mercredi 3 octobre 2012

Longer les pas jusqu’à ta porte est un plaisir. Un plaisir dont je gave la jouissance. Ne dites rien, je sais. La jubilation ne se démontre pas, elle est la fulgurance d’un vécu intérieur qui apparaît aux visages. Hier, je n’en croyais pas mes yeux ! Rien, presque, n’a changé. « Portail guêpe », même après la désolation du 12 janvier 2010, garde encore son charme et sa fonction : lieu décongestion
naire, là où les belles de nuit accueillent les inconnus pour une promesse de miel et de lait. Les instants festifs sont les seuls, sous la lune joyeuse, à chaque été, qui reviennent sans l’accord du bon dieu ; l’air frais inhalé du matin, comme inexistant, passe toujours inaperçu. Il berce les narines et monte la garde pour ne plus s’en aller. Pourquoi ne fout-il pas le camp ? Je ne saurais le dire. Ce dont je suis certain, c’est que les gens heureux ne s’en soucient pas. Ils boivent et dégustent la vie dans un verre de vin. Démo fait partie de cette catégorie qui, pour un rien, invite les autres à sauter du haut de leurs illusions pour vivre. Selon lui, demain est une promesse que la vie ignore : chaque rendez-vous avec elle tue la magie, détruit l’énergie de la présence, celle qui fait de nous un autre aux regards des autres et nous ramène à la conscience de nous-même.

Le 25 juin dernier, le pas emboité, j’ai laissé Port-au-Prince sans destination aucune. L’étendue devant moi m’appelle. J’ai cru déceler ta voix de l’autre côté de la colline, mais c’était le vent qui susurrait. A la gare Gonaïves, le bus démarrait, pourtant je ne me suis pas encore dit où j’allais ; sans malle, sans sacoche je poursuis mon chemin. Harmonieux, déconcerté, je lève la tête vers le ciel, perdu dans mes pensées, comme si je venais de subir une perte. « Parbleu! ça craint ! » me suis-je dit, « quel est cet état qui doucement s’impose à moi, me dicte ses lois? » L’habitude, peut-être. Ah ! Pivert. Les soirées surchauffées dans les guinguettes avec les jolies bleues en vue, les corsages entrebâillés et les sourires s’échappant par moment de ces bouches mal-armées contre l’urgence. O ! Quel spectacle n’aurait-on pas connu si non voyant on était né. Cette nuit là Démo et moi n’avons pas cessé d’admirer le plongeon des yeux vers l’ailleurs faux-fuyant ; en attendant chacun son tour, nous sommes impatients de grimper Roselentille, la plus bandante, la plus mignonne des femmes que cette ville a offerte aux infortunés. Pour une fois, le bon dieu semble juste envers tous. Personne ne se plaint pendant les présentes minutes ; les secondes s’égrènent, mêmes les tiers sont comptés. Sur le visage largué de tous, l’heure a pris congé, on pouvait y lire : « je jouis, donc je disparais ». Alors je trouve une réponse à l’effarement qui, dans le bus, a eu le dessus de moi : Saint Marc me manque, la voix du vent que j’entends c’est la sienne propre? Cette ville vit en moi, hors de moi, elle parle la langue du vivre et du comment faire vivre : souvent quand les pleurs coulent à flot, et que le désespoir ne responsabilise pas le genre humain, elle me dit : « ne détourne pas mon petit fils de la voie du plaisir, fais vivre et tu vivras ; investis ta joie dans les Banks des cœurs, parce qu’une bouche qui ne sourit pas et exprime de la douleur sous chapeau de rationalité, dort mal la nuit. Tout ce que tu réalises aujourd’hui tu le perdras un jour, la mort s’en chargera. Au cas où tu aurais l’air exempt d’intempérie ne dis pas aux autres que tu ne souffres pas, ils aimeraient, en cela, te ressembler, et sans le vouloir tu créerais des monstres. Ici tu es chez toi, tu vas où tu veux, par où tu veux, et prends tout ce que tu veux ; tu vois ! La liberté n’est pas un acquis ; c’est un don fait à la civilisation ; elle résulte de l’amour. Un présent hérité ».

Et moi qui croyais…

- Chuuut !

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