Filiation et Pouvoir en Haïti
Le troisième mariage de René Préval marque 200 ans d’omniprésence des « Latchamimi[1] » au pouvoir.
Par Leslie PERPIGNANT
Introduction
Le
mariage du Président René Préval et d’Elisabeth Débrosse Delatour, le 6
décembre dernier, est un
acte politique. Ce mariage a été l’objet de beaucoup de commentaires
dans la presse haïtienne, mais il est triste de constater le caractère
superficiel de la plupart de ces commentaires dont très
peu sont allés au fond de la question. La majorité privilégie
l’aspect factuel ou l’aspect « tripotage » propre aux médias en lieu et
place de l’analyse politique. Cet article propose
des pistes de réflexions en vue d’une interprétation plus politique
de l’acte du président.
En
plaçant les tourtereaux dans le contexte politique haïtien, il est
possible de montrer que ce
mariage scelle le lien existant entre la Présidence de René Préval
et le clan duvaliériste qui devient la force dominante du pouvoir
actuel.
Leslie Delatour continue d’exister à travers sa veuve.
Les
événements politiques en cours en Haïti montrent qu’il est important de
commencer à étudier
systématiquement l’impact de certaines familles haïtiennes dans la
politique du pays. Les modèles de structures de pouvoir des clans et des
familles qui caractérisaient les monarchies continuent
d’exister dans la société moderne. L’association de certaines
familles est une arme de résistance très efficace utilisée par les
élites contre le progrès et à la démocratie. Des études sont
menées sur les familles Kennedy et Bush aux Etats Unis d’Amérique et
sur la présence persistante des familles royales en Europe (Angleterre,
Espagne, etc.). En Haïti, La famille Delatour du clan
duvaliériste peut-être est un cas d’espèce bien que dans une échelle
bien moindre.
Leslie
Jean-Felix Delatour est neveu de Calixte Delatour, un avocat et
militant duvaliériste qui agit
sur la scène politique haïtienne depuis 1946. Leslie s’est marié
pour la première fois avec Nirvah Désinor, fille de Clovis Désinor un
influent ministre des Finances de François Duvalier. De ce
mariage est né deux enfants Bernard et Xavier. Le jeune Leslie
devient à son tour l’un des économistes influents du pouvoir
duvaliérien. Après le départ de Jean Claude Duvalier, Leslie Delatour
devient Ministre des Finances de Henry Namphy et se marie avec la
nièce du Général-Président. Pas mal comme prestation duvaliériste.
Apprendre de son beau-père l’art de se rapprocher du pouvoir
et utiliser cet art éventuellement contre la fille. La
reconnaissance tient de la lâcheté dirait l’autre.
Elisabeth
Débrosse, fille d’Huguette Namphy (sœur de Henry Namphy) et de Karl
Débrosse, a appris
probablement de Leslie Delatour l’art de plaire aux institutions
financières internationales en liquidant les entreprises publiques et en
détruisant les barrières douanières du pays sans réaliser
les reformes économiques nécessaires au développement. Du couple
Leslie-Elisabeth sont nés trois enfants dont Karl et Kosta.
Mais il semble qu’Elisabeth a aussi appris de l’environnement de son mari la manière de joindre l’utile
à l’agréable. Utiliser les relations complexes entre les
émotions, le sexe et la politique pour contracter des liaisons
amoureuses dans le cadre d’une stratégie d’accumulation de capital et
d’hégémonie politique. Une version moderne de la stratégie de la séduction et du pouvoir indirect suggérée par Sun Tzu dans son livre « L’Art de la
guerre ».
Leslie Delatour est mort à 53 ans, le 24 janvier 2001, suite d’un cancer et Elisabeth se lie
avec l’ingénieur Réginald Vorbe, PDG de la plus importante firme haïtienne de
construction, la Vorbe et Fils Construction S.A. (V&F). Avec
son frère aîné, Jean Marie, Réginald dirigeait aussi la Société
Générale d’Energie S.A. (SOGENER), qui détient
d’importants contrats de vente d’électricité à la compagnie
nationale Electricité d’Haïti (EDH). Réginald Vorbe est décédé d’une
crise cardiaque à 62 ans, à Port-au-Prince, le dimanche 28
décembre 2008. Il
est aussi connu qu’Elisabeth Debrosse Delatour a eu aussi une liaison
amoureuse avec Monsieur Jude Célestin, Directeur Général du Centre
National des Equipements (CNE) qui gère au moins 95 millions de dollars
des fonds PetroCaribe utilisés pour le Programme
d’Urgence.
EDH
paie chaque année au moins 10 millions USD à SOGENER pour des services
de production d’électricité,
alors que la compagnie n’a jamais pris les dispositions pour mettre
en place un système de distribution et de collecte d’argent efficace. Si
on fait l’hypothèse qu’il n’y a pas de pot-de-vin,
(cas rarissime), l’électricité est au mieux gaspillée dans un
système de distribution défectueux et au pis volée. Entretemps les
entreprises et les ménages haïtiens continuent de payer au prix
fort une atomisation extrême de la production électrique à travers
les génératrices, les batteries et les « inverters » qui polluent
l’environnement.
Trouver
l’investissement pour transformer l’EDH est possible mais
l’investissement nécessaire
dépasserait les capacités des Vorbe et l’échelle de l’opération
exigerait une compagnie étrangère qui a de l’expertise dans cette
question (production de l’électricité, distribution et
collecte).. L’Etat haïtien pourrait garder ses actions à l’EDH et
subventionner les ménages qui réellement n’ont pas la capacité de payer.
Tout ceci équivaudrait à une transformation en
profondeur de l’EDH. Elisabeth est une personne clé, pour les Vorbe,
dans le maintien du statu quo à l’EDH. Voici l’une des raisons pour
laquelle Préval ne veut pas reformer EDH en la mettant
réellement au service de la population haïtienne.
Le rapprochement des Delatour du pouvoir Lavalas et de la Présidence de René Préval.
Jean
Bertrand Aristide est retourné en Haïti le 19 septembre 1994 et a nommé
Leslie Delatour Gouverneur
de la Banque de la République d’Haïti (BRH) pour une durée de trois
(3) ans (1995-1998). Donc, Leslie a été Gouverneur de la BRH sous le
premier mandat de Préval (1996-2001). Il s’est rapproché
du Président, dit-on, en le séduisant avec sa rhétorique de
« rationalité économique », son efficacité de technocrate et la présence
à ses cotés d’une ravissante, jeune et intelligente
femme. En 2001, Aristide a aussi nommé Calixte Delatour (oncle de
Leslie Delatour) Ministre de la Justice.
Pendant
la campagne électorale de 2005-2006 qui reconduira Préval au pouvoir,
une « équipe
économique » s’est constituée. L’équipe est composée entre autres
d’Elisabeth Delatour, de Gabriel Verret, de Daniel Dorsainvil, etc. Des
propositions ont été formulées pour des reformes
économiques qui n’ont jamais vu lu jour.
Elisabeth
qui était censée représenter surtout la famille Vorbe auprès de Préval
en a profité pour se
mettre aussi à son propre compte. Soutenue par les maitres du clan
Delatour, elle a fini par séduire sexuellement le vieux Président
claquemuré au Palais National dans ses intrigues politiques
mais aussi dans sa profonde solitude.
La
liaison avec Guerda « Geri » Benoit ayant été rompue définitivement
pour cause
d’infidélité de cette dernière, Préval est retourné au pouvoir comme
un homme terrassé par la solitude. On raconte que Préval ayant retourné
à Marmelade pour des raisons politiques, Geri s’est
mise à s’amuser avec Juan Gabriel Valdez, représentant de l’OEA, et a
pu financer ainsi sa fondation Institut des Femmes Entrepreneurs (IFE).
Dans son discours d’investiture en 2006, Préval eut à
dire à Juan Gabriel Valdez « Manda ou fini !».
La
liaison avec Elisabeth dure depuis plus de deux ans, mais celle-ci a
toujours refusé les demandes en
mariage. Le président étant malade et faible, la présence
émotionnelle d’une femme devient plus qu’un simple besoin. De temps en
temps, comme au bon vieux temps, les duvaliéristes font courir le
bruit de sa mort pour l’acculer dans son insécurité en ajoutant une
forte dimension émotionnelle à sa maladie de la prostate.
Nietzche disait « mieux vaut avoir une mauvaise conscience qu’une mauvaise
réputation ». Faire circuler la nouvelle de la mort du président
le fait apparaitre comme un être faible et fragile de réputation et
donc inapte à être Président de la République. La
mauvaise conscience du Président étant couplée avec sa mauvaise
réputation, sa propre perception négative de lui-même devient en phase
avec la perception que les autres ont de lui. Et notre
président devient complètement manipulable.
René
Préval n’est pas réputé macho et coureur de jupes et Elisabeth, qui a
probablement compris le jeu,
s’est mise à le faire chanter. Une maison à Furcy dans les hauteurs
de Kenskoff, une maison à Coral Gables à Miami, des postes importants
pour les membres de son clan, le contrôle des contrats
juteux, etc.
C’est
aussi après d’âpres luttes internes pour le contrôle du pouvoir par les
différentes factions
politiques autour de Préval que le mariage a eu lieu. Préval sentant
sa mort prochaine, du fait l’intensité de son travail, de sa maladie et
de son âge, il a graduellement tout donné. Le clan
macoute a exploité au maximum cette faiblesse émotionnelle à travers
Elisabeth Débrosse Delatour.
Elisabeth
Debrosse Delatour vient d’accepter donc un mariage d’intérêt pour
renforcer son clan
(Debrosse, Vorbe, Cinéas, Namphy, Delatour, Verret…) au pouvoir.
Préval maintient Patrick Delatour Ministre du Tourisme et Alix Cinéas
Ambassadeur en République Dominicaine malgré toutes les
protestations internes et externes.
A côté des intrigues politiques du Palais National : élections truquées sous la houlette de
Frantz-Gérard Verret (Cousin de
Gabriel Verret conseiller économique de Préval et neveu de Lysias C.
Verret, Duvaliériste), montage d’une mascarade de
Plateforme politique (INITE) qui désarticule ce qui restait des
partis politiques et écarte les organisations politiques les moins
traditionnels et plus proches de la population (ESKANP,
KOREGA,…), ce mariage marque le triomphe de la fraction macoute et
la plus réactionnaire autour du Président Préval.
Cette
démarche ressemble beaucoup avec celle de Michèle Bennett. Mais
Elisabeth semble être beaucoup
plus intelligente et mieux formée que Michèle Bennett. Elle
représente les intérêts d’une fraction de l’oligarchie macoute qui
continue à accumuler de l’argent à partir de sa position dans l’Etat
sans aucune volonté de progrès économique et social pour le pays.
Elisabeth est de ceux qui veulent vendre ou privatiser les entreprises
publiques à leurs amis mais en garantissant que l’Etat
haïtien va continuer à les financer. Ces « économistes » sont
foncièrement contre l’ouverture d’Haïti à l’investissement international
privé et la moralisation de la vie politique du
pays. Ce qui à coup sûr contribuerait à leur destruction sinon à la
diminution de leur influence.
Conclusion
On
oublie trop souvent le facteur émotionnel dans le combat politique.
Mais les gens qui sont au
pouvoir, du fait même de ce jeu, maitrisent son utilisation comme
une arme puissante au service de leurs intérêts économiques et
politiques. Le mariage du président nous rappelle, si en besoin en
était, que le caractère, la personnalité, la famille ou le clan de
la femme du Président est une donnée essentielle du fonctionnement du
pouvoir.
Les relations entre
sexe, pouvoir et émotions sont l’objet, de nos jours, d’études
scientifiques très poussées. Pas besoin d’être un descendant de
Jouthe Lachenais - femme de Pétion et de Boyer qui a passé 35 ans au
pouvoir en Haïti - pour le comprendre. Ces travaux concernent
l’intelligence émotionnelle de décideurs.
Des études sur l’Intelligence émotionnelle (IE) ont sérieusement été entamées au début des années 1990 avec les travaux de John D. Mayer
(University of New Hampshire), Peter Salovey (Yale University).[2] Ceux-ci définissent l’intelligence émotionnelle comme L’habileté
à percevoir et à exprimer les
émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à
raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi
et chez les autres. (Mayer &
Salovey, 1997). Peu après le début des travaux académiques, Daniel
Goleman a rendu le sujet très populaire avec la publication de son
livre : Emotional
Intelligence.
Donc, à coté du
caractère froid supposément dénué d’émotion de la pensée de Machiavel et
de celle de Clausewitz, il faut ajouter la pensée
stratégique indirecte et paradoxale de Sun Tzu pour comprendre les
procédés de séduction utilisés par les élites et le comportement
émotionnel des dirigeants politiques haïtiens.
La pensée de Sun Tzu comme le souligne Pierre Fayard[3], tend à « Construire
l'avantage. Articuler et déséquilibrer. Viser l'esprit. Privilégier la
défensive. Gagner par la communication. Jouer du plein et du vide.
S'adapter et anticiper. Varier les stratégies. Décrypter les signes.
S'adapter au terrain. Accompagner le changement.
Séduire à la racine. Jouer la connaissance. »
Et par manque de
finesse politique et d’intelligence émotionnelle, nos présidents se sont
toujours laissé prendre au piège de la séduction comme des
rats!
Enfin, de Jouthe
Lachenais à Elisabeth Débrosse Delatour, nous célébrons aussi, avec ce
mariage, le bicentenaire de la présence des
« latchamimi » dans les plus hautes sphères de la politique
nationale. Et par voie de conséquence, l’histoire de la présidence
devient aussi une histoire de cocuage et
d’impuissance. Des cocus en herbe aux cocus de repos, en passant par les cocus de prescription et cocus de santé, nous avons connus probablement des
présidents cocus illustrant tout le Tableau analytique du cocuage de Charles Fourier[4]
Rendons donc hommage à la BOUSINDERIE comme force motrice de notre histoire !
Leslie PERPIGNANT
Décembre 2009
[1]
Latchamimi
est un terme créole consacré pour désigner des femmes sans convictions,
putes, voleuses et menteuses. Un être
immoral indigne de confiance. Ce mot a été rendu très populaire en
Haïti au début des années 1980, après le mariage de Jean Claude
Duvalier et de Michèle Bennett, avec la sortie de la chanson
phare de l’album (LATIAMIMI, vol 3, 1982) d’Accolade de New York.
Voici une partie du texte de cette chanson. « Sa w fèm konsa ! Men
cheri ou pa konviksyon, menm bonjou w pa
laverite, si jodia w di m yon pawòl, demen w di m se pat sa. Ala
zafè manman, Sa w fèm konsa ! ….Figi ou plen pli, w ap kraponnen m, pran
pòz bon moun ou. Ou fè gè 14, wap mache di ou gen
20 tan sèlman… Ala zafè manman, Sa w fèm konsa ! »
[2]http://www.unh.edu/emotional_intelligence/EIAssets/EmotionalIntelligenceProper/EI1990%20Emotional%20Intelligence.pdf
[3]
Voir les derniers travaux de Pierre Fayard parus dans
son livre Sun
tzu - Stratégie et séduction
[4]Voici
quelques uns des cocus analysés par Charles Fourrier dans son ouvrage Hiérarchie du cocuage paru en 1808:
Nº 7. Cocu pur et simple est un jaloux honorable qui ignore sa disgrâce, et ne prête point à la plaisanterie par des jactances ni par des
mesures maladroites contre l'épouse et les poursuivants. C'est de toutes les espèces de cocus la plus louable.
Nº 11. Cocu de prescription est celui qui fait des absences, de longs voyages pendant lesquels la nature parle aux sens d'une épouse qui, après
une longue défense, est enfin forcée par la longue durée des privations à accepter les secours d'un charitable voisin.
Nº 13. Cocu de santé est celui qui, par ordonnance de la Faculté, s'abstient de l'œuvre de chair. Sa femme pense qu'elle ne peut moins faire que
de recourir à des suppléants, sans que l'époux ait le droit de s'en offenser.
Nº 16. Cocu sympathique
est celui qui s'attache aux amants de sa femme, en fait ses amis
intimes. On en voit
qui, lorsque la dame est de mauvaise humeur et brouillée avec son
amant, vont le trouver et lui dire : « On ne vous voit plus, nous sommes
tout tristes ; je ne sais ce qu'a notre femme, venez
donc un peu nous voir, cela la dissipera. »
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