Haiti et la stratégie du choc.
Pour
les progressistes, faut attacher
vos ceintures face à ce saccage d'Haïti et l'appropriation de ses
ressources, tels que décrits dans l'article; E-Power, avec Pierre Marie
Boisson, un des directeurs de l'entreprise- qui a
peut-être soufflé à Préval sa formule cynique après le séisme " Le
tremblement de terre est une opportunité de faire des affaires".
Effectivement,
comme nous
l'avions dit E-Power fondée par Rouzier en 2004, -lequel Rouzier
voulait en plus devenir Premier ministre, quels rapaces ! - a remporté
l'appel d'offres -hum, sans blagues!- lancé par
un Préval aux ordres de Washington en 2006.
Je
comprends maintenant mieux
pourquoi les Américains ont préféré Martelly à Jude Célestin, le
poulain de Préval. Préval suivait leurs ordres de privatisation ( de la
BM,de la BID, de USAID, de l'ambassade américaine) mais
trop lentement à leur goût.
Il
leur fallait un dapiyan à
l'Irakienne, genre on prend très vite tout. Le séisme bienvenu pour
cette opération a permis de placer au pouvoir une équipe docile et sans
aucune vision économique pour l'avenir d'Haïti
autre que le plan Collier, dit "plan mango et sweatshops". Mais pour
que ça marche comme sur des roulettes, il fallait un parlement
fantôche, ce à quoi s'est appliqué l'équipe Lamothe/Martelly,
via la corruption et une propagande d'enfer pour dénigrer les
parlementaires et développer l'hostilité des citoyens à leur égard.
A
la lecture de cet article, au
regard du soutien que la BID et la BM apportent aux projets de
saccage de la souveraineté haïtienne, on comprend également mieux, d'une
part le silence peureux de l'opposition- qui oserait
s'opposer au FMI en dehors de l'Islande ? Voyez la Grèce, l'Espagne,
le Portugal, l'Italie et bientôt peut-être la France, pays dépecés par
les entreprises privées internationales- la complicité
de la presse internationale qui se garde bien de parler d'Haïti, et
d'un autre côté l'arrogance décomplexée des Martellystes qui en réalité,
par leurs abus, leur mépris affiché de la Constitution
et de l'ensemble des institutions de l'Etat, ne font qu'obéir à la
consigne qui leur a été passée en échange d'un enrichissement rapide :
tuer l'Etat haïtien une bonne fois pour
toutes.
C'est
quand même surprenant que ce
petit pays dit "le plus pauvre de l'hémisphère ouest" excite tant de
convoitises et que les Américains s'acharnent autant à détruire sa
capacité de dévelopement autonome.
Texte traduit de l’anglais par L.S.
La traduction de l'article est approximative mais n'empêche pas de le
comprendre.
By Matt Kennard - September
5th, 2012
Matt Kennard is a journalist who has worked
for the Financial Times in London, New York and Washington
"Dans
l'hémisphère occidental, en Haïti et
ailleurs, nous vivons à l'ombre de votre grand pays et prospère.
Beaucoup de patience et de courage est nécessaire pour maintenir la
tête»,-- Docteur
Maigot à Mme Smith dans Graham Greene Les Comédiens.
Au milieu de
Port-au-Prince, le long d'une route poussiéreuse et derrière des portes
métalliques imposantes, se trouve la centrale électrique
E-Power. Dans une capitale où les coupures d'électricité sont un
phénomène nocturne, E-Power est le genre d'entreprise en cours
d'exécution que les institutions financières internationales (IFI)
Haïti croient qui mènera la «réforme» - en prenant pouvoir à
l'écart de la société gérée par l'Etat, et en l'exécutant pour le
profit. La société a
été fondée en 2004 par un groupe de capital-risque haïtien excité
par le départ des sociaux-démocrates du président Jean-Bertrand
Aristide. L'objectif, selon la société, était «d'offrir
une solution a la production d'énergie en Haïti». Effectivement,
deux ans plus tard, en 2006, le nouveau président René Préval que les
États-Unis, ont soutenu le retour, a lancé un appel d'offres
ouvert pour un contrat de fourniture d'électricité dans la capitale
d'Haïti. Sept entreprises ont pris part: E-Power a remporté.
Pour beaucoup de
personnes dans l'élite des affaires haïtienne, une telle libéralisation
économique devrait maintenant être le modèle de la nouvelle
Haïti en processus de reconstruction après le tremblement de terre
dévastateur du 12 Janvier 2010. "Le tremblement de terre a créé un
traumatisme qui aurait pu être mieux exploité", me dit
Pierre-Marie Boisson, directeur du conseil en E-Power, alors que
nous sommes assis dans les bureaux haut de gamme de l'usine. "En raison
du processus politique qui a eu lieu après cela, il a pris
trop de temps." Il ajoute: «Les tremblements de terre devraient être
une opportunité car ils détruisent. Là où les tremblements de terre
détruisent,
nous devons construire. Lorsque nous avons à construire, nous
pouvons créer des emplois, nous pouvons créer beaucoup de changements,
nous pouvons changer un pays..."
Toutefois, le cynisme
M. Boisson au sujet de la lenteur d '«exploitation» n'est pas tout à
fait exact. Au lendemain du tremblement de terre,
l'opportunité offerte par la destruction qui a frappé Haïti a, en
fait, sauté immédiatement - et des résultats ont été incroyables.
Alors que la poussière s’installait encore
dans les rues de Port-au-Prince, les IFI et les divers
organismes américains - qui sont devenus le gouvernement de facto en
l'absence d'une alternative haïtienne - découpait les différents
secteurs de la société et les distribuait entre eux. La
Banque interaméricaine de développement (BID) a obtenu l'éducation
et l'eau, la Banque mondiale emporte l’énergie; l'Agence américaine pour
le développement international (USAID) a accepté avec
reconnaissance les nouveaux parcs industriels prévus. Alexandre
Abrantes, envoyé spécial de la Banque Mondiale en Haïti, me raconte
comment il a travaillé: «Essentiellement, nous avons
convenu que les compétences distinctives de chacun de nous et nous divisons ensuite ... les secteurs
entre nous, et nous décidons de travailler ensemble dans certains secteurs . "
- via an export-led garment-production and cheap-labour model
La privatisation
massive des actifs gérés par l'Etat et le changement d'Haïti en un
«atelier de misère des Caraïbes" - par l'intermédiaire d’un
modèle axé sur la production pour exportation de vêtement et
sur force de travail à bon marché - étaient quelque chose que les
Etats-Unis et les
institutions financières internationales ont fait pression avec
force entre 1990 aux années 2000. Maintenant, sa réalisation est devenue
une possibilité distincte. Ils pourraient l'appliquer avec
minimal refoulement par le fait d'une société civile décimée et un
gouvernement dénudé. Tous les acteurs internationaux (extra-haïtiens),
en particulier le gouvernement américain, ont la même
vision, ce qui rendait la tache encore plus facile. "Il ya beaucoup
d'accord, alors je dirais que l'un des aspects inhabituels et très
positif sur ce projet, c'est qu'il est vraiment fait en
partenariat", me dit Jean-Louis Warnholz, un fonctionnaire du
Département d'Etat-qui travaille sur les dossiers d’Haïti ...
Le «partenariat»
croyait que reconstruire les capacités de l'État haïtien ne devrait
jouer aucun rôle dans la reconstruction. La panacée aux
problèmes d'Haïti réside dans la création d'un secteur privé
florissant. "Qu'est-ce qui va vraiment changer Haïti et que ce processus
soit différent de tous les précédents est [le] développement
du secteur privé, et je pense qu'il ya un consensus au autour de ce
fait», me dit Aguerre Agustín, le gestionnaire des dossiers d’Haïti à la
Banque Interaméricaine de Développement (BID). La
Banque a décaissé 177 bn $ en subvention en 2010, plus que toute
autre source multilatérale, pour faire avancer ce dossier. "Le secteur
privé est la grande différence, c'est ce qui va créer de la
richesse, de créer des emplois, et non le secteur public», ajoute M.
Aguerre.
Même après l'élection
de Michel Martelly à la présidence d'Haïti en Mars-Avril 2011, les
choses restent faciles pour ce secteur privé dirigé par
«consensus»: l'IFI et Etats-Unis avaient non seulement leur
"événement choc", mais aussi leur «président choc" . (Aristide - qui fut
président en 1991, 1993-94, 1994-96 et 2001-04, continue
d'être le politicien le plus populaire en Haïti, mais il est
interdit de se présenter à nouveau à la présidence). Dans
l'administration Martelly, les Etats-Unis avaient trouvé leur «Chicago
Boy
", un partenaire plus-que-prêt pour leur programme économique. Tous
les regroupements d'entreprises majeures et les IFI auxquelles j'ai
parlé à Port-au-Prince, ne tarissaient pas leur soutien au
président. Carl-Auguste Boisson, directeur général de E-Power, a
déclaré: «Je me réjouis de ce que j'ai entendu dire Martelly sur
l'importance de l'investissement privé, surtout quand il faisait
campagne, il parlait de choses comme la fourniture de la prestation
privée de services publics».
Kenneth Merten,
l'ancien ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, est également enthousiaste
au sujet du programme de privatisation du nouveau
président."A part la privatisation des moulins à farine,
mais à part ça vous n'avez pas eu grand-chose dans les dernières
décennies», me dit-il. «C'est l'élément qui a été fait ici
défaut, vous avez besoin d'un gouvernement qui comprend
l'investissement et je pense que Martelly et ses gens comprennent." Aux
États-Unis, un pion souple comme Martelly avait mis longtemps à
venir. Malgré plusieurs décennies d'efforts, Haïti n'avait pas
complètement succombé aux plans que son grand mécène avait pour elle. Et
une telle réticence avait causé la consternation croissante
à Washington.
La longue histoire
Dans
les années 1990, le rythme de la réforme économique en Haïti n'était
pas assez rapide pour le
gouvernement de Washington ou pour les puissants IFI qui essayaient
ensemble de changer radicalement le visage du pays. Après les premières
élections démocratiques en 200 ans d'histoire du pays
en 1990, les Etats-Unis a exprimé l'espoir de briser les
institutions de l'Etat corrompus qui avaient été les fiefs personnels de
«Papa Doc» et «Baby Doc», (les Duvaliers) dictateurs supportés
par les USA, qui avaient régné violemment pendant presque quarante
ans. Le capital privé serait alors en mesure de pénétrer plus
profondément en Haïti, et un modèle économique favorable aux
intérêts des pays riches pourrait prendre fermement racine.
Mais ça n'allait pas
comme prévu. Au lieu du «réformateur» modelé sur les moules des USA que
beaucoup de personnes à Washington avait espéré, un
mouvement de masse énorme, nommé Lavalas, sous l'impulsion du prêtre
social-démocrate, Jean-Bertrand Aristide, arrivait à une victoire
écrasante en 1990. Au cours des vingt années qui suivaient,
Aristide était évincé deux fois (avec le soutien américain), et les
espoirs et les rêves démocratiques de son peuple seraient en maintes et
maintes fois écrasés.
Avec les nuisances
d'Aristide, et toute l'agitation que connaissait le pays, il était
difficile pour les Etats-Unis et ses alliés dans le Fonds
Monétaire International et la Banque Mondiale de transformer Haïti
en un modèle néolibéral dans la façon dont ils avaient imaginé.
Lorsqu’Aristide est revnu au pouvoir en 2001, il l'a fait avec
l'accord tacite que cela permettrait aux États-Unis et les
institutions de Bretton Woods de mettre en place leur plan. Onze ans
après les élections démocratiques, et la "réforme" économique était encore lente. Quelque chose devait changer.
Durant cette
période, René Préval, ancien allié d'Aristide qui était président de
2006-11, semble offrir un certain espoir pour les
Américains. «Dans le contexte du monde en développement, nous
pourrions le décrire comme un néo-libérale, en particulier en ce sens
qu'il a embrassé les marchés libres et les investissements
étrangers", note l'un des câbles diplomatiques de l'ambassade des
Etats-Unis envoyés à partir de Port-au-Prince en 2007.
Mais le leader que les États-Unis appuyaient vraiment dans cette période était plutôt Dumas
Siméus,
homme d'affaire américain d'origine haïtienne. Un résident du Texas a
assuré l'ambassade américaine, selon un câble diplomatique de 2005, que
« il gérera Haïti comme une entreprise ». Le
même câble a ajouté: "Affichant le charme et l'énergie débordante,
le sexagénaire dit qu'il avait décidé de briguer la présidence, non
seulement pour le bénéfice d'Haïti, mais aussi comme un
geste de remerciement aux États-Unis." Il a été très clair sur ce
qu'il allait faire: «L'Université de Chicago était engagé à apporter
les« Chicago boys » en Haïti et d'établir une feuille de
route pour le changement, les investisseurs prometteurs seraient de
retour."
C'était exactement ce
que l'ambassade américaine voulait entendre; Siméus était le candidat
qu'ils cherchaient. Le câble a conclu en notant que le
millionnaire Texan est un «candidat potentiellement viable" qui
pourrait, contrairement à Aristide, «gouverner de façon responsable et
peut-être efficace» - ceci dans l'intérêt américain.
De cette même façon, les États-Unis estiment désormais Martelly «responsable».
Mais à bien des égards, il reste difficile à comprendre pour les États-Unis qui
s’exaspéraient devant
l'apparente réticence des dirigeants haïtiens de vendre des actifs
de leur pays et de créer un terrain de jeu économique pour le capital
étranger. Depuis 1990 aux années 2000, les «Chicago boys»
ont du essayer à toutes fins utiles de prendre la direction
d’Haïti ; le processus d'ouverture de l'économie d'Haïti aux prédations
des capitaux étrangers était bien engagé. En 1996,
le gouvernement haïtien avait déjà, selon un câble diplomatique
publié par Wikileaks, mis en place une législation sur la modernisation
des entreprises publiques, ce qui permet aux investisseurs
étrangers de participer à la gestion et / ou la propriété des
entreprises d'Etat."
En outre, une loi
en Novembre 2002 reconnaissait explicitement le «rôle crucial de
l'investissement
étranger pour assurer la croissance économique et visant à
faciliter, à libéraliser et à stimuler l'investissement privé en Haïti."
La loi a donné aux investisseurs étrangers les mêmes
droits et protections qu'aux Haïtiens. Quelques mois plus tôt, en
2002, le parlement haïtien a voté une loi pro nouvelle zone de
libre-échange, qui prévoit des «zones» par des incitations
fiscales et douanières pour les entreprises étrangères - par
exemple, une exemption d'impôt de quinze ans. En d'autres
termes, après-Aristide, le gouvernement avait «vu la lumière» et
avait embrassé la vision américaine de Bretton Woods pour la période
post-dictature en Haïti. Mais comme un toxicomane récidiviste, ces
mesures ne devaient jamais être suffisantes pour assouvir
les Etats-Unis et les institutions financières internationales. Ils
ne voulaient que leur « Chicago boy ».
Un bon
exemple de cette avidité vient des câbles de Wikileaks, dont l'un prend
note qu'en 1996, une «commission de modernisation» a été mise
en place pour décider si les contrats de gestion, des baux à long
terme ou capitalisation était la meilleure option pour chacune des
entreprises en passe d'être privatisées. La
commission devrait également définir combien le gouvernement haïtien
conserverait de l'actif, avec un plafond à 49% - une participation
minoritaire, qui écarterait le contrôle du peuple haïtien
sur leurs propres industries. Cela a eu un effet immédiat. En 1998, deux sociétés américaines, Seaboard et Continental Grain, ont acheté 70% de la minoterie appartenant à
l'Etat.
Mais en dépit de ce «progrès», un câble diplomatique de 2005 se lamentait: «Certains
investissements, cependant, requièrent toujours
l'autorisation du gouvernement». Il a ajouté: «Les investissements
dans l'électricité, l'eau et les télécommunications nécessitent la
concession et l'approbation gouvernementales ; outre,
les investissements dans le secteur de la santé publique doivent
d'abord recevoir l'autorisation du Ministère de la Santé Publique et de
la Population.».
Cela sonnait comme un pays normal souverain, mais un pays souverain, c'est exactement ce que les Etats-Unis et l'IFI ne
voulait pas qu’Haïti soit. Deux ans après qu'Aristide ait été expulsé à l'extérieur
du pays, et juste avant la victoire du "néo-libéral" Préval en
2006, l'ambassade américaine a noté: "Depuis la privatisation de la
cimenterie, la privatisation est au point mort et semble avoir été mise
au rencart ». Elle a ajouté, plaintivement:
«Aucune des grandes entreprises liées à l'infrastructure
(l'aéroport, le port, l’entreprise de téléphonie ou la compagnie
d'électricité) ont été privatisées."
Le document poursuit:
«Bien que ces entités étaient censées avoir été privatisées en 2002, la
persistance des crises politiques, l'opposition forte
de l'ancienne administration et un manque général de volonté
politique ont retardé l’aboutissement du processus." Le câble note alors
une raison plus plausible pourquoi ce programme de
privatisation massive n'avait pas été adopté tout à fait, aussi bon
que les Etats-Unis avaient espéré: «Certaine opposition à la
privatisation des entreprises d'Etat continue de venir des groupes
tels que les syndicats d'employés qui ont exprimé leur opposition à
des réductions d'effectifs que la privatisation pourrait entraîner. "
En 2008, l'ambassade américaine était alors inconsolable à la lenteur des progrès et de l'intransigeance de l'Haïtiens. "En
dépit des
assurances que la privatisation est une toujours une priorité pour
le gouvernement ... nous sommes de plus en plus sceptiques que la
privatisation, sous quelque forme que se passera", a noté un
câble. "Le temps est compté." Les États-Unis, cependant, sont restés
ferme à son but. «Nous allons continuer de militer en faveur de la
privatisation et / ou la gestion privée", a noté un câble.
Un travail de plaidoyer a été fait sur les institutions de Bretton
Woods à soudoyer le gouvernement démocratique d'Haïti. «[L'ambassade
américaine] réitère sa recommandation ... que la
privatisation est une exigence en vertu de futurs accords avec les
institutions financières internationales ... à négocier avec le nouveau
gouvernement."
Le choc
La corruption peut
s'avérer une stratégie efficace pour le pays le plus pauvre de
l'hémisphère occidental, mais elle serait encore en désordre.
C’était après tout un parlement haïtien, peuplé d'éléments
nationalistes, qui pourrait continuer à bloquer ou même tuer le
programme de privatisation massive que les États-Unis favorisent. Mais
comme les Etats-Unis étaient en train de perfectionner sa stratégie
pour la nième pression, le 12 Janvier 2010, un tremblement de terre
énorme frappe Port-au-Prince et ses environs, créant l'une
des pires crises humanitaires dans l'histoire du monde. Plus de
300.000 personnes ont été tuées, tandis que des millions sont sans abri.
La capitale était en ruines, y compris la majorité des
ministères ainsi que le palais présidentiel. Que restait-il d'une
société civile déjà étranglée civile et des institutions sociales
détruites ? Haïti était une ardoise vierge.
Les États-Unis et ses
alliés au sein du FMI et de la Banque mondiale n'ont pas perdu de temps
pour se rendre compte que c'était l'occasion de faire
passer leur programme néolibéral radical par rapport aux années
1990, avec peu de résistance. L'opposition à ce programme de
privatisation - qui était variée allant des politiciens
quasi-nationalistes aux agents communautaires de base
- a presque tout disparu. Sans un gouvernement en place pour se mettre
d'accord ou en
désaccord avec les États-Unis et les institutions financières
internationales, qui étaient en train de diriger de fait le pays, Haïti
était prête pour la «stratégie du choc» (stratégie de
choc : les prescriptions économiques radicales appliquées partout dans le monde et décrites dans le livre éponyme de Naomi Klein).
La première étape a consisté à consolider un système de prise de décision qui prenaient tout
le
pouvoir des mains des responsables des institutions démocratiques
dirigées par des Haïtiens. La Commission Intérimaire pour la
Reconstruction d’Haïti (CIRH), qui est devenue le plus puissant
organe de décision du pays à la suite du tremblement de terre, est
le parfait exemple de cette démarche. La CIRH a été mis en place
officiellement pour coordonner la réponse et dépenser l'argent
des bailleurs de fonds en l'absence d'un gouvernement haïtien. Il
avait vingt-six membres, dont douze étaient haïtiens, les laissant sans
un vote à la majorité (tout comme ils n'avaient pas le
droit de participation majoritaire dans leurs industries). Pour ces
membres haïtiens, c’était évident qu'ils faisaient la façade.
Dans une lettre de protestation en décembre 2010 au président CIRH, qui était l'ancien
président
américain Bill Clinton, les membres haitiens se sont plaints d'être
«complètement déconnectés des activités de la CIRH», ainsi que de
n’avoir pas «le temps ni pour lire, ni pour analyser ni pour
comprendre - et beaucoup moins répondre intelligemment - les projets
soumis ". Selon un journaliste basé à Port-au-Prince: «Ces douze
membres du conseil d'administration ont supposé que leur
seule fonction est d'entériner, comme Haïtiens, les décisions déjà
prises et approuvées par le comité exécutif."
C'est exactement
l'impression que les États-Unis et les institutions financières
internationales essayaient d'éviter. Lorsque les fonctionnaires des
organismes américains et internationaux en Haïti sont interrogés,
ils ont du mal à expliquer comment ils sont en train de «travailler pour
les Haïtiens» et l'expression de l’époque est «dirigé
par les Haïtiens». En vérité, c’était, et ca continue de l’être, un
minimum de participation haïtienne dans la reconstruction (en dehors de
l'élite des affaires). Un article paru dans le
Washington Post le disait crûment en Janvier 2011: "Il ya un déséquilibre entre la puissance dramatique de la communauté internationale - sous le leadership américain - et Haïti.
Ce dernier (les Américains)
monopolise le pouvoir économique et politique et dirige sur tous les
plans.». Les avantages financiers pour le
secteur privé américain a partir de cette mise en scène a été immédiatement évident. Une enquête AP a constaté que pour chaque $ 100 de
contrats de reconstruction en Haïti attribués par le gouvernement
américain, $ 98,40 sont retournés aux entreprises américaines.
L'accent n'a jamais
été sur le renforcement des capacités locales - tout travail devait
être confié à des entreprises étrangères ou à des ONGs par la CIRH.
Après que Michel
Martelly ait prêté serment comme président en mai 2011, il a fallu des
mois pour l’ancienne star de la musique et les membres
de la milice "Tontons
Macoutes" pour arriver à former un gouvernement, comme les candidats aux
postes ministériels ont été maintes fois rejetés par
le parlement. Au moment où son administration était en place en Juin
2011, dix-huit mois après le séisme, les coordonnées de la
reconstruction économique étaient déjà en place. Les mains
de Martelly étaient liées par les IFI qui prétendaient être aux
ordres des Haïtiens. Bien que dans le cas de Martelly, ses mains n'ont
même pas besoin d'être attachées- il était un "président
choc" volontaire.
Le modèle néolibéral
Les trois facteurs autour desquels les Etats-Unis et les institutions financières internationales
voulaient construire la «nouvelle Haïti», étaient : tourisme haut de gamme;
zones franches d'exportation et un secteur privé résurgent ayant le contrôle des actifs appartenant précédemment à l'État.
Les responsables de
la reconstruction ont deux pays à l'esprit qui, selon eux, pourraient
servir de modèle. L'un était la République Dominicaine, le
pays voisin à Haïti, qui a longtemps été un havre de paix pour les
capitaux privés dans les Caraïbes. En Haïti, en utilisant le modèle de
son voisin d’Hispaniola, la BID a prévu de dépenser 22
millions de dollars sur une station de tourisme haut de gamme à
proximité de la citadelle du 19ème siècle à Labadie, et un port sur la
côte nord d'Haïti. M. Almeida, directeur de Haïti
pour la BID, m'a dit que l'argent de la banque «fournira les moyens
pour le secteur privé à venir investir», ajoutant que «dans [la
République dominicaine] tout ce qu'ils ont, c'est tout
à fait privé.
L'aéroport est privé, les routes sont privées, même les routes
intérieures. Alors, nous
pourrions faire la même chose [en Haïti]. " Dans la première
division de la société haïtienne, la BID a reçu les infrastructures
routières.
L'autre possibilité
qui devait être mise à profit a été d'accélérer le processus de
privatisation. La Banque Mondiale a utilisé l'exemple de la
Téléco, l'ancien opérateur national de télécommunications, que, en
2009 le bras de la banque du secteur privé avait contribué partiellement
à privatiser. M. Naim, le gestionnaire du secteur privé
en Haïti pour la Banque mondiale, m'a dit que la Teleco est un
exemple de ce que le gouvernement devrait faire maintenant pour les
ports et les aéroports. «[Il peut] réellement
transformer ces actifs qu'en général le gouvernement gère mal",
dit-il, ajoutant que "C'est mieux pour le gouvernement de se concentrer
sur les choses sociales» et de laisser ces actifs se
privatiser.
Teleco elle-même est maintenant, en raison de sa privatisation complète, sous les directives du bras
du secteur privé de la Banque Mondiale, la SFI. Pour le pays
le plus pauvre de l'hémisphère occidental, c’était difficile - voire
suicidaire - de discuter ce que la Banque Mondiale dit.
En Mars 2010, la banque a promis $ 479 millions en subvention, la SFI mettait $ 49 millions en investissement direct dans le secteur privé en
Haïti.
Avec
la voie de la privatisation de la Teleco, la Banque Interaméricaine de
Développement
a ses propres plans pour l'autorité nationale de l'eau et de
l'assainissement (DINEPA), qui rentre le cadre du domaine d’intervention de la banque
lors de la première division faite d’Haïti. La banque bientôt remettait les fonctions de gestion de la DINEPA à la société géante espagnole,
« Agua de Barcelona », qui
a remporté
un contrat de trois ans pour former et aider les cadres (haitiens),
pour lequel elle a reçu des millions de dollars. «De nombreuses
entreprises locales prennent le contrôle des systèmes d'eau des
petites villes» ", me dit avec enthousiasme M. Aguerre de la BID. Ce
produit essentiel, lequel est un droit humain fondamental, a été
maintenant transformé en une entreprise à but lucratif. «Nous
constatons de bons exemples d’endroits où l'on ne payait pas pour
les services d'eau, et peu à peu ils paient maintenant», ajoute M.
Aguerre. Des experts de « Agua de Barcelona »
devinrent les chefs pour discuter les investissements nécessaires dans le système de l'eau en Haïti et pour les processus de passation de marché à
l’intention des différents entrepreneurs qui veulent participer dans la réalisation de nouveaux systèmes et d'autres améliorations sur les systèmes
déjà existants.
Dans le secteur de
l’Education, les plans de la BID ne sont pas différents. Gracei à des
décennies de politiques néolibérales qui donnent la
priorité au secteur privé au-dessus des ministères haïtiens, même
avant le tremblement de terre 80% des services d'enseignement ont été
livrés à des organes exterieurs de l’Etat haitien
(principalement aux organismes internationaux ou au secteur privé).
En conséquence seule la moitié des enfants en âge scolaire en Haïti est
allé à l'école. Pour la Banque Interaméricaine
de Développement, cela n'a pas été le choix de leur entreprise. Au
contraire, ils ont conclu que cela signifiait qu'ils n’étaient pas allé
assez loin. "Il est trop ambitieux de penser que vous
pouvez tourner autour", dit M. Aguerre.
La BID a mis en place
un programme de transfert de cash qui permet au gouvernement de
conserver un certain «contrôle de qualité», mais qui
signifiait que le fonctionnement de l'éducation serait totalement
privé. Pour assurer le plein accès, le plan créerait un système
d'éducation géré par le privé mais financé par les fonds
privés-publics. L'impression était que cette petite subvention
publique coûterait au gouvernement haïtien environ $ 700 millions par
année, sept fois $ 100 millions de dollars qu'il consacre
désormais à l'éducation. En l'absence de nouvelles sources de
revenus évidents (en fait, comme nous le verrons, l'assiette fiscale du
gouvernement a été presqu’entièrement détruite),
l'implication évidente est que l'accès intégral à l’éducation
n'était pas un objectif (ou non plus un espoir). Lorsque les 500 millions de dollars
promis par la BID sur trois ans sont dépensés, plus de la moitié des enfants d'Haïti sera toujours en dehors du système scolaire.
La Banque
Interaméricaine de Développement rationalisait cette disposition en
faisant valoir que le secteur privé prendrait le relais -
explicitement tenant la rançon des enfants d'Haïti aux stars du
cinéma d'Hollywood. "Il ya beaucoup d'acteurs privés qui
souhaitent mettre de l'argent dans le secteur ", a ajouté M.
Aguerre. «La moitié d’ Hollywood est intéressée. Tout le monde veut
une « école d’art Susan Sarandon». Par ailleurs, le «président choc"
Martelly est en train d’approuver
deux écoles privées basées sur un système subventionné « transfert de
cash » comme méthode pour reconstruire le système éducatif
haïtien.
Avec
la privatisation complète des télécommunications, de l'eau, de
l'éducation,
la dernière pièce du puzzle pour les IFI et les Etats-Unis était les
"nouveaux parcs industriels» ou « des zones économiques intégrées".
Ceux-ci, a travers la propagande, permettraient d'assurer
la croissance économique qui pourrait remettre sur pied Haïti et son
peuple.
L'approche cellulaire
La route de
trente minutes de l'aéroport au nord d'Haïti
à Codevi parc industriel est l’une des plus lisses dans le pays.
Dans un endroit réputé pour son manque d'infrastructures - notamment les
routes vallonnées- le parc et ses environs sont une sorte
d'oasis. Derrière le petit pont et les portes métalliques qui isolent CODEVI de l'extérieur de la ville, il ya tout ce que l'Haïtien moyen n'a pas:
les routes pavées, un service de santé qui fonctionne, l'emploi, et même un syndicat - le seul dans le pays.
Le parc de CODEVI de 2
millions pieds carrés a été construit par une société textile
dominicaine, Grupo M, du côté dominicain de la frontière, mais
les opérations ont été étendues à Haïti en 2003 (avec l'aide d'un
gros investissement de la Banque Mondiale) "Il a été créé comme une
vision d'expansion que le Grupo M a dû chercher ailleurs, car
la République Dominicaine est devenue plus compliquée sur le plan de compétitivité», me dit Joseph
Blumberg, vice-président des ventes pour la compagnie, alors qu'il
est assis dans son bureau climatisé à l'intérieur du parc. «Haïti
nous a offert l'avantage concurrentiel que nous avions
besoin dans cette région pour nous maintenir sur le marché
américain." Il ajoute: «Il a un coût salarial qui est le plus faible
dans la région." Le salaire minimum en Haïti est maintenant 150
gourdes (3,70 $), soit près de la moitié de celle de la République
Dominicaine’’.
Cet
avantage concurrentiel - des salaires de misère selon les termes d'une
personne profane »» et des termes commerciaux favorables
avec les Etats-Unis - avait attiré l'attention des institutions
financières internationales à la suite du tremblement de terre. L'objectif était de reconstruire Haïti comme un
«atelier de misère des Caraïbes» qui pourrait profiter des fruits de l’opportunité hémisphérique que représente Haïti à travers le
partenariat encourageant (loi HOPE), qui a été adopté par le Congrès
américain en 2006, accordant un accès en franchise pour les exportateurs
de produits
textiles haïtiens sur le marché américain. Ceci a été suivi par des
conditions de plus en plus favorables par le biais Hope II, en 2008, et
la Loi d'aide après le séisme de 2010.
Les parcs comme celui
de Codevi sont connus dans la littérature IFI comme des «zones
d'intégration économique" (ZIE): des lieux où les services
d'infrastructure sociale et d'autres services sont fournis derrière
des portes métalliques imposantes pour quelques chanceux. La propagande
les justifiant ont fait valoir que les investisseurs
étrangers potentiels rebutés par les routes délabrées, le réseau de
l'électricité et le système d'eau ou inexistants à travers Haïti
auraient accès à une mini-ville faite sur mesure. Il y
avait déjà un immense parc industriel de ce genre près de l'aéroport
de Port-au-Prince appelé SONAPI, qui est entièrement détenu par le
gouvernement haïtien et avait près de quarante entreprises
qui y sont basées. Mais les nouvelles ZIE seraient sous le contrôle
exclusif de leurs investisseurs initiaux - principalement l'USAID et de
la BID.
Cela a soulevé la
question de savoir ce qui se passerait en dehors de ces soi-disant
«pôles» d’activité économique. Quel serait l'incitation pour le
gouvernement central pour développer les infrastructures et les
services sociaux à travers le pays si elles ont été construites sur
cette échelle micro? Et d’où l'argent viendrait-il? Alexandre
Abrantes, envoyé spécial de la Banque mondiale à Haïti, admet que
c'est un problème, il me dit que les parcs industriels "ne peuvent être
durables que si vous deviez le faire partout en tant que
politique».
Codevi est essentiellement une «zone franche industrielle» où les exportations ne paient pas d'impôts au
gouvernement central et il n'existe pas de droits de douane sur les matériaux importés. "Vous
êtes dans un concept extra-territorial pour que vos biens
entrent et sortent très rapidement, sans beaucoup de paperasse",
ajoute Armando Heilbron, spécialiste principal du développement du
secteur privé à la Banque Mondiale travaillant sur les ZIE
d’Haïti. Par conséquent, la reconstruction d'Haïti sera centrée sur
les cellules isolées - appelés « petits pôles»
par les responsables
économiques - principalement autour de la partie nord du pays,
tandis que le reste de l'infrastructure et les services sociaux du pays
vont encore diminuer dans le temps.
Mais
peut-être le plus gros problème avec les parcs industriels est la
nature sans-scrupule des
entreprises qui les peuplent. La tournée de relations publiques du
CODEVI, avec ses arrêts aux postes de santé et de formation locale, est
un havre de soulagement après que le reste du pays a
connu la destruction forgée. Mais ce même tour ne comprend pas la
plupart des plus importants épisodes de sa création. Codevi a été
construit sur les terres des paysans contre leur
gré - un processus qui a littéralement détruit l'infrastructure agricole de la région pour créer des ateliers clandestins. C'était
une parabole pour la reconstruction économique qui s'est produite après
le tremblement de terre. Les câbles diplomatiques racontent qu'il y
avait eu un "conflit
de travail de longue durée entre la firme dominicaine Grupo M et les
travailleurs à Ouanaminthe".
"Selon Yannick
Etienne, une représentante syndicale, la lutte a ses origines dans les
négociations à huis clos qui ont établi la Zone de
libre-échange (ZLE). Les agriculteurs ont été écartés du processus
de négociation jusqu'au jour de la cérémonie de la première pelletée de
terre faite par FTZ en 2002, c’est alors les paysans ont
appris qu’ils ont été expropriées de leurs terres. Grupo M
finalement publié un plan de compensation sociale en 2003 ; cependant,
c’est arrivé trop tard pour les agriculteurs dont les terres
était déjà parties, et dont les soupçons des Dominicains étaient
déjà excités. "
Toutefois, selon les câbles diplomatiques publiés par Wikileaks, les
mots
apaisants de M. Blumberg ne révèlent pas toute l'histoire. «Les
syndicats dominicains prétendent Grupo M fait de la discrimination à
l'égard des organisations syndicales, persécutent leurs
membres, et crée un faux « syndicat briseurs de grève »dans le but de contourner celui qui est
légitime, note une câble. Il devient clair que quelque chose de
semblable s'est passé en Haïti. Grupo M avait un syndicat fort - avant
qu'il ne soit démantelé après avoir essayé d'exercer ses
droits. Quelques mois seulement après que Codevi ait ouvert, les
ouvriers ont commencé à se plaindre de «l'exploitation et les mauvais
traitements" par la direction. Les membres du syndicat ont fait des grèves et ont subi des violences ; une "série de départ forcé d'employés de la société a été suivie tout au long de l'été."
Le plan a également été fondé sur un manque de recettes fiscales. Une
autre incitation évoquée pour
les entreprises étrangères est les soi-disant «zones franches
économiques» (EFZs), qui offrent aux entreprises des droits fiscaux et
des droits de franchise si elles se mettent à opérer en Haïti.
En vérité, ces zones ne sont pas limitées dans l'espace physique,
mais constituaient plutôt l'ensemble du pays. En d'autres
termes, Haïti serait maintenant libre d'impôt pour les
investisseurs étrangers – c’est encore diminuer la capacité du
gouvernement haïtien à reconstruire les institutions publiques. Par
exemple, en 2011, le gouvernement haïtien faisait appel à un
montant estimé à 1 milliard de dollars en recettes, beaucoup moins
que le per-capita en Afrique sub-saharienne.
Le problème pour les IFI, c'est que même avec des salaires de misère - et le
laxisme de la réglementation du travail -
il a été difficile de prouver l’attraction des investissements
étrangers. Face à une telle réticence des
investisseurs à travers le monde, Haïti aurait dû se concentrer sur
le renforcement des capacités locales, peut-être par le biais d'une
initiative massive de travaux publics et la construction
d'installations de l'État, comme SONAPI. Les Haïtiens ont plutôt été
à nouveau mis à la merci du capital international et de sa «course vers
le bas». Pour l'ambassade américaine, la seule chose
pour Haïti, c'est que ses habitants ont été faits pour travailler
pour presque rien. «Haïti a les salaires les plus bas de l'hémisphère
occidental", se vantait une câble de l’ambassade
américaine. Pour les Haïtiens il n'y avait pas de quoi se vanter.
Camille Chalmers, un économiste local, a déclaré au ‘’Financial Times’’
que les salaires versés dans le secteur textile, la plus
grande industrie d'Haïti, ont été un "véritable scandale".
Le CIP est inspiré par la perception du succès du CODEVI, dont les concepteurs de la nouvelle
économie d’Haïti essayent d'attirer les investissements avec les avantages que Grupo M a apporté
dans l'économie: le travail pas cher et la proximité
géographique avec les Etats-Unis, le plus grand marché du monde, où
les exportations sont hors taxes. C’est l'un des cinq centres prévus.
Les États-Unis ont versé des millions de dollars dans le
PIN, mais seulement Sae-A Trading, une société sud-coréenne textile,
a été incitée à s'installer dans le parc (et selon les personnes
impliquées dans l'affaire, Sae-A Trading a reçu une exemption de location pour quatre ans).
Le fait que
le contribuable américain est en train de payer la construction de parcs
industriels pour le bénéfice des sociétés sud-coréen, a
également soulevé des sourcils. Les États-Unis peuvent être le pays
étranger le plus actif impliqué dans la reconstruction, mais même ses
entreprises gardent toujours leur distance.
"Nous sommes des mendiants professionnels», me dit M. Aguerre, le
gestionnaire de la BID pour Haïti à Washington. Le peuple haïtien serait
aussi des mendiants. Par exemple, les documents internes
de la SFI proposés sur les ZIE soutiennent que la reconstruction
doit être «propulsée par le développement dirigé par le secteur privé»,
même si le même document reconnaît «les zones franches
haïtiennes existantes, le parc industriel et le Code Politique des
Investissements et les régimes réglementaires n'ont pas réussi à attirer
des investissements qui sont nécessaires pour créer des
emplois ".
Il ya un autre inconvénient, à savoir qu' offrir de généreuses
incitations aux entreprises étrangères
aura un impact négatif sur les entreprises déjà établies en Haïti.
Grupo M, par exemple, a peur de ce que les incitations offertes pour le
PIC et les autres ZIE en cours de planification
pourraient signifier pour eux ». Nouvelles sociétés étrangères
doivent former leur main-d'œuvre, elles doivent se préparer à ce qui
s'en vient», dit M. Blumberg, vice-président des ventes
chez Grupo M. «Nous voulons un pied d'égalité si l'on veut. Nous
comprenons que les entreprises étrangères reçoivent beaucoup de choses
par le biais de subventions et de sponsors venant de
différentes sources. "
Mais si l'investissement ne vient pas ou si les industries locales fuient, comme beaucoup prédisent, Haïti souffrira de stagnation et de misère pour une autre génération. L'enthousiasme des bailleurs
de fonds pour l'aide et d'autres formes d'investissement étranger est maintenant en train de diminuer à mesure que la communauté internationale se
désintéresse et la crise financière continue à s’agrandir.
Le Fonds de Reconstruction d'Haïti (FRH), qui collectent des fonds des
pays étrangers et des ONG pour combler les lacunes de
l'investissement, a collecté 352 millions de dollars à ce jour, mais
c'est le pic. «Nous avons atteint un plateau", me dit M. Leitman, chef
de la FRH. "Je pense que les bailleurs de fonds ont été
prudents et réticents à verser de nouveau fonds." En Mars 2010, lors
de la grande conférence tenue à New York City, 4,6 milliards de dollars
ont été promis pour les deux premières années de la
reconstruction. Seulement 1,9 milliards de dollars $ ont été matérialisés.
L'agriculture alternative
Haïti
est un pays où il est notoirement difficile à opérer: ses institutions
sont fragiles, affaiblies
par des années de sous-investissement, et son système est déchiré
par la corruption. Pour les gestionnaires de l'économie post-tremblement
de terre, c’était le raisonnement par défaut
pour leur dépendance à
l'égard de la reconstruction basée sur le secteur privé et les
exportations. Mais il n'y avait rien d'inévitable dans un tel
programme. Il y avait beaucoup de plans de reconstruction qui pourraient
probablement créer un avenir plus juste et plus durable pour les
Haïtiens. Le problème était et demeure que ces plans vont à
l'encontre de l'idéologie stricte qui imprègne les institutions de
Bretton Woods.
Par exemple, le gouvernement haïtien pourrait reconstruire
les infrastructures en ruine du
pays avec un équivalant moderne de Plan Marshall provenant des
bailleurs de fonds, ce qui aurait créé pour les Haïtiens des emplois
publics à reconstruire des routes, des ports et des
infrastructures énergétiques, qui ont été soit non inexistants ou en
mauvais état. Tout le monde, après tout, place l'infrastructure comme l'un des problèmes principaux pour
créer du travail en Haïti.
10.000 emplois auraient pu être créés simplement en déblayant les
décombres. La Croix-Rouge a, par exemple, créé des
centaines d'emplois pour les Haïtiens en réutilisant les gravats
pour construire des briques et d’autres matériaux de construction, en
nettoyant la ville et en créant
des emplois. «Nous sommes les seuls à le faire", me dit la
Coordinatrice du Programme à Port-au-Prince. "Pour le moment, toute la décharge reste et le coût de traitement est d'environ le même."
Peut-être le
plus important encore, Haïti aurait pu se concentrer sur la création
d'une nouvelle économie agraire, un secteur en plein essor
qui été avant que le président Clinton a déversé dans le pays des
tonnes de riz américain a bon marché dans les années 1990. (Environ 60%
de la population haïtienne, soit 4 millions de personnes,
vivent dans les zones rurales). Promouvoir l’agriculture sur des
terres agricoles appartenant aux communautés serait instantanément
dépeupler la capitale surpeuplée et fournir un moyen durable de
nourrir sa population (avec des excedants pour l'exportation). Cela n'a même jamais été discuté. «L'agriculture manque toujours", me dit M.
Naim à la SFI. La SFI est encore entrain de faire un prêt aux petites et moyennes entreprise agricoles (PME), mettant l’accent sur l'agro-industrie
plutôt que sur les petites exploitations
qu’Haïti a besoin. De même, la Banque Mondiale me confie que pas assez
de priorité n’pas été accordée à
l'agriculture. Elle a mis 55 millions de dollars dans un nouveau
programme agricole (dans la grande échelle des besoins en Haïti, ce
n’est rien). "C'est notre premier projet agricole réel»,
reconnaît M. Abrantes.
Le gouvernement américain affirme qu'il
n’ignore pas
l'agriculture. L'ambassadeur d'Haïti me dit que les USA ont investi
déjà 200 millions de dollars dans le secteur, mais encore une fois,
l'accent est mis sur les produits d'exportation au lieu des
produits destinés à la
population haïtienne, dont la grande partie de ce qui meurt de faim. La
Banque Interaméricaine de Développement, d'autre part,
soutient que l'infrastructure est importante mais «il ya d'autres
besoins» (comme «l'investissement dans le secteur privé» afin d'importer
des semences). La banque dispose d'un plan pour amener
une entreprise privée pour acheter les mangues, les centraliser, et
les distribuer et de les envoyer aux exportateurs.
«Nous
changeons la dynamique de la façon dont nous pouvons faire l'agriculture
en Haïti». dit M. Almeida à la BID. Cette nouvelle dynamique
est sorti tout droit du guide néolibéral: la distribution de coupons
de subvention aux petits
producteurs afin qu'ils puissent acheter des semences
des importateurs. En l'absence de terres (public ou communautaire),
ces projets n'ont pas de chance d’aller très loin. «Ce n'est pas un
grand nombre d'emplois", admet M. Almeida. Le marché
intérieur haïtien reste complètement ignoré par toutes les parties,
alors que 90% des œufs et de volaille consommés en Haïti proviennent de
la République Dominicaine, et tandis que 80% du riz est
importé. Changer cet état de choses grâce à l'agriculture de
subsistance financée par l'État n'est pas une option. «Quand je dis
agriculture, je dis agro-industrie", a déclaré M.
Almeida.
Un projet emblématique de cette "nouvelle dynamique" a été négocié par la BID: une initiative de
Coca-Cola qui a créé un nouveau soda appelée "Mango Tango-" qui
seront approvisionnés avec les mangues provenant de productions
nouvellement
développées. Un accord similaire avec Starbucks Coffee cherche à
transformer les agriculteurs individuels en coopératives pour fournir
ensuite le café Starbucks qui le commercialisera comme le
café haïtien. Les analystes critiques appellent ca le modèle
de développement «sweatshops et mangues". «Ils ont besoin de routes,
ils ont besoin d'irrigation dans la campagne, mais c'est
la seule chose que ces gars-là ne fera pas", affirme Mark Weisbrot,
analyste au Centre pour la Recherche Economique et Politique.
Mais la politique
agricole de l'administration Martelly a jusqu'ici suivi le modèle de
l'agrobusiness orientée vers l'exportation promues par les
institutions de Bretton Woods. "Ce que j'entends [du gouvernement
haïtien], c'est qu'ils veulent aller dans le mode d'exportation, y
compris l'agriculture», a déclaré M. Abrantes. En fait,
Martelly avait poussé les institutions financières internationales à
aller encore plus loin. "Nous étions en train de préparer des
projets d'agriculture traditionnels pour Haïti qui sont
essentiellement axés sur la réduction de la pauvreté, sur les petits
agriculteurs", ajoute M. Abrantes. «Lorsque l'administration Martelly
est arrivé, ils ont regardé le projet et dit:« Nous
aimerions donner un point
de vue différent. Nous aimerions avoir des éléments importants sur
l'agro-industrie stimulante, ce qui est tout à fait
différent de ce que nous avions prévu, et donc je pense que
l'opinion générale, même dans l'agriculture, est d'encourager des
portions du secteur agricole de se déplacer vers la production destinée à l’exportation. "
Haïti reste un pays majoritairement agricole, elle a besoin d'un modèle de
développement basée sur
l’agriculture qui distribue des terres aux personnes sans-abri pour la
culture de subsistance à base communautaire. Les
gestionnaires de l'économie du pays ne sont pas intéressés. Le rêve
de longue date d'un atelier des Caraïbes clandestin est en train de
naître, et après l'une des pires catastrophes de l'histoire
de l'homme, laquelle approche ne fera que prolonger.

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