industries. [...] Il faut savoir
rentrer dans l'ombre pour avoir la force de faire notre oeuvre. »126(*).
De la force, et du courage. Car écrire sur le souterrain, c'est un risque pris
par l'auteur d'enliser son récit dans des digressions fétides. « La vie
réelle dans les labyrinthes des mines est souvent décrite comme une vie sale.
Elle s'expose comme le courage d'être sale. »127(*).
Se donner le droit d'être sale, c'est donc affronter les interdits sociaux,
faire une révolution en soi. N'est-ce pas ici aussi, une émancipation ? Si
l'on confronte la littérature à la philosophie, on observe la même démarche du
côté de chez Nietzsche qui reprochait « à la psychologie traditionnelle
de ne pas s'être hasardée dans les profondeurs »128(*).
A sa manière, il est aussi un courageux explorateur. « Jamais un monde
de connaissances plus profondes ne s'est ouvert à la hardiesse des
navigateurs et des aventuriers. » déclare-t-il dans Par-delà le
bien et le mal.
Car le souterrain va être la
représentation physique de notre inconscient. Or, l'inconscient est le refuge
du ça, cet ensemble de pulsions d'ordre sexuel, agressives, instinctives,
refoulées. Le souterrain, par extension, va devenir le lieu de l'immonde, de
l'enfouissement, qui dégénère et corrompt. « Le thème du souterrain
convoque les peurs liées à l'étouffement, à l'écrasement, tout autant que
celles qui se rattachent aux pires dangers inconnus. Le souterrain
rassemble toutes les terreurs. On y manque de lumière, et d'air. On s'y débat
dans une atmosphère lourde, viciée, malsaine. On s'y sent écrasé, on y est
perdu. Pas d'issue, pas de débouchés, pas de fin. Cet espace clos tient du
cloître et de la tombe. Les désirs s'y enterrent et l'angoisse y règne. C'est
un monde de cauchemars. »129(*).
Les références à l'insalubrité des souterrains sont récurrentes, qui vont
donner l'impression de puanteur. « L'air devenait lourd et chaud ;
la flamme des bougies pâlissait dans cette atmosphère chargée de gaz
méphitiques et il s'en exhalait une fumée fétide qui restait suspendue, sans se
déformer, au ciel de la galerie. »130(*),
ces galeries, ou ces « longs couloirs, où l'air manquait aux poumons.»131(*).
Quant à Jean Valjean, il va sans
dire que son passage dans le souterrain est marqué par le même sceau. « Une
bouffée de fétidité l'avertit du lieu où il était. »132(*).
Evidemment il vient de tomber dans les égouts, dont la représentation va
inspirer tous les souterrains. Mais qu'est-ce qui inspire les égouts ? Le
ça, tout simplement.
Il n'est donc pas étonnant de
rencontrer dans les souterrains de notre littérature toute une série de
personnages peu recommandables. Nous avons étudié dans notre chapitre précédent
cette galerie de portraits : sociétés secrètes, voleurs, contrebandiers,
galériens y formaient la plupart des figures. Pas étonnant pour autant que
leurs activités se déroulent dans les profondeurs de la terre, à l'abri des
regards, à l'abri de l'oeil des Lumières, celui que l'on voit représenté en
tête de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ici encore, on
retrouve cette séparation entre ombre et lumière, mais au sens figuré. Dans les
souterrains, nul ne répond aux exigences de sa raison, de son surmoi, en
quelque sorte. Mais la faune souterraine écoute les désirs du ça, les pulsions
agressives qui gravitent autour du plaisir égoïste de chacun. Le souterrain,
« c'est là que dans des refuges secrets impénétrables à l'oeil de
curieux, on ourdit des intrigues, on tend des pièges, on ébauche des vices, on
prépare des forfaits ; c'est là que l'hypocrisie se venge des contraintes
du jour, par un abandon déplorable à des voluptés criminelles ; que des
pères vont oublier les leçons de sagesse qu'ils donnent à leurs fils, que des
seigneurs se dégradent dans le sein de la débauche ; qu'on avise aux
moyens d'escroquer un marchand, de subtiliser un créancier, de faire son
patrimoine de l'existence d'autrui, ; qu'on fabrique de fausses lettres de
change, qu'on médite des divorces, qu'on prépare enfin des morts tragiques »133(*).
Il est donc normal que la police,
symbole de l'autorité, le surmoi donc, aux antipodes du ça, n'ait pas accès aux
souterrains. Rousselin avoue ainsi à son compagnon de catacombes : « Je
ne veux pas être pris une belle nuit dans mon lit par quelque fantôme policier
qui fera un trou dans ce mur. A Paris, la police sait tout ; elle
connaît tous les souterrains ; elle sait que ce sont des lieux d'asile
pour les proscrits de la justice. [...] c'est une erreur, interrompit Grégoire
avec timidité, vous faites trop d'honneur à la sagacité de la police. »134(*).
Comme nous l'avons vu précédemment, la loi des souterrains est une loi
instinctive, centrée sur l'intérêt de chacun. Rousselin a conscience de cette
prédominance du ça sur le surmoi dans les souterrains, qui livre l'individu aux
angoisses de ses propres pulsions finalement. « J'admets que la police
ne se mêle pas du dessous, et qu'elle surveille même très mal le dessus ;
mais ces certaines gens dont tu parles, ces certaines gens qui font profit de
cette surveillance incomplète, sont plus à craindre pour moi que la police. Ces
souterrains, où tu m'as fait réfugier, ont des habitants. »135(*).
Qui sont ces habitants, si ce n'est nos propres fantômes, cette autre
personnalité que nous tentons d'enfouir, et qui fait de nous des docteur Jekyll
et mister Hyde en puissance ? Comme le dit Bachelard, « Nous
sommes des êtres profonds. Nous nous cachons sous des surfaces, sous des
apparences, sous des masques, mais nous ne sommes pas seulement cachés aux
autres, nous sommes cachés à nous-mêmes. Et la profondeur est en nous, dans le
style de Jean Wahl, une trans-descendance. »136(*).
Cette séparation entre le
souterrain et la surface, entre le ça et le surmoi se retrouve fidèlement dans Les
Misérables. « Les Misérables est une géographie des instincts, une
distribution topographique de l'âme-multiplicité de Paris. » Et pour
cause, nous avons dépeints les différents passages d'une strate à l'autre de
l'âme humaine. Jean Valjean est ainsi « l'expression même de la
hiérarchisation des pulsions. »137(*).
Ayant volé, il parvient à l'élévation de l'âme la plus suprême. Puis, « père,
la petite Cosette à la main, il erre dans les « labyrinthes » de
Paris et de l'histoire. ». Depuis la boue des égouts dans laquelle il
s'enlise, il parvient à s'élever jusqu'au sublime. Victor Hugo le dit lui-même :
« Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, c'est [...] la
marche du mal au bien, de l'injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au
jour, de l'appétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité
au devoir, de l'enfer au ciel, du néant à Dieu. Point de départ : la matière;
point d'arrivée : l'âme. »138(*).
Comme l'explique bien Jean-Pierre Bayard, « pour que l'âme gagne la
béatitude éternelle, pour pouvoir dépasser sa propre nature, il faut retourner
aux origines, il faut descendre dans les entrailles terrestres. [...] il faut
descendre lucidement dans le puits à degrés, retrouver ses états successifs».
Jean Valjean se retrouve ainsi quasi noyé dans la fange. Il n'a que le visage
hors de l'eau et ses forces sont à bout. Mais, grâce à son dévouement mis en
exergue par son état critique, que Jean-Pierre Bayard nomme la « mort
initiatique », Jean-Valjean va pouvoir toucher le sublime. Alors, « l'élu
y puise la force ascensionnelle qui lui permet de gagner le ciel. »139(*).
Malgré l'obscurité du souterrain, il en ressort avec « l'âme pleine
d'une étrange clarté. »140(*)
2) Paris ombre et Paris
lumière
Paris a deux dimensions : une
matérielle, et une immatérielle. D'un côté, nous connaissons le Paris physique,
ses vieilles pierres, ses monuments, sa géographie, ses organes, en bref, tous
ces éléments qui font de Paris, une ville vivante, et qui plus est la capitale.
Mais il y a également le Paris immatériel, en quelque sorte, spirituel. C'est à
ce Paris là que nous devons son rayonnement sur les autres villes, et même à
l'étranger.
S'opposent ainsi en quelque sorte
ce Paris fait de pierres, de boue, d'hommes, ce Paris qui ne cesse de se
transformer au gré du temps, de la vie, à ce Paris immuable, impalpable, fait
d'esprit, d'émotions qui fait dire aux amoureux de la capitale : « Paris
sera toujours Paris ». Paris mortel et Paris immortel. Ville lumière,
mais également la ville des ténèbres.
Comme dans Les Misérables,
comme chez l'être humain, Paris connaît la même dualité. Le souterrain de Paris
existe par son inverse, et toute la représentation de son univers est
intimement liée avec les événements de la surface. L'inversion semble alors
systématique. Si Paris est blanc, le souterrain sera noir. Si Paris est fleuri,
ses souterrains seront fanés : une inversion qui respectera cependant
toujours le même ordre. Le négatif en bas, le positif en haut. Ainsi,
l'opposition la plus frappante quand on parle des catacombes, c'est évidemment
la mort souterraine à la vie en surface.
La mort et la vie :
Etrange ville que Paris, qui,
jusqu'à la fin du 18ème siècle, accueillait encore en son sein les
cimetières nauséabonds qui ont fait une triste renommée au climat de la
capitale. Paris a donc toujours côtoyé le pays des morts. Une fois les ossements
déménagés, ce n'est pas à l'extérieur de Paris qu'ils ont été déposés, mais
dans les catacombes, dans ses propres souterrains. Les personnages croisent à
de nombreuses reprises les ossements au cours de leurs pérégrinations. « Tout
autour de cette salle, un parement régulier fait d'ossements humains, sur
lequel se dessinent trois cordons horizontaux de crânes avec leurs dents
déchaussées et les trous béants de leurs yeux.»141(*).
Chez Elie Berthet, les trois héros se retrouvent dans les catacombes où un
paysage similaire les attend. « A droite et à gauche s'alignaient, dans
un bel ordre symétrique, des assises d'ossements humains dont la teinte
noirâtre annonçait la vétusté. Cette lugubre décoration se laissait voir
encore à l'extrême lueur de la lampe, par des carrefours infernaux, sous des
voûtes de galeries, qui paraissaient devoir prolonger à l'infini le double
soubassement de la mort. »142(*).
Le thème de la mort ne se limite
pas cependant aux seules catacombes. Le souterrain par définition est le lieu
de l'enfouissement. Et on enterre bien les morts. De ce fait, les habitants des
sous-sols sont assimilés à des morts vivants. Nous avons étudié la galerie de
portraits surnaturels au 1er chapitre et nous n'y reviendrons pas.
Nous évoquerons seulement l'aménagement de la chambre d'Erik vu par l'oeil de
Christine Daaé. « Il me sembla que je pénétrais dans une chambre
mortuaire. Les murs en étaient tout tendus de noir, mais à la place des larmes
blanches qui complètent à l'ordinaire ce funèbre ornement, on voyait sur une
énorme portée de musique, les notes répétées du Dies irae. Au milieu de cette
chambre, il y avait un dais où pendaient des rideaux de brocatelle rouge et,
sous ce dais, un cercueil ouvert. »143(*).
Curieux aménagement mais qui correspond à l'image que l'on se donnerait d'un
caveau. Le champ sémantique des funérailles recoupe effectivement celui des
souterrains, ces deux entités partageant certains points communs : chez
Alexandre Dumas, quand les carbonari mènent le commissaire Jackal à travers les
catacombes, « le silence absolu de ses conducteurs faisaient de cette
marche une marche funèbre »144(*).
Si la caverne est la première
demeure, elle est aussi la dernière. Résider dans la caverne, c'est donc
végéter. « Sortir de la caverne, c'est naître, c'est se réveiller
au grand jour. »145(*).
Bachelard assimile ainsi le séjour dans la caverne à un état de sommeil ou de
« mort vivante. ». La grotte devient un monde construit « dans
la plus foncière des ambivalences, l'ambivalence de la vie et de la mort. »146(*).
Car la caverne possède effectivement une triple fonction, qui suit l'homme d'un
bout à l'autre de sa vie : « L'homme se régénère dans le ventre de
la terre. Il naît dans la caverne et y accomplit son dernier sommeil. »147(*)
De ce fait, comme l'indique le
titre de l'ouvrage de Bachelard, la terre devient le lieu de l'engourdissement,
d'une demi-mort pour les vivants. « Le héros enseveli vit dans les
entrailles de la Terre, d'une vie lente, ensommeillée, mais éternelle. »148(*).
Le labyrinthe étant également
celui de l'inconscient, va devenir le lieu du rêve. Or, il n'y a pas de rêves
labyrinthiques rapides, tout empêtrés de méandres, de trappes, de recoins. De
même, le cauchemar se fige jusqu'à donner au rêveur le temps des pierres. Selon
Bachelard, « le labyrinthe de pierres pétrifie le labyrinthe. Le labyrinthe
intègre non seulement l'esprit du rêveur, mais lui fait également porter sa
matière. »149(*).
Ainsi, il est dit qu'« à la cave remuent des êtres plus lents, moins
trottinant, plus mystérieux. »150(*).
Comme plongé dans une sorte
d'hibernation, l'être est ainsi protégé du dehors, du monde du travail dont il
ne perçoit que les échos.
Paris n'a que faire de ses morts.
Comme le dit Maxime Du Camp dans son Tableau de Paris, « les
Parisiens, en grande partie, ignorent tous des MYSTÈRES NOCTURNES qui se
passent dans le sein de leur ville ; ils ne sont occupés que du tableau
riant de leur vie, sans chercher à lever les crêpes sanglants qui leur dérobent
l'empire actif de la mort. ». Car Paris est une femme futile, une
femme de théâtre, une femme du monde, à l'instar d'Augusta, la maîtresse de
Lecerf, comédienne de métier, qui refuse de s'« enterrer vive comme une
Vestale... ». En effet, il lui faut : « le
boulevard, la foule, le bruit, l'enivrement, les chevaux, le théâtre, le
restaurant, la table, le bas, les visites, les amoureux, les artistes, les
coulisses, le soleil, les bougies, les parfums, tout ce qui nous emporte dans
le tourbillon d'or et de soie, et nous fait vivre dans l'extase, et nous
étourdit sur la pensée de la mort ! »151(*).
La vie au dessus, la mort en dessous, voilà qui est dit. Comme on a pu le voir,
la représentation de Paris dans la littérature donnerait presque le vertige.
Maxime Du Camp écrit ainsi sur Paris : « Je n'ai vu aucune ville
produire une impression aussi énorme que Paris et donner aussi nettement l'idée
d'un peuple infatigable, nerveux, vivant avec une égale activité sous la
lumière du soleil, sous la clarté du gaz, haletant pour ses plaisirs, pour ses
affaires, et doué du mouvement perpétuel. » 152(*)
L'organisation de la fourmilière semble d'ailleurs réglée à la minute. « Du
sommet à la base, la ruche bourdonne; la foule monte et descend les escaliers;
des agents de police veillent à la circulation. De 10h du matin à 4h du soir,
l'hôtel de ville a la fièvre : c'est le symbole et la représentation de Paris. »153(*).
Là où Maxime Du Camp ne voit qu'une gigantesque organisation réglée
minutieusement, Louis-Sébastien Mercier n'y voit qu'un « amas bizarres
de coutumes folles ou raisonnables, mais toujours changeantes», une
« grandeur illimitée », des « richesses monstrueuses »,
et un « luxe scandaleux »154(*).
Par effet d'inversion, c'est
l'effervescence de Paris qui façonne celle de ses habitants et non l'inverse.
Car c'est le milieu qui façonne les personnages. Paris, en cela, est à même de
créer un type d'homme bien particulier, dynamique, actif, à l'image de ses
rues. Nous avons déjà vu que Balzac opposait la suractivité de Paris à la
torpeur provinciale dans son roman Béatrix. Ici aussi, l'usage de Paris
comme référent a tout lieu d'être. L'engourdissement des souterrains n'est-il
pas mis en valeur par la suractivité du dessus ? Tel est l'intérêt d'avoir
situé les souterrains de la littérature sous la ville de Paris. Sur les
boulevards Parisiens, nous sommes loin de la description de Rousselin cherchant
« le mur à tâtons »155(*),
ou de Jean Valjean, qui avance « un bras, puis l'autre », puis
« un pied avec précaution ».156(*)
Cette dualité semble ainsi
nécessaire dirons-nous à la « brillance » de Paris : autant le
sous-sol est synonyme pour tous d'immonde, de chaos, où il n'y a ni décence, ni
hygiène, ni confort, ni morale. En bref, pour reprendre une terminologie
adoptée par Dostoïevski après son roman "Le Sous sol", le
souterrain est un non-monde voué à la saleté et à l'inavouable. On retrouve
dans ce terme de non-monde, le titre de l'ouvrage de José Augusto Correa, Paris
lumière-Paris Ténèbres (oui et non). Il existe donc, à l'antithèse de ce
Paris-non, un Paris-oui. Or, cette partie sombre de Paris est le nécessaire
révélateur du Paris qui a besoin de cette obscurité pour briller davantage.
Paris a donc deux facettes. Mais Paris n'est qu'un : « impossible
donc d'imaginer que la ville du dessous puisse être différente de celle du
dessus. Il s'agit du même univers. La ville à l'envers est donc en fait une
ville inversée : les dessous de la ville montrent « le reflet
pervers de (l')univers » de la ville du dessus. La seule
différence entre les deux niveaux de la réalité urbaine tient alors à ceci que
la ville de la surface - précisément parce qu'elle est superficielle - est
soumise aux apparences, tandis que la ville du dessous - précisément parce
qu'elle est secrète et obscure - échappe aux illusions du paraître. »157(*).
En cela, les deux univers sont inséparables.
La puissance d'un côté, les vides
de l'autre. Chose étrange pourrons-nous penser, que Paris fasse reposer sa
magnificence sur ce néant que sont ses souterrains. « Que de matière à
réflexions, en considérant cette grande ville formée, soutenue par des moyens
absolument contraires Ces tours, ces clochers, ces voûtes des temples,
autant de signes qui disent à l'oeil : ce que nous voyons en l'air
manque sous nos pieds. »158(*)
Cela n'empêche pas pour autant
Paris la magnifique de feindre d'ignorer l'existence de ses souterrains. Mais
on ne peut ainsi perpétuellement nier l'évidence. La démesure de Paris, Balzac
la dépeint très exactement dans Les Illusions perdues : « A
Paris, les masses s'emparent tout d'abord de l'attention : le luxe des
boutiques, la hauteur des maisons, l'affluence des voitures, les constantes
oppositions que présentent un extrême luxe et une extrême misère saisissent avant
tout. » 159(*)
Misère ? C'est effectivement
au 19ème siècle qu'une conscience sociale va commencer à émerger. Et
pour cause, les classes se creusent, créant un outrageux décalage. Le luxe
avoisine la misère, le labeur côtoie l'oisiveté, le monde de la domesticité et
de la prostitution sert, en quelque sorte, de transition. Dans ses lettres à
Frédéric II, Voltaire résume l'opinion contemporaine : « Paris est
comme la statue de Nabuchodonosor en partie or, en partie fange »,
c'est « un assemblage de palais et de masures, de magnificence et de
misères, de beautés admirables et de défauts dégoûtants ». Plus la
ville s'accroît, plus les écarts se creusent. Ce qui semble scandaliser Georges
Sand : « il y a donc au sein de Paris une société libre et
heureuse d'un certain bonheur sans idéal, réduite à la jouissance de la
sensation. On appelle ça le monde. Que dis-tu de ce nom ambitieux et
outrecuidant [...] ? [...] Il existe une petite caste qui a donné à ses
frivoles réunions, à ses fêtes sans grandeur et sans symbole, le nom de
monde, et dont chaque individu dit, en montant dans sa voiture pour aller
parader parmi quelques groupes d'oisifs pressés dans certains salons de la
grande ville de travail et de misère : je vais dans le monde : je vois le
monde, je suis homme du monde. [...] Et je me demandais, en regardant ces
riches décorations, ces tables et ces buffets, ce que le fournisseur avait volé
au consommateur et au producteur pour produire toutes ces merveilles; et il me
semblait voir mêlés ensemble dans une sorte de cave, situés sous les pieds des
danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle après s'être
ruinés, et ceux des prolétaires qui sont morts de faim à la peine d'amuser ces
riches en démence. »160(*) .
Cette vision d'une cave imaginaire n'est pas isolée. Il y a effectivement, chez
les auteurs, une tendance à faire ressurgir l'univers souterrain à la surface.
C'est pourquoi, des quartiers entiers, vont emprunter les caractéristiques du
souterrain : population hideuse, géographie tortueuse, obscurité,
insalubrité, délinquance : Paris est alors envahie par ses souterrains.
b) Quand le souterrain sort de
terre.
Les quartiers
« souterrains » de Paris :
Ainsi peut-on dire que les
dessous de Paris sont souterrains aussi bien au sens physique que moral. La
vision de Jules Janin vient achever ce sinistre tableau : « les
classes dangereuses sont aussi enfouies sous la société. [...] Ces
races nocturnes (...) vivent, si c'est là vivre, couchées sous les fondements
de cet incroyable Paris, qui est le centre du monde et la tête de la
civilisation : elles sont là comme les ruines vivantes de la barbarie
écroulée, comme les derniers représentants du passé de l'humanité à
terre ; elles sont là plus ensevelies que les morts, car elles ont sur la
tête pour linceul l'oubli des hommes et la malédiction de la ville ».
Ces habitants, ces pauvres, ces délinquants, ces misérables semblent tellement
plongés dans la boue qu'ils y disparaissent, vivotant dans cet entre-deux dans
lequel les a plongés les littérateurs. Ce sont « les petits, les
pauvres gens, les malheureux quoi ! On les met dans le bas, où il y a de
la boue jusqu'aux genoux, dans les trous, dans l'humidité. »161(*)
Intéressons-nous tout d'abord à
la configuration de Paris. La capitale n'est pas un paysage anodin, et Paris
est ordonné selon des critères tacites : les quartiers bourgeois sont
rectilignes, propres, éclairés, paisibles. Les quartiers populaires sont quant
à eux sordides, sombres, tortueux, labyrinthiques, truffés d'impasses, à
l'instar des catacombes qui reprennent quasiment le même schéma. On peut ainsi
dire que les bas quartiers sont le calque des souterrains, dont il adopte la
même typologie, ou du moins dans les années qui précèdent les grands travaux du
baron Haussmann sous Napoléon III. Joseph Méry écrit ainsi dans Salons et
souterrains de Paris : « En rôdant autour de ce qui reste de
cette abbaye qui jadis fut la plus riche et la plus belle de France, Lecerf et
Maurice Aubugny remarquèrent dans les rues Palatine, Bourbon-le-Château, etc.,
etc., des maisons sombres, enfumées, décrépites et qui ressemblaient
elles-mêmes à des souterrains.»162(*).
Auparavant, on trouve ainsi dans la littérature, les références à ce Paris
dédalique. Pour Pierre-Jean Dufief, « Balzac est l'observateur d'un
Paris ancien, intimiste, celui de la Restauration; il évoque les quartiers
centraux au plan labyrinthique avec leurs vieilles maisons, leurs rues
étroites. »163(*).
On peut lire également chez Maxime Ducamp l'évocation du « dédale
immense » des rues de Paris dans lesquelles le numérotage des maisons
est un « fil d'Ariane à la portée de tous»164(*)
où la « population étouffait dans les ruelles putrides, étroites,
enchevêtrées où elle était forcément parquée. »165(*)
C'est encore chez Louis-Sébastien Mercier, cette interrogation
rhétorique : « où trouver en effet plus de routes ténébreuses,
plus de chemins tortueux ? Le labyrinthe connu sous le nom de Dédale,
l'antre de la Sybille de Cumes où cent portes s'ouvraient et se fermaient au
même instant, n'avaient point autant de faux fuyants que Paris. »166(*)
Car non seulement certains
quartiers de Paris en surface adoptent la configuration des souterrains, mais
la population de ces bas-fonds de la société, comme son nom l'indique, est tout
aussi repoussante que la galerie de portraits que nous avons évoquée au premier
chapitre. Les écrivains au 19ème, adhèrent en majeure partie à la théorie des
milieux. « Ils sont persuadés que l'homme est le produit de son milieu,
et que chaque quartier de Paris sécrète des types différents : les vieilles
maisons sordides du quartier des halles par exemple, expliquent chez Balzac la
parcimonie des usuriers ou des artisans qui y vivent. »167(*).
Ceci explique la tendance des habitants déguenillés des quartiers populaires à
être réduits à l'état de larves par la plume sans pitié d'Alfred Delvau dans
« Les dessous de Paris ». Toute cette humanité, si elle en est
encore une, et qui peuple pour l'exemple Les Mystères de Paris d'Eugène
Sue, fait partie du domaine souterrain de Paris, mais son domaine souterrain de
surface. Car nul besoin de pénétrer dans catacombes pour apercevoir les
bas-fonds de Paris. Quand Jean-Pierre Bernard affirme que « ce n'est
d'ailleurs pas Paris qui a commis les horreurs de la Commune mais une part
bestiale et souterraine de sa population »168(*),
il est bien évident que cette dernière n'habite ni les égouts, ni les
catacombes. Et ça rampe et ça grouille, et ça lutte pour la survie comme par
instinct. Rien ne semble donc élever l'esprit de ces brutes épaisses, tel Jean
Taureau, dont la voix même « semblait sortir de dessous terre »169(*),
ou ces sorcières comme la brocante dans Salvator.
Ce n'est plus donc un écart mais
un fossé qui se creuse entre les basses classes, et celles de la noblesse et de
la bourgeoisie ; fossé bien évidemment métaphorisé par cette opposition
constante entre le souterrain et le Paris en surface. On se rend ainsi compte
rapidement qu'un univers n'a pas sa place chez l'autre, bien que les deux
réunis forment un tout : Paris. La réflexion faite par Victor Hugo alors
que Jean Valjean fuit les combats de rue pour les égouts est représentative de
ce malaise que les protagonistes rencontrent en se retrouvant dans un monde où
les repères sont inversés : « quitter cette rue où la mort était
partout pour cette espèce de sépulcre où il y avait la vie, ce fut un instant
étrange. »170(*).
Il y a en effet, une écriture de
la ville. Dans un roman, les auteurs placent intentionnellement leurs
situations dans tel ou tel quartier selon le rang social où l'activité qu'ils
veulent donner aux personnages.
Comme le fait remarquer Jean-Noël
Blanc171(*),
le drame provient donc de ces déplacements de milieux : un riche qui va chez un
pauvre ou un pauvre qui pénètre chez un riche. Là est l'astuce du roman
populaire : faire échouer d'honnêtes bourgeois dans le dédale des souterrains,
reflet deux fois plus sordide des quartiers populaires du dessus. Le décalage
crée alors le drame, car c'est la pureté du dessus qui est souillée par la boue
du dessous.
Il en est de même dans le cas
inverse. Un homme de la surface qui vit dans les souterrains est alors un homme
corrompu. Le personnage de Jackal, le commissaire de police Des Mohicans de
Paris et de Salvator incarne ce type du personnage souterrain, qui
va corrompre la police. La sentence de Salvator est d'ailleurs sans
appel : « la police est une institution salutaire, exercée par des
gens fort gangrenés. [...] c'est une tortueuse et ténébreuse déesse qui ne
s'avance que par des voies obscures et souterraines : vers quel but ? Nul ne le
sait qu'elle même, quand elle le sait. Elle a tant d'intérêts, cette digne
police, qu'on ignore toujours vers quel but elle agit : intérêt politique,
intérêt moral, intérêt philosophique, intérêt humoristique. [...] c'est un home
diablement fantaisiste que M. Jackal, allez ! »172(*).
On trouve enfin, chez Gaston
Leroux, les traces d'une invasion des sous-sols par la surface sous la forme
d'une « fête de nuit donnée par les civilisés du dessus de la
terre »173(*).
Toute la pureté du lieu est atteinte, car « le péché est là ce soir, et
les pécheresses aussi, des dames qui ont des bandeaux plats. »174(*).
La quiétude du souterrain est alors troublée, et le sanctuaire de la mort,
profané. « Tous les cabarets du néant, toutes les scènes
artistico-mystico-macabres où l'on vient bafouer la vie et se gausser de la
mort, toutes les boîtes de la Butte où les crânes ricanent aux murs, où les
squelettes « chahutent » sur les planches, tout le carnaval funéraire
de Montmartre est dépassé. »175(*).
On rit, on danse, on s'amuse, exactement comme on le fait sur le dessus.
L'obscurité des catacombes est troublée par « des chandelles, des
chandelles dans les crânes, des girandoles de chandelles clignotantes. »176(*).
Avec ces pieds de nez irrévérencieux, l'empire des morts devient alors « l'empire
des vivants »177(*),
ce qui scandalise le commissaire Milfroid pour qui « le viol nocturne
de l'immense fosse par les rires alcooliques des cocottes du quartier et les
violoneux d'opéra lui semblait impossible »178(*).
Si l'on parle de viol, c'est que la société corrompue du dessus est venue
souiller la pureté originelle et naturelle du dessous. Cette idée que c'est le
dessus qui vient souiller le dessous se retrouve chez Balzac. « Si
l'air des maisons où vivent la plupart des bourgeois est infect, si
l'atmosphère des rues crache des miasmes cruels en des arrière-boutiques où
l'air se raréfie, sachez qu'outre cette pestilence, les quarante mille maisons
de cette grande ville baignent leurs pieds en des immondices que le pouvoir n'a
pas encore voulu sérieusement enceindre de murs en béton qui pussent empêcher
la plus fétide boue de filtrer à travers le sol, d'y empoisonner les puits
[...]. La moitié de Paris couche dans les exhalaisons putrides des cours, des
rues et des basses oeuvres. »179(*)
L'air qui se raréfie, la pestilence, la boue : les attributs du souterrain
sont ici portés à la surface, alors que le puits semble délivrer une eau saine
et potable.
Les mondes se mélangent donc, mais
jamais entièrement. Et si l'un ne peut vivre sans l'autre, il n'empêche que la
confrontation est inévitable : Paris et Paris-souterrain où le « je
t'aime moi non plus » mis en exercice.
III) Paris et ses souterrains,
mythe d'hier et de demain
« Je t'aime, moi non plus. »
voilà qui définit effectivement à merveille l'ambivalence du rapport qui lie la
surface de Paris au souterrain. Chacun a besoin de l'autre pour exister, mais
chacun fuit son opposé. Or, le lien est irrémédiable, et d'autant plus solide
que le souterrain est la racine de ce qu'on voit émerger à la surface. Car
c'est dans les souterrains qu'il faut aller chercher une explication à ce qui
se joue sur le devant de la scène : tout se trame en coulisse. Or, Paris a
eu très tôt l'image d'une ville vivante, au sens propre du terme. Une ville qui
bouge, se lève, gesticule, gronde, s'exprime. « Tel est ce Paris. Les
fumées de ses toits sont les idées de l'univers. Tas de boue et de pierres, si
l'on veut, mais, par-dessus tout, être moral. Il est plus que grand, il est
immense. Pourquoi ? Parce qu'il ose. »180(*).
Ce pouvoir de Paris à oser se traduit dans les faits par les multiples
révolutions qui ont marqué son histoire et qui ont participé à la construction
d'un mythe, celui du Paris révolutionnaire.
Quel rapport y a-t-il entre le
Paris révolutionnaire et ses souterrains, pourrait-on se demander. Un rapport
très étroit de cause à effet devrions-nous répondre. On sait que le 19ème
siècle a été un siècle de révolution, et celui d'une prise de conscience
sociale. Le socialisme, la lutte des classes, l'émergence du prolétariat et de
la contestation sociale sont nés de ces élans protestataires. Cette dynamique
est métaphoriquement visible dans la littérature qui nous intéresse. Et pour
cause : le souterrain y est présenté comme le berceau des révolutions, le
responsable des troubles en surface.
Or, le terme de trouble peut
avoir une connotation péjorative, dans le sens où ce dernier peut vouloir
signifier la destruction d'un système établi, les forces destructrices étant
initialement à l'inverse du progrès. Cette conception est exploitée dans nos
oeuvres étudiées. D'un côté, le souterrain est pointé du doigt comme étant le
responsable de cette gangrène qui fait se révolter le peuple. « Voici
donc, dit-il, le repaire de cet être incompréhensible pour qui le mal semble
être un besoin de nature ! C'est là qu'il prépare ces crimes affreux
qui produisent au-dessus de nos têtes la ruine et la dévastation ! »181(*).
L'être incompréhensible, il s'agit de Médard, le demi monstre qui n'a
d'ambition que le chaos et la destruction. Ce sont, comme nous l'avons déjà
évoqué, les pulsions animales de l'homme qui trouvent un terrain propice à leur
expression dans les souterrains. Ainsi, chez Victor Hugo, le souterrain peut
être synonyme de tyrannie. « On pourrait dire que depuis dix siècles,
le cloaque est la maladie de Paris. L'égout est le vice que la ville a dans le
sang.»182(*).
C'est la tyrannie de Napoléon III qui sévit dans ces lignes. Le despote inspire
une haine sans pareille au poète qui va recycler l'image du cloaque dans L'égout
de Rome, pamphlet versifié incéré dans Les Châtiments. La nuit de
l'égout, c'est la nuit de la tyrannie, l'égout étant le symbole des puissances
qui tirent l'homme en arrière, de ses instincts. Et parmi eux, on retrouve
cette « volonté de puissance »183(*)
dont parle Nietzsche, car « chaque instinct cherche à dominer, ou
mieux, à maîtriser les autres instances avec lesquelles il entre en contact »184(*).
C'est cela que représente entre autre le débordement des égouts.
Mais l'égout, c'est aussi ces
bas-fonds de la société que nous avons évoqués, cette misère sur laquelle
s'assoient les riches et qui la tiennent bien enfermée. Trop peut-être. Car
quand la pourriture a par trop fermenté, il suffit d'une étincelle pour que tout
explose.
Alors, l'égout déborde. « Des
enfants, des jeunes gens, des hommes apparurent ; tout cela était vêtu
d'habits déchirés comme pour inspirer l'intérêt ; tout cela exhibait dans
ces rues éclairées a giorno cette misère qui, d'habitude, se cache au
plus profond des ténèbres.»185(*)
Ce qui n'était à la base qu'un grondement sourd, va en s'amplifiant jusqu'à
devenir les cris et les coups de feu des révolutions.
Cette idée d'une force
souterraine qui peut éclater à tout moment, nous la retrouvons dans la
métaphore du volcan. « Et l'image du volcan est une de celles dont on
peut le mieux jouer sur ces différents claviers, parce qu'elle a une valeur
double : le volcan est à la fois de la montagne et de la lave ; il
est fixe et mouvant, cadre et vie. Par là, l'image se prête spécialement bien à
symboliser le double aspect de Paris : majestueux décor, et bouillonnement
du peuple et des idées.»186(*)
Paris donne alors la vision d'une
puissance explosive et menaçante, comme dissimulatrice d'une lave qui
s'amasserait et bouillonnerait dans ses souterrains. « Paris est, dans
l'ordre social, le pendant de ce qu'est le Vésuve dans l'ordre géographique.
C'est un massif dangereux et grondant, un foyer de révolution toujours actif.
Mais, de même que les pentes du Vésuve sont devenues des vergers paradisiaques
grâce aux couches de lave qui les recouvrent, l'art, la vie mondaine, la mode
s'épanouissent comme nulle part ailleurs sur la lave des révolutions.»187(*)
Et pour cause, avec les trois
glorieuses de 1830, la révolution de 1848, la commune, Paris mérite son image
mythique de ville révolutionnaire. Ce n'est pas un hasard si Alexandre Dumas
fait conspirer « la venta des carbonari »188(*)
dans les catacombes de Paris, et si les barricades se retrouvent, et dans Les
Mohicans de Paris, et dans Les Misérables. De même, l'A.C.S.,
l'association contre la société tenue par le Roi Mystère de Gaston Leroux,
incarne cette idée d'une force souterraine venue bouleverser l'ordre établie
par la société du dessus.
La révolution de 1830, phénomène
essentiellement parisien, va confirmer l'idée que Paris incarne l'idéal
révolutionnaire. La capitale apparaît comme l'héritière de 89. Elle est
présentée comme la ville de la liberté et du progrès. A Paris est désormais
attribué un rôle particulier, celui de guide, de phare de l'humanité. « Paris
en vient à être considéré sinon comme une émeute permanente, du moins comme une
virtualité permanent d'émeute »189(*)
La ville cesse d'être une simple cité de pierres pour devenir une puissance
spirituelle qui fait triompher les plus hautes valeurs. « De tous les
points du globe, tous les regards sont tournés vers Paris, non seulement comme
vers un sommet, mais comme vers un incendie. (...) C'est que Paris est la seule
ville de l'univers qui soit à l'état de volcan. De même que les volcans sont en
communication avec les entrailles de la terre, Paris est en communication avec
les masses, avec la fournaise profonde et bouillonnante des misères
souterraines, avec les entrailles du peuple. »190(*)
. Comme une immense forge, pour reprendre l'image précédemment utilisée, le
souterrain parisien fabrique les troubles du Paris en surface. Dans le chapitre
« essai philosophique, linguistique et littéraire sur l'argot, les
filles et les voleurs » de Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac
fait des caves l'atelier où s'élaborent les décors et les machines de la
comédie humaine. Le souterrain est donc la racine, le point de départ ; et
il influe à sa guise sur les événements du dessus.
Cette intelligence du souterrain
ne vient pourtant pas de nulle part. Il est intéressant de constater que des
personnages souterrains charismatiques peuvent souvent régir à eux seuls tout
le petit monde de la surface. Erik, le fantôme de l'Opéra, est ainsi le pilier
de l'histoire. C'est lui qui a entre ses mains tous les pouvoirs et qui fait se
plier à ses volontés tout le petit monde de l'Opéra, comme le ferait un
marionnettiste de ses pantins. Il en va de même pour Cartouche, qui ne laisse
plus aucune place à la vie tranquille de Théophraste Longuet et qui, depuis les
souterrains de la capitale et ceux du bourgeois qu'il a investi, provoque le
chaos autour de lui.
Mais le souterrain recèle
également un autre type de population, la population des génies. Car selon
Hugo, « il n'est pas de penseur qui n'ait contemplé les magnificences
d'en bas. »191(*),
preuve que ce domaine ne leur est pas étranger. « Au-delà de cette
tourbe bruyante et glapissante, vêtue de couleurs criardes, laissant traîner
ses faux cheveux jusqu'à la ceinture, vivant de scandales et pourrissant sur
pied, il y a toute une nation recueillie, probe dévouée, qui travaille, cherche
s'ingénie, invente dans les ateliers, dans les bibliothèques, dans les
laboratoires. C'est là le coeur de Paris qui vibre à toute pensée généreuse,
s'émeut à toute découverte, fait effort pour pénétrer toujours plus
profondément au sein des choses. C'est cette assemblée d'artistes, de savants,
d'artisans, d'écrivains, toujours en communication les uns avec les autres,
rapides à comprendre, faciles à émouvoir, qui fait de Paris une ville unique
dans l'univers, et qui donne un si grand poids à ses jugements, que nulle
réputation n'est consacrée si elle ne les a victorieusement subis. »192(*)
Mais c'est Victor Hugo qui illustre le mieux cette présence originale dans les
souterrains. Car, dans Les Misérables, il y a deux sortes de peuple souterrain :
il y a les lumineux, les amis de l'ABC qui vont se battre sur les barricades au
nom de leurs idéaux, et les criminels. Et il y a les gueux, les voleurs, les
Babet, Gueulemer, Claquesous et Montparnasse. Ces deux niveaux sont représentés
par des strates : « il y a sous la construction sociale, cette
merveille compliquée d'une masure, des excavations de toute sorte. Il y a la
mine religieuse, la mine philosophique, la mine politique, la mine économique,
la mine révolutionnaire. Tel pioche avec l'idée, tel pioche avec le chiffre,
tel pioche avec la colère. [...] Au dessous de toutes ces mines que nous venons
d'indiquer [...] au dessous de tout cet immense système veineux souterrain du
progrès et de l'utopie, bien plus avant dans la terre, plus bas que Marat, plus
bas que Babeuf, plus bas, beaucoup plus bas, et sans relation aucune avec les
étages supérieurs, il y a la dernière sape. Lieu formidable. [...]C'est la
fosse des ténèbres. C'est la cave des aveugles. Inferi. Ceci communique aux
abîmes. Là le désintéressement s'évanouit. Le démon s'ébauche vaguement ;
chacun pour soi. Le moi sans yeux hurle, cherche, tâtonne et ronge. L'Ugolin
social est dans ce gouffre. »193(*)
Dans la première version des Misérables, il est intéressant de noter que
Victor Hugo peignait l'alliance des amis de l'ABC avec les bandits de
Patron-Minette au fond d'une carrière. Mais Enjolras, le plus intègre des
membres, refusait. Enfin, le même auteur reprend la même idée dans Notre-Dame
de Paris : « puits de civilisation, pour ainsi dire, et aussi
des égouts, où commerce, industrie, intelligence, population, tout ce qui est
sève, tout ce qui est vie, tout ce qui est âme dans une nation, filtre et
s'amasse sans cesse goutte à goutte, siècle à siècle. »194(*).
Les éléments naturels sont à
nouveau utilisés comme moyen de comparaison. « Il y a dans l'île
d'Ischia une montagne où l'on entend souffler un courant d'air souterrain; d'où
vient-il ? Nul ne le sait, et la science ignore encore où prend naissance cette
tempête qui bruit sous les vieux rocs entassés. Il en est ainsi de Paris. »
Et quand cette bise devient orage, alors, c'est l'émeute des grands jours qui
ont fait l'histoire de Paris. Car alors, ce Paris personnifié dont nous avons
déjà parlé, « s'émeut, s'agite, se lève, est pris de mauvaise humeur,
donne un coup d'épaule. » comme le dit Maxime Du Camp. Le thème de la
barricade est ainsi présent à deux reprises dans nos oeuvres, en premier lieu
chez Victor Hugo qui lui consacre un certains nombres de chapitre de son tome
IV des Misérables. Ainsi peut-on y lire : « Rien n'est plus
extraordinaire que le premier fourmillement d'une émeute. Tout éclate partout à
la fois. [...] D'où cela sort-il ? Des pavés. »195(*).
Il y a donc une conscience de cette poussée qui vient du dessous. Mais elle est
souvent presque imperceptible, car cachée. Le grondement est sourd, mais la
puissance n'en est que décuplée. « Toute cette fermentation était
publique, on pourrait presque dire tranquille... aucune singularité ne manquait
à cette crise encore souterraine, mais déjà perceptible. »196(*)
On retrouve aussi les barricades dans le roman de Dumas, Salvator, où Jean
Taureau, le personnage souterrain, y fait une fois de plus preuve de sa
bravoure.
Ces élans d'humeur, cette
violence sont à rapprocher de la révolution qui se fait en chacun lors d'une
prise de conscience. Prenons cette longue citation extraite du Salvator de
Dumas : « M. de Humboldt, ce grand philosophe et ce grand
géologue, dit quelque part, à propos de l'impression produite par les
tremblements de terre : « cette impression ne provient pas de ce que
les images des catastrophes, dont l'histoire a conservé le souvenir, s'offrent
alors en foule à notre imagination. Ce qui nous saisit, c'est que nous perdons
tout à coup notre confiance innée dans la stabilité du sol ; dès notre
enfance, nous étions habitués au contraste de la mobilité de l'Océan avec
l'immobilité de la terre. Tous les témoignages de nos sens avaient fortifié
notre sécurité ; le sol vient-il à trembler, ce moment suffit pour
détruire l'expérience de toute la vie. C'est une puissance inconnue qui se
révèle tout à coup ; le calme de la nature n'était qu'une illusion, et
nous nous sentons rejetés violemment dans un chaos de force destructive ».
Eh bien cette impression physique a son équivalent dans l'impression morale. »197(*).
Nous avons vu précédemment la
difficulté que rencontre celui qui veut affronter son labyrinthe. Le parallèle
entre l'homme et Paris est ici encore présent : quand Paris s'agite, l'âme
aussi. Jean-Valjean, par exemple, concentre à merveille en son sein l'agitation
parisienne, au point qu'on ne sait plus vraiment lequel est la métaphore de
l'autre. « Qu'est-ce que les convulsions de la ville auprès des émeutes
de l'âme ? L'homme est une profondeur plus grande encore que le peuple. Jean
Valjean, en ce moment-là même, était en proie à un soulèvement effrayant. Tous
les gouffres s'étaient rouverts en lui. Lui aussi frissonnait, comme Paris, au
seuil d'une révolution formidable et obscure. [...] Quelques heures avaient
suffi. Sa destinée et sa conscience s'étaient brusquement couvertes d'ombres.
De lui aussi comme de Paris, on pouvait dire : les deux principes sont en
présence. L'ange blanc et l'ange noir vont se saisir corps à corps sur le pont
de l'abîme. Lequel des deux précipitera l'autre ? Qui l'emportera ? ».
La révolution éclate donc au grand jour, dans les rues, mais elle se fait aussi
dans l'ombre, dans un environnement plus intime, dans sa propre conscience.
C'est donc bien la preuve que ce
Paris qui s'agite ne fait pas que détruire. Observons l'aboutissement de la
révolution de Jean Valjean. La révolution bénéficie effectivement d'une image
positive chez Victor Hugo, qui argumente longuement dans Les Misérables
l'idée utopique d'une fertilisation utile du sol par l'égout. Le peuple
miséreux, adoptant la métaphore de l'égout, recèlerait semble-t-il, des
richesses. « L'esprit de révolution couvrait de son nuage ce sommet où
grondait cette voix du peuple qui ressemble à la voix de Dieu ; une
majesté étrange se dégageait de cette titanique hottée de gravats. C'était un
tas d'ordures et c'était le Sinaï. »198(*).
Ce mélange des genres, ce mélange
entre le sublime et l'immonde, on le retrouve au fil des pages de nos
romanciers. Non pas dans le fond. Mais dans la forme. Car le chaos du
souterrain est contagieux, et il déteint même sur la langue. La langue se
« pollue » ainsi au contact du souterrain. Bachelard évoque à ce
sujet l'« interdiction du profond » qui donne aux mots de la
profondeur un aspect péjoratif.
Les romanciers adoptent
effectivement le dialecte de leurs personnages. Et bien évidemment que dans la
bouche de Thénardier dans Les Misérables, ou dans celle de Jean Taureau,
dans Les Mohicans de Paris, il ne s'agit guère de la langue des salons.
Victor Hugo consacre ainsi tout un chapitre des Misérables sur l'argot.
Langage de la vermine, l'argot est pour Hugo une source d'exploration. Et c'est
par soucis d'authenticité, de vérité, qu'il le place dans la bouche de ses
personnages. Ainsi, dénicher l'argot s'avère aussi ardue, rebutant mais
nécessaire que d'aller chercher le charbon dans la mine. « Lorsqu'il s'agit
de sonder une plaie, un gouffre ou une société, depuis quand est-ce un tort de
descendre trop avant, d'aller au fond ? [...] Certes, aller chercher
dans les bas-fonds de l'ordre social, là où la terre finit et où la boue
commence, fouiller dans ces vagues épaisses, poursuivre, saisir et jeter tout
palpitant sur le pavé cet idiome abject qui ruisselle de fange ainsi tiré du
jour, ce vocabulaire pustuleux dont chaque mot semble un anneau immonde d'un
monstre de la vase et des ténèbres, ce n'est ni une tâche attrayante ni une
tâche aisée. »199(*)
Balzac aussi fait directement la
liaison entre l'argot et le milieu souterrain dans la 4ème
partie de Splendeurs et misères des courtisanes intitulée Essai
philosophique, linguistique et littéraire sur l'argot, les filles et les
voleurs : « Il n'est pas de langue plus énergique, plus
colorée que celle de ce monde souterrain qui, depuis l'origine des empires à
capitale, s'agite dans les caves, dans les sentines, dans le troisième-dessous
des sociétés, pour emprunter à l'art dramatique une expression vive et saisissante.
Le monde n'est-il pas un théâtre? Le Troisième-Dessous est la dernière cave
pratiquée sous les planches de l'Opéra, pour en recéler les machines, les
machinistes, la rampe, les apparitions, les diables bleus que vomit l'enfer,
etc.... »
Mais l'argot n'est pas uniquement
parlé en milieu souterrain. C'est donc bien que la surface adopte les
caractéristiques du sous-sol. La langue française, même en surface, est aussi
confuse, disloquée. Victor Hugo l'affirme, qui écrit que « sous la
confusion des langues, il y avait la confusion des caves ; Dédale doublait
Babel. ». Cette langue transformée, tordue, alambiquée, adopte donc la
configuration des catacombes labyrinthiques. Le souterrain a ce pouvoir de
dissolution, et la langue française dans ses couloirs ne résiste pas à la
transformation. Elle se disloque, se détruit. C'est donc une haleine de chaos
qui souffle des soupiraux parisiens. Mais qu'est-ce que le chaos ?
Dans la Grèce antique, le concept
de chaos signifie gouffre ou abîme. Il oppose le stade originel de l'univers,
confus, défini par ses éclatements, ses dispersions, son émiettement, à sa
réalisation organisée selon des règles d'ordre, de temps etc.... Le chaos est
alors le mélange d'Ubris (la démesure forcenée) à Dike (la loi, l'équilibre). On
retrouve ici encore cette opposition binaire ; Paris et son souterrain...
L'imaginaire des romanciers a donc emprunté le topos du chaos pour le situer
dans le souterrain où il s'y contorsionne, s'y étend, s'y émiette à merveille
au fil des pages de leurs romans.
L'égout en est un bon exemple,
lieu confus, trouble, où le pied s'enfonce, où l'on ne sait où le sol commence,
où il s'arrête. Chez Hugo où la description des égouts est la plus étendue, les
réseaux souterrains sont dépeints comme « réfractaires à tout
itinéraire »200(*),
l'égout étant « inextricable ». Le souterrain est aussi marqué par un
phénomène récurrent : celui de la déformation des choses. Le labyrinthe est
ainsi, selon Bachelard, le lieu où « l'être est alors saisi dans un
douloureux étirement. Il semble que ce soit le mouvement difficile qui crée
l'étroite prison, qui allonge la torture. »201(*)
Le labyrinthe, comme dans le
chaos, se définit par la perte immédiate de tout repère. Ainsi peut-on lire
chez Joseph Méry une description représentative des catacombes : « elles
forment une ville de rues sans maisons qui ressemble à la capitale de l'enfer.
Les angles s'y multiplient à l'infini, et ont tous la même forme, la même
rudesse, de sorte que l'oeil trompé ne peut choisir aucun point de
reconnaissance dans ce chaos ténébreux, cet amoncellement de lignes frustes,
cette succession de voûtes funèbres, ces méandres humides qui se ressemblent
tous et s'étendent, se prolongent, se perpétuent dans les entrailles du
sol. »202(*).
L'égout recouvert, sorte de
Dédale des temps modernes, donne la même impression de fouillis : « l'égout
est ainsi que « quelque bizarre alphabet d'Orient brouillé comme un
fouillis, et dont les lettres difformes seraient soudées les unes aux autres,
dans un pêle-mêle apparent et comme au hasard, tantôt par leurs angles, tantôt
par leurs extrémités. »203(*).
De même, le comportement des
fifres de Salvator dans les catacombes de Paris font s'écrier au
commissaire Jackal : « c'est pour me dérouter que l'on me
fait faire ces tours et ces détours ».204(*).
Or, comment avoir des repères dans un univers aussi confiné, mais
paradoxalement étendu que les catacombes de Paris, où « les ciels »
sont de pierre. Les romanciers ont ainsi tendance à faire des souterrains un
univers à part entière. Louis-Sébastien Mercier parle ainsi d'une « ville
souterraine où l'on trouve des rues, des carrefours, des places irrégulières. ».
L'état naturel et sauvage de
certaines parties des catacombes donne également un tableau de ce désordre
souterrain. « Au fond de l'entonnoir, de grandes spirales prouvaient la
violence des courants et des tourbillons ; les roches elles-mêmes
témoignaient par leur désordre et leurs formes bizarres de la puissances du
choc qu'elles avaient dû supporter dans ce cataclysme mystérieux, accompli loin
du regard des hommes. »205(*).
Elie Berthet nous offre presque ici une description du chaos originel, celui
qui donna lieu à la création. Même constat lorsque les flots envahissent les
souterrains : « Ces cris, ces luttes, ces ombres mouvantes, le
roulement des flots, le reflet des lumières, formaient, sous ces voûtes basses,
une scène de bruit et de confusion. »206(*).
Désordre, envahissement,
invasion, destruction... Voilà qui rappelle un élément sur lequel nous nous
étions déjà penché précédemment... L'inconscient, bien évidemment, lui aussi
refuge des pensées chaotiques et de destruction.
Nous avions ainsi vu, au chapitre
précédent, quelle concordance existait entre les souterrains et le ça. Or, le
ça est le refuge de nos énergies spécifiques, celles qui n'ont pas de
possibilités de s'exprimer, ou du moins, qui ne sont pas autorisées à mener une
existence non inhibée. Ces tendances forment pour notre esprit conscient une
"ombre" toujours présente et virtuellement destructrice. C'est
pourquoi les gens bien-pensants ont une peur compréhensible de l'inconscient.
Car le ça est destructeur : le laisser s'exprimer serait faire accéder les lois
inexistantes du chaos à la surface de notre personnalité, où, dans notre
métaphore filée, à la surface du sol parisien.
b) Le mythe de la destruction
de Paris
Or, quelle menace destructrice
peut bien représenter le souterrain pour la surface ? Une menace d'engloutissement
d'abord. En effet, les auteurs n'ont de cesse d'évoquer la fragilité du
sous-sol, alors même que le peuple parisien continue de bâtir sur ces
fondations incertaines. Louis-Sébastien Mercier offre ainsi un panorama peu
rassurant des souterrains parisiens dans son Tableau de Paris:
« On regarde au plancher, tantôt bas, tantôt plus élevé : mais
quand on y voit des crevasses, et que l'on réfléchit sur quoi porte le sol
d'une partie de cette superbe ville, un frémissement secret vous saisit (...).
Des cavités, des ciels à demi brisés, des enfoncements qui n'ont pas encore
percé à jour, des fontis, des piliers écrasés sous le poids qui les presse et
qui menacent ruine, de doubles carrières, sur lesquelles portent à faux les
piliers de la première ; quel coup d'oeil ! Et l'on boit, et l'on
mange, et l'on dort dans les édifices qui reposent sur cette croûte
incertaine ».
La peur d'un écroulement du sol
de Paris, d'un engloutissement dans les vides qui minent la capitale va hanter
la plupart de nos romans. Ainsi, Louis-Sébastien Mercier met-il en garde le
parisien : « il ne faudrait pas un choc bien considérable, pour
ramener les pierres au point d'où on les a enlevées avec tant d'effort. »207(*).
Cette idée va nous amener à la
vision romantique d'un Paris en ruine. Selon Louis-Sébastien Mercier toujours,
toute évolution et toute existence appellent fatalement leur contraire, la
chute et la mort. Au 19ème siècle, Paris a été comparé aux villes de
Rome et d'Athènes qui, au fil des ans, ont perdu de leurs superbes jusqu'à
sombrer dans la décadence, avant la destruction finale. Il suffit de
lire Volney et ses Ruines ou méditation sur les révolutions des empires
pour dégager cette idée de la fin d'une époque. Dans l'ouvrage de Victor
Fournel, intitulé Paris et ses ruines en mai 1871, l'auteur constate que
la ruine de Paris s'est déjà produite, au lendemain des révolutions, des
incendies, et des destructions haussmanniennes. Lutèce, la ville de boue
(Lutèce vient du latin lutum, la boue), qui s'était transformée en la
merveilleuse et grandiose capitale qu'est Paris, retournerait ainsi à son stade
initial. « Car il ne faut rien flatter, pas même un grand peuple ;
là où il y a tout, il y a l'ignominie à côté de la sublimité ; et, si
Paris contient Athènes, la ville de lumière, Tyr, la ville de puissance,
Sparte, la ville de vertu, Ninive, la ville de prodige, il contient aussi
Lutèce, la ville de boue. »208(*).
Mais, à l'instar de ses soeurs
jumelles, Paris ne devrait sa ruine non pas à cause d'une puissance extérieure,
mais bien à cause de son appétit insatiable. Pour donner à cette idée une
illustration complète, la ruine de la capitale française, comme celle de Rome
et d'Athènes, tiendrait davantage de l'implosion que de l'explosion. Paris
n'est pas « tuée », mais elle se donne elle-même la mort à cause
de son faste, ses frasques et son insouciance: « Une pareille existence
ne saurait durer, et Paris succomberait par ce genre de mort dont il a conservé
le monopole : le suicide »209(*).
Le personnage de Eustache Grimm dans Le Roi mystère est la
représentation en modèle réduit de la menace qui pèse, et le mot est choisi,
sur Paris. Car Paris est boulimique, Paris est obèse, Paris pourrait bien
mourir de congestion. Voilà ce qu'entend Victor Hugo par là : « De
sorte qu'on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête merveilleuse,
sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d'or à pleines mains, son faste,
son luxe, sa magnificence, c'est son égout. »210(*).
A force de grandir, de construire encore et encore sans se soucier de la
solidité de ses fondations, Paris risque bien de connaître le sort prédit par
Alexandre Dumas : « Toute la rive gauche depuis la Tour de Nesle
[ ...] jusqu'à la Tombe Issoire [...] n'est qu'une trappe de haut en bas.
Et si les démolitions modernes révèlent les mystères du dessus de Paris, un
jour peut-être, les habitants de la rive gauche se réveilleront effrayées,
découvrant les mystères du dessous. »211(*)
Sa ruine viendra notamment par les égouts. La démonstration que le romancier
propose par la suite à propos de l'influence de l'égout de Rome sur la ville
italienne est un présage du sort réservé à Paris. « Les cloaques de
Rome, dit Liebig, ont absorbé tout le bien-être du paysan romain. » Quand
la campagne de Rome fut ruinée par l'égout romain, Rome épuisa l'Italie, et
quand elle eut mis l'Italie dans son cloaque, elle y versa la Sicile, puis la
Sardaigne, puis l'Afrique. L'égout de Rome a engouffré le monde. Ce cloaque
offrait son engloutissement à la cité et à l'univers. Urbi et orbi. Ville
éternelle, égout insondable. »212(*).
On peut expliquer aisément chez
les romanciers l'émergence de cette crainte. Car si le 19ème est
l'ère du romantisme, c'est aussi celle des révolutions, des bouleversements qui
engendreront le mal du siècle mis en lumière par Alfred de Musset dans La
Confession d'un enfant du siècle. Hugo expose également la ruine de Paris
dans un poème intitulé « A l'arc de Triomphe » dans « Les Voix
intérieures », où « la mort de Paris n'est donc pas un châtiment,
mais une fatalité »213(*):
II
« Toujours Paris s'écrie et
gronde.
Nul ne sait, question profonde,
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se
tairait ! »
III
« Il se taira
pourtant ! - Après bien des aurores [...]. »
C'est l'histoire cyclique qui se
répète : Paris connaîtra le même sort que celles qui l'ont précédée. Comme
nous l'avons déjà évoqué, l'idée de la mort de Paris « est déterminée
d'abord par des facteurs historiques. Le sentiment de brusque instabilité
provoqué par les Trois-Jours est entretenu par les émeutes des années
suivantes. Le choléra de 1832 lui vaut aussi un regain d'actualité. »214(*).
Le tremblement de terre des révolutions est passé par-là.
Mais bien que dépassant le strict
cadre historique, une explication biblique peut également tenter d'apporter une
explication. Le livre saint menace effectivement «Paris de connaître le
destin de Babylone, de Gomorrhe, de Ninive, de Palmyre, de Persépolis, de
Sidon, de Sodome et de Tyr. »215(*).
L'idée de l'effondrement de Paris
se retrouve dans le pessimisme de Léon Daudet qui, du haut du Sacré-Coeur
contemple les monuments parisiens : « D'autres fois, je les voyais
rongées par un mal obscur, souterrain, qui faisait choir tels monuments, tels
quartiers, des pans entiers de hautes demeures... de ces promontoires, ce qui
apparaît le mieux, c'est la menace. L'agglomération est menaçante, le
labeur géant est menaçant ; car l'homme a besoin de travailler, c'est
entendu, mais il a aussi d'autres besoins... »216(*).
Face à ce Paris déshumanisé, où le parisien est assimilé à une machine, à
l'instar de la ville titanesque qu'il habite, Léon Daudet s'inquiète de cette
possible implosion qui ruinerait les beautés de la ville lumière.
Or, quelle tâche essaye
d'accomplir le personnage de Médard dans Les Catacombes de Paris d'Elie
Berthet ? « Le Val-de-Grâce allait sauter, et, selon toute
apparence, la plupart des grands édifices publics construits sur les vides
auraient prochainement le même sort que le magnifique couvent d'Anne
d'Autriche. »217(*).
Le lecteur, après avoir suivi les déambulations du sauvage dans les souterrains
minés (« Les mines étaient multipliées en cet endroit d'une manière
effrayante. « Le Luxembourg » murmura Médard »218(*)),
comprend clairement, si ce n'était déjà fait, ses intentions : « Quelques
secondes plus tard et un immense désastre allait désoler Paris. ».
En menaçant de faire sauter les
fragiles piliers qui soutiennent encore le ciel des carrières pour se venger de
la condamnation à mort de son père, Médard, mi-sauvage, mi-bête, incarne
parfaitement le retour du chaos sur les lois ordonnées de la société. Ce
dernier n'a d'ailleurs pas choisi de manière innocente les points où il a placé
ses bombes. Sous le Luxembourg, sous le Val de Grâce et sous l'hôtel
particulier des Villeneuve, autant de symboles de la magnificence de
Paris, de la richesse de son aristocratie, mais plus généralement, de l'élévation
d'esprit de l'homme raffiné. A lire Elie Berthet, on pourrait même considérer
la menace comme une puissance autonome, quasi personnifiée : « On
ne voyait plus maintenant qu'une masse noire et de forme changeante qui
disparut bientôt elle-même dans un immense nuage de poussière. Cependant les
roulements, les détonations, les grondements souterrains ne cessaient pas
derrière ce voile lugubre ; le sol continuait d'osciller sous les pieds.
Plusieurs fois on put croire que le génie de la dévastation avait interrompu
son oeuvre ; il y avait des intervalles de silence. Puis un nouveau
craquement se faisait entendre, l'écroulement recommençait et se prolongeait
d'une manière formidable ; la terre tremblait comme si elle eût été battue
par de puissantes machines. Des crevasses, des excavations profondes se
manifestaient dans les cours et dans les jardins. Le lendemain, on reconnut
avec stupéfaction que l'un des plus grands arbres du parc s'était enfoncé
jusqu'à la cime dans les vides ouverts au-dessous de lui. »219(*).
Mais cette idée de destruction
provient avant tout d'un renversement des valeurs qui prend alors une tournure
manichéenne : « Je pense aux grandes choses qu'eût pu accomplir
cet homme, s'il eût employé au bien l'énergie, l'abnégation, la constance qu'il
a déployées pour être le fléau de son espèce ! »220(*)
s'exclame Philippe de Lussan. Les bons de la surface s'opposent aux mauvais du
souterrain. Le jugement du jeune avocat ne tarde d'ailleurs pas à
tomber sur le coupable : « Renverser une portion de Pairs,
détruire ses plus superbes monuments, ce serait de la barbarie, du vandalisme,
de la démence !... Erostrate, pour avoir incendié le temple d'Ephèse, fut
voué à l'exécration de la postérité, et comme lui, vous porteriez la peine d'un
acte abominable. »221(*).
Cette crainte d'un
engloutissement de Paris se vérifie chez Gaston Leroux dont l'énigmatique
personnage d'Erik menace de faire s'écrouler l'Opéra Garnier s'il n'obtient pas
les grâces de sa belle. Et quel symbole que l'Opéra Garnier ! Le bâtiment
ne devait-il pas, comme nous l'avons vu dans notre première partie, représenter
la puissance et le rayonnement du second Empire ? Toujours est-il que le
prix des travaux, lui, a réussi à briller par son importance.
Ainsi, émerge peu à peu l'idée
que Paris, par son obésité, par son insouciance, tient une part de
responsabilité dans sa propre ruine. N'est-ce pas elle qui engendre, entretient,
favorise le développement de toute cette population de malfaiteurs qui,
tapie dans ses ombres, ronge peu à peu le giron de leur mère ? Toute cette
société nous est décrite dans les romans de Victor Hugo, notamment avec
l'évocation des complices de Thénardier dans Les Misérables. La peinture
de la cour des miracles dans Notre-Dame de Paris donne lieu à une
comparaison avec le pandémonium, cette capitale d'un enfer imaginaire qui, à
l'inverse de la représentation habituelle, ne se caractérise pas par le feu
mais par le chaos. Le chaos, encore une fois, vient empiéter sur les lignes
droites de la ville.
2) Le souterrain de Paris, un
lieu atemporel ?
a) Paris mythique
L'enfer fait partie des
références traditionnelles du souterrain. La comparaison entre par la même
occasion dans un univers moins temporellement marqué. L'enfer est une
représentation qui, en plus de traverser les frontières, a traversé les temps.
C'est à la mythologie qu'appartient ce lien entre ces deux univers : le
souterrain parisien, et le souterrain infernal.
Nous avons donc évoqué le
pandémonium. Mais c'est l'enfer traditionnel, celui de la culture chrétienne
qui a nourri nos auteurs, c'est à dire un enfer où bouillent les marmites, où
la chaleur vient compléter les autres tortures.
On a souvent comparé Paris à
l'enfer. L'ouvrage de Hugues Leroux intitulé L'Enfer parisien
reprend ainsi ce mythe d'un Paris capitale de l'enfer. Le bouillonnement de l'activité
parisienne, les costumes de ses opéras, l'insalubrité de ses rues : tous
ces facteurs favorisent la comparaison. Comme le dit Pierre-Jean Dufief dans Paris
dans le roman du 19ème, « dès le XVIIème siècle, Boileau
considérait que les difficultés de la circulation à Paris avaient quelque chose
d'infernal. Vers 1830, la comparaison de Paris avec l'enfer connaît une vogue
particulière. On parle alors de la chaleur presque infernale de la capitale,
qui s'oppose à la froideur de la province. La chaleur symbolise l'énergie à une
époque où le machinisme se développe, où les machines à vapeur se multiplient.
L'image de l'enfer brûlant traduit l'activité fébrile des parisiens. ».
Tout en appuyant une fois encore le choix de notre étude restreinte à la ville
de Paris (ici opposée à la « froideur de la province »), cet extrait
nous confirme que ce bouillonnement propre à Paris doit sans doute chercher sa
source dans ses souterrains. Assurément pour Balzac, Paris est « cet
enfer qui, peut-être un jour, aura son Dante ». Car si l'enfer déborde
déjà en surface, le souterrain de Paris transformé en enfer apparaît comme une
évidence. La comparaison est flagrante dans Les Misérables :
« La bouche d'égout de la rue de la Mortellerie était célèbre par les
pestes qui en sortaient ; avec sa grille de fer à pointes qui simulait une
rangée de dents, elle était dans cette rue fatale comme une gueule de dragon
soufflant l'enfer sur les hommes. »222(*).
La référence à l'enfer de Dante, formé de neuf cercles concentriques est
également utilisée par Hugo : « Jean Valjean était tombé d'un
cercle de l'enfer dans un autre. »223(*).
Comme dans le mythe de Dante, où le séjour dans les enfers s'assimile à un
parcours initiatique, les héros de nos romans, qu'il s'agisse de Jean Valjean,
de Philippe de Lussan, ou de Raoul de Chavigny, n'ont comme seul recours leur
ruse et leur courage pour sortir de ces contrées peu fréquentables.
La figure du diable, si souvent
présente dans la littérature du 19ème siècle, vient encore renforcer
la métaphore. Souvenez-vous, nous avions déjà cité George Sand dans le recueil
intitulé Le diable à Paris.
Ainsi, le souterrain apparaît
comme un espace maudit, où dieu lui même semble absent, remplacé par les ruses
du diable. Jean Valjean en subit les conséquences dans les égouts où le
sol se dérobe sous ses pieds: « La chausse-trape du salut s'était
subitement ouverte sous lui. La bonté céleste l'avait en quelque sorte prise
par trahison. Adorables embuscades de la providence ! »224(*).
L'infortuné héros ne pourra retrouver la présence divine qu'en son for
intérieur, mais certainement pas dans ce sinistre décor, où même le plus haut
se refuse à descendre. « Infernales carrières »225(*)
soupire Elie Berthet lui-même. De même, Lecerf, enfermé dans les catacombes,
« revoyait les ténèbres opaques, le chaos de l'Erèbe, le noir mat et
désolant, à travers lesquels il fallait marcher au hasard et sans espoir
d'issue. »226(*).
L'enfer a donc profondément
marqué notre littérature souterraine. Mais la mythologie antique a été bien
avant nos auteurs, friandes de ces légendes qui prenaient pour décor les
enfers. Préalablement nourris de culture biblique, c'est également de mythologie
gréco-romaine qu'ont été abreuvés nos romanciers. Tant et si bien que l'on
retrouve les traces de ces influences entre leurs lignes.
Les références aux fleuves des
enfers sont ainsi nombreuses. Perdu au milieu des catacombes, l'abbé de
Chavigny récite les fleuves des enfers mythiques : « Je te
suivrais à travers les sept fleuves de l'enfer, qui sont : Le Styx, le
Léthé, le Ténare, l'Averne, le Cocyte, le Phlégéton et... et... ma foi !
j'ai oublié le septième. »227(*).
Si l'on rajoute aux fleuves cités par l'abbé de Chavigny, l'Achéron, on se rend
compte que l'eau est un élément essentiel de l'univers infernal. Or,
l'évocation de l'eau souterraine est récurrente dans nos oeuvres ; mais
cette eau est menaçante, inquiétante : « on distingua une sorte de
mugissement lointain, continu, semblable à celui d'une cascade, et plus près de
la troupe, un murmure irrégulier, comme celui d'un courant d'eau. »228(*)
Puis, plus tard, les personnages voyant les trombes d'eau déferler,
s'écrient : « elles viennent au galop ! »229(*);
cette menace prend même des accents apocalyptiques sous la plume de Joseph Méry
qui voit dans la chute de quelques gouttes d'eau du ciel des catacombes
l'annonce « que le dernier plancher du fleuve allait s'entrouvrir pour
laisser rouler dans ces affreuses galeries la trombe d'un déluge
souterrain. »230(*).
C'est bien pourtant l'eau qui, au final, engloutit l'ennemi Rousselin :
une « lutte désespérée de l'homme et des eaux, duel terrible dont il
était facile de prévoir le dénouement. On aurait dit que la vague avait une
intelligence, et que ses lèvres froides cherchaient le prisonnier dans ses
extrêmes asiles pour l'étouffer. »231(*).
Comment alors, ne pas comparer
Philippe de Lussan, affrontant les dangers des catacombes à la recherche de sa
Thérèse au mythe d'Orphée affrontant les enfers pour venir y chercher son
Eurydice ? Bien que l'aboutissement ne soit pas aussi heureux dans la
mythologie que dans le roman, le rapprochement des deux histoires a sa
pertinence.
Du côté de chez Joseph Méry,
Acharias, le guide des aqueducs, s'inspire bien évidemment du passeur Charon,
personnage brutal, méchant et avare, et qui se fait d'ailleurs payer le passage
de la terre aux enfers par les âmes. Ceux qui n'ont pas payé sont condamnés à
errer 100 ans sans repos. Acharias lui-même fait payer ses visites
souterraines. « L'infernal portier aux trois têtes canines se laissait
séduire par des gâteaux emmiellés. Le miel des temps modernes est l'or. »232(*).
Enfin, chez Elie Berthet, L'abbé de Chavigny déclare franchement : « Et
maintenant, je suis prêt à braver Pluton, Cerbère, Satan, la triple Hécate,
Lucifer, tous les diables de la mythologie et de l'ancien testament ! »233(*).
On peut également dresser un
parallèle entre l'histoire d'Ulysse, vue par Homère, et celle de nos romans.
Quand Ulysse descend aux enfers, ce dernier rencontre un royaume humide, où
l'on accède par des marécages qui ne voient jamais le soleil. Les rues de Paris
ont souvent été comparées, par la boue qui jonchait le pavé, à des marécages,
d'autant que, comme l'indique le quartier du marais, Paris fut un temps un
marécage authentique. Les romanciers font souvent référence à l'insanité des
rues : « songez à la rue, songez au pavé couvert de passants,
songez aux boutiques devant lesquelles des femmes vont et viennent décolletées
et dans la boue. »234(*).
Et pour rester aux côtés
d'Ulysse, il serait intéressant de comparer la sirène d'Ulysse à celle
d'Erik... ou plutôt du Persan, qui se retrouve victime du chant de la
« sirène Erik » : « c'est alors que j'avais eu affaire à
la Sirène qui gardait les abords de ces lieux, et dont le charme avait failli
m'être fatal, dans les conditions précises que voici. Je n'avais pas plus tôt
quitté la rive, que le silence parmi lequel je naviguais fut insensiblement
troublé par une sorte de souffle chantant qui m'entoura. [...] Cela était si
suave, que cela ne me faisait pas peur. Au contraire, dans le désir de me
rapprocher de la source de cette douce et captivante harmonie, je me penchai,
au-dessus de ma petite barque, vers les eaux, car il ne faisait point de doute pour
moi que ce chant venait des eaux elles-mêmes. »235(*).
Le fait qu'Erik sorte de l'eau s'inscrit directement dans ces croyances qui
faisaient des eaux stagnantes un moyen de communication avec les enfers. Le
diable en sortait et attirait les malheureux au fond des eaux. N'est-ce pas ce
que fait Erik ? Curieuse ressemblance entre ces égarés qui viennent mener
leurs barques sur les eaux du lac du fantôme et ces défunts qui devaient, dans
les croyances populaires, traverser en bateau le lac des enfers.
Toujours est-il, pour en finir
avec Homère, que la cruauté des habitants des cavernes fait l'unanimité, comme
l'illustre au final le cyclope Polyphème qui ne sait, à son stade de
sauvagerie, faire la différence entre un homme et un animal. C'est donc de
cyclopes que l'abbé de Chavigny, libéré par Médard, qualifie ses
geôliers : « Le dernier service qu'il m'a rendu, en m'arrachant
des griffes de Bonnard et de ses cyclopes, m'a touché. »236(*).
Les rituels antiques et païens,
qui se sont inspirés de ces mythologies, mais également de pratiques animistes,
reprennent les mêmes éléments fondamentaux que dans les oeuvres ici étudiées.
Ainsi, il existait en Béotie un rituel pour consulter l'oracle de Trophonios
qui consistait à faire subir au prétendant un simulacre de descente aux enfers.
Ce dernier descendait dans une caverne et y demeurait d'un jour à une semaine.
Car, de son retour à la lumière, quand il racontera son rêve, jaillira la
vérité. Rite initiatique que Philippe de Lussan, Raoul de Chagny et Henry ont
tous suivi sous un jour (ou une nuit) différent.
Il y a une autre figure majeure
propre à la mythologie que l'on croise fréquemment dans les oeuvres de notre
étude : celle du monstre souterrain. Prenons le mythe de Thésée et du
Minotaure. Ce dernier, enfermé dans un dédale, mi-homme, mi-bête, dévore tous
les sept ans, sept jeunes filles et sept jeunes garçons. Ces pulsions viles à
rapprocher du ça et incarnées par le monstre, sont vaincues par le héros, ici
en l'occurrence Thésée, assisté de son ami Pirithous. La ville d'Athènes se
retrouve ainsi libérée de ce fléau. Prenons le fantôme de l'Opéra : nous
obtenons le même trio. Raoul, assisté du Persan, va tenter de délivrer
Christine Daaé. La délivrance de cette dernière entraîne la mort de son
geôlier, le monstre Erik. Autre exemple. Philippe de Lussan, assisté de son ami
l'abbé de Chavigny, va tuer Médard et, tout en libérant par la même occasion la
belle Thérèse, le héros se dit que « ce serait une action louable de
délivrer l'humanité de ce monstre. »237(*).
L'abbé se décidant à suivre Philippe s'exprime ainsi :
« Je n'oublie rien. Mais
quand Thésée descendit aux enfers, Pirithoüs était inexcusable de ne pas l'y
suivre pour l'aider à frotter Pluton et à enlever Proserpine. C'est
décidé : si le diable nous tord le cou, il nous le tordra de
compagnie... » 238(*)
Le fil d'Ariane, élément clef du mythe du Minotaure, est lui aussi présent
à de nombreuses reprises dans nos oeuvres, ici chez Joseph Méry239(*) où
Lecerf « examina très minutieusement, à toutes les issues des
carrefours, la ligne noire tracée sur les parois, et qui servait autrefois de
fil d'Ariane, dans ce labyrinthe inextricable qui se déroule sans fin sous la
ville de Paris. ».
Ces monstres, c'est aussi le
mythe de l'enlèvement de Proserpine par Pluton, le roi des enfers ; et
tout particulièrement dans le cas de Christine Daaé, partagée entre l'amour
sombre d'Erik, et celui lumineux de Raoul, comme Proserpine, partagée entre le
monde souterrain de son mari, et celui de sa mère, Cérès, déesse du blé.
Mais c'est dans Le Fantôme de
l'Opéra qu'apparaît une figure, certes non mythologique, mais pour autant
légendaire qui s'apparenterait au joueur de flûte de Hamelin. Ce dernier, par
le seul son de sa flûte, était parvenu à mener les rats qui infestaient la
ville jusqu'à la rivière où ils se jetèrent tous. Chez Gaston Leroux, Raoul et
le Persan aperçoivent en premier lieu « une figure en feu qui
s'avançait à hauteur d'homme, mais sans corps ! »240(*).
Gaston Leroux, avec son talent pour transformer l'anecdotique en événement
extraordinaire, en profite pour rendre l'apparition la plus effrayante
possible : « La figure en feu, qui paraissait une figure d'enfer -
de démon embrasé - s'avançait toujours à hauteur d'homme, sans corps, au-devant
des deux hommes effarés... »241(*).
Mais quelques minutes plus tard, la figure se met enfin à parler : « Ne
bougez pas ! ne bougez pas !... Surtout, ne me suivez pas !...
C'est moi le tueur de rats !... Laissez-moi passer avec mes
rats !... [...] Tout à l'heure, pour ne point effaroucher les rats
devant lui, il avait tourné sa lanterne sourde sur lui-même, illuminant sa
propre tête ; maintenant, pour hâter sa fuite, il éclaire l'espace noir
devant elle... Alors il bondit, entraînant avec lui tous les flots de rats,
grimpants, crissant, tous les mille bruits... »242(*).
Ces légendes populaires se
retrouvent dans nos oeuvres étudiées. Le diable vert s'inspire librement de la
légende du diable Vauvert, légende parisienne qui disait du château de Vauvert
qu'il était habité par le diable. Les bruits provenaient en fait de brigands
qui avaient élu domicile dans ces vieilles pierres. Mais les petites gens
croyaient ferme au maléfice de ces souterrains. A l'occasion de l'effondrement
d'une maison, « Les dames de la foire Saint-Germain soutenaient
sérieusement qu'un esprit malfaisant, un antéchrist, peut-être le diable
Vauvert, que les chartreux de la rue d'Enfer étaient parvenus à exorciser
plusieurs siècles auparavant et qui s'était déchaîné de nouveau, jouait ces
mauvais tours à la population parisienne. »243(*).
Chez Alexandre Dumas, on retrouve
les traces de ces superstitions. « Le puits qui parle » que le
commissaire Jackal va visiter doit son nom aux croyances populaires qui y
faisaient vivre les pires démons. Dans ce cas, il s'agissait sans doute des
voix des conspirateurs qui se réunissaient dans les sous-sols parisiens.
b) Paris, un lieu hors du temps
Il semble donc que les
souterrains aient inspiré de tous temps même les imaginations les plus simples.
Il faut dire que le souterrain pris en tant que tel, indépendamment de la ville
de Paris donc, est un lieu à priori hors du temps, ou plutôt, omni
temporel : il y a toujours eu des souterrains, qu'ils aient été créés par
l'homme ou par la nature elle même. Nous avions vu comment les auteurs
parvenaient à faire du souterrain parisien un univers à part entière, avec ses
carrefours, son ciel. Le souterrain devient de ce fait un univers autonome,
avec sa temporalité, ses règles de fonctionnement, son histoire propre. Coupé
de la surface, donc du monde vivant, le souterrain est un autre monde, un monde
de l'au-delà. C'est l'univers des morts, nous l'avons vu avec les catacombes.
C'est donc le témoin de ce qui n'est plus, donc du passé.
Ainsi, quand nos personnages
descendent dans ces caves y découvrent-ils les objets entassés depuis des
lustres. Tel est le sens du bric-à-brac que Rousselin trouve au fond d'une
salle des catacombes. «Il vit d'abord une salle assez vaste et solidement
voûtée, qui paraissait avoir servi de lieu d'asile et de refuge à différentes
époques. Les murs conservaient encore quelques inscriptions, qui ressemblaient
souvent aux hiéroglyphes des temples souterrains d'Isis. Ce qui fit faire
à l'archéologue Rousselin une réflexion ou une théorie, malgré ses sombres
préoccupations. L'écriture est née dans une crypte, se dit-il. [...]
L'homme, privé d'un compagnon, a parlé aux murs qui l'entouraient, et ensuite
il a voulu laisser sur ces mêmes murs des empreintes de son passage et des
traces visibles de ses douleurs. »244(*).
Le souterrain est donc le moyen de conserver les traces de l'existence, un
souvenir. Ainsi, Rousselin s'arrêtant devant un graffiti, déclare :
« le brave homme n'était pas aussi lettré que ses voisins. Il n'a
cependant voulu partir sans laisser sa trace. »245(*).
Parti donc sur la trace des hommes du passé, voilà Rousselin transformé en
archéologue. De la même façon, à la fin du roman, c'est au tour de Lecerf et de
Benoît de découvrir, dans les souterrains de Paris, les vestiges de l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés : « Cette vaste salle devait être le
réfectoire ; je suis persuadé que nous trouverions quelque excavation pour
conduire la fumée. »246(*).
Mais si le souterrain est
l'endroit où l'on entrepose les éléments du passé, c'est aussi là où on cherche
à les enterrer. Comme jetés aux oubliettes, ces objets sont portés loin du
regard. C'est un moyen simple de refouler la culpabilité. Ainsi, dans Le
Fantôme de l'Opéra, la cave a-t-elle été le décor des massacres des
communards. Mais à l'inverse des actions, l'écrit, lui, laisse des traces. « J'ai
relevé, dans le cachot des communards, beaucoup d'initiales tracées sur les
murs par les malheureux qui furent enfermés là et, parmi ces initiales, un R et
un C. - R C ? Ceci n'est-il point significatif ? Raoul de
Chagny ! Les lettres sont encore aujourd'hui très visibles. »247(*).
La remarque est encore plus explicite chez Joseph Méry, quand il évoque les
massacres religieux qui poussèrent les malheureux persécutés à se réfugier dans
les catacombes : « Les hideux trésors ensevelis par les siècles
avares, et qu'aucun oeil ne peut voir, aucune main ne peut enlever. Nous
marchons, nous rions, nous dansons, nous jouons sur un tapis composé
d'horribles choses, des choses que ne désigne aucune langue et qui attendront
toujours un nom. »248(*).
Et qui sont ces victimes que l'on a tenté d'oublier dans les sous-sols ?
« Les maillotins au quatorzième siècle, les tire-laine au quinzième,
les huguenots au seizième, les illuminés de Morin au dix-septième, les
chauffeurs au dix-huitième. »249(*)
Le souterrain est ainsi pris comme une « poubelle » de l'histoire. On
y jetterait les horreurs à défaut de pouvoir les annuler, et tant pis pour les
éventuels archéologues qui pourraient retrouver leurs traces. « Les
Saint-Barthélemy y filtrent goutte à goutte entre les pavés. Les grands
assassinats publics, les boucheries politiques et religieuses traversent ce
souterrain de la civilisation et y poussent leurs cadavres. Pour l'oeil du
songeur, tous les meurtriers sont là. »250(*)
Comme le dit Victor Hugo, le souterrain ou l'égout littéraire étant intimement
lié à la représentation de l'être humain, « L'histoire des hommes se reflète
dans l'histoire des cloaques. Les gémonies racontaient Rome. [...]
Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors de service, tombent
dans cette fosse de vérité où aboutit l'immense glissement social, elles s'y
engloutissent mais elles s'étalent. [...] Cela enseigne en même temps. Nous
l'avons dit tout à l'heure, l'histoire pas par l'égout.»251(*).
C'est encore, sous la plume de l'auteur : « L'esprit croit voir
rôder à travers l'ombre, dans l'ordure qui a été de la splendeur, cette énorme
taupe aveugle, le passé. »252(*).
Le souterrain est donc un lieu du
souvenir, mais également un lieu de l'oubli. Car pour se souvenir, il faut bien
oublier au préalable, pour redécouvrir ensuite. C'est pourquoi le délabrement,
qui est l'empreinte du temps qui passe, est un état récurrent des souterrains.
Tel est le constat de Joseph Méry pendant la visite de l'ancienne abbaye :
« Malheureusement, la ruine arrive quand même. Le délabrement a
été le résultat le plus direct de l'abandon de ces constructions souterraines. »253(*).
Malgré tout, le passé semble
ainsi figé dans la pierre, immortalisé. Et pour reprendre les mots de J-P. A.
Bernard dans Les Deux Paris, Paris se feuillette comme un livre de
pierres. Plus on descend physiquement, plus on remonte dans le temps. Les
souterrains de Paris sont donc un espace « hors du temps ».
Révolutions, cataclysmes, accidents, ce ne sont là que les problèmes du monde
du dessus. Le sous-sol, lui, reste immuable, conservant la même température, le
même silence, la même configuration, la même atmosphère. Pas étonnant donc que
le souterrain et son aspect sauvage, qui en fait un lieu vierge, épargné par la
main de l'homme, conserve intact les éléments naturels : « La
route était encombrée de grosses pierres arrondies par le travail des
eaux ; la roche, déchirée d'une manière bizarre, laissait voir çà et là
des débris fossiles, des coquillages et de grands ossements d'animaux
antédiluviens. »254(*).
C'est ainsi que le paléontologue Cuvier dans la Peau de Chagrin de
Balzac, s'effraie « d'entrevoir des milliards d'années, des millions de
peuples que la faible mémoire humaine, que l'indestructible
tradition divine ont oubliés. ». C'est donc aux temps les plus
reculés que remonte le souterrain.
Utopie :
Alors le souterrain parisien, un
lieu omni temporel, ou un lieu hors du temps ? Plutôt un lieu aux
frontières géographiques et temporelles incertaines. Voilà donc le
souterrain : un milieu sauvage, brutal, mais sincère, comme la jungle.
C'est sans doute pour ces raisons que les auteurs ont fait du souterrain le
refuge de l'utopie.
Prenons dans un premier temps la
conception de Rousseau du « bon sauvage » qu'il présente dans sa
préface de son discours sur l'origine des inégalités. Pour résumer sa pensée,
citons-le : « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la
société le déprave et le rend misérable. ». A partir de ce mythe de la
pureté de l'état naturel, les romanciers ont cru bon de faire des souterrains
de la capitale, espace encore vierge et naturel, le refuge de ces sociétés
utopiques. Car l'état du bon sauvage est encore selon Rousseau, « un
état qui n'existe plus, qui n'a peut-être jamais existé, qui probablement
n'existera jamais... »
Si l'on retourne à l'origine du
mot utopie tel que l'a défini Thomas More, l'utopie signifie « lieu de
nulle part », donc hors du temps, hors de l'histoire. Ce n'est pas
anodin si Utopie, à la base, est une île. Les règles quant à elles sont
simples : pas de propriété, homogénéité des habitations, des heures de
travail, des heures d'étude. Quant à l'industrie de base, c'est l'agriculture.
Observons maintenant la civilisation des Talpa, toute droite issue de
l'imagination de Gaston Leroux. On notera la beauté pure des corps des femmes
Talpa (« quelle carrière de Carrare ou du Pentélique donna jamais au
monde agenouillé un marbre plus précieux et plus pur ? »255(*)),
la pureté de leur langue (« le plus pur français, la plus pure langue
d'oïl du commencement du XIVème siècle. »256(*)),
l'harmonie qui semble régner entre les membres de la communauté. Ainsi, comme
dans toutes les utopies, le droit de propriété est aboli. « Chez les
Talpa [...] on ne vend pas, parce qu'on n'achète pas. Chacun prend ce qu'il
a besoin de prendre. »257(*)
De même, le libertinage est de rigueur, le monde des Talpa n'étant régi par
aucune loi. « Pour en revenir au mariage, il n'y avait donc pas de
mariage, mais l'union la plus libre qui se pût imaginer. »258(*)
Cette société est née alors qu'« une famille, dans les premières
années du quatorzième siècle, s'est trouvée enfermée dans les catacombes, à la
suite d'une catastrophe. »259(*).
Si bien qu'« Au bout de trois générations, des gens ne se souviennent
même plus du dessus de la terre. D'autant plus qu'ils ont peut-être intérêt à
en perdre la mémoire. Ce qui se passait alors sur la terre n'était point si
ragoûtant. »260(*).
Comme on le voit, la coupure avec le monde extérieur permet la création d'une
société nouvelle régie par des règles autonomes.
C'est sans doute pour cette
raison que les personnages plongés dans les souterrains ont une perte totale de
la notion du temps. Philippe de Lussan et l'abbé de Chavigny, sortant des
catacombes après une nuit d'angoisse, sont ainsi victimes de ce bouleversement.
« Six heures du matin ! dit-il ; avons-nous passé si peu de
temps dans ces affreuses carrières ? » s'exclame Philippe, à quoi
l'abbé lui répond : « J'aurais cru que nous avions passé trois
jours entiers dans ces trous noirs ! »261(*).
Même sensation pour le commissaire Jackal, kidnappé par les hommes de
Salvator : « La marche fut lente [...] ; elle dura trois
quarts d'heure qui parurent des siècles au prisonnier. »262(*);
ou pour Rousselin, dont les effets sont accentués par l'obscurité des
catacombes dans lesquelles il vient à son tour de se perdre : :
« Une demi-heure a des proportions séculaires en pareille
circonstance ; Rousselin attendit pourtant avec une patience stoïque ce
nouveau signal tombé du clocher du Val-de-Grâce, comme une voix de
salut. »263(*).
L'isolement, l'absence des repères sensoriels ou temporels, la déformation et
l'étirement des frontières, font donc du souterrain un univers totalement
indépendant qui, dans un cas, permet l'émancipation de l'innocence, de la
pureté, de la simplicité des règles naturelles, mais de l'autre, surprend le
voyageur égaré et scelle son sort qui se résume, dans la majeure partie des
cas, par la mort.
Conclusion :
Nous avons ainsi tenté
d'explorer, à notre manière, les représentations du Paris souterrain que nous
ont léguées les romanciers du 19ème. Que peut-on retenir d'une
pareille étude ? Notre manière de percevoir ces obscurs couloirs qui se
faufilent 10, 20, 30, parfois jusqu'à 70 mètres sous les pavés de la
capitale a-t-elle tellement changé ? A cela, je répondrais que non.
Nous avons observé dans nos
oeuvres, que le souterrain était un milieu fascinant, et pour les personnages
des romans, et pour ceux qui en narraient les histoires. La peur, le mystère,
la quête, tous ces éléments que nous avons évoqués nourrissent cette
curiosité. A-t-on si rapidement évolué, en l'espace d'un siècle ? Il ne
s'agit d'ailleurs même pas d'évolution. Car ces éléments, peur, mystère ou
soif de quête sont intrinsèques à l'homme. L'homme a et aura toujours peur,
sera toujours curieux face au mystère (et c'est ce qui le fait et le fera
toujours avancer), tout simplement parce qu'il est humain et qu'il est doué
d'une conscience. Il suffit d'ouvrir les recueils de contes qui fascinent
toujours autant et qui continuent à apporter des réponses, pour s'apercevoir
que, si l'environnement de l'homme change au fur et à mesure que sa main le
façonne au gré de ses trouvailles, l'homme en son for intérieur est toujours
régi par les mêmes mécanismes. De ce fait, le souterrain parisien, s'il a
perdu de son mystère, et n'inspire donc plus la peur qu'il a pu un jour
provoquer, conserve la richesse des mondes souterrains quels qu'ils soient,
et que Bachelard a si bien théorisée dans son ouvrage La Terre et les
rêveries du repos. Qu'on le veuille ou non, le souterrain sera toujours
assimilé à la matrice originelle, et conservera de cette assimilation la
sérénité, la sécurité, l'isolement et le recueillement qu'on lui a toujours
attribués.
Alors certes, la géographie du
Paris souterrain a beaucoup évolué depuis le récit des périples de Jean
Valjean. Le réseau des égouts s'étend désormais bien au-delà des frontières
du Paris d'Haussmann. L'égout n'est plus ce boyau encombré, mal entretenu,
dangereux, dont Victor Hugo trace le fétide portrait. Les égouts de Paris
sont désormais sous étroite surveillance.
Car tel est le phénomène
actuel du 21ème siècle. A l'ère où l'on part explorer la
lune, Mars, Titan, et quelles planètes encore plus éloignées, quels secrets
peuvent encore dissimuler les souterrains de Paris ? De secrets, ils
n'en recèlent plus vraiment. Seules les légendes demeurent. Désormais, les
sous-sols de Paris ont été dans leur presque totalité apprivoisés.
L'Inspection des carrières surveille de près l'évolution des anciennes
carrières, surveille la formation d'éventuels fontis, la fréquentation de ces
sites.
Mais si les souterrains sont
ainsi étroitement encadrés, pire, ils ont été colonisés par un intrus des
temps modernes : le métropolitain. Creusé comme un gruyère, Paris est
désormais aussi agité au dessus qu'au-dessous. Une rumeur affirmerait même
que, si l'on rasait la totalité de la surface de Paris, on aurait à peine
assez de matériaux pour combler les vides de ses souterrains... De quoi
donner froid dans le dos.
Car ces éboulements
qu'évoquaient Alexandre Dumas et Elie Berthet ne sont pas de pures fantaisies
littéraires, ni même des accidents révolus. Le 23 février 2003, une école du
13ème arrondissement de Paris s'effondrait, aspirée par les vides
du chantier pour le prolongement de la ligne du Météor. Les immeubles de
Montmartre font aussi régulièrement état d'affaissements, à la grande frayeur
des riverains. Alors le mythe du Paris souterrain, encore vivant ?
Oui, d'une certaine façon. On
n'écrit certes plus comme au 19ème siècle sur les souterrains, car
les épopées dans les catacombes ne feraient plus crédibles. Mais un phénomène
parallèle tend à se développer. Il suffit d'observer le nombre de
« cataphiles » qui ne cesse d'augmenter, au grand dam des polices
spécialisées et des conservateurs du patrimoine souterrain de Paris. Ces
derniers n'ont effectivement de cesse de déplorer les graffitis et autres
pollutions engendrées par ces visiteurs atypiques. Mais il est intéressant à
relever, cet engouement pour les souterrains, qui met en lumière le fait que
les sous-sols parisiens continuent à engendrer des passions. Récemment, un
groupuscule de « cataphiles » forcenés a ainsi réussi à constituer
une salle de cinéma sous le palais de Chaillot et à pénétrer dans les si
fameux souterrains de l'Opéra Garnier !
Si l'aspect
« aventure » s'est plus ou moins atténué avec l'augmentation de la
fréquentation des souterrains parisiens et l'ouverture au grand public d'une
parcelle des catacombes, la fascination demeure exactement la même. Comme il
existe des passionnés des toits de Paris, il existe des passionnés des
souterrains de Paris.
On pourrait sans aucun doute
chercher une raison à cela, qui se rapprocherait des théories sur
l'inconscient que nous avons abordées dans notre deuxième chapitre. Mais à
cela s'ajoute de nos jours un besoin des « cataphiles » de fuir en
quelque sorte le monde réel. Nous avons évoqué les légendes des catacombes.
Celles-ci donnent un cadre à l'établissement des jeux de rôles, phénomène
actuel qui se développe chez les jeunes, et qui a pour but de fabriquer de
toutes pièces une histoire dont chacun des participants est un protagoniste.
Preuve que le souterrain sait encore stimuler les imaginations en quête
d'univers hors du commun.
Et hors du commun, les
souterrains de Paris le sont encore. On trouve ainsi une certaine fierté chez
les initiés du monde souterrain, qui se vantent de posséder les connaissances
de cet univers d'exception. Car ne devient pas « cataphile » qui
veut. Il y a tout un protocole à suivre. Entre autre, le
« cataphile » doit se démettre de son identité à l'entrée du
souterrain. Il adopte alors un nom d'emprunt, à l'instar de nos personnages
qui ôtaient le masque en pénétrant dans les catacombes. Se donner un nom
d'emprunt, n'est-ce pas se donner un nom qui reflétera au plus près notre
personnalité ? Il existe donc une caste souterraine.
De même, cohabitant dans des
souterrains parallèles, les égoutiers ont une fierté vis-à-vis de leur
travail. Egoutier est encore un des rares métiers qui se transmet de père en
fils.
La littérature s'est donc
relativement éloignée des souterrains parisiens, qui devenaient par trop
démocratiques, laissant la place aux imaginations individuelles. Les romans
policiers se sont tournés vers les banlieues ou les quartiers sordides de la
ville, à ses heures nocturnes. Mais il est rare de trouver des Thénardier ou
des Patron-Minette dans les couloirs aseptisés du Paris souterrain. Les
champs sémantiques ont changé de référent avec la transformation du décor. Le
souterrain n'offrait plus assez de liberté à l'imagination, et à
l'amplification que permet tout ce qui est entouré de mystère. Les romans
d'aventures se sont également exilés dans les contrées tropicales. Quel
romancier fantasque songerait de nos jours à aller explorer aux côtés de son
héros, les collecteurs des égouts Sébastopol ou des Petits-Champs ?
De même, les récits relatant la
présence diabolique dans les catacombes de Paris ont perdu de leur impact sur
le lecteur. Il en faut toujours plus, maintenant, pour impressionner. Car les
progrès de l'éducation, de la science ont éclairé les zones d'ombres de
l'ignorance, ces vides propices aux fabulations.
Sans doute le souterrain a
perdu de sa crédibilité à mesure que Paris perdait de son aura. Certes, on
entend encore les lointains échos de l'exception culturelle française, de
Paris, comme la plus belle ville du monde, comme capitale de la culture...
Mais quelle influence Paris exerce-t-elle maintenant en comparaison de sa
gloire passée ? Désormais, la France parait arrogante. On évoque même la
France comme reflet de la vieille Europe...
Or, nous l'avons vu,
l'influence du souterrain n'existe en partie que par la puissance de son
contraire, le Paris de surface. Quand Paris bouillonnait d'idées, de
pouvoirs, de foules à sa surface, quel contraste le souterrain
offrait-il ! Mais maintenant que cette fièvre a investi les sous-sols,
et que l'agitation du dessus s'est transformée en brouhaha, quel intérêt la
littérature trouverait-elle encore à s'y attarder ?
L'attrait des romanciers du 19ème
pour les souterrains parisiens, comme nous l'avons expliqué auparavant,
s'expliquait par le romantisme de ces contrées inédites, inexplorées, propres
aux fabulations... A l'ère de l'électrique, de l'électronique, du GPS, des
télécommunications, qui rêve encore des mystérieuses catacombes dans les
mêmes proportions ? Nous avons perdu l'innocence des romantiques vis-à-vis
de notre capitale. Paris perd peu à peu de sa superbe pour ne devenir que la
capitale du quotidien. Certains disaient « Paris sera toujours
Paris », ce qui plaçait la belle ville dans un mouvement d'éternité.
Mais à partir du moment où elle s'ancre dans le présent, où elle devient le
cadre banal de la vie de tous les jours, dans quelle mesure cette maxime
peut-elle encore faire autorité ?
Vision somme toute pessimiste,
mais qui s'inscrit dans la théorie de l'histoire cyclique. Comme Rome, comme
Athènes, Paris n'échappera sans doute pas à son sort. Seront-ce les
souterrains qui décideront de sa fin ? 1944 avait déjà failli réaliser
cette hypothèse, et l'on ne doit la survie de Paris qu'à l'intelligence et
l'amour pour la capitale du général allemand Von Choltitz qui refusa
d'enclencher les bombes dont il l'avait minée.
Le mythe de Paris, bien que
terni, continue cependant à inspirer les imaginations des romanciers ou des
cinéastes. Récemment, un film comme Peut-être imaginait Paris
recouvert de sable, et l'anéantissement total de la capitale devient en
quelque sorte cliché dans les films hollywoodiens à scénario catastrophe.
Mais les raisons de ces destructions ne sont plus intrinsèques à Paris, elles
proviennent d'une menace extérieure, et la représentation de Paris dans ces
circonstances n'est souvent limitée qu'à son symbole : une vague Tour
Eiffel qui surgit derrière un brouillard.
Les ossements des catacombes,
eux, n'ont que faire de ces bouleversements. « Endormis par la mort,
ici sont nos ancêtres. » prévient la gravure du Grand autel de
l'Obélisque dans une des galeries de l'ossuaire. Et ce ne sont pas quelques
apocalypses littéraires qui viendront les réveiller...
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Bibliographie :
Bibliographie primaire :
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(Janvier1861-Décembre 1862)
Bibliographie
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Thèse de doctorat « nouveau régime » littérature française, Université
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misères du roman populaire, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990
Wotling, Patrick, La Pensée du
sous-sol, Paris, Editions Allia, 199
Par Céline Knidler
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