L'identité et le spectacle vivant
à
La Réunion/ Virginie Verbaere
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : la formation d'une identité
originale...
I. Introduction : le passé pour mieux
comprendre le présent
II. L'identité culturelle réunionnaise :
Pluralité ou unité ?
III. Mutations socio-culturelles et formation
identitaire
DEUXIEME PARTIE : ... exprimée à travers
les secteurs culturels
I. Introduction : définition du terme «
culture »
II. Identification des vecteurs d'une
culture
III. Les vecteurs de l'identité
TROISIEME PARTIE : l'expression identitaire :
analyse sur le terrain
I. Introduction
II. L'environnement de l'O.D.C.
III. L'Office Départemental de la
Culture
CONCLUSION
TABLE DES MATIERES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Introduction
La Réunion c'est la France et ça ne l'est pas.
Ses habitants sont arrivés sur cette île
1(*), à l'origine non
habitée et à l'écart de la route des marchandises, souvent
par déplacement forcé. La Réunion est ainsi devenue le
creuset d'une identité multiple, mêlant les cultures africaines,
européennes, asiatiques et indiennes (hindouiste et musulmane), à
tel point qu'en ce lieu le terme même d'identité devient une
notion difficilement situable.
Le sens du concept d'« identité » est
fluctuant et les définitions qu'on lui attribue sont multiples, qu'il
s'agisse de l'identité individuelle ou de l'identité
collective.
Selon le dictionnaire Robert, l'identité est « le
caractère de ce qui demeure identique à soi-même ». Si
l'on se réfère au « Dictionnaire des notions philosophiques
» de PJ. Labarrière, on peut même dire que c'est le «
caractère de ce qui est identique, qu'il s'agisse du rapport de
continuité et de permanence qu'un être entretient avec
lui-même, à travers la variation de ses conditions d'existence et
de ses états, ou de la relation qui fait que deux
réalités, différentes sous de multiples aspects, sont
cependant semblables et même équivalentes sous tel ou tel rapport
». L'identité culturelle désignera alors « le fait,
pour une réalité, d'être égale ou similaire à
une autre dans le partage d'une même essence...».
Elle est un système structuré, ancré dans
le passé (les racines, la permanence), dans des comportements actuels et
dans une perspective (projet, idéaux, valeurs). Elle coordonne des
identités multiples associées à la personne
(identité corporelle, caractérielle...) ou au groupe
(rôles, statuts). Tous ces éléments de définition
renvoient essentiellement à l'identité individuelle.
Claude Lévi-Strauss
2(*), quant à lui, a défini l'identité
comme un concept inséparable de celui d'altérité. Exclure
l'autre entraîne une vision réductrice car il est impossible de
concevoir l'individu en dehors des relations qui le lient à l'autre.
En ce qui concerne l'identité collective, il faut
l'envisager comme un concept pluriel car il implique plusieurs acteurs. Les
concepts de «caractère national» et d'«identité
authentique», traditionnellement perçus comme relevant d'une
réalité stable, font aujourd'hui l'objet d'un réexamen
critique, pour être conçus comme des notions pluridimensionnelles
plus modernes, les identités bâties par différents groupes
sociaux, à différents moments de leur histoire, se juxtaposant
pour constituer une mosaïque. Les parties s'organisent alors pour former
le tout.
Qu'il s'agisse d'une société, d'un groupe ou
d'un individu, la définition de leur identité fait toujours appel
à un ensemble d'éléments, de définitions et de
sentiments. Le sentiment d'identité est lui-même composé de
différents sentiments : sentiment d'unité, de cohérence,
d'appartenance, de valeur, d'autonomie et de confiance, organisés autour
d'une volonté d'existence. Ces « référents »
sont multiples : référents matériels et physiques,
référents historiques, référents psychoculturels
(croyances, codes, vision du monde, normes groupales, système de
valeurs, expressions diverses), les référents psychosociaux
(statut, grade, qualités/ défauts, vécu, projets,
motivations, stratégies). L'identité est toujours en
transformation puisque ses contextes de références sont toujours
en évolution.
Lorsque l'on essaie de définir sa propre
identité, l'identité de son groupe d'appartenance ou
l'identité d'un autre individu ou groupe, on choisit quelques
éléments de définition dans cet ensemble de
catégories et rares sont les définitions identitaires
complètes qui utiliseraient tous les déterminants ci-dessus.
Selon quels référents, peut-on alors
appréhender l'identité (ou les identités)
réunionnaise ?
En tant que zone particulièrement active de traduction,
d'interprétation et d'appropriation culturelle, la culture
réunionnaise est devenue exemplaire de tous les phénomènes
de créolisations.
Le mot « créole » a de nombreux sens. Il
peut aussi bien désigner une personne qu'une langue. Créole veut
dire « mélange ». En ce qui concerne le créole
réunionnais, les avis sont partagés. Certains parlent d'un vieux
français transformé mais sans apport d'autres langues. D'autres
expliquent que le Réunionnais est un mélange de français,
de dialectes africains, de malgache, de chinois, d'hindi et même
d'anglais. Le créole parlé à La Réunion
diffère sensiblement des créoles parlés à Maurice,
à Rodrigues ou aux Seychelles mais les habitants de ces îles
arrivent à se comprendre les uns les autres. Il s'est constitué
au cours de la période coloniale au 18ème siècle,
né du besoin de communication entre esclaves de différentes
origines, d'une part, et entre les esclaves et les colons, d'autre part. Cette
langue a été progressivement forgée par les esclaves, par
déformation et simplification du français usité par leurs
maîtres dans les plantations. Chaque population d'origine diverse a
contribué à l'élaboration sur place d'un parler et d'une
culture typique qu'est le créole. Un véritable système
linguistique émergea alors : à la langue maternelle de chacun
s'ajouta un nouveau parler commun à tous qui est l'expression d'une
culture spécifique et un facteur d'identité insulaire.
La grammaire et l'orthographe de cette langue orale et
métissée n'ont été fixées que tardivement.
Nous ne pouvons faire la moindre étude sur l'identité des
réunionnais sans prendre en compte le terme « créole »
ainsi que la notion de « métissage ». Le mot métissage
doit également être manié avec précaution car son
emploi dans un sens biologique favorise les paradoxes et la stigmatisation. Au
début, dans ces tropiques qui reçoivent les premiers
français, le métissage rappelle l'illégitimité et
fait même l'objet d'une réglementation spéciale: on se met
à surveiller l'hérédité et à prendre des
dispositions pénales contre les mariages mixtes dangereux pour l'ordre
colonial. La société coloniale, « tout en mélangeant
les couleurs et en atténuant du même coup les différences,
en perpétue les distinctions »
3(*). L'apparition d'une catégorie apparentée
à la fois aux maîtres et aux esclaves brouille en effet la
hiérarchie installée. La doctrine coloniale applique alors le
cantonnement par la fameuse ligne de couleur, qui faisait un partage sans
faille entre les Blancs et tous les autres, pour contrer leur ascension
sociale.
Dès lors, comment avoir à propos du mot
métissage un jugement positif, comme on semble le faire aujourd'hui ? Le
mot est dans «l'air du temps», permettant de qualifier les
sociétés plurielles dans lesquelles nous vivons, de
reconnaître la richesse des apports multiples. L'usage du terme n'est en
fait pas innocent. Qui dit métis ou métissage, émet
l'idée d'une fusion entre deux êtres séparés par des
apparences différentes. Ceci explique sa puissance symbolique qui
renvoie de l'accouplement des corps jusqu'au mariage des cultures.
Pourquoi l'expression métissage culturel est
rentrée dans le discours courant alors que d'autres termes signifient
déjà les rencontres de culture, comme acculturation,
assimilation, intégration ? Ceux-ci donnent peut être le sentiment
d'un déséquilibre dans les contacts, renvoyant à
l'impression d'une perte pour l'une des partie. Lorsqu'il est
débarrassé de ses connotations négatives, le terme de
métissage donne au contraire l'image d'une rencontre plus
symétrique et d'un lien plus serré (au-delà d'une union
physique...) L'usage actuel évoque aussi une continuité où
les individus assument leurs choix dans une société où la
pluralité des traditions renvoie à une pluralité
d'origines. Chaque choix aboutit à une réalité nouvelle
formée de diverses composantes. Cette vision est cette fois-ci positive
car elle donne une chance au «mixte d'exister comme réalité
».
L'exemple réunionnais prouve que le métissage,
en tant que phénomène social, peut servir de lien à la
société car il favorise des relations privées et intimes
entre des individus d'origines divers. C'est grâce à lui que peut
être évitée la formation de communautés
repliées sur elles-mêmes et sur leurs cultures.
C'est sur ce que René Depestre
4(*) appelle joliment le
«métier à métisser» que s'est fabriqué la
créolisation, ce «métabolisme culturel né sur
place». Les individus ne peuvent que reconnaître l'Autre en eux,
intérioriser la diversité et être capable de donner un sens
global à ce qui paraît hétérogène.
D'où le refus désormais proclamé, chez certains
créoles, de choisir parmi leurs héritages mais au contraire de
tous les assumer. Mais il arrive fréquemment aux habitants de
l'île de reformuler de multiples manières la question : « qui
sommes-nous ? ». Serait-ce que les identités sont aujourd'hui
bousculées ou en crise ?
Il faut s'interroger sur les transformations de la culture et
le désir de partir à la recherche des origines perdues, sur la
manière dont les identités culturelles se créent, se
fixent et peuvent remettre en cause l'adaptabilité de la
société réunionnaise. Cette question en appelle une autre
qui implique l'analyse des modalités de revalorisation des cultures
d'origines, car ce processus peut aller de pair avec l'affirmation d'une
identité multiculturelle, qui s'est pourtant façonnée en
ce lieu au dépend de son ouverture sur le monde. Elle participe ainsi
à l'enrichissement et à la diversité de la Francophonie en
évoluant parallèlement à la culture métropolitaine
française dans laquelle, elle doit aussi, à sa manière,
s'intégrer.
Dans un monde confronté au défi de la
globalisation des échanges dont l'une des conséquences est
l'uniformisation de la culture, la Réunion semble vouloir définir
et affirmer sa culture, comme son identité, dans une forme de
multiplicité.
Pour mieux cerner donc ce qui façonne l'identité
des réunionnais et comprendre comment elle s'exprime et se fait entendre
il semble important de se pencher sur leur passé.
En effet, l'analyse historique concernant la formation, la
composition et l'évolution de la société
réunionnaise pourra nous permettre d'appréhender plus justement
ses attentes en matière de quête identitaire.
Une fois ce thème exploré, nous porterons
ensuite notre intérêt sur la façon dont cette
identité s'exprime et par l'intermédiaire de quels vecteurs
culturels et artistiques elle le fait.
Nous nous pencherons enfin sur un exemple concret à
travers l'observation et l'analyse effectuée durant un stage à
l'Office Départementale de la Culture, pour tenter de mieux comprendre
comment une telle structure culturelle, et l'environnement dans lequel elle
s'inscrit, peuvent répondre aux attentes des réunionnais en
matière d'identité...
* 1 Cf. Annexe 1 : carte
de La Réunion
* 2 LEVI-STRAUSS C., 2000,
L'Identité, Presses Universitaires De France, Paris, 344p.
* 3 LUCAS R., 2003,
Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition
Karthala, Université de La Réunion, 228p.
* 4 DEPESTRE R., 1998,
Le Métier à métisser, Stock, Paris, 264p.
Première Partie : La formation d'une identité
originale...
I. Introduction : le passé pour
mieux comprendre le présent
A. Une méthodologie
C'est par le biais de l'Histoire que nous pouvons cerner la
diversité culturelle qui caractérise l'île de La
Réunion. Les mouvements migratoires qui s'y sont déroulés
expliquent peut-être l'aspect actuel de l'île que l'on pourrait
définir « d'interculturel » ou
« pluriethnique ».
L'interculturalité est entrée dans le
vocabulaire courant pour désigner « des situations mettant en
présence des groupes ethniques, donc des relations interethniques, dans
une société où le pluralisme culturel et ethnique est
présent, soit de manière institutionnelle soit en tant que
situation de fait (sociétés culturellement
hétérogènes mais dont le pluralisme n'est pas
nécessairement reconnu sur le plan institutionnel). Dans les
sociétés créoles on a vu naître parfois des
« communautés », « des groupes
communautaires », des « groupes
ethniques »... »
5(*). On se limitera ici à désigner sous
l'appellation de dynamique identitaire le fonctionnement de certains espaces
interculturels, leurs évolutions internes, qui ne peuvent être
appréhendées qu'à travers l'analyse de l'histoire.
Nous verrons également qu'en quelques années, on
est passé d'une société de plantation à une
société de forme moderne. Il est important de s'inscrire dans un
processus historique. Ainsi notre approche sera-t-elle chronologique.
B. Historique du peuplement de
l'île
L'histoire de la réunion est celle, spécifique,
d'une succession de vagues migratoires qui fait d'elle une
société pluriethnique
6(*) : Africains, Malbar, Tamoul, Chinois et depuis la
départementalisation en 1946, des métropolitains en majeure
partie fonctionnaires.
C'est en 1663 que débute le peuplement permanent de
l'île «
Bourbon » par deux français venu avec
des malgaches. Propriété de la Compagnie Française des
Indes Orientales de 1667 à 1767, la colonie de Bourbon est
appelée définitivement La Réunion en 1848. Les
français arrivent, s'installent et/ou repartent de manière
continue et viennent au début principalement de Bretagne et de
Normandie
7(*).
Au début, les habitants se livrent surtout à
l'oisiveté, jusqu'à l'arrêté de 1715, imposant aux
propriétaires d'esclaves de cultiver du café. L'île devient
alors une colonie agricole. Ce développement exige une main d'oeuvre
abondante : la société bourdonnaise déjà
métisse fait venir des esclaves malgaches puis africains du Mozambique
ou de Zanzibar.
On décide en métropole en 1815 d'étendre
la culture de la canne à sucre qui deviendra rapidement une monoculture.
La traite étant interdite depuis 1817, mais l'exigence de main d'oeuvre
étant toujours aussi grande, les propriétaires continuent
à faire entrer des esclaves de manière clandestine mais font
également venir des engagés, majoritairement des Indiens puis des
Chinois. De l'abolition de l'esclavage en 1848 à la
Départementalisation en 1976, cette société de plantation
vit une véritable crise. La société est
complètement déséquilibrée avec l'arrivée
d'un nombre très important de travailleurs libres entre 1860 et 1882
(d'engagés Indiens qui sont recrutés dans les comptoirs
français de l'Inde et des Africains du Mozambique). Ils travaillent
essentiellement la culture et l'industrie du sucre.
Les affranchis sont mis en marge de cette
société et les engagés ne sont pas
intégrés.
Des chinois qui utilisent la même langue écrite
mais parlent deux dialectes différents immigrent spontanément
à la fin du 19ème siècle pour travailler dans les
plantations de canne à sucre et dans le commerce.
Au début du 20ème siècle, des
musulmans viennent du nord-ouest de l'Inde parlant plusieurs langues. Ils
oeuvrent dans le commerce.
Jusqu'à la départementalisation en 1946, le
système du salariat agricole mis en place par les propriétaires
des grands domaines perpétue les conditions de travail de l'engagisme.
Pendant cette période la situation sociale de l'île est
catastrophique. Sur le plan politique, l'apprentissage de la citoyenneté
et de la démocratie est loin d'être achevé. La
réunion est une société fortement
hiérarchisée sous le contrôle d'une métropole
européenne et d'un groupe local lié aux grands
propriétaires Français métropolitains qui immigrent au
milieu du XXème. La départementalisation en 1946 changera
progressivement les données sociales et politiques tandis que
récemment, des Mahorais, venant de l'île Mayotte dans l'archipel
des Comores s'installent et enrichissent cette société qui s'est
métissée tout au long de l'histoire.
* 5 LUCAS R., 2003,
Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition
Karthala, Université de La Réunion, 228p.
* 6 Cf. Annexe 2 : Carte
des migrations
* 7 SCHERER A.,1980,
La
Réunion, Coll. Que sais-je ? n°1846, Presses Universitaires De
France, Paris, 127p.
II.
L'identité culturelle réunionnaise : Pluralité ou
unité ?
A. Groupes ethniques : Peut-on parler
de pluralité ?
La question de l'identité culturelle est d'autant plus
importante à La Réunion que celle-ci devient complexe par rapport
au caractère pluriel des groupes composant la communauté
réunionnaise et de pratiques spécifiques dépendantes du
processus transculturel.
La connaissance de phénomènes culturels est
déterminante dans le destin individuel et collectif des populations.
Peut-on parler à La Réunion de pluralité
ethnique et en quels termes rendre compte de cette pluralité ?
Dans quelle mesure cette éventuelle pluralité
est-elle synonyme de pluralité culturelle ? Existe-t-il une culture
réunionnaise qui souderait les diversités ethniques et
religieuses ? avec quel contenu ?
Le colloque dirigé sur l'espoir transculturel à
La Réunion
8(*) peut
nous guider pour répondre à ces interrogations.
Dès l'origine, la société
réunionnaise est complexe et multiculturelle. Ses membres partagent
cependant un territoire
9(*),
une île, et une histoire spécifique. En ce sens elle se distingue
des autres sociétés. Vivre dans un contexte de pluralisme
culturel n'est plus étonnant aujourd'hui car les sociétés
« simples », comme le disent les ethnologues, sont de plus
en plus rares.
Un problème se pose étant donné le
brassage ethnique très important au cours de l'histoire de La
Réunion. Ainsi, si l'on considère que les Métis
constituent un groupe important, la catégorisation et
l'évaluation numérique de ce groupe se révèle
difficile. En fait, ce qui importe, c'est la perception qu'un individu se fait
de son identité.
Il ne s'agit pas donc de quantifier les groupes ethniques mais
de comprendre leur place et leur fonctionnement au sein de la
société réunionnaise. Il faut analyser la dynamique
sociale où les groupes sont en interaction en fonction de leurs
systèmes de valeurs qui sont déterminés
grâce à leurs appartenances socio-culturelles.
1) La dualité : population
blanche et population noire
(a)
Les « zoreils » ou métropolitains
Ils sont entre quatre-vingt dix et cent vingt mille. Les
Français venus de la métropole pour s'installer sur l'île
sont appelés Les "Zoreils" ou "Métros". En
créole
réunionnais ces termes désignent un étranger. Pour
l'anecdote, l'origine du mot est très discutée. Un
étranger ne comprend pas quand on parle créole. On dit alors
qu'il ne "zoreil" rien du tout. Par extension, celui qui ne "zoreil" pas ce
qu'on dit est un "zoreil". On explique aussi que, du temps de l'esclavage, le
"zoreil" était le propriétaire. Les esclaves évitaient de
trop parler d'évasion quand les zoreils étaient dans les
parages.
Enfin, aujourd'hui ce mot désigne des
métropolitains sans qu'il y ait quoi que ce soit de péjoratif.
Certains métropolitains sont installés dans l'île depuis
longtemps et sont devenus au fil des ans aussi Réunionnais que les
natifs du département. D'autres, en revanche, fonctionnaires pour la
plupart, ne sont que de passage. Par ailleurs cette immigration
métropolitaine aura eu des conséquences sociales et humaines non
négligeables sur une population dont la mentalité est loin
d'être tout à fait occidentale. Mais notons que la
spécificité de La Réunion est d'être une des rares
colonies françaises à avoir comporté deux groupes
distincts : un noyau dominant qui a détenu les rênes du
pouvoir « les Gros blancs » dans la société
de plantation et un prolétariat constitué de « Petits
Blancs ». Cette spécificité qui met les
« Blancs » à tous les niveaux de l'échelle
sociale et d'intégration économique va favoriser le lien entre
cette communauté et les autres. La comparaison avec les autres colonies
françaises et les autres Départements d'Outre Mer (DOM)
révèle ainsi, de par cette spécificité, qu'il y ait
eu plus de métissage à La Réunion qu'ailleurs où
les européens étaient et sont encore parfois très mal
intégrés.
* 8 REVERZY J.F., MARIMOUTOU
J.C., 1990 :
L'espoir transculturel, Université de la
Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan,
Paris.
(b) La population noire
L'importation d'esclaves
africains
Les Africains constituent environ entre 4 et 5% de la
population et ils sont appelés "Cafres". Les Malgaches, qui furent
à l'origine de l'occupation définitive de l'île, se sont
largement métissés avec les Européens puis les
Créoles. Au début de la colonisation, la Compagnie des Indes
encourage et organise la traite des noirs pour des raisons
économiques
10(*).
Ils sont achetés comme esclaves pour travailler dans des conditions
très rudes dans les plantations de canne à sucre puis de
café. Ils viennent de la côte orientale d'Afrique, où les
trafiquants arabes et portugais sont d'efficaces fournisseurs. Qualifiés
indifféremment de "Kafir", un mot arabe qui signifie infidèle,
ces africains appartiennent en réalité à différents
peuples parfois issus de très loin à l'intérieur du
continent. S'y ajoutent des esclaves malgaches, encore plus nombreux : ils
appartiennent à des tribus de l'intérieur que les côtiers
razzient dans l'unique but de vendre les prisonniers.
Tendance à la rébellion
La plupart des esclaves se rebellaient et beaucoup
saisissaient la moindre occasion pour s'enfuir. L'île est suffisamment
accueillante pour faire vivre un homme en autarcie dans les hauteurs. On
appelle ces esclaves les « marrons » parce qu'ils
pratiquaient le « marronnage ». On comprend mieux le sens
de ce mot lorsqu'on connaît son origine : il vient de l'espagnol
« cimarron » qui veut dire « animal domestique
échappé et redevenu sauvage ». Cette attitude
était sévèrement punie et parfois même par la
mort.
Quelques blancs ruinés par la crise du café et
la fin de l'exploitation de l'île par la Compagnie des Indes les avaient
rejoints par la suite dans les hauteurs de l'île pour cultiver les
terres. La population des hauts augmentait avec ces nouveaux arrivants et les
zones centrales de l'île se peuplèrent. Ainsi, les régions
au centre de l'île comme par exemple les cirques de
Cilaos et de
Mafate, portent des noms d'origine malgache
11(*).
Communauté mise à l'écart puis
reconnue
Les descendants d'esclaves africains, avec l'acculturation, le
métissage et une idéologie coloniale ne reconnaissant aucun droit
culturel aux Africains, ont perdu une grande partie de leurs repères
culturels et de leurs liens avec l'Afrique. De plus, la situation des
descendants d'engagés africains qui, jusqu'à la fin du XIXe et au
début du XXe siècle, étaient encore exploités comme
des esclaves fait qu'aujourd'hui, « leurs descendants accusent un
retard considérable au niveau des responsabilités
économiques, politiques et sociales »
12(*). Depuis quelques
années, nous assistons à un renouveau des formes culturelles par
lesquelles cette présence s'exprime, notamment la musique. Nous pouvons
aussi observer une détermination à faire reconnaître la
population d'origine afro-malgache en « luttant contre les
discriminations sociales et économiques qui persistent contre les
individus et groupes héritiers de l'esclavage » selon les
propos de la politologue Françoise Vergès
1. Des
travaux sur la manière dont le racisme colonial s'est ancré dans
la langue et les attitudes ont aussi montré combien il serait illusoire
de penser que le poids des représentations et des
inégalités produites par l'esclavage ne pèse plus sur la
société réunionnaise
13(*). « Ce travail de reconnaissance, de
ré appropriation et de restitution est en train de transformer
profondément la société réunionnaise »,
précise Françoise Vergès, en ajoutant toutefois que les
Réunionnais connaissent peu ou très mal l'Afrique :
« Ils ignorent tout de sa diversité politique et culturelle.
Les médias véhiculent encore trop souvent des
stéréotypes et des clichés, reprises par la
doxa réunionnaise. Rien ou si peu est enseigné sur ce
continent dans les écoles et l'université. Il y a donc tout un
travail d'information à faire sur l'Afrique ».
Françoise Vergès a en outre déclaré que
« la culture est devenue un enjeu central dans la géopolitique
et l'économie du monde actuel. La diversité culturelle est plus
que jamais reconnue comme participant à l'élaboration d'un monde
plus juste et pluriel. Il y a donc un intérêt certain pour les
descendants d'esclaves et pour tous les Réunionnais de participer
à cet avènement». On note donc ici la volonté de ne
pas fermer les yeux sur la communauté originaire d'Afrique. La condition
de « noir » rappelle celle d'un passé douloureux,
l'esclavage, que la plupart des réunionnais qui en sont originaires
refoulent pour se construire. De plus, les stéréotypes
laissés par la colonisation mettent les noirs dans une situation
d'infériorité sociale, comme étant incapables
d'accéder socialement et professionnellement à la classe
privilégiée. Ces stéréotypes issus du passé
expliquent aujourd'hui le combat mené par des réunionnais qui
s'assument en tant que tels, contre cette tendance à oublier une
quelconque filiation avec cette communauté ou d'en effacer
l'apparence.
2) La population Indienne
(a) Les vagues d'immigration
Malbars/Tamouls
Un arrêté du 18 mars 1859 a interdit tout
recrutement de main d'oeuvre sur la côte d'Afrique, à Madagascar
et aux Comores
14(*). La
venue des Indiens dans l'île date d'après l'abolition de
l'esclavage (1848). Ils avaient été engagés pour la canne
à sucre. Ces Indiens « engagés » de La
Réunion sont appelés « malbars » mais
précisons que cette appellation de "malbars" n'est pas très juste
puisque la plupart des travailleurs indiens ont été amenés
de la côte de Coromandel et du Sud de l'Inde
15(*). Les Indiens
véritablement d'origine malabare ont été les premiers
arrivés à la fin du XVIIIe siècle. Tous les Indiens
tamouls venus par la suite ont tout naturellement été
appelés "malbars".
Entre 1846 et 1885 (date de la fin de l'engagiste indien) plus
de 80 000 personnes sont venues dans cette colonie. Chaque engagé
était muni de son livret d'engagement servant à la fois de
passeport et de pièce d'identité. Il comprenait le signalement du
travailleur.
De tous ces Indiens engagés, le plus grand nombre fut
rapatrié à l'expiration de leur contrat. Mais beaucoup
restèrent et évoluèrent dans l'île.
(b) Evolution sociale
Dès la fin de la guerre, les fils des familles
"malbars" n'ont pas voulu perpétuer une tradition de petits
employés. Leur train de vie est souvent bien supérieur à
celui du Réunionnais moyen. Mais cette réussite ne concerne
qu'une infime partie de la communauté : la plus grande partie
connaît encore des conditions de vie très modeste même s'ils
vivent mieux qu'au début du siècle dernier. Si les Indiens
à La Réunion n'ont pas instauré le système de
castes que l'on retrouve sur le continent indien, la fortune en a
instauré un autre. En effet les mariages entre tamouls riches et pauvres
sont difficiles pour ne pas dire impossibles. A leur arrivée à
Bourbon, ils se sont installés autour des usines de canne à sucre
et des chapelles tamoules se sont construites à proximité pour
perpétuer leur culte. Ces Indiens sont aujourd'hui profondément
occidentalisés : les langues indiennes ne sont plus ou peu
parlées.
En outre, au fil du temps, la communauté tamoule,
soumise au bon vouloir des propriétaires terriens qui l'avaient
engagée, a perdu une partie des coutumes de ses ancêtres. Les
Indiens engagés n'avaient pu pratiquer leur culte car nombre de
propriétaires leur avaient interdit la pratique religieuse ou
refusé un endroit où bâtir un temple. Or ce droit leur
était clairement accordé dans les contrats qu'ils avaient
signés. Mais la tendance s'est inversée : les tamouls de
l'île ont pris conscience de leur identité propre et les contacts
avec l'île Maurice, plus liée à l'Inde, encouragent les
"malbars" de La Réunion a retrouver leur passé et leur coutumes.
Outre les marches sur le feu, les sacrifices des animaux, la pratique de la
religion reprend sa place au sein de la société tamoule. Les
jeunes garçons réapprennent le sens des cérémonies
tandis qu'aux jeunes filles on enseigne les gestes des danses sacrées
traditionnelles.
Enfin, dans cette recherche d'une identité culturelle
s'inscrit aussi une recherche religieuse qui laisse la liberté au tamoul
de choisir de vivre sa culture soit du côté de l'hindouisme, soit
du côté du christianisme. Culture et religion peuvent vivre
indépendamment l'une de l'autre, bien que l'une reste quand même
liée à l'autre.
* 14
http://www.iledelareunion.net/peuple_de_la_reunion/malabar.php
(c) Intégration
Ce groupe Malbars/Tamouls a été perçu
à l'intérieur de la société globale comme une
catégorie ethno-culturelle particulière jusqu'à la
période contemporaine. La perception du groupe a varié selon les
contextes socio-historiques. Du statut d'immigré engagé à
celui de Réunionnais d'origine indienne, un processus
d'intégration lent et ponctué de crises s'est mis en marche. Ceci
illustre la difficulté de vivre dans la société d'accueil.
En nous appuyant sur les travaux de Raoul Lucas
16(*) nous allons étudier comment ce groupe
perpétue et invente son identité.
L'influence indienne a eu lieu dès leur arrivée
avec le métissage d'une partie des premiers habitants avec des femmes
indiennes. Puis la créolisation, générale, est venue
dissoudre celui-ci. La perception de l'indianité est liée
à la présence des travailleurs engagés dans les
plantations de canne à sucre. Ce n'est qu'à partir de 1850 que
les indiens ont été clairement perçus comme nouvelle
composante sociale de l'île après l'abolition de l'esclavage (en
1848). Les indiens ont vite été perçus comme gênants
par ceux qui voyaient en eux des étrangers aux moeurs bizarres venus
voler leur travail. Sentiment d'hostilité qui a été
renforcé par la situation de mise en marge de cette catégorie
ethno-culturelle. Un contrôle de la part des propriétaires pesait
sur eux et les rares moments de liberté étaient employés
pour les fêtes religieuses, manifestations les plus fortes de la
solidarité du groupe. Lors de ces occasions, les processions et les
rites spectaculaires apportaient au reste de la population les preuves d'une
différence culturelle. Cette différence a engendré la
méfiance, voire l'hostilité. Certains grands propriétaires
prenaient leur défense mais les autres défendaient la population
créole en mal économique et en recherche d'emploi. Pourtant,
malgré cette exclusion, les contacts interculturels ont existé
très tôt entraînant des transformations sociales profondes
parmi les couches populaires de l'île : le métissage,
l'adhésion à des pratiques propres à l'hindouisme par des
membres non originaires d'Inde. Très vite, ils font figure d'anciens sur
l'île et s'expriment en créole réunionnais.
Les descendants d'indiens sont de moins en moins mis à
l'écart de la société réunionnaise, même
s'ils sont encore victimes de représentations caricaturales, ils sont de
plus en plus montrés comme les détenteurs d'un héritage
culturel à valeurs morales et spirituelles.
Toutefois, la méfiance resurgit aujourd'hui quand un
indien fait de la politique et lorsque la presse commence à
véhiculer un militantisme culturel tamoul vu comme un positionnement
politique de revendication au sein de cette nouvelle société en
plein processus de décolonisation. Mais globalement les indiens sont
considérés comme des « Réunionnais d'origine
indienne ou tamoul » (Raoul Lucas Sociétés
plurielles dans l'océan Indien. Enjeux culturels et scientifiques).
Ce n'est plus seulement une communauté s'exprimant dans un domaine
culturel et religieux. De même la notion d'indianité s'est
déplacée : ce n'est plus la seule malabarité
réunionnaise, elle tend à associer certains trait culturels
indo-musulmans et du groupe des pondichériens. Elle s'élargit
parfois même jusqu'au gandhisme ce qui permet d'établir des ponts
culturels entre ces différents groupes d'origines indienne.
« En 150 ans environ de présence indienne
clairement ressentie, le discours sur l'indianité dans la presse
réunionnaise a évolué selon deux modalités :
quantitativement (...) et qualitativement. L'immigré indien au
« tam-tam assommant », le « métèque
insolent », a cédé lentement la place au
« Malbar »(...) »
17(*). L'appréhension de l'Autre s'est
transformée en acceptation de l'Autre et de la différence.
On peut y voir cependant un risque : à force de
mettre sur le devant de la scène le courant de l'indianité,
d'inscrire les festivités dans le calendrier culturel réunionnais
(jour de l'an Tamoul, le dipavali) les pratiques culturelles et religieuses des
indiens se transforment en une sorte de produit, « d'Offre Publique
d'Appropriation »1. Cette tendance semble provenir de ceux
qui détiennent le pouvoir politique et administratif au profit d'une
identité réunionnaise, elle-même à sa recherche,
qu'ils tentent de structurer et consolider.
* 16 LUCAS R., 2003,
Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition
Karthala, Université de La Réunion, 228p.
3) Les Chinois et les Zarabes
(a) Histoire de l'immigration et de
l'assimilation des Chinois
Selon des chiffres issus d'Internet cette population
constituerait environ 5% de la population réunionnaise. On peut dire que
les Chinois constituent l'une des plus faibles minorités ethniques de la
population mais leur impact socio-économique est indiscutable.
Mais, d'après Edith Wong-Hee-Kam
18(*) il est difficile de chiffrer
exactement le nombre actuel de Chinois dans l'île.
Vagues d'immigration et comportements
communautaires
L'immigration chinoise à La Réunion ne s'est pas
effectuée de manière linéaire et elle a comporté
des phases distinctes. Il tend malheureusement à s'imposer dans la
vision du public réunionnais une vision faussée consistant
à voir l'engagement des ouvriers agricoles du milieu du XIXe
siècle comme le point de départ de l'implantation
chinoise
19(*).
Les Chinois vont trouver dans la société de
plantation entièrement tournée vers la production et
l'exportation du sucre, une niche économique qui leur servira de point
d'insertion. Les Mascareignes deviennent une zone d'attraction; cela permet aux
Chinois (en particulier aux Cantonais) de débarquer dans les principales
rades de La Réunion, aidés par leurs réseaux
inter-insulaires qui assurent leur accueil.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale une
nouvelle phase démarre: le groupe hakka, qui s'était
imposé progressivement sur le plan numérique et économique
à Maurice depuis le début du XXe siècle, constitue peu
à peu un bastion dans le sud de La Réunion, tandis que les
Cantonais restent présents dans les autres zones. Cette étape de
l'implantation est marquée par une grande cohérence ethnique
à l'intérieur des deux principaux groupes linguistiques. Les
Chinois structurent leur vie politique autour d'associations volontaires et
vivent dans l'optique du retour. Leur mode de fonctionnement dans cette
période illustre bien une constatation de Edith Wong-Hee-Kam :
« On est d'abord frappé par la présence, d'un bout
à l'autre de l'océan Indien, de ces communautés
apparemment fermées sur elles-mêmes et tournées
exclusivement vers le négoce ou le prêt d'argent (...) . Ce
qui caractérise ces communautés, ce n'est pas, à vrai
dire, la religion qu'ils professent et qui peut être très
diverse...C'est bien plutôt la manière dont ils la vivent,
à la façon des « minorités » closes et
différentes du reste de la société où ils
s'installent. » Toujours proches des autorités, sans jamais
avoir elles-mêmes directement accès au pouvoir. Cette
cohésion est cimentée aussi par le désir de
préserver un patrimoine culturel, en particulier en inculquant aux
enfants une éducation chinoise et en créant des écoles
privées.
* 18 WONG-HEE-KAM, 1996,
La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion,
Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.
* 19 Cf annexe 2 :
carte des migrations
L'acculturation prônée par la
Métropole : une certaine résistance
Cependant, est ouverte la voie de l'intégration.
Celle-ci est reconnue (du moins dans la perception qu'en a la
société réunionnaise.) et s'est faite en un laps de temps
relativement limité.
Ses premiers vecteurs ont encore été le
métissage et le rôle joué par l'Eglise Catholique qui a
propagé les influences occidentales et créoles au coeur de cette
communauté qui avait manifesté ailleurs une grande
réceptivité à l'évangélisation.
L'église Catholique a mené une politique
d'évangélisation active, et elle s'est efforcée d'ailleurs
d'adapter certains rituels traditionnels chinois à ses
cérémonies.
Le système scolaire a permis l'échange entre
différentes communautés qui campaient sur leurs positions.
Les répercussions culturelles se font sentir de
façon importante chez les jeunes tournés vers les modèles
que divulguent les médias et les idéaux occidentaux
inculqués par le système éducatif. Coupés en
définitive de leurs racines, les chinois, tout en ne disposant que d'une
culture française relativement superficielle sont influencés par
les valeurs diffusées par la métropole. Ils découvrent les
vertus de l'indépendance, s'éloignent de la solidarité
familiale. Il en découle des conduites qui sont contradictoires avec les
valeurs chinoises vécues par les parents de milieu traditionnel. Ces
communautés ne sont plus seulement des minorités fermées
sur elles-mêmes et s'intègrent parfaitement dans le système
politique, signe d'une intégration culturelle.
En réaction, on assiste à une résistance,
tant chez les anciens que chez les jeunes d'aujourd'hui. Certain refusent en
effet une « déculturation » et prônent le
retour aux valeurs ancestrales. Ils rejoignent ainsi le mouvement indien des
Tamouls, sans en avoir le militantisme. Mais leurs mises en gardes ont peu de
chance d'être entendues car elles se font en langue chinoise. Les parents
tentent alors d'inculquer à leurs enfants certaines normes chinoises
(éthique du travail, importance de la famille, idéal du
lettré), Ainsi que les façons de s'habiller, l'architecture et le
mode d'alimentation, la pertinence de certains rituels religieux.
On peut se demander si ce retour aux sources chinoises n'est
pas, contrairement aux apparences, l'expression d'un processus
d'intégration irréversible à cette société
créole tournée vers l'Europe. Si l'alliance endogame permet de
perpétuer la tradition, il paraît difficile que celle-ci se
transmette de façon intégrale dans une société
pluri-ethnique où cohabitent un environnement réunionnais et une
occidentalisation favorisée par l'administration française. La
coexistence de plusieurs modèles culturels, de surcroît dans un
contexte insulaire, amène les Chinois à tenir compte du monde
environnant, quitte à adhérer au modèle dominant qui
émane de l'Occident pour parvenir à un équilibre.
Les relations avec les autres groupes
Perçue souvent comme une communauté
« discrète et fermée », les Chinois ont eu
des liens relativement limités avec les autres groupes ethniques,
même s'il est vrai que la « boutique » a
été un lieu de brassage de l'île qui lui aurait permis
d'avoir davantage prise sur ce monde. Quel regard les Chinois portent-ils sur
les autres communautés ? Quelles relations ont-ils tissé avec
elles par la force des choses ?
Avec les « Tamouls » et les
« Malbars »
Les Indiens partagent avec les Chinois de nombreux points
communs :
Epoque de recrutement, révoltes d'engagés
agricoles, situation de minorité, ambivalence culturelle,
découverte de nouvelles normes à intégrer etc. Cependant,
ils se sont davantage investis dans le domaine foncier et agricole. Le
militantisme tamoul semble étranger aux Chinois qui n'ont pas
vécu un bouleversement culturel semblable à celui des
indiens, issus du système des castes. Par ailleurs, les
Chinois n'ont pas l'influence que les Indiens ont exercée sur la
société réunionnaise dans le domaine des
représentations du naturel et des possibilités de communiquer
avec lui.
Les Indiens éprouveraient une certaine
perplexité vis-à-vis des Chinois « du fait de leur
profonde discrétion et du refrènement de leurs
émotions »
20(*). En revanche, les élites des deux groupes se
retrouvent dans la même valorisation de la réussite sociale,
qu'elle soit d'origine scolaire ou professionnelle.
Avec les « Zarab »
Quels sont les traits partagés par les Chinois avec les
autres Asiatiques ? Les Musulmans, (appelés en créole
« Zarab », mais qui sont en fait d'origine indienne) ?
La société des Mascareignes a constamment tendance à les
comparer. Le parallèle est perpétuel : « La
réussite des Indiens musulmans, n'est pas moins remarquable (...) une
ascension assez comparable par le commerce, que la fidélité
à l'Islam n'a pas entravée, et qui indirectement rend hommage
à la tolérance réunionnaise » selon Edith
Wong-Hee-Kam. Cependant, dans la réalité quotidienne, les
relations entre les deux communautés restent limitées, la
religion musulmane étant ressentie par les Chinois comme un facteur de
ségrégation: le port du voile par les femmes, qui tend à
s'imposer au cours de ces dernières années, est perçu de
façon assez négative par eux, comme rejet des autres composantes
de l'île et comme un enfermement contraire à la règle de
l'harmonie sociale. Néanmoins, les Chinois envient les Musulmans et leur
cohésion cimentée par l'Islam, regrettant
souvent qu'il n'en soit pas de même pour eux, reconnaissant dans le
rassemblement dans les mosquées une force dont ils sont loin de
disposer, leurs propres temples n'étant plus que le théâtre
de rassemblements épisodiques où l'aspect religieux n'est pas le
plus déterminant.
* 20 WONG-HEE-KAM, 1996,
La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion,
Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.
Les relations avec les autres groupes
Perçue souvent comme une communauté
« discrète et fermée », les Chinois ont eu
des liens relativement limités avec les autres groupes ethniques,
même s'il est vrai que la « boutique » a
été un lieu de brassage de l'île qui lui aurait permis
d'avoir davantage prise sur ce monde. Quel regard les Chinois portent-ils sur
les autres communautés ? Quelles relations ont-ils tissé avec
elles par la force des choses ?
Avec les « Tamouls » et les
« Malbars »
Les Indiens partagent avec les Chinois de nombreux points
communs :
Epoque de recrutement, révoltes d'engagés
agricoles, situation de minorité, ambivalence culturelle,
découverte de nouvelles normes à intégrer etc. Cependant,
ils se sont davantage investis dans le domaine foncier et agricole. Le
militantisme tamoul semble étranger aux Chinois qui n'ont pas
vécu un bouleversement culturel semblable à celui des
indiens, issus du système des castes. Par ailleurs, les
Chinois n'ont pas l'influence que les Indiens ont exercée sur la
société réunionnaise dans le domaine des
représentations du naturel et des possibilités de communiquer
avec lui.
Les Indiens éprouveraient une certaine
perplexité vis-à-vis des Chinois « du fait de leur
profonde discrétion et du refrènement de leurs
émotions »
20(*). En revanche, les élites des deux groupes se
retrouvent dans la même valorisation de la réussite sociale,
qu'elle soit d'origine scolaire ou professionnelle.
Avec les « Zarab »
Quels sont les traits partagés par les Chinois avec les
autres Asiatiques ? Les Musulmans, (appelés en créole
« Zarab », mais qui sont en fait d'origine indienne) ?
La société des Mascareignes a constamment tendance à les
comparer. Le parallèle est perpétuel : « La
réussite des Indiens musulmans, n'est pas moins remarquable (...) une
ascension assez comparable par le commerce, que la fidélité
à l'Islam n'a pas entravée, et qui indirectement rend hommage
à la tolérance réunionnaise » selon Edith
Wong-Hee-Kam. Cependant, dans la réalité quotidienne, les
relations entre les deux communautés restent limitées, la
religion musulmane étant ressentie par les Chinois comme un facteur de
ségrégation: le port du voile par les femmes, qui tend à
s'imposer au cours de ces dernières années, est perçu de
façon assez négative par eux, comme rejet des autres composantes
de l'île et comme un enfermement contraire à la règle de
l'harmonie sociale. Néanmoins, les Chinois envient les Musulmans et leur
cohésion cimentée par l'Islam, regrettant
souvent qu'il n'en soit pas de même pour eux, reconnaissant dans le
rassemblement dans les mosquées une force dont ils sont loin de
disposer, leurs propres temples n'étant plus que le théâtre
de rassemblements épisodiques où l'aspect religieux n'est pas le
plus déterminant.
* 20 WONG-HEE-KAM, 1996,
La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion,
Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.
L'identite et le spectacle vivant à La Reunion
par Virginie Verbaere Université Aix-Marseille III - Administration des Institutions Culturelles 2004 Dans la categorie: Rapports de stage
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L'économie
Même si leur intégration est difficile à
leur arrivée sur l'île, les Chinois finissent par occuper une
place originale dans le petit, puis le grand commerce d'alimentation. Ils ont
favorisé le développement agricole de l'île en important
des épices, la canne à sucre et les cultures
fruitières.
Sur le plan commercial ils ont largement contribué
à répandre des modèles de réseau de
distribution.
Culturel
La population offre à la société
Réunionnaise un certain art de vivre : « ils calculent
leur effort en fonction de la détente ou de la fête qui doit
suivre et récompenser » d'après Edith Wong-Hee-Kam.
Leurs pratiques culturelles influencent la venue de spectacles chinois, en
particulier des troupes artistiques qui effectuent des tournées dans
l'océan indien tel que le ballet de Pékin. De plus, il existe
quelques troupes de danse localement installées.
Enfin comme le dit si bien Selim Abou 22(*), « La libre
expansion du moi dont rêve l'émigrant et à laquelle il
aspire, n'a de sens que si elle est reconnue par les autres. A ses yeux, les
autres- dans son pays comme dans le pays d'immigration- ne sont là que
pour être les témoins admiratifs de son triomphe ».
Mais ce triomphe n'est jamais définitivement acquis, et
les Chinois de la Réunion sont tributaires du destin politique de
l'île et donc, de l'incertitude.
* 22 ABOU S, 1986,
L'identité culturelle. Relations interethniques et problèmes
d'acculturation, ed. Anthropos, Paris, 235p.
(b) Les Zarabes
Biens que les Réunionnais les appellent «
Zarabes »,
les premiers musulmans de la Réunion sont originaires d'Inde et plus
précisément de la région située au nord ouest,
entre Bombay et la frontière pakistanaise. Ils sont arrivés
dès les premiers temps de l'engagement, en même temps que les
Chinois et les Indiens 23(*). Ils sont sur l'île depuis plus de deux
siècles et ont une influence forte sur la culture de l'île de par
leur religion (musulmans sunnites de rite hanafite.) La mosquée
Noor-e-Islam de Saint-Denis a été fondée en 1905 et c'est
la plus ancienne mosquée de France.
Un autre groupe musulman originaire également du
Gujerat est arrivé à la Réunion à partir de 1972,
chassés de Madagascar par la situation politique de la grande île.
Ces Indiens sont appelés karanes, ils sont en majorité chiites et
pratiquent la plupart du temps un culte domestique. Le groupe musulman le plus
récent est constitué par la communauté comorienne. Les
Comoriens viennent depuis les années 70 et encore aujourd'hui à
la Réunion pour y trouver un travail. Ils sont Sunnites, de rite
chaféite.
Biens que d'origines diverses, les musulmans se côtoient
sereinement sur l'île et bien que très minoritaire, le groupe a
acquis une importance indiscutable dans le tissu économique
réunionnais en travaillant dans le domaine commercial.
Mais ce qui différencie la communauté musulmane
des communautés tamoule et chinoise, c'est qu'elle a
véritablement gardé la pratique de la religion. La vie au sein
des foyers musulmans est encore traditionnelle, avec la toute-puissance du
père et le respect des préceptes du Coran. Mais ce n'est pas pour
autant qu'ils ne se sont pas adaptés à la société
moderne. Simplement, ils essaient d'allier les "bienfaits" de la civilisation,
la survivance des coutumes et la religion que leurs ancêtres ont
amenés avec eux. Cependant cette communauté est plus
fermée au métissage, même si elle se modernise.
* 23 Cf Annexe 2 :
Carte des migrations
B. Du métissage vers
l'unité?
1) Deux grands modèles
culturels : français/créole
(a) La population créole
Composition de la population
créole
Les créoles constituent 40% de la population. Ils sont
ici chez eux puisqu'ils descendent des premiers arrivants (français et
malgaches). Il y a plusieurs souches de créoles:
· Les "Ptits Blancs"ou "Yabs" qui composent la couche
populaire
· Les "Gros Blancs" issus de l'aristocratie locale
· Les métis.
Qui sont les métis ?
Les "métis" comptent pour la moitié des
habitants de La Réunion. Ils sont entre cent cinquante mille et deux
cent mille. Le colloque sur « l'espoir transculturel à La
Réunion » 24(*) nous éclaire sur ce groupe complexe qui a
visiblement le plus de mal à se forger une identité propre. Ils
constituent le groupe le plus important, aux contours difficilement
délimitables. Véritable groupe charnière, ils occupent
tous les degrés de l'échelle sociale et jouent un rôle
important qui n'a pas toujours été mis en évidence.
Il faut être conscient que vouloir établir un
quelconque recensement serait quasi impossible. Néanmoins, on peut
remarquer trois types de métissage comme bases essentielles de la
structuration du groupe social. Il s'agit de « métissage
noir/blanc, du métissage Kaf/malbar et du métissage
zarabe/créole ou chinois » 25(*). Il ne s'agit là que de quelques
repères parmi d'autres mais ils soulignent l'existence d'un groupe
métis.
* 24 REVERZY J.F.,
MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université
de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan,
Paris.
(b) Métissage avec la culture
métropolitaine
Une fusion entre deux
pôles : exemple des langues
Tout immigrant est porteur de sa culture d'origine et tente
d'en sauvegarder le maximum, voire d'enrichir cet héritage lorsque le
contact avec ses origines est possible.
La coexistence sur l'île d'habitants de diverses
origines a pour conséquence un métissage linguistique, social et
culturel incontournable.
Ce métissage produit une culture créole dans les
situations informelles et/ou privées. Français et Créoles
vont se cristalliser sur deux pôles en opposition : ce qui est
d'importation, du « dehors », de France et ce qui est
local, « du pays ». Mais « La situation de
diglossie à La Réunion ne se ramène pas à la simple
coexistence de deux paliers, socialement et culturellement inégaux et
fonctionnellement complémentaires et qui se différencieraient
toujours nettement l'un de l'autre au point de vue structurel (...) on peut
dire qu'on se trouve dans un continuum
français-créole » 26(*).
Cette fusion est d'abord visible par la rencontre entre deux
langues qui en crée une troisième. Par extension on peut dire que
ce processus de métissage s'étend vers le domaine social et
linguistique.
Systèmes d'idées et de valeurs
Trois courants marquent les systèmes d'idées et
de valeurs qui guident les comportements des individus ou les comportements
collectifs des Réunionnais :
1. Le métissage biologique, linguistique et culturel
créateur d'une langue et d'une culture créole, métissage
qui permet à certain de vivre harmonieusement leur
multiculturalité alors qu'elle provoque chez d'autres des
« phobies » de « ghetto culturels ».
2. L'assimilation par la langue et la culture
française, réputées « universelles »,
de la colonisation à la départementalisation, qui impose une
intégration à l'espace social, économique et culturel du
reste du monde.
3. La volonté de sauvegarder ou d'enrichir
l'héritage linguistique et culturel provenant de l'Inde, de la Chine ou
d'ailleurs. Sauvegarde perçue par les uns comme un nécessaire
retour aux sources et par d'autres comme une force risquant de mener au
communautarisme.
Dans ces trois courants, les Réunionnais doivent
assurer deux systèmes de valeurs. Celui qui vient du milieu familial et
celui qui imprègne la société.
Le Réunionnais d'aujourd'hui n'est pas identifiable
à une catégorie qui le différencie totalement de l'Autre
et ne peut être caractérisé par son appartenance à
une culture ou à un groupe unique. En fonction de la manière dont
il se définit ou dont les autres le définissent, par rapport
à son apparence physique, à son âge, son sexe, son statut
social et économique, sa maîtrise de telle ou telle langue, et
surtout en fonction de son héritage culturel propre, chaque
réunionnais soumis, à des degrés différents,
à l'assimilation, au retour aux sources et aux métissages,
choisit son style de vie et ses attitudes en piochant dans ce que lui offre une
société plurielle construite dès la découverte de
l'île.
* 26 CHAUDENSON R., 1995,
Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France,
Paris, 127p.
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2) Des croyances communes
(a) Le catholicisme remanié
L'histoire des religions se confond avec l'histoire des
immigrants de l'île. Les F
rançais
venus de métropole sont arrivés avec le catholicisme et ont fait
venir des esclaves d'Afrique noire animiste. L'église a alors
autorisé l'esclavagisme à condition que l'on baptise les
esclaves. Ces derniers se sont donc retrouvés chrétiens. Puis
sont arrivés les Indiens et la religion tamoule, les Chinois et le
Taoïsme, et enfin les Indiens (Zarabes) et l'Islam. Toutes ces religions
se côtoient, se mélangent et il n'y a pas d'intégrisme.
La religion principale est le catholicisme et la visite du
pape Jean Paul II en 1995 - n'attirant d'ailleurs pas que les catholiques de
l'île - en a apporté la preuve. Les populations noires indiennes
ou chinoises ont largement été évangélisées,
d'abord par obligation puis par métissage religieux. Il en
résulte un catholicisme typiquement réunionnais car ayant subit
des influences diverses.
(b) La religion Tamoule
La religion Tamoule est la deuxième
représentée sur l'île, elle est très présente
par ses temples qu'on retrouve dans toutes les villes. Les "malbars" sont
connus pour leurs cérémonies spectaculaires, notamment la
cérémonie de marche sur le feu qui a lieu fin décembre et
qui fait partie du folklore de l'île. Pour faire pénitence, les
"malbars" se plantent des aiguilles d'argent dans le dos, sur les bras et le
torse. Ces cérémonies attirent du monde et il n'est pas rare de
voir des réunionnais d'autres confessions pratiquer la pénitence
Tamoule.
(c) L'islam
L'Islam qui est
la troisième religion de l'île a été importée
par les musulmans d'origine indienne. De nombreuses villes voient se
côtoyer une église, un temple tamoul et le minaret d'une
mosquée. Dans les faits, nombre d'hindous participent également
aux rites catholiques.
(d) La sorcellerie
Si La Réunion a pu être nommée par
certains, L'île du diable, c'est bien en raison de l'omniprésence,
dès son premier peuplement, des phénomènes conjoints de
sorcellerie maléfique et de guérissage. Cette
réalité est toujours omniprésente et fait partie des
valeurs culturelles de l'unité réunionnaise
27(*). La souffrance psychique et la
maladie mais aussi les conflits et les traumatismes de la vie quotidienne sont
vécus souvent par les habitants de La Réunion en relation avec le
monde occulte et ses pouvoirs. Etre envoûté,
« arrangé », « amarré »,
être victime des « grater ti boi » constitue une
menace permanente pour ceux qui vivent dans cette île qualifiée
par l'historien Prosper Eve, « d'île à
peur »
28(*). Le
rôle social des sorciers et des guérisseurs y demeure
considérable et fait aussi un trait d'union entre les îles et les
mondes de l'Océan indien : L'Inde, l'Afrique, la Chine, Madagascar, Les
Comores, Maurice, l'Europe. C'est là une composante fondamentale des
métissages culturels. Plus loin ces systèmes de valeurs
s'exportent et se retrouvent dans les diasporas fixées en France ou en
Europe: il existe aussi une mondialisation de l'occulte, de ses rôles et
de ses pouvoirs.
Une bonne partie de ces croyances est l'héritage des
anciens esclaves Africains affranchis en 1848 ou des travailleurs malgaches.
3) D'une langue à une culture
réunionnaise : l'unité
La langue et la culture réunionnaise, n'ont-elles pas
été les premières à préparer ce
brassage ?
(a) La formation du créole
A l'origine chaque ethnie avait sa langue, celle dans laquelle
elle célébrait les événements de sa vie religieuse
et familiale. Mais pour communiquer entre elles il lui fallait une langue
comprise par tous. Cette langue ne pouvait être que le
français, la langue officielle et aussi celle des
« maîtres ». Comme elle n'était pas
enseignée à cette masse de travailleurs, ces derniers se sont
efforcés d'en retenir les mots, et les expressions les plus courantes
qu'ils ont transformés. Ils en firent des phrases brèves,
débarrassées de tous ces mots que la grammaire impose, sans
qu'ils soient indispensables à la compréhension du
message »
29(*).
C'est peut-être de cette manière qu'est né
le créole à La Réunion, après que les
« nénènes » (les nounous) l'introduisirent
dans la maison de leurs maîtres, qui l'utilisèrent pour leur
parler. Il est devenu, à côté du français
parlé par l'élite, la langue de tous les réunionnais.
Albert Ramassamy ajoute que « Tout s'est passé comme si un
bras s'était détaché de la langue française pour se
diviser en courants, qui se sont infiltrés, chacun dans une ethnie,
à la fois pour s'enrichir de ses apports, et la faire communiquer avec
les autres, avant de se reconstituer pour former la langue créole. Ce
bras ne s'est jamais tari, mais s'il n'y a plus rien d'original à
drainer dans les ethnies, qui adoptent de plus en plus la culture
française, il ne charrie plus que du français, chargé de
reliefs de créole. » Une évolution lente rapproche donc
de plus en plus le créole du français. Mais Albert Ramassamy
précise que : « Expression de l'âme
réunionnaise, le créole, doit être préservé
et continuer d'être utilisé, non comme un élément
folklorique, mais comme un souvenir chargé de sens et d'histoire, pour
faire connaître la spécificité de la culture
réunionnaise »
30(*).
On voit ici le sens unificateur de la langue. En effet, toute
langue véhicule une culture, une identité, et il semble donc que
le créole n'y fasse pas exception. Après s'être
octroyé une langue, la société réunionnaise se
fabrique une culture.
(b) Comment naît la culture
réunionnaise ?
Quand débute le 20ème siècle, l'Europe
est à l'apogée de sa puissance. Quel que soit le lieu où
ils se trouvent, les colonisateurs sont convaincus de leur
supériorité et croient sincèrement qu'il n'y a qu'une
civilisation : la leur. Même les hommes de gauche se font les
défenseurs d'un véritable humanisme colonial, et insistent sur
les « obligations morales » des colonisateurs
« agents de la civilisation »
31(*) ( cf que sais-je ?)
Mis à part une élite restreinte, ce sentiment
est partagé par les peuples dominés. Et ce ne sont pas les
ethnies asservies de La Réunion qui penseraient le contraire.
Animées par cette conviction, elles sont prêtes à se placer
de leur gré sur le chemin de l'assimilation. Vivre comme les
« blancs », c'était prouver aux autres et à
soi-même qu'on avait réussi. Vivre comme les blancs,
c'était glisser certains aspects de leur vie sociale, dans des
modèles culturels européens. Ils s'en emparèrent, les
transformèrent, pour les adapter à leur manière de vivre,
à leurs moyens financiers, aux croyances et aux coutumes de leurs
communautés. Ils les adoptèrent en quelque sorte en y incorporant
une partie de leur culture. Par ce phénomène d'imitation, et bien
que vivant repliées sur elles-mêmes, les ethnies
s'engagèrent séparément dans une voie culturelle qui les
rapprochait les unes des autres, et les rapprochait des
« blanc ». A travers ce métissage culturel a
commencé à se bâtir l'identité des
Réunionnais.
Conclusion
On peut maintenant entre apercevoir l'idée que
l'identité ne se pose plus en termes de pluralité OU unité
mais plutôt en termes de pluralité ET unité.
L'étude de l'immigration et des effets de
l'intégration sur les populations d'origines diverses tout au long de
l'histoire révèle la difficulté pour elles, à leur
arrivée, de trouver une place dans la société
réunionnaise. La connaissance des groupes ethnoculturels permet
d'appréhender leurs représentations identitaires pour mieux
comprendre le présent grâce au passé et mieux anticiper le
futur. La lecture de leur histoire nous conforte dans l'idée d'une
identité en perpétuel renouvellement depuis le début de la
colonisation jusqu'à nos jours. Comment se place-t-elle au sein d'une
société aux origines, aux repères et aux aspirations si
variées ? Comment se structure et fonctionne cette
société, quels sont ses repères culturels et ses
référents ? Enfin quelles sont les solutions
préconisées pour éviter qu'une éventuelle
affirmation identitaire ne tombe dans l'extrême rejet de
« l'Autre » ou des « Autres » ?
* 29 RAMASSAMY A.,
1987 :
La réunion, décolonisation et
intégration, AGM, Saint-Denis.
* 31 CHAUDENSON R., 1995,
Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France,
Paris, 127p.
III. Mutations socio-culturelles et formation identitaire
A. D'une
« société de plantation » en mutation...
1) Au temps de l'esclavage et de la
colonie
L'objet de cette partie porte sur La Réunion d'avant
1946, date à laquelle l'île cesse d'être une colonie et
devient un département français. Quelle est cette Réunion
que les créoles appellent le « temps longtemps » et
qui est marquée par l'esclavage (1690-1848) puis par l'engagement
(1848-1900), et l'immigration libre (de 1870 jusqu'à la fin de la
seconde guerre mondiale) ? Durant près de trois siècles
l'île est une colonie dirigée par une minorité de
propriétaires et de décideurs venant d'Europe et
particulièrement de la France. La société
Réunionnaise se caractérise alors par :
· Une nette hiérarchisation verticale recrutant
sur des bases ethniques.
· Une homogénéité des populations
dont l'activité se développe sur une aire géographique
limitée.
· Des statuts sociaux assignés et stables.
· Un répertoire des rôles qui se reproduit
à l'identique de génération en
génération.
· Une solidité essentiellement basée sur
les réseaux de parenté.
· Un système favorisant l'élite
existante.
Cette société dite traditionnelle et
« de plantation » se caractérise également
par une sociabilité de l'interconnaissance et un contrôle social
où tout est connu par l'ensemble de la communauté.
C'est-à-dire que tout se déroule sous le contrôle de tous.
On peu noter que l'insularité conforte ce type d'organisation sociale
traditionnelle.
2) Transformation de la
société traditionnelle
La société réunionnaise se transforme peu
à peu, puisant ça et là dans ce que lui apportent les
différents modèles introduits par les populations d'origines
multiples. Au lendemain de la seconde guerre mondiale l'organisation
traditionnelle subit progressivement des changements selon trois phases
jusqu'à la modernité. Analysons les différentes phases
amenant ces deux phénomènes en se basant sur l'article de Michel
Watin
32(*).
(a) Première phase :
substitution-assimilation
On assiste d'abord à un processus de
substitution-assimilation de la tradition par la modernité. Elle
correspond à une phase de transformation pendant laquelle chaque
caractéristique du premier modèle (la tradition) est
remplacée progressivement et automatiquement par les
caractéristiques du second (la modernité). Très
rapidement, la situation socio-économique locale et
l'amélioration notable de l'état sanitaire et social du pays,
jugés déplorables en cette période d'après-guerre,
s'améliorent. Mais, dans le même temps, on relève les
premiers effets pervers d'un développement mené à un
rythme extrêmement rapide : on commence ainsi à évaluer le
chômage et l'échec scolaire, à mesurer les
inconvénients de l'urbanisation et à observer la diffusion de la
pauvreté.
* 32 WATIN M., 2002,
Changement social et communication à La Réunion, in
Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu
multiculturel ».
(b) Deuxième phase :
télescopage
La résistance à l'introduction d'une
modernité exacerbée par des militants de la
créolité lance la seconde phase caractéristique de la
modernisation de l'île qui correspond à une situation de
télescopage. Tout se passe alors comme si on assistait, à la fin
des années 1970, à l'affirmation des références
issues de la tradition face aux propositions de la modernité : on se
trouve dès lors dans une situation, « ici et maintenant », de
deux modèles, celui de la tradition et celui de la modernité, qui
s'entrechoquent.
Dans cette configuration, la modernisation ne consiste plus en
une destruction pure et simple de la société traditionnelle
jugée incapable d'intégrer la modernité : on assiste
plutôt à « une fusion des formes et des pratiques
sociales où le nouveau se mêle à l'ancien, où la
tradition s'adapte à la modernité »
33(*).
(c) Troisième phase :
hybridation
Aujourd'hui, l'image du télescopage, qui évoque
l'affrontement de deux systèmes, semble en phase d'affaiblissement pour
laisser la place à un processus d'hybridation. Il s'agit de produire une
modernité réunionnaise dans laquelle sont atténués
les traits de la créolité, mais où sont également
détournées les caractéristiques de la modernité.
Sociologiquement, la Réunion s'installe ainsi dans
« une dynamique «communautaire-sociétaire« qui
oscille entre une référence communautaire puisant ses racines
dans son histoire propre et une référence sociétaire
exogène «importée« qui s'impose de l'extérieur
»
34(*).
3) La départementalisation de
1946
(a) Une autre société
réunionnaise se profile
Entre tradition et modernisme la population
réunionnaise a bien du mal à trouver ses repères. A la fin
de la seconde guerre mondiale, l'île est détruite et sa
population, comme ailleurs, affamée. C'est dans ce contexte que
réapparaissent les revendications tendant à changer le statut de
l'île. On voit en effet dans cette réforme institutionnelle la
solution aux graves problèmes sociaux. A La Réunion, la
population paraît favorable à ce changement qui rapproche
juridiquement l'île de la métropole. L'article 1er de
la loi du 19 mars 1946, votée à l'unanimité à
l'Assemblée Nationale proclame : « Les colonies de la
Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane
française sont érigées en départements
français. » Pour les habitants de ces colonies, et plus
particulièrement ceux de La Réunion, le passé le plus
lointain c'est la France. En 1946, il n'est pas question d'aliénation
culturelle. On prône l'assimilation qui doit permettre d'appliquer
systématiquement aux colonies les lois adoptées pour la
métropole. Le système des plantations perd petit à petit
sa position dominante dans la société réunionnaise et la
promotion sociale ne se fait plus sur le même modèle mais cela
n'empêche pas les inégalités de survivre avec le
chômage grandissant.
De cette départementalisation vont naître des
bouleversements auxquels la population aura du mal à s'adapter. C'est le
départ d'un progrès social transformant profondément la
société. On considère généralement que la
modernisation de l'île débute réellement au cours des
années soixante avec l'installation effective des grandes
administrations de l'Etat français
35(*).
C'est le début d'une politique
essentiellement inspirée par le rattrapage et l'égalité
avec la Métropole. De fait, le département français de La
Réunion est confronté, dans les trente dernières
années, à des mutations économiques, technologiques,
sociales et culturelles qui ont produit des modifications considérables
touchant tous les domaines de la vie quotidienne des individus.
Ces mutations se sont encore accélérées
dès les années 80, la décentralisation et l'ouverture
médiatique et aérienne favorisant les échanges. L'histoire
de La Réunion depuis 1946, est celle (unique) d'une période de
mutations courte et intense, faisant l'impasse de l'industrialisation.
* 35 WATIN M., 2002,
Changement social et communication à La Réunion, in
Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu
multiculturel ».
(b) Abandon des traditions
En ville, où le modernisme s'installe, où le
Réunionnais est de plus en plus tiraillé entre les divers enjeux
politiques, les traditions tendent à disparaître et celles qui
demeurent font sourire. En revanche, à la campagne, ces traditions
restent très vivaces, et on y retrouve les coutumes de La Réunion
d'avant. En fait, d'une manière générale, la population
réunionnaise, agressée chaque jour par un peu plus de modernisme,
a du mal à trouver une harmonie. Tout va trop vite et le
Réunionnais n'a pas le temps de s'y habituer, lui qui, jusqu'à
présent prenait le temps de vivre. Prise entre son genre de vie
traditionnel et celui qui s'installe peu à peu, à savoir celui
des fonctionnaires, des commerçants et des membres des professions
libérales, La Réunion essaie de sauvegarder "ses" valeurs.
L'île est en train de subir une profonde mutation et la population, avec
ses différentes composantes, a du mal à trouver son
équilibre. Les "communautés", terme par lequel on désigne
Chinois, musulmans et Tamouls, sont le centre de ces profondes
mutations
36(*). Ces
communautés, longtemps confinées dans un rôle bien
précis, ou plutôt des fonctions bien définies, commencent
à sortir de leur cadre d'origine. Lorsqu'ils sont arrivés dans
l'île au siècle précédent, les Chinois et les
musulmans se sont lancés dans le commerce et s'y sont cantonnés.
Bien qu'au sein des familles on tente de conserver les coutumes ancestrales,
ils s'occidentalisent. Avec les "zoreils" c'est le genre de vie occidentale qui
prend possession de La Réunion et tout l'avenir du pays s'en trouvera
bouleversé.
Bien que la Réunion entière parlât
créole, les relations entre ethnies ne changèrent pas pendant de
longues années. Polies mais superficielles, elles se limitaient à
ce minimum qu'impliquaient les échanges économiques, et la vie
dans un même endroit. Mais lorsque arrive la départementalisation
qui bouscule les vieilles habitudes, la société
réunionnaise a déjà secrété sa propre
culture, avec une manière de vivre réunionnaise. Les
différences de culture ne font plus obstacle à des
rapprochements.
B. ...Vers l'occidentalisation à
la « française »
La société réunionnaise est plus une
société de consommation d'inspiration occidentale évoluant
vers une forme de société industrielle développée.
« La Réunion fonctionne dans la pratique quotidienne avec un
métissage de l'interconnaissance du monde créole et l'anonymat de
la modernité au lieu de s'appuyer sur l'individualisme et une
sociabilité de l'anonymat » 37(*).
Dans son essence, ce processus de modernisation n'est pas
fondamentalement différent de celui qu'ont connu les
sociétés européennes. Mais, à La Réunion, il
se produit sur une base historique particulière, dans un environnement
géographique et géo-politique spécifique et à un
rythme très soutenu.
1) L'exode rural et ses
conséquences
(a) Montée du Chômage
Après 1950 on assiste à un exode rural et par
conséquent à un gonflement des populations urbaines dus, d'une
part à l'application des nouvelles lois nées de la
départementalisation, d'autre part au développement des corps de
métiers employant une nombreuse main-d'oeuvre. Ainsi le chiffre des
employés de commerce, des domestiques et surtout des fonctionnaires
connaît une courbe ascendante, alors que celui de la main-d'oeuvre
agricole est dans une phase descendante. Mais le développement des
villes s'accompagne d'un accroissement du chômage et l'abandon de
milliers d'hectares de bonnes terres. Un prolétariat urbain fait son
apparition avec ses composantes habituelles : chômage, misère et
alcoolisme. Les produits extérieurs envahissent le marché. Tous
ont envie d'en profiter. Et voir les gens qui en ont les moyens, consommer
"français" ne fait qu'augmenter le désir chez les autres
d'accéder à cette consommation.
Des conflits de toutes sortes vont naître, conflits qui
font, par ailleurs, l'affaire des partis politiques et fourniront
matière à argumentation électorale. En revanche, ils ne
font pas vivre les familles qui n'ont qu'un maigre salaire à la fin de
chaque mois et encore quand salaire il y a : les chômeurs grossissent
sans cesse les rangs des mécontents. Trouver des solutions devient
primordial.
Déjà, en 1950, divers observateurs avaient
tiré la sonnette d'alarme quant à l'augmentation rapide de la
population et du nombre de travailleurs, la diminution des offres d'emplois due
à « la concentration industrielle et la mécanisation de
l'agriculture ». En même temps que l'administration tente de
trouver des solutions à ces problèmes de travail et de
chômage, elle commence à verser des indemnités de secours.
Mais toutes ces aides rendent dépendants les réunionnais qui
aspirent désormais à s'expatrier.
* 37 SIMONIN J. ; WATIN M.,
1993, Espace public et communications médiatisées à la
Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993.
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(b) L'expatriation comme
solution ?
Depuis longtemps déjà, les Réunionnais se
sont expatriés dans l'espoir d'un mieux, ailleurs. Il y a d'abord eu des
émigrations volontaires vers Madagascar, la Nouvelle-Calédonie,
l'Indochine. Certains y ont fait fortune, d'autres continuent à vivoter,
mais dans de meilleures conditions qu'à La Réunion puisque, quel
que soit l'endroit où ils se trouvent, il y a de la terre en abondance.
Mais à partir de 1960, il apparaît que l'émigration se fait
plus volontiers vers la métropole
38(*). En 1963, plus de sept mille Réunionnais sont
installés en France continentale. Parmi ces Réunionnais on compte
un petit nombre de personnes occupant d'importantes fonctions dans
l'administration, l'armée ou la science. Tous les autres sont des
« travailleurs émigrés »
39(*). Cependant, bien que
l'émigration apparaisse comme un des moyens de lutte contre le
chômage, elle n'inquiète pas moins les autorités et le
problème qu'elle pose, comme celui du chômage, fait bien souvent
l'affaires des "politiques".
2) Le rôle des médias de
masse
(a) Les médias de masse pour un
espace public
La généralisation des communications
médiatisées agit tout comme l'exode rural comme un puissant
accélérateur du changement social
40(*). Les nouvelles conditions de communication
transforment profondément le lien et les rapports sociaux en venant se
superposer aux interactions de face à face qui sont la règle pour
les communautés d'ordre traditionnel. De plus, dans une
société jusque là fortement enclavée et en
étroite dépendance avec sa métropole, elles constituent
une brusque ouverture sur le monde contemporain.
On relève d'abord l'arrivée, à
l'échelle locale, des médias de « masse »
41(*). La période allant de
1976 à 1986 constitue en effet une véritable « rupture
médiatique » dans un paysage local très
sévèrement verrouillé jusqu'au milieu des années
1970
42(*).
Un espace public émerge donc au tournant des
années 1980 et contribue très sûrement à la mutation
de la société réunionnaise contemporaine. On assiste au
développement d'un réel pluralisme de l'information, à la
constitution d'une opinion publique qui traduit la revendication de toute la
population réunionnaise pour la liberté d'expression, les
débats publics liés à la société,
l'évocation des problèmes de la Réunion et de son
avenir.
Enfin, le relais en direct des journaux parlés et
télévisés de métropole modifie
considérablement les pratiques journalistiques locales en
« proposant à tous un autre traitement de l'information
nationale et internationale »
43(*).
(b) Conséquences de ces nouveaux
modes de communication sur le lien social
Ces nouvelles conditions de communication sont en rupture
totale avec les pratiques traditionnelles. Dans la société
créole, le lien social est géré par l'interconnaissance.
L'engagement dans l'interaction y est complet, la spécification de tel
ou tel rôle social étant peu habituelle. Au sein d'une
communauté de « kartié » où tout le
monde se connaît, les interlocuteurs ont une connaissance mutuelle de
leurs rôles sociaux qui s'enracinent lors de leur contact entre eux. Le
lien social de la modernité est, au contraire, caractérisé
par des relations marquées par l'anonymat ; au delà du petit
cercle du privé, les individus développent des interactions
limitées à leurs rôles sociaux. Ces liens se
développent d'autant plus rapidement que les techniques de communication
permettent et favorisent cette « sociabilité de la distance
»
44(*).
Aujourd'hui, ces deux modes de communication sociale sont en
concurrence, s'interpénètrent et métissent
modernité et tradition, anonymat et interconnaissance. On assiste ainsi
à l'émergence de formes et de pratiques sociales où le
nouveau se mêle à l'ancien, où la tradition s'incorpore et
s'adapte à la modernité. La frontière privé/public
en particulier, historiquement tracée par la société de
plantation, est aujourd'hui redessinée avec l'individualisation des
pratiques, le repli domestique et le développement d'une
sociabilité anonyme.
* 40 WATIN M, 2001 :
Espace public et communication, Univers Créoles 1, Anthropos,
Paris, 266p.
* 41 IDELSON B., 2002,
L'espace médiatique réunionnais, hier et aujourd'hui in
Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu
multiculturel ».
* 42 WATIN M., WOLFF E.,
1995,
L'émergence de l'espace public à la Réunion : un
contexte socio-historique singulier, Etudes de Communication n° 17,
Bulletin du CERTEIC, Université de Lille 3, Lille, 1995.
* 43 SIMONIN J. ; WATIN M.,
1993,
Espace public et communications médiatisées à la
Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993.
3) Déterritorialisation
(a) Identité et territoire
La généralisation des communications a aussi des
effets sur l'aménagement du territoire et l'espace urbain.
On l'a déjà indiqué, la
société créole a construit une partie importante de son
identité sur la base territoriale du kartié, véritable
espace social constitué par l'histoire, la parenté et
l'interconnaissance. Cet espace de proximité désigne à la
fois la proximité géographique et la proximité sociale et
culturelle : les individus qui résident sur un même territoire
partagent aussi les mêmes conditions socioculturelles. L'urbanisation
massive a progressivement fait disparaître ces espaces sociaux au profit
de quartiers, administrativement délimités, où vivent des
individus que seule une situation socioéconomique semblable rassemble.
Leurs relations résident ailleurs, et le lien social est activé
par des rencontres en ville, sur les lieux de travail et grâce aux
technologies de communication, le téléphone d'abord, Internet
ensuite.
Ici, les individus proches du point de vue de la
résidence ne sont plus forcément des proches du point de vue de
leurs positions socioculturelles ; les réseaux de communication et de
transport font qu'ils partagent un même « monde de vie
»
45(*) avec des
individus éloignés géographiquement.
De fait, le rôle de la proximité territoriale est
aujourd'hui minimisé tandis que sont maximisés les réseaux
d'échanges dans toutes leurs dimensions, ce qui constitue une rupture
avec la tradition créole.
Cette «sociabilité en réseaux»
participe, dans la société réunionnaise, d'une
déterritorialisation des relations sociales et du déplacement des
lieux de la sociabilité. Mais si la modernité intègre les
individus qui valorisent positivement la mobilité, elle exclut tous ceux
qui ne peuvent, ou ne veulent, participer à ce
phénomène.
Le kartié créole peut alors devenir ghetto, cet
espace particulier où s'entremêle « une non-
intégration sociale et la non assimilation culturelle » à la
modernité
46(*).
En quelques années (1985-1995), on voit ainsi
apparaître, dans les principales agglomérations
réunionnaises, « des quartiers biens typés »
47(*) caractérisés par
le profil socio-économique de leurs habitants. A la hiérarchie
par groupes ethniques organisée par la société de
plantation succède une autre ségrégation, basée sur
les positions sociales des individus.
« Dans ce territoire ségrégé
apparaissent également des espaces publics urbains qui constituent
finalement les seuls lieux communs aux multiples habitants et groupes sociaux
qui peuplent l'agglomération »
48(*). L'espace public médiatique et l'espace public
urbain sont pensés comme des lieux accessibles à tous
au-delà des considérations ethniques, religieuses, culturelles et
économiques.
* 45 WATIN M, 2001 :
Espace public et communication, Univers Créoles 1, Anthropos,
Paris, 266p.
* 46 REVERZY J.F.,
MARIMOUTOU J.C., 1990 :
L'espoir transculturel, Université
de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan,
Paris.
(b) Effets de l'intégration
à l'espace public sur les citoyens
L'élan démocratique, la circulation des
idées, la mise en visibilité et en débats des faits de
société grâce aux médias de masse se
développent donc parallèlement à l'accessibilité de
la ville. Elle cesse d'être un territoire réservé à
une élite bourgeoise et fortunée.
Parce qu'elles valorisent l'individu, ces transformations font
surgir, sur la scène publique, la question de la citoyenneté.
Selon le modèle républicain français, la
citoyenneté suppose que les individus se présentent sur la
scène publique comme des personnages autonomes et détachés
des liens sociaux et politiques fournis par la famille, la corporation, le
territoire ou encore la religion.
La société créole, qui s'est
constituée à partir des différentes communautés
ethniques à l'origine, intègre les individus par leur
appartenance à un kartié. Avec l'émergence de l'espace
public et la généralisation des communications, qui
intéressent d'abord l'individu en effaçant le groupe, c'est la
nature du lien social qui se transforme : ceux qui accèdent de
façon toute récente à l'espace public, médiatique
et urbain, doivent abandonner en partie leurs identités
particulières s'exprimant jusque là en termes de territoire et
d'ethnicité. L'établissement de la citoyenneté, qui
suppose l'adhésion à un ensemble social plus vaste, implique donc
une rupture avec les modèles instaurés au cours de l'histoire.
La société réunionnaise produit ainsi une
citoyenneté locale en gommant les particularités communautaires :
ainsi, dans l'espace public local, le fait communautaire se limite, pour le
moment, à la publicisation des évènements religieux
intéressant les diverses communautés. Seuls ces « marqueurs
ethniques »
49(*) sont
tolérés, les Réunionnais considérant la
« créolité » comme la synthèse des
différents apports culturels et constituant un élément
intégrateur, la « créolité », qui gomme les
spécificités communautaires.
Mais, au delà de ce comportement, la
société locale est tendue car les rapports entre les
réunionnais et les métropolitains ne sont pas réguliers.
Ici, la concurrence entre ces deux groupes est vraiment visible dans l'espace
public et s'exprime particulièrement dans les médias. A l'inverse
donc de ce qui se passe pour le fait communautaire, l'opinion publique accepte
le débat sur la « réunionnité » et fait donc la
distinction parmi les citoyens français, entre ceux qui sont
réunionnais et ceux qui ne le sont pas.
A La Réunion, la citoyenneté se situe donc
à différents niveaux : celui du kartié, espace social
constitué par l'histoire, la parenté et le voisinage, celui de La
Réunion, qui constitue l'espace politique, celui de l'ensemble national
prolongé, à un niveau moindre, par « l'Europe » et
enfin celui, naissant, de la région de l'Océan Indien.
De fait, La Réunion fournit, comme l'indique J.
Simonin
50(*). L'espace
public réunionnais entre communauté et société
», « une communauté inachevée au plan local,
largement fantasmée dans son rapport à la
métropole », tout en espérant beaucoup de ses relations
avec l'Europe et les pays de la zone de l'Océan indien.
La généralisation des communications vient donc
accentuer les profondes transformations sociales et culturelles qui
interviennent à la Réunion après la
départementalisation de 1946. Elle accélère le passage
d'une société traditionnelle forgée par la Plantation vers
une « société individualiste de masse »
51(*) (Wolton, 1997) en transformant
radicalement la nature du lien social, la relation au territoire, en
redéfinissant la proximité et en participant à la mutation
de la ville en un espace urbain.
L'émergence de l'espace public et la mise en
réseau de la société locale réactive par ailleurs
la problématique de l'identité en posant la question de la
citoyenneté qui, à la Réunion se constitue pour partie en
interne, pour partie en opposition à la France métropolitaine.
Ces développements sont présentés comme
un des vecteurs les plus sûr de l'identité créole en
même temps qu'elles participent à la profonde mutation du monde
créole.
* 49 BAGGIONNI D., MATHIEU
M., 1985,
Culture(s) empirique(s) et identité(s) culturelle(s)
à la Réunion, Service des Publications de
l'Université de la Réunion, Saint Denis de la Réunion,
132p.
* 50 SIMONIN J., WATIN M.,
1993,
Espace public et communications médiatisées à la
Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993.
C. En quels termes poser
l'identité Réunionnaise aujourd'hui ?
Les réponses ne sont pas simples : la
société réunionnaise est marquée par la minoration
culturelle et la construction d'une image de soi et des autres s'avère
ainsi problématique.
Faut-il affirmer et revendiquer, sous le couvert d'un discours
autorisé qu'une identité réunionnaise existe, à
considérer l'existence de la Réunion et de
Réunionnais ?
1) Un modèle
imposé ?
Quoi qu'il en soit, La Réunion réussit assez
bien à intégrer ses différentes composantes qui vivent
l'une à côté de l'autre sans que cela pose de
véritables problèmes. Le véritable problème sur le
plan identitaire, celui auquel se trouve confrontée la
société réunionnaise depuis les années soixante et
qui persiste aujourd'hui, est celui d'une occidentalisation exacerbée.
L'évolution trop rapide de la société réunionnaise
génère un manque de repères : le Réunionnais ne
sait plus quelle est sa vraie personnalité. De ce fait, les mouvements
socio-culturels qui essaient de mettre en avant les techniques et les arts
traditionnels remportent de plus en plus de succès.
Mais on l'a vu, cette évolution de la
société réunionnaise vers l'occidentalisation ne comporte
pas que des éléments négatifs. Toutefois, on pourrait
noter une certaine influence, voir une domination du système culturel
français sur la vie des réunionnais.
(a) Influence de la culture
française sur la langue
Le créole est la langue maternelle de la
majorité de la population réunionnaise. La réflexion sur
la langue maternelle rejoint la question de l'étranger. L'espoir
transculturel a lieu si l'on renonce à des discours naïf
rêvant des contacts entre cultures diverses comme relations de
compréhension du même au même. « Le discours
d'universalité est un discours de pouvoir. La relation à autrui
est autant une relation au semblable qu'à cet étranger qui nous
colle à la peau et à la parole... toutes les langues sont,
quelque part, métissées car il y a du réel et de
l'impossible à dire » 52(*). On peut se demander ce qui, lors des constructions
identitaires, idéalise tel modèle social ou culturel de langue et
en rejette une autre ? Quelle figure imaginaire et symbolique
détermine le choix de parler en famille telle langue en excluant la
langue de la mémoire ? C'est tout le débat sur la langue
primaire et la langue secondaire.
La première désigne le processus de
sélection d'une langue qui s'articule dans sa communauté. La
seconde désigne le contact entre des sujets ayant des langues
différentes. C'est l'altérité des individus qui favorise
la langue secondaire. Dans ce cas réunionnais n'y a-t-il pas eu une
influence de la part de la métropole pour que la langue principale soit
le français par le biais de l'école ?
* 52 CELLIER P., 1985,
Description syntaxique du créole réunionnais : essai de
standardisation. Doctorat d'Etat, Université de Provence.
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(b) L'école comme moyen de
domination culturelle
Les réunionnais subissaient dans un passé encore
récent une répression culturelle française. Cela explique
les relations quasi impossibles jusqu'à ce jour entre culture
française et réunionnaise dues à l'assimilation à
outrance au modèle culturel français.
· en installant une idéologie dénigrante de
la culture réunionnaise
· en infiltrant le marché symbolique
réunionnais
· en développant une francophonie oppressive.
Il est utile de rappeler que 95% des enfants en âge
scolaire sont unilingues créoles, et qu'à l'âge adulte plus
de 75% utilisent le créole comme langue de communication
53(*). C'est donc à
l'école que semble s'opérer la perte de valeur de la langue et de
la culture réunionnaise.
De plus, l'école n'a jamais pris en compte les
problèmes de la langue créole et les
structurations de l'imaginaire spécifiques aux
réunionnais. Son système éducatif fait en sorte que les
élèves juxtaposent deux schémas culturels : l'appris
et le vécu.
Nous nous trouvons en présence d'une culture
réunionnaise dominée. Ce qui peut entraîner des troubles
chez les sujets concernés (dépersonnalisation, mutisme, phobie,
obsession, dépression, suicide etc...)
54(*). La dévaluation du
« dialecte », langue du colonisé, dévalorise
également l'organisation sociale ou familiale de ceux-ci
entraînant des déphasages avec leur environnement. S'adapter
à la culture française peut signifier soumission; l'abandon de sa
culture donne naissance à des symptômes vraiment pathologiques.
* 53 REVERZY J.F.,
MARIMOUTOU J.C., 1990 :
L'espoir transculturel, Université
de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan,
Paris.
2) La relation avec Le même et/ou
l`Autre
(a) Quête identitaire ?
Si l'on considère que le passé a construit le
réunionnais, n'y a-t-il pas lieu de prendre en compte un présent
qui fait de lui aussi quelqu'un, par intégration d'un modèle de
société occidental ?
C'est apparemment dans le conflit que se construit cette
identité. A quelle étape sommes-nous arrivés
aujourd'hui ?
Selon Jean-François Reverzy
55(*) on en serait arrivé
à « Un positionnement de tout le groupe social sur la base
d'une réunionité à définir vis-à-vis du
groupe métropolitain par qui et pour qui est faite la nouvelle
société de consommation et qui donne une forme à
l'assimilation désirée mais aussi rejetée. La culture
réunionnaise s'affirme alors dans la conscience du créole produit
de l'histoire, résultante d'apports culturels les plus divers,
héritage appartenant en propre à toute la communauté
réunionnaise. »
Comment être sûr que cette détermination
identitaire et la conscience d'être réunionnais s'accomplissent
sans conflit ? Il y a des réalités contradictoires si on les
analyse à travers l'appartenance ethnoculturelle comme on a pu le
souligner plus haut. On peut donc se demander si les Réunionnais qui
affirment leur réunionnité face aux métropolitains le font
sur des bases identiques ?
Si certains affirment, comme F. Affergan
56(*), que la quête
identitaire est un « processus contradictoire mettant en jeu le
procès d'individualisation et le procès de
socialisation », on peut se demander si cette identité doit se
fonder sur une simple opposition à l'Autre (dualité
Zoreille/Créole = réunionnais).
Il se peut au contraire que la quête de
l'identité soit de l'ordre de « l'interchangeable »
avec le mouvement de l'activité sociale. Tout en restant conscient que
« c'est la pression du changement qui met en péril
l'identité elle-même et conduit au déni de
soi »
57(*).
Le réunionnais, dans sa construction identitaire ne
peut pas nier ce que l'histoire a fait, qu'elle l'a fait
« l'Autre », et que sa réunionnité est faite
aussi de francité qui peut parfois être insupportable pour
certains, tant la pression assimilatrice se fait sentir. On peut même
dire qu'elle « bride la possibilité d'ouverture à la
culture française vécue comme une norme rigide diffusée
par un système sourd et aveugle à la
différence »
58(*).
(b) Les créoles en quête
d'affirmation identitaires
La quête identitaire de certains en mal
d'identité passe par le positionnement d'une partie du groupe social sur
des bases ethno religieuses vis-à-vis du groupe métropolitain et
vis-à-vis du reste du groupe social. Une telle revendication identitaire
fait écho à l'existence de plusieurs groupes socio ethniques au
sein de la population réunionnaise et aux antagonismes qui la
traversent. Elle ne concerne cependant pas tous les groupes mais seulement ceux
d'origine asiatique et indienne.
Les éléments de ces groupes, victimes de la
colonisation comme les autres réunionnais, n'ont cependant pas
été soumis au système esclavagiste et ont gardé une
certaine spécificité culturelle. La résistance à
l'assimilation et à la déculturation s'organise souvent autour de
l'identité religieuse. De tels regroupements ethno-religieux comme
peuvent également le faire les indiens, peuvent être perçus
négativement par les réunionnais car ils voient dans ces
tendances un danger communautariste.
Ne faut-il pas voir dans ces revendications la marque d'une
impasse ?
* 55 REVERZY J.F.,
MARIMOUTOU J.C., 1990 :
L'espoir transculturel, Université
de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan,
Paris.
c) La solution : accepter la
pluralité
Il faut se rendre à l'évidence : La
Réunion est un pays multiculturel où cohabitent :
· Une culture locale
« créole » au sens anthropologique du terme,
c'est-à-dire un produit historique, la résultante des apports
culturels propres aux différents groupes ethnoculturels constitutifs de
la population réunionnaise.
· Une culture française, constituant la voie
d'accès à une culture plus universelle.
· Des pratiques culturelles liées aux grandes
civilisations ancestrales qui ont réussit à perdurer.
Ces trois situations culturelles sont
caractérisées chacune par leur langue, leur mode
de pensé, leurs attributs et constituent ensemble la culture
réunionnaise.
La non reconnaissance de cette pluralité, de cette
richesse culturelle irait dans le sens d'un appauvrissement culturel, voire
d'un déséquilibre aux dépends d'une interaction porteuse
de cordialité, d'échange, d'enrichissement. Il est donc
nécessaire de raisonner en terme de complémentarité et non
en terme d'exclusivité. Tout comme il convient d'accorder une
égale considération à la langue française, langue
universelle et à la langue créole, vecteur commun de la
communication. « Il est tout aussi important de résister
à la pression assimilatrice qu'aux tendances centrifuges qui
mènent au communalisme »
59(*).
Conclusion
Peut-être arrive-t-on mieux ici à situer
l'identité des réunionnais : elle englobe toutes les
valeurs, les marques culturelles de toutes les ethnies qui ont formé
l'île tout au long de ses processus de mutation depuis leur courte
histoire. Cette identité apparentée au métissage englobe
elle-même de multiples identités selon que chacun se sent
appartenir à telle ou telle culture plus qu'à telle autre. Il y a
eu et aura encore des obstacles à sa formation, elle sera
redéfinie, elle rentrera en conflit interne avec elle-même, et en
conflit avec les modèles véhiculés et imposés comme
celui de la France.
Mais la particularité de La Réunion, on le voit
à travers cette analyse, c'est de ne pas avoir réfuté la
coexistence de ces diversités culturelles et donc DES identités
et DES autres. Voilà peut-être où se situe son
identité : la coexistence malgré tout, en son sein, des
identités qui la constituent.
Maintenant que l'identité des réunionnais est
mieux cernée, on peut se demander comment elle s'exprime. Où se
loge-t-elle ? Quels sont les vecteurs qui la véhiculent au grand
jour et qui la portent à la connaissance de tous : aussi bien sur
le territoire que sur le plan international ? Allons faire un petit tour
dans le monde culturel artistique et marquons au passage une pause du
côté du spectacle vivant !
* 59 BAGGIONNI D., MATHIEU
M., 1985,
Culture(s) empirique(s) et identité(s) culturelle(s)
à la Réunion, Service des Publications de
l'Université de la Réunion, Saint Denis de la Réunion,
132p.
Deuxième
partie : ... exprimée à travers les secteurs culturels
I. Introduction : définition
du terme « culture »
Mais qu'est ce que la culture réunionnaise, comment se
manifeste-elle à travers les pratiques culturelles, et en quoi peut-elle
être un refuge identitaire ? Il n'est ni simple ni évident de
définir le mot « culture ». Pourtant, avant de nous
plonger dans l'espace culturel réunionnais, il nous semble important de
dresser le cadre de ce que nous entendons par ce terme.
Il existe une définition au sens large
(anthropologique) et une au sens restreint (normatif).
Au sens large, la culture est équivalente à la
civilisation, à l'humain. Certains sociologues, comme Michel
Bassand
60(*) opposent le
mot « culture » dans son acceptation très large au
mot « culturel ». Le « culturel »
correspond aux activités organisées allant des arts aux loisirs,
des médias aux spectacles. .
Au sens restreint, la culture est la somme des valeurs et des
savoirs partagés par des groupes humains. Dans ce sens restreint, on
distingue trois types de culture
61(*) :
· la culture léguée : gestion des
oeuvres et du patrimoine
· la culture agie : éducation et
démocratisation culturelle
· la culture active : pratique d'amateurs,
créativité individuelle et création artistique.
Dans cette partie, nous nous baserons sur la définition
restreinte de la culture, celle considérée comme telle par les
administrateurs culturels : Le patrimoine et les musées, le livre
et la lecture, les arts plastiques, le théâtre, la musique et la
danse.
Il apparaît cependant délicat de dresser une
cloison étanche entre définition large et définition
restreinte puisqu'il existe toujours une interaction entre les deux. Nous
verrons ainsi que lorsque le phénomène identitaire commence
à s'attacher fortement à la dimension culturelle,
l'identité culturelle (sens anthropologique) imprègne
nécessairement la culture au sens restreint.
II.
Identification des vecteurs d'une culture
Pour identifier tous les vecteurs de l'identité
réunionnaise, nous allons nous appuyer tout d'abord sur une
étude
62(*)
quantitative des pratiques culturelles au sens large (selon l'acceptation
de Michel Bassand), en incluant les activités de loisir (aller en
pique-nique, visiter des foires ou des salons, aller en
discothèque,...). Nous avons choisi d'inclure les activités de
loisir pour éviter d'exclure une proportion importante de la population
réunionnaise. En effet, pendant l'année précédent
l'enquête, 65% des Réunionnais n'ont pas visité un seul
musée, 89% n'ont pas vu une seule pièce de théâtre.
Ceci dit, ces chiffres sont proches de ceux observés en France
métropolitaine : Donnat
63(*) montre que pour l'année 1988, pendant les
douze mois précédent l'enquête, 70% des français
n'ont pas visité un seul musée et 86% n'ont pas vu une seule
pièce de théâtre.
Nous allons également nous appuyer sur une étude
qualitative de la perception qu'ont les Réunionnais de la culture et de
leur propre culture
64(*).
A. Pratiques culturelles à la
Réunion : une spécificité ?
1) Les activités de loisir: la
pratique culturelle des réunionnais
La société Synthèse, a effectué,
en octobre 1994 une étude sur les pratiques culturelles des
Réunionnais. L'étude prend en compte tous les lieux
d'équipement culturel répartis sur le territoire
65(*).
(a) Constats
* 60 ABOU S, 1986,
L'identité culturelle. Relations interethniques et problèmes
d'acculturation, ed. Anthropos, Paris, 235p.
* 61 DJIAN J. M,
1996.
La politique culturelle, Le
Monde Edit., Paris, 282p
.
* 62 BEDIENGER C., 2003,
la fréquentation des lieux culturels, Etudes et
Synthèse,
N°67, Observatoire du Développement de la Réunion.
Loisirs de détente et
promenades
En fait, les chiffres montrent que les pratiques des
Réunionnais intègrent surtout les loisirs de détente et de
promenade : 75% d'entre eux déclarent dans leurs activités
de loisir : le pique-nique et la visite des foires, de salons ou de
fêtes commerciales. Les promenades font partie des activités de
plus de la moitié d'entre eux.
Autres sorties
Suivent les sorties pour assister à des concerts
musicaux et des rencontres sportives et aller en discothèque, pour 40
à 45% de la population.
On passe ensuite au cinéma, la visite de musées
ou de jardins botaniques qui ne concernent que le tiers de la population contre
le quart seulement lorsqu'il s'agit de visiter des monuments historiques ou
assister à des spectacles de danse.
Le théâtre fait figure de parent pauvre avec un
dixième de la population seulement qui déclare être
allé voir au moins une pièce dans les douze mois
précédent l'enquête.
b) Identification de 3 types de
courants majeurs dans la population
La population étudiée peut donc être
répartie en trois courants majeurs.
A : Les pratiquants de loisirs
culturels » (35%)
Ils regroupent environ 1/3 de la population
étudiée. Dans ce groupe, la majorité visite les
musées (70%), les expositions (77%). Il se manifeste également
par un éclectisme qui explique la forte proportion d'amateurs de
promenades, de visites de foires ou de salons. Parmi les pratiquants de
« loisirs culturels » on observe une
sur-représentation de personnes ayant poursuivi des études
supérieures.
B : Les pratiquants de « loisirs
populaires » (16%)
Ils regroupent environ 1/6 de la population. Ils
délaissent les loisirs culturels, mais participent presque tous à
des sorties pour des concerts ou en discothèque, des foires ou salons,
et vont en pique-nique. Parmi les pratiquants de « loisirs
populaires », la masculinisation et l'abaissement de l'âge de
ce public sont liés de manière interdépendante à
l'attrait de ce public pour les rencontres sportives, les sorties en
discothèque, etc.
C : Les « casaniers
traditionalistes » (49%)
Ils délaissent la plupart des activités
évoquées et ne sont adeptes que du pique nique ou de la visite de
foire. Parmi les « casaniers traditionalistes », on observe
une sur-représentation des personnes âgées de 50 ans et
plus.
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2) Le public des spectacles vivants
Bien que le public réunionnais préfère
les activités de loisir de détente et de promenade aux
activités culturelles, nous allons maintenant nous intéresser
plus particulièrement au spectacle vivant comme représentant de
la culture au sens restreint.
L'expression « spectacles vivants »
utilisée par les professionnels du spectacle est très large. Elle
regroupe différentes sortes de spectacles et concerts touchant trois
grands domaines : la musique, la danse et enfin le théâtre,
les arts de la rue et le cirque.
(a) Le spectacle vivant n'a pas la cote
chez le public des lieux culturels : analyse de la
fréquentation
L'enquête de la société
Synthèse 66(*) cible
des individus déjà relativement familiers des lieux
culturels 67(*) (personnes
ayant fréquenté un lieu culturel au moins une fois au cours des
dix-huit derniers mois). Ainsi, la prétention n'est pas de mesurer la
fréquentation des spectacles vivants par l'ensemble de la population,
mais par le public des équipements culturels. C'est pourquoi la
comparaison directe n'est pas possible avec les enquêtes nationales sur
les pratiques culturelles qui ont été menées auprès
d'échantillons représentatifs de l'ensemble de la population
(aussi bien le public des lieux culturels que le « non
public »).
Quelle part et quelle attitude du public des lieux
culturels ?
Les deux tiers du public des lieux culturels ont
assisté à un spectacle vivant, de façon plus ou moins
régulière. Près de 37% peuvent être
considérés comme des habitués de cette sortie
culturelle : ils déclarent l'avoir fréquentée
à plusieurs reprises dans l'année, et près de 22% sont des
occasionnels puisqu'ils s'y rendent environ une fois par an. 8% assistent
à un spectacle moins d'une fois par an, soit de façon
exceptionnelle.
Une sortie moins répandue et fréquente
que le cinéma
A la lecture des chiffres, il apparaît que les
spectacles vivants tiennent une place moins importante que le cinéma
dans les sorties culturelles des personnes interrogées. En effet,
assister à un spectacle vivant (théâtre, concert,
spectacle, etc.) semble constituer une pratique culturelle moins
répandue et moins fréquente : un tiers du public des lieux
culturels n'assiste jamais à un spectacle ou à un concert (alors
que 14,6% seulement d'entre eux ne vont jamais au cinéma) et parmi ceux
qui pratiquent cette activité, la fréquence reste modeste puisque
près de 30% se rendent à un spectacle de façon
occasionnelle ou exceptionnelle (contre 12,5% des spectateurs de
cinéma).
Par comparaison, si on prend en compte l'ensemble de la
population, le caractère exceptionnel de la fréquentation des
lieux de spectacles vivants est encore plus marqué. Selon une
enquête de l'ODR sur les loisirs 68(*), plus de 60% des Réunionnais n'ont jamais
assisté à un spectacle vivant et, sur le plan national, 53% des
Français ne seraient pas allés voir un spectacle au cours des
douze derniers mois 69(*).
* 66 BEDIENGER C., 2003,
la fréquentation des lieux culturels, Etudes et
Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de La
Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
* 67 Cf. Annexe 3 : Les
équipements culturels à La Réunion
* 68 Cité dans
BEDIENGER C., 2003, la fréquentation des lieux culturels,
Etudes et Synthèse, N°67, Observatoire du
Développement de La Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
* 69 DONNAT O., 1998 Les
pratiques culturelles des français, enquête, Ministère
de la Culture et de la Communication, La Documentation Française, Paris,
359p.
(b) Profil du public des spectacles
vivants comparé à celui du cinéma
Assister à un spectacle vivant s'avère
être une sortie plus rare que d'aller voir un film sur grand
écran. Quel est ce public qui fréquente ces lieux et
apparaît-il très différent du public des salles de
cinéma ? Il semble que l'intensité de la
fréquentation de spectacles et d'équipements culturels
dépend de critères de position sociale comme le niveau de
diplôme et la catégorie socioprofessionnelle de manière
plus prononcée que la fréquentation des cinémas.
Le niveau de diplôme et l'activité
professionnelle
Le niveau de diplôme
Plus le niveau de diplôme est élevé, plus
les chances de fréquenter les lieux de spectacles vivants augmentent.
51% des individus non diplômés n'y sont jamais allés contre
20% des diplômés de l'enseignement supérieur. Si on compare
au cinéma, l'écart est moins creusé.
D'autre part, les plus diplômés ont
également une intensité de fréquentation plus
élevée: 52% déclarent y assister plusieurs fois par an
contre 22,5% des non diplômés. Le niveau d'étude est plus
déterminant pour les spectacles vivants que pour le cinéma.
Activité professionnelle
Les cadres, comme pour la fréquentation des
cinémas, représentent la catégorie socioprofessionnelle
qui assiste le plus à des spectacles et à des concerts :
seuls 14% d'entre eux déclarent ne jamais fréquenter les lieux de
spectacles vivants et près de 63% sont des familiers de ces
équipements puisqu'ils s'y rendent plusieurs fois par an.
Par opposition, les inactifs et les chômeurs sont ceux
pour qui cette pratique culturelle est la moins répandue.
Il est important de souligner que les ouvriers et les
agriculteurs qui les fréquentent le font de façon
régulière.
Au-delà de certains facteurs de position sociale,
d'autres variables comme l'âge et la situation familiale peuvent
influencer l'intensité de la fréquentation.
Autres facteurs
L'âge
A l'inverse du cinéma, assister à un spectacle
vivant est une pratique culturelle qui augmente au fur et à mesure que
les personnes interrogées avancent en âge. Près de 73% des
40-49 ans déclarent les fréquenter contre 61% de 15-24 ans, ce
qui rejoint le fait que 39% des étudiants n'assistent jamais à un
spectacle. La fréquentation diminue cependant chez les 60 ans et plus
puisqu'ils sont 66% à y aller. En revanche, les 60 ans et plus qui
pratiquent cette activité le font de façon plus fréquente
que les autres classes d'âge : 50% d'entre eux vont voir un
spectacle ou un concert plusieurs fois par an contre seulement 24,4% des 15-24
ans.
(c)
Goûts/préférences/attentes en matière de
spectacles
Les genres
Le concert de rock ou de variété, le plus
prisé, est cité par plus de la moitié du public. Les
spectacles humoristiques, de musiques et de danses traditionnelles viennent
ensuite et témoignent de l'engouement pour les spectacles locaux.
Pour quel public ?
Les spectacles humoristiques attirent un public
hétérogène et rencontrent le même succès
auprès de toutes les tranches d'âge. En revanche, les concerts
rock ou de variétés sont des sorties culturelles qui diminuent
avec l'âge, les concerts de musique classique ou les opéras
attirent les plus âgés.
Les goûts dépendent parfois du milieu social. Les
cadres et professions intermédiaires citent le théâtre et
la danse parmi leurs genres préférés alors que les
agriculteurs préfèrent les spectacles humoristiques et de
musiques et danses traditionnelles.
Les femmes apprécient davantage la danse et le
théâtre.
Les pratiques artistiques en amateur n'ont pas d'incidence sur
les préférences en matière de spectacle. Le
théâtre n'est pas plus prisé des personnes pratiquant le
théâtre en amateur. Même chose pour la danse.
Offre des spectacles locaux, nationaux et
internationaux
Près de 60% des personnes interrogées pensent
que l'offre de spectacles d'artistes locaux est insuffisante. Plus le public
est jeune, plus cette opinion est marquée : 68% des 15-24 ans,
contre 30% des 60 ans et plus. Les chômeurs, les inactifs et les
étudiants adhèrent encore plus fortement à ce point de vue
que les autres catégories socioprofessionnelles alors que les
retraités et les cadres pensent plutôt le contraire.
Quant à l'offre de spectacles venus de
l'extérieur (nationaux ou internationaux), les avis sont plus
contrastés. 51,6% des personnes interrogées estiment qu'elle est
insuffisante. Comme pour les spectacles locaux, cette opinion varie avec
l'âge : plus le public est jeune, plus il trouve l'offre
insuffisante.
D'une façon générale, les gens
apprécient autant les spectacles locaux que nationaux ou internationaux.
Quant aux jeunes, qui aimeraient à la fois davantage de productions
locales et plus d'artistes nationaux ou internationaux, ils désirent
simplement une offre plus conséquente.
(d) Conclusion
Comme en métropole, les populations assistant le plus
souvent à un spectacle vivant sont les cadres ou les
diplômés du second degré, quadragénaire ou les
étudiants. La musique (locale, nationale et internationale confondues)
est l'activité préférée, même si l'offre de
spectacles, aussi bien locale que nationale et internationale, est jugée
insuffisante par la majorité des personnes interrogées.
B. L'image de la culture pour les
Réunionnais
L'enquête précédente 70(*) nous a permis de mettre en
évidence les pratiques culturelles des Réunionnais et d'insister
particulièrement sur le spectacle vivant, mais quelle est leur
perception de la culture en général et de leur culture en
particulier ?
(a) Perception globale de la
culture
La culture associée
à la connaissance
Selon l'enquête, parmi le public des lieux culturels,
plus de 35% des personnes interrogées considèrent que la culture
évoque tout ce qui se rapporte à la connaissance, au savoir et
à l'intelligence. Pour eux, la culture représente l'apprentissage
de connaissances générales, que ce soit à travers les
études, l'éducation ou encore les médias. Elle est
également synonyme d'épanouissement et d'enrichissement
personnel.
La culture associée aux lieux
/événements culturels/l'art/le patrimoine/le divertissement
A côté de ce premier groupe, plus d'un tiers
encore des personnes interrogées associe la culture à des lieux
et événements culturels : cinéma, spectacle, concert,
théâtre, musée, exposition, médiathèque,
bibliothèque, etc.
Elle peut également représenter tout ce qui
touche à l'art en général, et aux activités
artistiques, que ce soit la peinture, la culture, la photographie ou encore la
danse, la musique et le chant. C'est la réponse qui est venue à
l'esprit de 16,5% du public des lieux culturels.
La culture peut aussi incarner tout ce qui se
réfère au patrimoine d'une région et de sa population.
Ainsi, pour plus de 14%, la culture représente tout ce qui constitue
l'identité et la richesse d'une population : son histoire, ses
traditions et ses racines, sa langue, sa religion.
La culture est également perçue comme un
divertissement et fait penser à un moment de détente, de
fête.
La culture associée à l'identité
et à l'ouverture sur le monde
Quand on prononce le mot « culture »,
certains ont spontanément pensé à leur propre culture, la
culture réunionnaise, et ont fait référence au
métissage, aux musiques traditionnelles, à la cuisine, à
la langue, à l'histoire de la Réunion, etc.
Enfin, la culture a parfois été associée
spontanément à l'idée d'ouverture au monde et aux autres
à travers les voyages et les échanges, les rencontres et le
partage, la découverte et la connaissance d'autres modes de vie.
* 70 BEDIENGER C., 2003,
la fréquentation des lieux culturels, Etudes et
Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de La
Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
b) L'intérêt de la
culture
Une image positive en
majorité
Ouverture sur le monde
Peu de personnes ont spontanément associé la
culture à une ouverture sur le monde mais quand on leur pose directement
la question, rares sont ceux qui ne sont pas de cet avis : plus de 97%
sont d'accord avec l'idée que la culture permet de s'ouvrir au monde.
Une richesse
Pour une grande majorité, elle constitue la richesse
d'un pays ou d'une région (95,5%), ce qui reprend bien les images de
patrimoine et d'identité que le public des lieux culturels lui
associe.
Accès difficile et élitiste
Si la majorité du public s'accorde à dire
qu'elle représente un véritable intérêt, tant sur le
plan individuel que pour une communauté d'individus (un pays, une
région, une population, etc.), environ une personne sur cinq émet
un bémol et souligne le problème de l'accessibilité
économique en déclarant qu'elle n'est pas accessible à
tous mais au contraire réservée à ceux qui en ont les
moyens. Ce sentiment semble croître avec l'âge puisqu'il a
davantage été exprimé par les personnes de 60 ans et plus
que par les 15-24 ans. Certaines catégories socioprofessionnelles qui
disposent de moyens financiers moins élevés comme les ouvriers,
les inactifs et les retraités pensent également qu'elle
n'est pas accessible financièrement.
Une image négative dans une moindre mesure
Enfin, la part du public des lieux culturels qui ne lui voit
aucun intérêt et qui en a une image totalement négative est
minime. Ainsi, seul un très faible pourcentage déclare qu'elle
enferme sur soi, est ennuyeuse ou constitue une perte de temps.
c) Perception de la culture
réunionnaise
Comment le public des lieux culturels se représente
t-il sa propre culture ?
Le métissage au premier plan
Pour plus de 58% du public, la culture réunionnaise est
associée principalement au métissage.
Une personne sur deux l'associe aux cases créoles et
plus de 46% citent la cuisine créole comme emblème.
Les monuments religieux, les jardins créoles ainsi que
les arts et traditions populaires font partie des éléments les
moins cités.
Parmi les pratiques culturelles à proprement parler, ce
sont les musiques et danses traditionnelles ainsi que les arts et traditions
populaires qui sont cités. Le métissage et les cases
créoles ne peuvent constituer en soit une pratique car se sont
plutôt des symboles.
L'importance de l'âge
Quel que soit leur âge, les personnes
enquêtées se représentent la culture réunionnaise
avant tout à travers le métissage, les case créoles et la
cuisine mais on peut tout de même noter quelques différence de
perception.
Les 60 ans et plus évoquent davantage des
éléments tels les cases créoles, les jardins et les
paysages comme symbole de la culture réunionnaise mais peu ont
cité la langue créole. Quant aux moins de 25 ans, ils
représentent la catégorie qui fait le plus
référence à la canne à sucre.
Selon l'activité professionnelle exercée, les
personnes interrogées ne retiennent pas les mêmes
éléments pour qualifier la culture réunionnaise. Les
agriculteurs sont ceux qui ont le plus souvent cité les musiques et
danses traditionnelles ainsi que la canne à sucre et les monuments
religieux comme symboles forts ; les artisans, commerçants, chefs
d'entreprise et les cadres ont quant à eux davantage fait
référence aux arts et traditions populaires. La langue
créole a surtout été retenue par les professions
intermédiaires et les cadres.
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|
C. Conclusion
Cette étude émanant d'une enquête
très enrichissante rend compte des attitudes et aspirations de la
population réunionnaise face à la culture. Il est
intéressant de noter la part importante occupée par les symboles
tels que le métissage, l'architecture, la cuisine et la langue
créole pour définir et caractériser la culture
réunionnaise. Même si le domaine du spectacle vivant semble moins
rassembler les foules que le cinéma, on peut révéler
l'aspect attractif que produit la musique locale sur le public
fréquentant les lieux de spectacle vivant, d'autant plus que la musique
traditionnelle, tel que le maloya par exemple, fait figure de symboles.
Peut-être pouvons-nous l'expliquer par le fait que le public
réunionnais accorde de l'importance à son identité et que
la musique locale semble lui apporter satisfaction sur ce plan. La musique
serait ainsi un vecteur privilégié de l'identité
culturelle des Réunionnais. La culture et le spectacle vivant en
général portent donc les marques de l'identité
réunionnaise mais comment s'exprime-t-elle à travers chacun des
domaines artistiques et quel domaine s'en fait le vecteur le plus
significatif ?
Nous allons aborder ici les vecteurs de l'identité et
nous concentrer sur la littérature et surtout sur certains secteurs du
spectacle vivant tels que le théâtre et la musique que nous avons
choisis comme étant les plus représentatifs. L'art plastique est
également vecteur d'une culture mais il n'est pas suffisamment
démocratisé ni représentatif à La Réunion
pour qu'il soit abordé.
A. La littérature
créole
1) Contexte
(a) De l'oral à
l'écrit
Le besoin d'adaptation du français, l'utilisation
fréquente de patois régionaux et leur diffusion orale, s'ajoutant
à l'isolement causé par l'éloignement de la
métropole, expliquent à la fois la distance prise avec la langue
française, et la variété des langues créoles
d'origine française parlées aujourd'hui dans le monde. Bien
qu'issues d'une base commune, ces langues créoles sont devenues en
grande partie incompréhensibles entre elles 71(*).
Le créole s'utilise depuis plusieurs décennies
dans la chanson, l'humour, le théâtre et la littérature.
Bien qu'il soit très peu utilisé dans les relations de travail et
pas du tout dans les actes officiels et les relations internationales, le
créole est bien la langue maternelle des réunionnais. Il est
couramment utilisé dans la vie quotidienne par la grande majorité
des réunionnais. Pendant longtemps, le français est resté
la seule langue digne d'être imprimée tandis que les contes
s'oubliaient. La langue française avait le privilège de
représenter la vie culturelle et les classes dominantes
réunionnaises en avaient l'accès
privilégié 72(*). Tout au long de son histoire, et jusqu'à
1960, la population réunionnaise, dans sa grande majorité, a eu
peu de contacts avec l'écrit.
(b) Emergence de la
littérature
Il faut attendre le milieu du 19ème siècle pour
que se développe une vie littéraire proprement
réunionnaise.
Le premier ouvrage imprimé à La Réunion
(en 1828) est révélateur des contradictions à venir de la
littérature réunionnaise. Il s'agit des « Fables
créoles » de Louis Héry. L'auteur est un
métropolitain installé à Bourbon depuis 1820 et, comme le
titre l'indique, le volume propose des fables en créole, imitées
de La Fontaine. Le livre révèle vite un esprit de
supériorité vis-à-vis de la langue française : le
créole n'y est utilisé que pour amuser la galerie.
Le rôle de la presse
Très vite, le journalisme d'opinion sous le
contrôle de l'élite devient le foyer de l'écriture et
s'apparente à la littérature. En se multipliant et se
diversifiant, les journaux s'ouvrent à la publication de textes au
statut imprécis, mais ayant toujours trait à l'île :
reportages, souvenirs, effusions lyriques, descriptions de paysages
réunionnais ou de coutumes anciennes, réflexions sur la langue
populaire, billets d'humeur, etc. Ces publications reflètent un
imaginaire insulaire. Les journaux sont restés jusqu'à
aujourd'hui le lieu d'expression d'une conscience réunionnaise.
* 71 CELLIER P., 1985,
Description syntaxique du créole réunionnais : essai de
standardisation. Doctorat d'Etat, Université de Provence.
* 72 AGERON C.R., 1994 ,
La décolonisation française, coll. Cursus, Armand Colin,
Paris, 187p.
Le rôle des associations
Le renouvellement de la vie intellectuelle et
littéraire à la Réunion dans la seconde moitié du
20ème siècle, et surtout depuis 1975, est essentiellement le fait
d'associations et d'institutions, qui lancent des revues, organisent des
colloques, diffusent les résultats de recherches et favorisent la
publication d'ouvrages en relation avec l'île.
Le phénomène essentiel des années 1970 et
1980 reste cependant l'ancrage dans l'île d'une production de livres
réunionnais. Des associations comme l'A.D.E.R. (Association pour la
Diffusion des Écrivains Réunionnais), le M.C.R. (Mouvement
Culturel Réunionnais), l'U.D.I.R. (Union pour la Diffusion du Livre
Réunionnais) encouragent l'édition.
2) La
réunionnité dans la littérature
(a) La poésie et le roman
Les différents genres de création
littéraire réunionnaise expriment à leur façon
l'identité créole.
La poésie
La poésie domina la scène littéraire
réunionnaise du 19 ème siècle, avec Leconte de
Lisle, le romantique Évariste de Parny ou encore Eugène Dayot.
Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau courant poétique
s'affirme avec Jean Albany et Jean-Henry Azéma, sur un mode plus
revendicatif et plus populaire 73(*).
Le roman
Cette nouvelle production littéraire fait son
apparition. Elle puise souvent son inspiration dans l'histoire de l'île
et dans sa diversité culturelle. Le roman, d'abord dominé par les
très conventionnels Marius et Ary Leblond, évolue dans les
années soixante-dix. Il devient historique avec Daniel Vaxelaire et
Jean-François Sam-long relatant les épisodes des chasseurs de
Noirs, la vie de Madame Desbassyns ou des récits d'enfance pittoresques
de Dhavid et de Guy Douyére. Parmi eux, Axel Gauvin a su se hisser sur
la scène nationale, grâce à d'émouvants romans
où le français et la langue créole se mêlent,
participant à l'affirmation d'une identité
réunionnaise.
Deux tendances se sont opposées ces dernières
années, l'une inspirée de l'écriture du français,
l'autre basée sur une écriture phonétique du
créole.
(b) La littérature
réunionnaise d'expression française
Prendre le fictif pour le
réel
Si le créole est un vecteur de l'identité, qu'en
est-il du français qui veut représenter le monde
créole ? On peut voir dans cette littérature l'attrait de
l'exotisme. L'écrivain est généralement influencé
par les représentations qu'il se fait du monde réunionnais. De ce
fait cette littérature est souvent qualifiée de
« poésie des îles », avec toutes les
connotations paradisiaques que cette appellation suppose. Toute une partie des
18 et 19ème siècles français rêve des îles
comme de l'espace du retour du sujet à son essence « loin des
méfaits d'une civilisation destructrice qui a perdu le sens de l'homme
et du monde, voici l'île-Eden, l'île-Berceau,
l'île-Mère... » 74(*).
Une grande partie des poésies écrites à
La Réunion semble appuyer et justifier ce fantasme européen. Le
monde est décrit comme n'étant pas dans le temps mais ailleurs
dans l'espace. D'où le bavardage, les stéréotypes et les
clichés, la liste des images du rêve. Les poètes de la
Réunion parlent de la mer, la montagne, les ravines avec une mise en
scène d'une « île bienheureuse ». Mais en
étant lucide, on sait que l'île porte l'empreinte de la violence.
Tout est illusion et on ne s'étonne pas de voir cette littérature
réunionnaise en français être dévalorisée par
les tenants de l'identité réunionnaise.
Nier le réel
Si toute une partie de la littérature
réunionnaise prend le fictif pour le réel une autre partie ne
veut pas le voir. Ceci concerne essentiellement le roman ainsi que la
« poésie de la recherche de l'identité ».
L'important ici c'est « de dire la réalité qui est
porteuse de valeurs réunionnaises pour démasquer le
mensonge » mais il s'y installe quand même des clichés.
Cette littérature à la recherche de l'identité, en voulant
à tout prix construire des héros d'hier (roman historiques)
ou du quotidien, met en scène un discours idéologique et ce
discours prend la place du réel.
Une littérature pertinente
Faut-il alors conclure que la réunionnité ne
peut être mise en évidence qu'en langue créole ?
Il faut revenir au problème de la langue et admettre
que si la langue française n'est pas maternelle elle n'est pas non plus
étrangère. Il paraît pour certain plus juste de voir
l'écriture de la réunionnité en français :
« là où l'énonciation se pluralise, où
les voix, sans se désoriginer, se travaillent l'une et l'autre,
où l'oralité s'inscrit dans l'écriture comme
présence agissante de ces voix multiples -ni signes d'exotisme, ni
marques du terroir- où le sens n'est pas plein et opaque, où les
langues se font place dans une étrange proximité de paroles
d'où naît cette inquiétante étrangeté qu'est
le texte littéraire réunionnais d'expression
française » 75(*).
* 74 RAMASSAMY A.,
1987 : La réunion, décolonisation et
intégration, AGM, Saint-denis
c) Roman féminin et quête
de l'harmonie culturelle
La Réunion vit un désir de retour aux sources.
Elle apparaît comme un puzzle car divers groupes ethniques, comme on l'a
vu, composent la société réunionnaise. Comment faut-il
concevoir dès lors la créolité ? Efface-t-elle les
particularismes de tel ou tel groupe pour aboutir à un
melting-pot ? Doit-elle au contraire renforcer les particularismes au
détriment des points communs, au risque de créer des
carcans ? Doit-elle gérer, sur fond de respect de l'Autre, des
différences qui font l'originalité des mondes
créoles ? C'est ce que le roman féminin réunionnais
tend à définir, avec des auteurs tels que Joëlle Cadet,
Rose-May Nicole, Marie-hélène Payet ou encore Eliette
Vellement.
La voie transculturelle dans le roman
féminin
Dans l'écriture des romancières
réunionnaises le créole n'est jamais absent mais il est
diversement utilisé en restant fidèle à la situation
sociolinguistique du moment. Elles montrent un certain réalisme qui se
fonde sur la continuité entre le français et le créole.
Chaque langue a fait un pas vers l'autre pour permettre la compréhension
de tout un chacun, francophone ou créolophone. L'écriture n'est
alors ni le créole, ni le français. Elle n'est pas pour autant
une langue métisse car les éléments ne fusionnent pas, ils
vont à la rencontre ou sont proches l'un de l'autre. On y voit par
exemple une possibilité de cohabitation entre les Blancs et les Noirs et
donc la possibilité de passer d'une culture à une autre.
En bref, les romancières veulent dire la richesse du
monde réunionnais, se battent pour que tous y aient leur place. Toute la
Réunion telle qu'elles la rêvent est présente dans leurs
romans. Mais l'écriture laisse paraître la difficulté de
dire un monde réunionnais harmonieux, et la rencontre avec l'Autre
s'avère toujours problématique.
Une rencontre difficile avec
« l'Autre »
Le métissage biologique
rejeté
Pour qu'il y ait rencontre avec l'Autre, il faut d'abord qu'il
y ait reconnaissance de celui-ci. C'est une peur qui hante les romans
féminins, peur du métissage qu'on peut appréhender selon
les différents ouvrages. Cette peur peut révéler
l'angoisse d'une perte identitaire. « La peur du Noir n'est pas
seulement la peur de l'Autre ressentie par un Blanc, elle est aussi la peur
d'un Moi que l'on considère comme étranger à soi :
c'est la conscience qu'a le Noir, le Cafre, d'être inférieur au
Blanc, associé au désir de « blanchiment »
souvent évoqué en dérision par la formule créole
« gingn la koulèr », c'est-à-dire
« devenir blanc ». (Albert Ramassamy La Réunion,
décolonisation et intégration).
La difficulté d'être soi
Aller à l'encontre de l'Autre implique une
reconnaissance de soi que le roman féminin montre comme étant
torturée. Ce mal être se traduit par un refus d'être soi qui
conduit à l'aliénation, au rejet de soi. Le Même n'ayant
pas d'existence, le rapport avec l'Autre est perturbé : celui-ci
devient la référence unique qui empêche toute construction
identitaire.
Si la littérature peut servir aux réunionnais
à crier qui ils sont, nous pouvons cependant constater que tout au long
de l'histoire, ce domaine artistique est fortement influencé par la
culture française. Par quels autres moyens et de quelle façon
l'identité des réunionnais peut-elle être exprimée
sans trop souffrir des tentatives d'acculturation véhiculées par
la métropole ?
B. Le secteur du spectacle vivant comme
tremplins
Nous entendrons par « spectacle vivant »
toutes les activités d'expressions artistiques telles que : la
musique, le théâtre et la danse.
Dans cette partie, nous verrons dans quelle mesure le rapport
à une histoire issue de la période de l'esclavage donne, ici plus
qu'ailleurs, une responsabilité particulière des artistes
réunionnais du spectacle vivant qui doivent accompagner et
réinventer le travail de l'historien.
Nous allons voir que la culture créole se manifeste
essentiellement à travers les secteurs artistiques liés au
spectacle vivant.
1) Pourquoi avoir choisit le spectacle
vivant ?
Les productions artistiques et
la construction identitaire
De 1991 à 1995, une équipe de recherche en
anthropologie a été mise en place pour étudier le
phénomène artistique à La Réunion et dans
l'océan Indien. Des travaux de Rose-Marie Var, Pierre Gilbert,
Frédéric Borne, nous avons pu tirer plusieurs
synthèses 76(*).
Elles reflètent la diversité des approches et des regards. Les
rapports entre la société et la culture, entre l'organisation
sociale et les expressions artistiques, sont peut-être plus difficiles
à appréhender dans un champ artistique éclaté, au
moment où la musique, le théâtre, la danse se
mondialisent.
Analyse du lien
Si l'on considère le spectacle vivant comme un
système culturel qui véhicule du sens et si on examine de
près les activités artistiques on remarque, en tant
qu'étranger, qu'elles révèlent l'identité des
habitants. Le principal est de comprendre la pluralité des codes dont se
servent les sujets locaux pour décrire leur propre identité de
cerner leur situation, que ce soit sous une forme musicale,
théâtrale ou tout autre forme artistique. Dans cette analyse, il
ne faut pas perdre de vue que l'expression artistique puise dans l'espace
sémiotique propre à la population étudiée et dans
les liens qu'elle entretient avec d'autres espaces sémiotiques. On peut
alors s'interroger sur les oeuvres traditionnelles comme sur les genres
nouveaux d'expression orale et musicale. Ensuite, on peut mettre à jour
leur organisation interne, les relations, les principes de formation et de
transformation de ces modèles, avant de mettre à jour les usages,
les pratiques et les règles qui gouvernent la production de ces
modèles, les classes, les rangs et les positions de ceux qui les
créent et de ceux qui les adoptent. On constatera ainsi qu'ils
fonctionnent le plus souvent comme de véritables emblèmes de
l'identité culturelle.
Mais, face à l'instabilité sociale et
économique, il faut admettre que la société invente,
crée, développe à travers les arts du spectacle, une
nouvelle façon de décrire les mutations culturelles et
d'interpréter le quotidien.
Certains lieux d'expression de cette production artistique et
culturelle, rappellent les « non-lieux » de la
surmodernité que décrit Marc Augé 77(*). Dans le non-lieu, les
personnes sont de simples utilisateurs ou consommateurs et ils sont seuls.
« Dans les non-lieux, personne n'est chez soi mais on n'y est jamais
non plus chez les autres ».
L'artiste réunionnais serait-il plus à l'aise
dans un non-lieu que dans un lieu de l'identité partagée ? Cela
peut paraître paradoxal quand on sait que le Réunionnais, et plus
particulièrement le Métis, a le sentiment de réunir toutes
les identités, de vivre dans une société qui a perdu ses
points de repères. On retrouverait ainsi l'artiste réunionnais
dans ces « micro-communautés » qui ne sont pas
fermées sur elles-mêmes, mais ouvertes sur le sens de leur
rôle « inter-communautaire » ? Les jeunes
artistes réunionnais formeraient alors une pluralité de
micro-sociétés. Si l'on se place à l'échelle de
population de l'île de La Réunion, on s'attend par exemple
à ce que la musique réunionnaise ait des répercussions sur
toutes les catégories sociales comme le zouk aux Antilles. Cette
influence est recherchée par les principaux artistes réunionnais.
Si l'on choisit le spectacle vivant et plus particulièrement la musique,
comme modèle unique du champ artistique réunionnais
lui-même inscrit à l'intérieur des différents champs
de production culturelle c'est que ce secteur nous semble le plus
représentatif de l'identité à La Réunion.
Cependant, si « La musique est une activité essentielle du
savoir du rapport social » selon Frédéric
Borne 78(*) et que
« L'expression musicale intervient à différents niveaux
de la construction symbolique des identités » il ne faut pas
perdre de vue les autres vecteurs d'identité.
* 76 CHERUBINI B., 1996,
Regards sur le champ musical, Travaux & Documents,
Université de La Réunion
* 77 Augé M.,
cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical,
Travaux & Documents, Université de La
Le théâtre et L'expression
corporelle
Dans le domaine théâtral les rares tentatives de
représentation liée à l'identité échouent et
on doit attendre 1982 pour que des thèmes tels que l'esclavage ou le
colonialisme puissent être présentés en public.
On sait depuis les travaux de Clifford Geertz 79(*) que la communauté aime
se montrer et se raconter. Il nous montre comment une collectivité
utilise ses contes, légendes, anecdotes, dictons, croyances, mythes et
rites, pour identifier les situations qu'elle vit et expliquer comment les
gérer. Les troupes théâtrales et de danse font des choix en
fonction de leur environnement social, de leur projet de création
culturelle, et des contraintes qu'ils subissent vis-à-vis du secteur
artistique les entourant.
Il est intéressant de voir que, comme les héros
des pièces du théâtre Talipot, les troupes
réunionnaises se positionnent entre « l'appel du grand large »
et « les limites du lagon » 80(*). Leur lieu d'implantation est octroyé par une
municipalité acquis quelquefois après plusieurs années
d'errance et de nomadisme comme le théâtre d'Azur à
Saint-Pierre (troupe créée en 1987), Acte III à
Saint-Benoît, Talipot à Saint-Louis (depuis fin 1993) et Vollard
à Saint-Denis. 81(*)
L'appropriation d'un espace par une troupe ne doit pas nier la
façon dont son public se le réapproprie.
Évoluer « dans les limites du lagon » pour
une troupe théâtrale, cela signifie-t-il que l'on prenne en compte
les instances administratives de l'île ou bien que la population locale
se sente concernée par la pratique théâtrale et
intègre cet espace dans son « monde de vie » comme
étant le sien. Sur ce territoire la concurrence est rude entre les
troupes et elle ne peut être comprise que dans « une
interaction globale ». On rejoint ici « l'appel du grand large
» qui fait évoluer les troupes dans l'espace régional de
l'océan Indien, en métropole, en Europe, voire au Canada, ainsi
bien sûr qu'au rendez-vous annuel d'Avignon. Il y a une tendance à
hiérarchiser l'appartenance des troupes selon deux grands types
d'espace, une sorte « d'extra-territorialité »
réelle ou artificielle (créolité,
réunionnité, francité, européanité,
citoyenneté mondiale, africanité, etc.) et des territoires de
proximité (villages, quartiers, voisinages, etc.). On ne peut pas
comprendre le sens de la production artistique réunionnaise
(théâtrale, chorégraphique, musicale, etc.) sans comprendre
cet aspect hiérarchique et les interactions avec les individus. C'est
d'ailleurs par la relation entre systèmes, entre sociétés,
que l'on peut faire apparaître les identités de la
communauté, des groupes et des individus, la hiérarchie des
valeurs de chaque système. Le rêve d'universalité de la
créolité, de la réunionnité, est aussi le
rêve d'universalité de la production théâtrale.
« L'appel du grand large » de la troupe est souvent celui des
personnages de leurs pièces ce qui prouve que cette problématique
identitaire se retrouve dans les créations théâtrales. On a
aussi de plus en plus tendance à faire venir « le grand large
» à La Réunion. Certains festivals se proposent d'interroger
la mémoire et de devenir une quête identitaire. Dans le même
temps, « l'art métis est aussi la chance d'une ouverture sur
l'Universel, chance de découvrir l'autre comme le prolongement de
soi-même » 82(*). Il s'agit alors d'inviter des artistes de La
Réunion, de Madagascar, d'Afrique, de l'Inde, du Sri Lanka, de
Métropole, des Comores, pour « tisser des liens, les
reconnaître, tisser une toile de fraternité, qui au-delà
des formes différentes fait apparaître une unité de
destin ».
Ce discours rejoint celui de la créolité
antillo-guyanaise et du « métissage comme énoncé
prophétique » 83(*) qui a pour but de sublimer
l'hérédité, de promouvoir l'interculturalité, et
qui repose beaucoup sur la participation de l'artiste.
* 79 GEERTZ C., 1988,
Ici et là-bas, cité par CHERUBINI B., 1996, Regards
sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La
Réunion
* 81 Cf Annexe 3 : Les
équipements culturels à La Réunion.
* 82 CHANE-KUNE S., 1993,
Aux origines de l'identité réunionnaise, l'Harmattan,
Paris, 206p.
* 83 CHAUDENSON R., 1995,
Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France,
Paris, 127p.
Le métissage des secteurs artistiques
En tant qu'expression culturelle d'une identité, la
production artistique fait largement appel à la tradition orale, aux
coutumes et aux modes de vie anciens. Ainsi, dans « Alor l'arbre la
di » la pièce du théâtre Talipot (1994),
l'esclavage et le marronnage constituent l'environnement des personnages. Dans
« Carrousel » de Vollard, on se replonge dans l'ambiance
des « fêtes foraines lontan », selon l'inspiration de l'auteur
qui a rassemblé les souvenirs de son enfance à Cilaos 84(*). Lier la musique, le
théâtre et la danse dans une même dynamique est à la
fois ce que l'on tente de réaliser dans un espace commun (le
regroupement des associations qui se partagent l'espace à Jeumon, par
exemple), dans un même festival (Tempo, Art Métis, etc.), mais
aussi dans la plupart des créations. La danse contemporaine tente depuis
quelques années de profiter de l'élan créé par la
musique. Le théâtre associe régulièrement la danse
et la musique à ses principales créations. Sur le plan musical,
Danyel Waro et Gilbert Pounia, le leader de Ziskakan, ont également
travaillé avec la compagnie de danse Koméla. Il n'y a pas de
coupure nette à l'intérieur du champ culturel réunionnais
entre les différentes disciplines artistiques. On peut également
remarquer que les évolutions sont parallèles, suivant
l'évolution d'un autre champ culturel: celui de la littérature.
L'évolution de la littérature est en liaison avec la
revendication identitaire et s'appuie sur des mythes. Les mythes du Marronnage
expriment, en particulier, le refus de l'assimilation et le mythe du
Métissage heureux l'espoir de conciliation.
2) Analyse historique de la musique
Quoi de plus révélateur de la vie d'un peuple
que ses chansons ? « Elles sont, face à la
littérature conventionnelle, la référence de la culture au
sens le plus large ». 85(*) De plus, nous avons vu que la musique est
l'activité culturelle préférée des
Réunionnais, ce qui entraîne une adaptation rapide de l'offre
musicale aux goûts du public.
(a) Les héritages ancrés
dans la tradition
Si un certain nombre de phénomènes sont
spécifiques à La Réunion, d'autres, au contraire, peuvent
se retrouver dans un ensemble plus vaste: celui des musiques de tradition orale
mêlant une origine française avec les influences
extra-européennes. C'est-à-dire les musiques créoles. Le
rapprochement avec d'autres îles de l'Océan Indien, et plus
particulièrement avec l'île Rodrigues est donc pertinent. Trop
souvent inconnue des Réunionnais, sa musique témoigne de
relations anciennes et profondes entre les deux îles, et définit
en même temps la notion de musique traditionnelle. La Louisiane, de
même, peut paraître bien éloignée de l'océan
Indien, mais s'en rapproche culturellement et musicalement.
Pour définir cet héritage on peut s'appuyer sur
les vecteurs de la musique traditionnelle que sont les instruments
caractéristiques d'une région où leur emploi est
fixé de façon continue par la tradition musicale locale. (les
tambours, les flûtes, les cornemuses, et d'autres de création
moderne comme le violon ou l' accordéon.)
Le joueur de musique traditionnelle acquiert
généralement son savoir d'autres individus par transmission
orale.
Le répertoire de type traditionnel est obligatoirement
fondé sur la pratique des danses. Celles-ci peuvent être locales
et aussi anciennes que les instruments et conservent alors leur nom dans la
langue d'origine.
Héritages européens
Les français sont les plus nombreux mais ne sont pas
les seuls européens à peupler l'île : Portugais,
Flamands, Allemand, Irlandais, etc. Cette diversité d'origines de la
première génération de colons blancs s'effacera
très rapidement, conduisant à la disparition des
phénomènes musicaux particuliers. Ne resteront que ceux qui se
référaient au modèle français.
Sur le plan des instruments, se sont le violon et la
flûte qui sont hérités. Ils sont indispensables pour les
danses. Viennent ensuite les fifres, les tambours et les cuivres. Les danses
introduites dans l'île sont le quadrille, la polka, la mazurka, la valse
et la scottish ainsi que la généralisation des bals.
Ainsi s'affirme dès le départ une des tendances
de la vie musicale locale : suivre le plus exactement possible le
modèle de la France, en tout cas dans les milieux les plus riches qui
entretiennent des contacts étroit avec la métropole.
Héritages afro-malgaches
Les instruments introduits sur l'île par les esclaves
sont essentiellement des percussions dont l'usage s'est perpétué
jusqu'à nos jours par la pratique du maloya. Ainsi le kayamb qui est une
sorte de grand hochet, le houleur qui est un gros tambour et l'arc musical,
sont encore utilisés, parfois sous des formes simplifiées.
L'origine de certains instruments reste incertaine :
Madagascar ou l'Afrique de l'ouest. Certain ne survivront pas jusqu'à
nos jours dans l'usage populaire réunionnais (il s'agit par exemple du
valiha qui ressemble à une harpe, du timba, de l'ancive qui est un
coquillage et des grelots de jambe).
A partir du 19ème siècle, les témoignages
s'accordent à souligner le rôle essentiel des Africains dans la
musique et la danse populaire Réunionnaise. En 1817, L. de
Freycinet 86(*) note pour
la première fois le nom que les exécutants eux-mêmes
donnent à leur danse : « ...ils composent de petits airs,
presque toujours pleins d'expression mélancolique et dont la
mélodie plaît à l'oreille européenne la plus
exercée : on désigne généralement ces airs
sous le noms de chéga, ou plutôt tchéga. » et il
ajoute une petite note sur l'origine du mots : « Le noms de
tchéga se donne aussi à une danse de Mozambique qui pourrait
être comparée au fandango des Espagnols (...) au milieu d'un
cercle nombreux et au son du « tam-tam » s'élancent
un danseur et une dame... ».
L'étymologie de séga confirme l'origine
africaine de la danse (elle vient peut-être même du swahili
sega qui signifie « relever, retrousser ses habits »).
La description qu'il donne de leurs chants et danses s'apparente bien aux
ancêtres du maloya réunionnais, du séga ravanne mauricien,
du séga tambour rodriguais et du moutia des Seychelles dont la
communauté d'origine africaine paraît incontestable.
Héritages indien
Les indiens sont les derniers à apporter leur
participation au monde musical réunionnais, particulièrement
après l'abolition de l'esclavage. On peut cependant, grâce
à des voyages et des témoignages de sociologues, trouver
précisément décrits, représentés et
dotés de leur nom tamoul, tous les instruments apportés par les
premiers immigrants qui sont encore en usage aujourd'hui. Les instruments
pratiqués de façon traditionnelle sont des percussions comme par
exemple le tapou ( tambour circulaire) et des instruments à vent.
Si les objets sont restés les mêmes, leurs noms
ont sensiblement changé. En effet le phénomène de la
créolisation s'est également appliqué à la langue
tamoule pour certains noms. Tous ces instruments ont toutefois conservé
la fonction religieuse d'origine et ne sont donc pas intégrés
à l'instrumentalisation populaire réunionnaise 87(*). Par exemple dans les temples
de plantation hindou, la musique est marquée par la pratique de
percussions dont l'usage est réservé au prêtre. Le tambour
le plus utilisé est le tapou . Aucun des tambours ne
pénètre à l'intérieur du temple : la
présence de la peau animale viendrait souiller l'espace où
reposent les divinités. Confinés à l'extérieur mais
à proximité du temple, leur espace, bien délimité,
est néanmoins considéré sacré. Dans un langage
codé, ils appellent les divinités et accompagnent les phases de
la cérémonie. L'exécution simultanée des rythmes et
leur aspect répétitif, assurent une communication directe et
claire entre les dieux et les hommes ce qui est le but de chaque
cérémonie. La musique y est donc organisée en fonction des
appels adressés aux divinités et, dans cet univers symbolique,
elle assure une mémoire collective. L'exécution musicale limite
les possibilités de modifications ou d'improvisations car ces
transformations peuvent venir parasiter la communication avec les dieux.
L'efficacité rituelle passe ainsi par la musique. C'est cette fonction
médiatrice du tambour qui donne à l'instrument une dimension
sacrée.
Malgré sa richesse, l'héritage musical indien
restera longtemps peu connu car il ne sera généralement visible
à l'extérieur des temples qu'à l'occasion de
cérémonies accessibles aux spectateurs n'appartenant pas à
la communauté tamoul : processions, marches sur le feu, bal...
Malgré son importance fondamentale dans la religion
hindoue et la culture indienne, il n'existe pas de témoignages anciens
sur la pratique de la danse à La Réunion. On peut penser que les
diverses formes de danse religieuse demandaient comme aujourd'hui de longues
années d'étude, et étaient pratiquées uniquement
par des professionnels attachés à un temple. Les danses
traditionnelles profanes ou reliées aux rites de moisson peuvent avoir
disparu par suite des changements d'activités et de modes de vie subis
par les engagés. Une forme de théâtre dansé survit
cependant de nos jours à travers la pratique du bal tamoul. Il est
interprété uniquement par des hommes et met en scène des
épisodes des grandes épopées indiennes.
La disparition des chants populaires tamouls s'explique par
l'abandon de la langue tamoule au profit de l'usage du créole.
* 86 De Freycinet P.
cité par LA SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la
Réunion, Azalées Ed, 271p.
(b) Bousculement des traditions
Les métissages musicaux
entre noirs et blancs
Les traditions musicales des Européens et des Noirs
s'influenceront mutuellement au cours du 18 ème siècle.
Un véritable métissage musical conduira progressivement à
la formation d'un nouveau séga, spécifiquement réunionnais
dans lequel des « airs paraissant appartenir à la musique
européenne s'approprient un caractère d'originalité
exotique ». 88(*)
La coexistence de deux groupes, Blancs et Noirs,
entraînait inévitablement des phénomènes d'imitation
réciproque. Un autre phénomène se fixe à cette
époque en milieu Noir pour se perpétuer jusqu'à nos jours,
celui des chansons « Kabaré ». Le mot vient du
malgache « Kabary » qui correspond à une
cérémonie de culte des ancêtres
célébrée dans les familles d'origine malgache et
provoquant une assemblée. Elle se prolongeait par des danses
« kabaré » assimilables au maloya et ayant
gardé ce sens aujourd'hui.
L'adaptation et la créolisation
Au-delà de l'influence mutuelle des traditions
musicales de diverses origines on assiste à une adaptation typiquement
réunionnaise des instruments et des danses européennes. La
spécificité de la musique Réunionnaise et la formation
d'une tradition locale naissent en fonction du choix et de la diffusion de
certains instruments. Le violon et l'accordéon introduits d'Europe sont
choisis pour la formation de musiques locales. Ils s'étendent dans les
pratiques rurales et permettent de populariser des instruments aux
qualités proches. Accordéon diatonique, violon, banjo et triangle
constitueront donc, en particulier dans les Hauts 89(*), ce qu'on pourrait
considérer comme l'ensemble créole-type. La fabrication des
instruments européens sur place est également à relier au
phénomène de l'adaptation. De nombreux témoignages
attestent l'ancienneté et la persistance de cette pratique. Le banjo,
très populaire, est souvent réalisé en utilisant les
ressources du pays.
La danse souligne également cette tendance. La
popularisation du quadrille n'est pourtant pas un phénomène
spécifiquement réunionnais et on l'observe dans certaines
provinces françaises. La même démarche se retrouvera pour
toutes les danses du 19ème siècle telle que la polka introduite
à La Réunion en 1845. Elle présente beaucoup
d'éléments avec les airs de quadrille et reste populaire. Il en
va de même pour la mazurka et la valse, la scottish.
Le répertoire chanté est aussi adapté.
Musique, chant et danse s'interpénètrent. Là encore les
documents anciens n'existent pratiquement pas, cette lacune permet cependant de
mieux cerner le problème de la tradition orale. En effet, la fin du
19ème siècle voit naître une multitude d'oeuvres
écrites. D'après le répertoire subsistant l'adaptation des
paroles peut être d'abord involontaire car la transmission orale de mots
étrangers favorise les déformations. Elle peut aussi
volontairement viser à intégrer rapidement une chanson
extérieure en la créolisant. Enfin, on a pu introduire dans un
texte français des éléments significatifs du milieu
local.
* 88 LA SELVE J-P.,
1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion,
Azalées Ed, 271p.
Le cas particulier de la musique indienne
Nous avons vus plus haut l'héritage de la musique
indienne dans les milieux ruraux, arrivée avec les premiers
engagés Malbars des plantations et qui se perpétue aujourd'hui. A
une époque plus récente, une partie de ces Malbars a donné
naissance à une communauté Tamoule, généralement
urbaine. On sent aujourd'hui chez les uns comme chez les autres le désir
de se donner des marques visibles distinctives, tant au niveau individuel (par
les vêtements, par exemple) que collectif (l'architecture des temples).
Les rituels et les musiques qui les accompagnent viennent ancrer ces
différences, tout en participant à la construction d'une
identité propre à chacun des deux groupes. Il est incontestable
que l'Inde ait largement influencé les productions musicales de La
Réunion. Après la lecture et l'analyse de l'ouvrage dirigé
par Florence Pizzorni-Itié 90(*) on comprend mieux que l'espace indo-créole de
l'île offre un lieu intéressant d'observation pour le domaine
musical.
La musique des grands temples
La musique des grands temples urbains est très
différente de celle des temples ruraux. Jouée à
l'intérieur comme à l'extérieur du temple, elle est
composée d'un ensemble instrumental diversifié dont est exclut le
tapou car il est associé aux sacrifices d'animaux. L'ensemble
instrumental est composé de deux hautbois où l'un assure la
mélodie et l'autre tient lieu de bourdon. A cet ensemble
hétérogène se joignent occasionnellement les tablas et un
petit harmonium portatif. Ces deux derniers accompagnent les chants
dévotionnels, les « Bhajans », et les chants
classiques récemment importés d'Inde ou de l'île Maurice.
Si l'apprentissage et la transmission de la technique instrumentale reposent
généralement sur un lignage familial (patrilinéaire), les
grands temples accueillent désormais des enseignements livrés par
des maîtres venus de sud de l'Inde. Aux côtés de la langue
tamoule, on y apprend notamment le chant classique, la technique des divers
instruments. Ces nouveaux apports bouleversent les habitudes musicales des gens
sur le plan de l'exécution et sur les choix de répertoires et des
critères d'appréciation. Elle se rapproche davantage d'une
conception occidentale de l'accompagnement car il s'agit ici d'honorer les
dieux à travers une esthétique musicale fondée sur la
beauté de l'interprétation, la richesse des timbres ou la
qualité vocale des chanteurs. En souhaitant
« s'indianiser » les musiciens favorisent l'introduction
d'instruments et de techniques vocales propres au continent.
* 90 PIZZONI-ITIE F.,
1998 : Tropiques métis, Edition de La Réunion des
musées nationaux, Seuil, Paris, 142p.
Métissage avec l'Inde
L'évolution musicale du rural vers l'urbain lance un
débat social sur l'identité culturelle et sur la notion
d'authenticité. Certains revendiquent la conservation et la valorisation
d'un patrimoine Malbar, même créolisé, lié aux
origines populaires. Les pratiques musicales et religieuses des milieux de
plantation traduisent une volonté d'inscrire la malbarité dans
cet espace socioculturel. Elles sont basées sur la
répétition du geste et sur une conception philosophique. Il
apparaît que la musique des plantations, par l'aspect
répétitif du rythme, lié au respect des règles
ancestrales, s'apparente à une représentation mythique de
l'expression humaine.
Les tenants de l'indianité préconisent une
philosophie qui tourne le dos aux pratiques villageoises des premiers
engagés indiens. Il s'agit là aussi d'un retour aux sources, mais
où le cadre de référence n'est plus la
société de plantation à La Réunion, mais l'Inde
où la musique est considérée comme un moyen artistique
d'honorer les dieux. Des instruments comme l'harmonium et les tablas,
associés aux cultes des grands temples, peuvent donc être vus
comme des symboles identitaires. La musique ne renvoie pas au collectif et
à la répétition du geste, mais à
l'individualité et à la créativité. La place
qu'elle laisse à l'individu, la diversification de son répertoire
et surtout, la part importante de créativité lors des
improvisations la rapproche davantage d'une représentation artistique de
l'activité humaine.
Deux mondes qui répondent à des logiques
sociales, religieuses et culturelles distinctes s'édifient. Cette
tendance est due aux changements sociaux et au changement du mode d'insertion
des originaires de l'Inde dans toute la société insulaire. Chacun
des deux groupes est soucieux d'authenticité et engagé dans un
projet identitaire. Bien que distincts, chacun des deux groupes montre une
cohérence qui assure une pérennité au projet identitaire.
Sans cette cohérence, aucune identité culturelle ne peut
vivre.
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c) La création
Les modèles mis en place avec les musiques
traditionnelles et les métissages musicaux vont servir à
innover.
Le séga : de la tradition aux
variétés
La période succédant à la Grande Guerre
aura des conséquences multiples et profondes sur le domaine musical. Par
leur mise en contact direct avec les métropolitains, les musiciens
créoles partis pour la France vont moderniser leur répertoire et
revenir le jouer localement. L'importation des gramophones influence ensuite la
musique traditionnelle locale en introduisant massivement des modèles
musicaux extérieurs.
Les vieilles danses disparaîtront peu à peu. Dans
les milieux urbain, l'heure est aux innovations : tango, java etc. Le
quadrille va commencer à décliner dans la faveur populaire et le
terme « séga », jusqu'alors synonyme de danse
lascive, désignera de plus en plus la « danse des
Noirs » 91(*).
Autre changement important, la composition des orchestres de ce nouveau
séga se modifie. Les instruments modernes supplantent peu à peu
ceux des groupes traditionnels. L'accordéon diatonique est
abandonné au profit du chromatique, aux possibilités
mélodiques plus étendues et par conséquent plus
appropriées à l'interprétation des musiques de
variétés. Le jazz fait son entrée sur la scène. La
musique qui n'est plus soumise au diatonisme devient à la fois plus
recherchée et plus sensible aux influences extérieures. Les
paroles perdent leur caractère habituel de grivoiserie et, dans un
créole de plus en plus francisé, les ségas sont plus
accessibles. C'est Georges Fourcade qui marque les débuts des
variétés créoles et son influence sera profonde. Fourcade
est l'auteur de la chanson réunionnaise la plus populaire :
« petite fleur aimée » qui est devenue le
second hymne national de La Réunion. Les autres compositeurs
continueront à écrire sur son modèle et à composer
des ségas sur les mêmes principes. Son oeuvre a donc une place
à part, puisqu'elle s'est répandue par le biais de la tradition
orale.
La Seconde Guerre mondiale isole de nouveau La Réunion.
On verra un retour vers les traditions antérieures. A partir des
années 50 l'apparition du 45 tours, la création d'une station de
radio locale vont donner naissance à une véritable petite
industrie du disque local. Le séga va se transformer de plus en plus
tout en étant reconnu comme expression populaire réunionnaise. Il
subira l'influence des lois du show business avec l'apparition de vedettes
locales, l'emploi généralisé des instruments
électriques, l'emprunt d'autres rythmes (disco, slow...). On peut
pourtant toujours parler de séga traditionnel dans certains cas. Des
ensembles de musiciens continuent à interpréter un
répertoire de polkas et de ségas anciens, entrecoupés de
compositions modernes ou extérieures apprises par la radio. De
façon générale, de nombreux musiciens traditionnels
s'expriment encore, mais uniquement dans un cadre restreint de fêtes de
famille, particulièrement en milieu rural. Ce type de musique n'a pas
accès aux médias. Pratiquement aucun enregistrement n'en est fait
ou, en tout cas, diffusé. La situation est donc inquiétante car
ce patrimoine important est ignoré du grand public, et en particulier du
public composé des jeunes, ce qui semble le condamner.
* 91 LA SELVE J-P.,
1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion,
Azalées Ed, 271p.
Le maloya : des « Camps » aux
banlieues
L'origine du mot « maloya » semble venir
d'une racine malgache exprimant la notion de plainte ou de douleur. Son
apparition est récente puisque le premier à l'employer semble
être George Fourcade lorsqu'il écrit « petite fleur
aimée ». Il désigne l'ensemble des pratiques de chant
et de danse relevées au 19ème siècle comme
« danse des Noirs » et s'applique aussi aux aspects
musicaux du kabar.
Ce terme est passé d'abord par le stade de
séga-maloya mais il portait à confusion en désignant des
formes d'expression fortement différenciées: le
« séga primitif » danse des Noirs et le
« séga métissé » séga
créole.
Les instruments déjà évoqués dans
les héritages afro-malgaches (kayamb, houleur, arc musical) sont
toujours à la base du maloya et n'ont pas subi de modifications. On
introduit de nouveaux instruments dans cette composition
générale. Les paroles du maloya sont toujours en créole,
elles sont basées sur l'improvisation. On peut cependant noter un retour
à l'utilisation de la langue malgache depuis quelques années.
La danse est indissociable de ce chant. Le chanteur lance la
première phrase en provoquant une réponse de l'assistance. La
musique provoque rapidement une véritable réponse corporelle des
participants qui se mettent à danser tout en répondant au
soliste. Cette valorisation de l'expression corporelle explique en grande
partie l'utilisation du Maloya dans les pièces de théâtre
actuelles.
Ce maloya traditionnel est encore pratiqué au niveau de
familles ou de groupes restreints d'origine souvent métissée. Le
rôle des engagés du 19ème siècle, les
Malbars, est important dans la conservation et l'évolution du maloya.
Ils vivaient dans les mêmes conditions et les mêmes camps que les
autres habitants de couleur dont ils ont rapidement adopté les pratiques
culturelles. Alors que d'autres délaissaient une forme d'expression
perçue comme liée à l'époque de l'esclavage pour
mieux s'intégrer.
d) Les évolutions
contemporaines :
Le maloya : messager de
l'identité
A partir de 1960, le maloya est de plus en plus reconnu et
devient porteur des revendications sociales. Il se transforme alors
véritablement en élément de représentativité
d'une identité réunionnaise d'autant plus que la politique
commence à l'utiliser. Son origine historique dans le chant des
esclaves, son rejet par ceux qui voulaient s'aligner culturellement sur la
métropole, son caractère spontané et collectif peut avoir
un impact sur les électeurs. Dans les années 60, le Parti
communiste réunionnais en profite pour relancer le maloya sur une grande
échelle. Ainsi, en 1962, relatant un spectacle avec un orchestre de
bobres et de caïambes à l'occasion d'un grand bal de l'Union
Générale des étudiants créoles de La
Réunion, Paul Hoarau écrit : « C'est donc une
expression de l'âme réunionnaise, aussi valable que d'autres et
que pourtant l'on ne connaît pas et que l'on voudrait ne pas faire
connaître aussi. La démonstration de samedi soir a provoqué
un choc, certainement, et fait découvrir à certains
Réunionnais l'existence d'autres Réunionnais, frères mais
combien différents. » 92(*)
Après cette période de reconnaissance on va
jusqu'à introduire dans les paroles du maloya des thèmes
politiques et des problèmes d'actualité: revendications sociales,
autonomie, émigration, etc.
Le « séga réunionnais » en
revanche a connu un autre sort. Après la départementalisation, la
composition des orchestres est modifiée avec l'introduction massive de
phénomènes musicaux extérieurs. Les paroles sont de plus
en plus francisées. Les ségas deviennent alors de
véritables chansons acceptables partout tout en évoquant les
aspects typiques de la vie réunionnaise.
Le Maloya d'aujourd'hui
Le changement le plus important se situe au niveau de la
représentation d'une identité réunionnaise. Si le
séga primitif était par définition « l'apanage
des Noirs », on considère le maloya comme « musique
de classe » en postulant que la forme d'expression des seuls
prolétaires noirs de jadis peut exprimer les revendications de tous les
prolétaires d'aujourd'hui.
On assiste à diverses réactions. Des troupes
folkloriques redécouvrent le maloya et portent leurs efforts sur la
recherche de paroles sans connotations politiques. Elles vont en faire un
spectacle à vocation touristique.
Dès la fin des années 70, des troupes de jeunes
issues du milieu associatif et urbain remplacent progressivement les groupes
ruraux, à caractère familial, généralement
constitués autour d'un ancien, détenteur de la tradition (par
exemple la famille Viry, Daniel Waro, Gramoune Lélé). Le maloya
trouve alors pour un temps une diffusion très large sous une forme
encore traditionnelle. Cependant après cette période de
redécouverte, le phénomène s'essouffle car les artistes et
leur public deviennent plus sensibles aux musiques extérieures.
De nouveaux métissages s'opèrent: on allie les
guitares électriques et la batterie de la musique
« pop » tout en conservant le rythme de base. Les paroles
ne sont plus improvisées mais véhiculent une quête
d'identité culturelle des jeunes générations. Les
thèmes expriment les problèmes de la société et les
lieux d'expression changent. On conserve cependant le mot kabar pour ce type de
spectacle. L'aspect dansé n'est plus du tout fixé par la
tradition et on bouge sur ce maloya électrifié comme sur les
autres rythmes.
Le pionnier du genre est le groupe «Ziskakan »
aux opinions politiques engagés. Il a d'abord été
freiné par l'indifférence des médias et par
l'hostilité des autorités. Pourtant, son travail opiniâtre
de militantisme culturel portera finalement ses fruits.
A partir de ce moment, il est évident que l'on ne peut
plus parler de musique traditionnelle mais plutôt de nouvelle musique
réunionnaise à bases traditionnelles.
* 92 HOARAU P., Article
séga-maloya, Le Progrès 4 sept. 1962, cité par LA
SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion,
Azalées Ed, 271p.
Produit d'identité ou de
consommation ?
A partir des années 80, le maloya électrique
devient « un produit de consommation » 93(*) omniprésent mais
à la fin de cette décennie, le marché donne des signes de
saturation et un genre nouveau apparaît. Comme à Maurice on
crée une musique de fusion entre le maloya électrique et le
reggae appelé le « malogué » dont le
succès est fulgurant auprès des jeunes.
Ainsi, fidèles à l'esprit du maloya, gardant
l'usage de ses instruments traditionnels, des musiciens ouverts aux grands
courants universels, (Alain Peters, Ti Fock, Mastane et toujours Ziskakan),
proposent de nouvelles musiques à la fois ancrées dans la
tradition et ouvertes aux grands courants de la WorldMusic : jazz, rock,
reggae, musique indienne, africaine...
Conclusion
La musique de La Réunion est donc à la fois
riche, diverse et spécifique. Pourtant, comme ailleurs, l'essentiel de
ce que nous avons pu observer est en train de disparaître sous l'effet
d'une évolution rapide des modes de vie et des mentalités.
Aussi, dans une région où l'on évoque la
quête de l'identité culturelle, il paraît pour certain
indispensable d'assurer la préservation de cet héritage.
L'exemple du maloya est significatif à cet égard. Il nous permet
de voir comment une forme d'expression traditionnelle presque oubliée et
rejetée peut être redécouverte en tant que telle mais aussi
servir de base à la création de nouvelles formes d'expression.
Enfin, un regain d'intérêt commence à se
manifester pour les ségas de variétés des années 50
et 60. Ils sont désormais considérés au même titre
que les standards du répertoire créole que sont devenues avec le
temps les oeuvres d'un Fourcade.
* 93 POTHIN G., 1999, Un
élément de l'espace muséal Réunionnais :
Stella Matutina, Thèse de Doctorat, Université de la
Réunion.
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C. Analyse approfondie du secteur
musical
1) Aperçu de la
réalité musicale à La Réunion
Le paysage musical de l'île de La Réunion offre
une diversité étonnante. Non seulement on trouve dans tous les
coins de l'île des formations composées de musiciens amateurs ou
semi-professionnels, mais en plus ils pratiquent des styles musicaux allant de
la chorale au rap, en passant obligatoirement par les formes spécifiques
à l'île telles que le maloya ou le séga partagé avec
les îles avoisinantes. On assiste à l'assimilation des courants de
musique internationaux, tels que l'héritage classique, le rock, ou des
rythmes dansants comme le reggae, aussi bien qu'aux mélanges
insolites.
Il est préférable d'abord d'identifier le champ
de la production culturelle pour l'analyser : il s'agit bien sûr de
l'île, du territoire du Département, et de l'activité
musicale qui s'y manifeste. Mais cette activité n'est pas
cloisonnée. Elle déborde sur d'autres activités
culturelles des Réunionnais, telles que la danse, le
théâtre, et même la littérature. Elle participe
à la vie musicale de la métropole, en tant que département
français et tout comme la métropole elle s'enrichit de la musique
internationale, à dominante anglophone. Nous pouvons donc concevoir ce
champ musical proprement dit comme étant enrichi de deux autres champs:
celui de la culture créole réunionnaise, dont la
particularité est l'utilisation de la langue créole et le champ
de la vie musicale française, qui essaie tant bien que mal de
protéger sa spécificité d'exception culturelle devant la
mondialisation de la production musicale.
Dans ces trois champs de production culturelle, les artistes
et leurs associés - producteurs, techniciens, professionnels du
spectacle - essaient de placer leurs produits afin d'assurer le meilleur
rendement possible, que ce soit sur le plan purement commercial tels que les
ventes de billets de concerts, de disques et de droits d'auteur mais
également sur le plan du capital culturel, celui de la
notoriété et du rayonnement en termes de statut social ou
même de prestige politique. Cet investissement du capital culturel de la
musique pourrait donc intervenir pour le cas réunionnais dans un, deux
ou trois des champs que nous venons d'identifier, et avec des effets
différents. Il est intéressant aussi de prendre en compte le
terme « d'habitus » de Bourdieu. 94(*)
On peut définir l'habitus comme la façon dont
les structures sociales s'impriment dans nos têtes et nos corps par
intériorisation de l'extériorité. À cause de notre
origine sociale et donc de nos premières expériences puis de
notre trajectoire sociale, se forment, de façon le plus souvent
inconsciente, des inclinaisons à penser, à percevoir, à
faire d'une certaine manière. L'habitus renvoie à tout ce qu'un
individu possède et qui le construit. Ajoutons que, si dans la
même classe sociale, les habitus sont proches, ils ne sont
néanmoins pas identiques car chaque individu est confronté
à des expériences sociales plus ou moins diverses. C'est
l'habitus qui explique la reproduction, à l'insu des acteurs
eux-mêmes, des rapports sociaux. On pourrait presque affirmer que les
genres musicaux tels que le séga, la musique classique ou le jazz
constituent en eux-mêmes des formes d'habitus, tant ils influencent la
forme musicale mais également la façon dont le public la saisit,
et même l'endroit où elle se produit: théâtre,
église, salle de concert, boîte de nuit, fête populaire,
etc.
La concurrence entre les différentes formes musicales
peut également susciter des exemples de violence symbolique
pratiquée à l'égard de tel style musical, en
général quand il est perçu comme une menace à
l'habitus culturel dominant : une illustration frappante serait celle de
l'interdiction longtemps pratiquée à l'égard du maloya,
« musique d'esclaves » censée troubler l'ordre public.
* 94 BOURDIEU P., 1979,
La Distinction. Critique sociale du jugement, cité par
CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux &
Documents, Université de La Réunion
2) L'aspect social de la musique
(a) Les mythes
D'après le dictionnaire « le
Robert », le mythe est un récit qui raconte une histoire
symbolique, des événements tels qu'ils se seraient produits dans
des temps antérieurs à ceux du temps présent. Si on s'en
réfère à Gilbert Durand 95(*), le mythe est « un système dynamique
de symboles, d'archétypes et de schèmes » qui tendent
à se constituer en récit. L'ethnologue Claude Lévi-Strauss
relève que les événements rapportés par le mythe
sont éloignés dans le temps, situés dans un temps avant
l'histoire, "avant la création du monde" 96(*). Un mythe est porté par une
tradition
orale. Il explique par un récit les phénomènes
naturels, le statut de l'homme, ses rapports avec le divin et la nature, et
notamment la mort. Les mythes apportent les réponses attendues par les
sociétés qui les véhiculent et proposent une explication
basée sur la poésie mais ramenant toujours à la
réalité du monde. Il est bien difficile de situer les choix de
chaque musicien, mais on peut considérer que les mythes
interfèrent en permanence dans la production musicale
réunionnaise. Ils sont empruntés des différentes
composantes du métissage. Ces mélanges peuvent étonner
mais « rappellent le maloya qu'on entendait dans les villages »
d'après Gilbert Pounia, chanteur du groupe ziskakan. Impossible donc
d'oublier les mythes qui ont accompagné la formation de
l'identité réunionnaise et qui se retrouvent, entre autre, dans
la musique. Ils portent souvent sur la période de l'esclavage et du
métissage en s'appuyant sur les thèmes de la nature (le feu,
l'eau), le temps, l'exil, la mère, le père et bien d'autres
encore révélateurs de l'imaginaire réunionnais.
(b) La filiation
La filiation et l'appartenance à un environnement
musical structurent les musiques et les identités.
La filiation, c'est tout d'abord celle de traditions dont on
s'inspire, par exemple celle du « quadrille » des bals, des danses de
« Sociétés ». C'est ensuite une tradition familiale,
par exemple à La Réunion, la pratique du « servis
kabaré », l'hommage aux ancêtres qui fait l'objet d'une
cérémonie rituelle. Des groupes de maloya voisins ou connus de la
famille sont ainsi invités à participer à la fête.
Mais le groupe de maloya, c'est aussi la famille regroupée autour du
père, comme chef de file, les enfants et certains membres de la famille
élargie (Granmoune Lélé et sa famille, par exemple). Aucun
étranger n'est admis dans le groupe. Ce peut être également
des jeunes résidant dans un même quartier. Viennent se greffer
ensuite des appartenances régionales et locales. On peut, à
partir de ces groupes familiaux ou de quartier, identifier des groupes qui se
réclament du sud (Baster ou Ousanousava, par exemple), de telle
région, d'un cirque 97(*), parce qu'ils se sont fait une réputation dans
leurs quartiers, parce qu'ils expriment un état d'esprit, l'esprit de la
localité, « l'esprit des lieux » parce que les musiciens
sont avant tout des « sujets locaux ».
La musique ne peut être saisie que dans son aspect
social, rejoignant les « habitus » dont parlait Bourdieu et qui sont
des dispositions durables et transposables, qui viennent s'articuler sur les
autres champs de la réalité sociale.
* 95 DURAND G., cité
par BENIAMINO M., 1992, L'imaginaire Réunionnais, Edition du
Tramail, Saint-Denis de La Réunion, 276p.
* 96 LEVI-STRAUSS C.,
cité par BENIAMINO M., 1992, L'imaginaire Réunionnais,
Edition du Tramail, Saint-Denis de La Réunion, 276p.
(c) La crise identitaire
La musique est le principal vecteur de la langue
réunionnaise absente dans la sphère publique. Elle permet de
raconter le quotidien de la société et clame une identité
qui se revalorise à son contact. Avec l'apparition du maloya
électrique, issue d'une utopie, il y a rupture avec la tradition
établie. Tout comme le reggae en Jamaïque, le maloya a un
rôle d'intégration sociale.
A La Réunion la musique est parfois devenue pour
certains jeunes de milieux défavorisés et en mal de vivre, le
moyen d'être reconnus. Beaucoup de personnes s'appuient sur elle pour se
construire un avenir sur les base d'une nouvelle identité.
3) Analyse des discours sur le
Séga et le Maloya
S'intéresser à la musique favorise donc la
compréhension des enjeux sociaux à La Réunion car ce
secteur artistique est partout et c'est la production culturelle la plus
populaire de l'île. Elle permet la communication directe des textes
idéologiques. Si la structuration du champ musical réunionnais
permet de comprendre les référents identitaires,
intéressons-nous de plus près aux conceptions qu'en ont les
individus. On verra ainsi que les analyses de ces discours nous obligent
à intégrer la musique dans la question de l'identité. Les
deux courants musicaux que sont le séga et le maloya semblent être
le foyer de l'identité réunionnaise dans ce champ artistique. On
remarque une tendance chez les réunionnais à mettre en opposition
les deux genres et à leur attribuer des origines différentes.
Cette tendance résulte d'une vision unanimiste qui caractérise le
besoin d'affirmer une identité en cherchant entre le séga ou le
maloya la seule musique autorisée à représenter tous les
Réunionnais. Des discours sur le séga et le maloya ont
été recueillis par Brigitte Desrosier 98(*). La musicologue a
récolté les impressions des individus sur le rôle de la
musique, ses fonctions et son organisation.
Dans les sociétés créoles, la recherche
permanente d'une histoire fait que le discours influence la mémoire
collective et embrouille les faits. Il ne s'agit pas de douter de
l'oralité réunionnaise mais ne perdons pas de vue le passé
de la société. Dans ce cadre soulignons que la musique pourrait
être une stratégie utilisée à des fins identitaires.
Nous allons analyser ces discours récoltés par Brigitte
Desrosier.
(a) La musique comme stratégie
identitaire
Les discours sur la musique véhiculent une série
de termes et d'affirmations que l'on peut relier à une quête de
l'identité.
Quête identitaire positive
Un individu peut ainsi utiliser la musique comme moyen de
s'affirmer individuellement dans la société :
« Notre but par la musique, c'est de sortir de ce
qu'on est. Sortir de ce contexte là, de cette situation où on a
rien, où on peut pas s'extérioriser, où on peut pas avoir
de réussite sur sa vie. On est des jeunes, par la musique on veut
toucher, parler de ce qu'on est, de l'esprit réunionnais. »
« Je veux faire de la musique. J'ai envie de dire
aux gens ce que je suis, ce que j'ai vécu. Car tu vois les
Réunionnais, ils sont vachement complexés. C'est par rapport
à l'éducation tu vois. Ça se reflète en nous.
Sentiment de supériorité, d'infériorité. »
Cette quête individuelle de l'identité peut
s'effectuer dans le cadre d'une identité réunionnaise collective
partagée et réinventée :
« Les jeunes sont en quête d'identité,
vite il faut trouver la musique qui nous ressemble. On n'a pas toujours
l'information pour savoir qui on est, comment puiser les sources. [...]
j'essaie vraiment de retrouver mes racines, de retrouver une certaine
originalité à travers la musique. J'essaie de faire des morceaux,
de ne pas trop me soucier des structures occidentales. Moi je suis pas
totalement français mais j'essaie de trouver un équilibre dans
cette société. »
* 98 DESROSIER B., in
CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux &
Documents, Université de La Réunion.
Quête identitaire négative
Si la recherche d'une identité propre se vit de
façon positive, elle peut aussi se vivre de façon
négative, en excluant certaines expressions musicales ou certains
apports :
« Je suis contre la musique métropolitaine,
c'est la musique de l'oppresseur. Je refuse un petit peu car nous, on n'a pas
le temps de se réaliser que déjà on est envahi. »
« Au début notre groupe de rock ça
marchait bien. On a monté une association. C'est difficile de demander
une subvention quand en plus c'est pas du maloya, alors que la moindre cassette
de maloya qui va sortir, on lui file 20000 balles. [...] Depuis dix ans il y a
un grand engouement pour le métissage du maloya. Ça aurait pu
bien se passer mais au lieu d'accepter toutes les cultures, toutes les
musiques, il y a eu un blocage sur les musiques noires. Le maloya quand il est
arrivé, il a bloqué le rock. »
« A La Réunion, il y a une mentalité.
Supposons que je me mette à chanter en français, je vais me faire
carrément moucater. Voilà! Le Réunionnais (...) doit
rester Réunionnais. »
Comme les discours individuels marqués par l'emploi de
thèmes liés à l'identité, les textes des chansons
de maloya électrifié confirment la quête identitaire :
racine, nation, ancêtres Africains ou Indiens, mémoire, sont
récurrents dans les textes de chanson.
(b) Une dualité entre séga
et maloya à l'image de la société...
Il y a un moment, et cela est très visible dans les
musiques populaires, où le maloya et le séga se rejoignent, mais
ce n'est pas cette fusion qui est décrite par les individus dans leur
discours. Au contraire, n'est mentionné le plus souvent que ce qui les
sépare. Il y a refus de la moindre filiation entre les deux mais parfois
les individus nomment ces points de rencontre, ce qui prouve qu'ils existent.
Les extraits d'entretiens 99(*) que nous allons citer sont révélateurs
de cette dualité.
L'un moderniste, l'autre passéiste
« Le séga et le maloya ? c'est pas le même
mélange. maloya c'est resté quand même plus africain. Et
puis le maloya c'est lié à un contexte. Maintenant c'est devenu
un peu pareil, le séga, le maloya. C'est une question de paroles. Le
séga c'est une chanson avec des paroles toutes simples, toutes
bébêtes ».
Bien que ces musiques soient facilement identifiables, tout
devient plus flou lorsqu'on se penche sur leur passé, que l'on essaie de
suivre leur développement et de retracer leurs origines. Il est aussi
difficile d'en donner une définition exacte puisqu'ils ne
réfèrent pas à une seule réalité mais bien
à des ensembles de phénomènes. Au fil du temps les deux
genres ont évolué tout en correspondant à des
réalités multiples. Ainsi, le maloya est à la fois un
genre traditionnel festif, une musique rituelle, une danse, et désigne
ce nouveau courant qu'on appelle maloya électrique. Il véhicule
donc un « esprit » social et une philosophie de vie. Pour les
défenseurs du maloya, cette musique est avant tout un moyen d'exprimer
des idées, liées pour une bonne part à un besoin
d'affirmation identitaire, mais qui passent par une remise en cause d'un
système social jugé inégalitaire. Le séga est
associé à la domination coloniale blanche, « sa
pratique est perçue parfois comme une réaffirmation d'un esprit
néocolonial ». Pour ceux qui donnent un rôle
d'affirmation socio-politique à la musique,
« l'esprit » maloya et « l'esprit »
séga reflètent des attitudes différentes souvent
opposées, issues de réalités sociales et politiques
différentes. Certaines personnes associent ainsi un « esprit »
conservateur au séga ou un « esprit » progressiste au maloya
mais il arrive qu'on fasse un amalgame entre les deux. Finalement, on pourrait
penser que la polarisation dans les discours des termes séga et maloya
relève plus du contexte socio-historique que de la réalité
musicale observée aujourd'hui. Cette nouvelle série d'extraits
d'entretiens tente d'illustrer le type d'opposition qu'on associe à ces
musiques :
* 99 DESROSIER B., in
CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux &
Documents, Université de La Réunion.
L'un pervertie, l'autre qui résiste
« Il y a deux courants de musique à La
Réunion. Y a le séga qui est une espèce de danse d'Afrique
rentrée dans les salons qui serait mélangée avec des
danses d'Europe : scottish etc., ou en tout cas serait juxtaposée.
Musique pas métissée mais plutôt pervertie, presque
détournée. Pas du tout pure. Le maloya c'est un chant de lutte,
de résistance, de refus non pas de l'autre mais de se couler dans un
moule. [...] une manière d'affirmer l'identité
réunionnaise. [...] Y a donc deux courants sur la base du maloya, le
maloya électrique avec des musiciens qui cherchent, pas forcément
traditionnels, qui font de la guitare, du clavier mais qui ont cette musique
chevillée au corps, car c'est pour eux, à mon sens, une
réalité identitaire, un repère identitaire. Donc, y a des
gars [...] qui ont travaillé en Europe, mais qui sont des
Réunionnais profonds qui se réfèrent à ce qui est
un repère identitaire qu'est le maloya... »
On relève dans ce témoignage que l'apport d'un
modèle européen dans le séga peut être
considéré comme une perversion par certain réunionnais.
Sans doute que cet apport dans la constitution du séga occasionne un
sentiment de gêne car ce métissage prive les réunionnais
d'une autonomie. Par contre, le maloya est bel et bien associé à
la véritable identité réunionnaise. Ceci implique que le
maloya, musique des esclaves, serait le fond culturel de tous les
Réunionnais.
Attribuant le même rôle identitaire au
séga, une jeune étudiante questionnée sur la musique
locale répondra pourtant dans un article sur la culture que « Le
séga ça marche très bien. Ce genre est très
apprécié par les Réunionnais et représente
parfaitement notre culture. » 100(*). L'extrait suivant nous donne plutôt
l'impression du contraire:
« Le séga avec sa structure harmonique, rythmique
et mélodique nous amène à se demander où est le
réunionnais là-dedans. 90% du séga est européen
».
* 100 Le Quotidien, 4
octobre 1992, in CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical,
Travaux & Documents, Université de La Réunion
c) Pour trouver une unité
« Chacun voudrait que sa musique à lui soit
reconnue comme la musique réunionnaise ».
Cette simple phrase prouve le désir des
Réunionnais d'affirmer une identité originale en utilisant la
musique. Les pouvoirs publics l'utilisaient comme instrument de promotion
identitaire et comme outil d'intégration sociale pour les jeunes.
Même si le discours politique prône les cultures plurielles, il
semble en fait que l'on favorise une musique plutôt qu'une autre et donc
que l'on recherche une unité. « On veut trouver une musique
qui deviendra une référence ultime pouvant servir de drapeau
identitaire » au dépends bien souvent des autres musiques. Il
y a une fermeture face à l'autre, face à ce qui ne serait pas
réunionnais. Le séga et le maloya font figure de symboles. A
travers eux, à travers les termes utilisés pour les
décrire, persiste cette dualité, exprimée par une
série d'antonymes: pureté/métissage, blanc/noir,
esclave/colonisateur, Réunionnais/Européen, jeune/vieux,
commercial/authentique, pur/perverti etc. Maintenant, chacun choisit son camp
et prône l'une ou l'autre comme référence, dans un but
d'harmonie. Cette unité passe par la dualité et le conflit.
(d) Positionnement dans un contexte de
mondialisation culturelle
Il est intéressant d'interroger les artistes pour
connaître leur vision culturelle selon leur histoire et celle de leur
société. Pour Danyel Waro, le maloya est « une
façon de vivre, une respiration, un mélange » qui
s'oppose à la musique actuelle. Pour lui le maloya ne s'apprend pas
tandis qu'une autre position moderniste affirme que ce courant musical
s'apprend. Ces deux positions reflètent les fractures de la
société réunionnaise : tradition/modernité.
On dit aussi que les Antillais aiment leur musique, le zouk,
mais que les Réunionnais n'aiment pas leur musique. Il y a de toute
façon une opposition très marquée entre la demande locale
telle qu'elle est présentée (faire du séga traditionnel,
du maloya, dans les foires, dans les fêtes, dans les hôtels, dans
les lieux touristiques) et l'offre proposée (« fusion »,
« progression », « jazz »). On aurait, pour
reprendre le modèle des trois mondes de Popper et d'Habermas 101(*), un modèle
« idéel » représenté soit par le
marché touristique local, soit par le militantisme culturel, mais
surtout un modèle « idéel » basé sur
la « world music » (la fusion) assez éloigné de «
La Réunion lontan » et des directives prises en faveur du
séga.
Si le public est d'abord local, il faut cependant se
positionner par rapport au marché mondial et surtout par rapport
à la métropole. Pour savoir ce qu'il va advenir de la musique
réunionnaise il faudrait étudier toutes les stratégies
appliquées par les musiciens réunionnais, les professionnels du
spectacle vivant, les responsables politiques et les cadres administratifs qui
dictent la vie artistique réunionnaise. D'autres facteurs que la
quête identitaire interviennent et modèlent les comportements
musicaux. On peut citer par exemple la situation économique liée
à la commercialisation des musiques ou à l'octroi de subventions
publiques à la culture, les motivations personnelles, l'énergie
créatrice et les besoins d'expression.
La Réunion, par sa diversité et par son statut
de département français, vit sa recherche identitaire sur le mode
conflictuel. Pour comprendre les discours contradictoires recueillis plus haut,
il ne faut pas les mettre en relation avec la réalité sociale et
ses enjeux identitaires. Cela nous permet d'interpréter les
comportements musicaux comme des stratégies identitaires conscientes ou
pas. Les stratégies conscientes proviennent des politiques culturelles
basées sur des axes définis. Les stratégies inconscientes
sont plutôt repérables à travers les discours, les
définitions, les associations d'idées que les individus expriment
lorsqu'ils parlent de musique. Tous les messages contenus dans les discours
impliquent une revendication identitaire du type: « je veux exister, je
veux être reconnu, nous voulons exister et être reconnus ». La
diversité des revendications identitaires peut s'expliquer par les
multiples origines de la population et les conceptions dualistes
héritées de la société esclavagiste mais La
Réunion est aussi une société moderne, complexe et
stratifiée. Il est donc normal de ne pas trouver un seul discours.
Pour certains groupes d'individus, la revendication
liée au maloya, fait davantage appel à un projet social, à
une lutte pour l'égalité qu'à un projet lié
à l'ethnicité. Néanmoins, nous croyons que cette
revendication sociale se fonde sur une sorte de vision mythique des
sociétés noires. Le projet égalitaire resterait possible
si les racines africaines des Réunionnais étaient pleinement
assumées afin de rebâtir sur cette base. Les Réunionnais
ont des difficultés pour se regrouper. Malgré les apparences on
parle beaucoup du manque de solidarité entre les individus. Le maloya
est alors utilisé pour véhiculer le désir d'une
communauté basée sur une société égalitaire.
L'utopie est là, cachée derrière cette idée de
communauté. Elle consiste à voir un modèle social
idéal dans les sociétés « Noires », et
symbolisé dans la musique « Noire ». On commence à
associer les notions d'élitisme, de bourgeoisie, de conservatisme, de
non-dynamisme aux productions culturelles européennes et à
l'inverse, attribuer les valeurs opposées aux musiques dites noires.
Cette vision ne suscite pas l'unanimité dans une population dont le
trait marquant est l'hétérogénéité et dont
une large proportion de la population est de descendance européenne,
donc Blanche.
La compréhension de la musiques comme vecteur
d'identité est ainsi passée par une analyse des enjeux sociaux et
historiques et surtout, par la description des composantes stylistiques des
musiques et de leur fusion. Ensuite l'analyse des interférences entre
les représentations révélées par les discours et la
réalité nous aide à mieux comprendre le rôle de la
musique en tant que stratégie identitaire.
Conclusion
Il est évident maintenant qu'en venant s'ancrer dans
les rituels, le social et le culturel, les domaines du spectacle vivant
apparaissent comme des symboles puissants, comme des marqueurs
d'identité. Les pratiques culturelles des réunionnais ont
révélé le rôle des différents secteurs
artistiques sur le plan identitaire car ils correspondent aux attentes des
consommateurs et à leur vision de la culture comme messagère
d'une image de leur région. L'analyse des différents champs
artistiques est ensuite venue confirmer l'importance du spectacle vivant, plus
populaire et accessible que les autres secteurs artistiques. On en a ainsi
déduit sa capacité à véhiculer de façon la
plus authentique possible la culture réunionnaise (au sens
anthropologique). Puis l'analyse historique et sociale du secteur musical a
permis de faire ressortir au grand jour ce qu'il cachait au plus profond de
lui : des genres musicaux multiples reflétant la
société hétérogène et chacun des individus.
La musique est un vecteur parmi d'autres mais c'est le vecteur qui permet de
chanter La Réunion et de la monter tantôt divisée,
tantôt unifiée. C'est le miroir de la société
où chaque conflit et chaque aspiration s'y retrouve. Enfin, c'est un
vecteur malléable, offrant des possibilités infinies de
construire, défaire, rebâtir, changer la société en
perpétuelle mutation. Dans les multiples pistes qu'elle ouvre pour
changer de peau on peut choisir un hymne, puis un autre et encore un autre au
fil du temps et pour crier « JE SUIS ! NOUS SOMMES
REUNIONNAIS ! ». Si les vecteurs artistiques servent de
scènes d'expression pour l'identité réunionnaise ils ne
sauraient exister sans les acteurs d'une politique culturelle qui sont les
collectivités territoriales et les professionnels de la culture. Allons
maintenant faire leur connaissance et appréhender ce terrain avant de
nous pencher sur un exemple : l'Office Départemental de la
Culture.
* 101 Popper, Habermas,
cités par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical,
Travaux & Documents, Université
Troisième
partie : l'expression identitaire : analyse sur le terrain
I. Introduction
Si l'identité des habitants de l'île se retrouve
et s'exprime dans les productions littéraires, théâtrales
et surtout musicales qu'en est-il de la volonté des acteurs culturels de
la prendre en compte ? Les institutions politiques, les nombreuses
entreprises culturelles ainsi que les artistes réunionnais qui s'y
produisent ont-ils misés sur une reconnaissance régionale de la
culture ? L'ont-ils au contraire abandonnée au profit d'une
volonté de se positionner sur le marché mondial en se basant sur
des productions standardisées, appréciables et comprises par la
majorité des pays engagés dans le processus des échanges
mondiaux ? Font-ils la synthèse entre production locale et
internationale dans le but de s'ouvrir aux autres tout en affirmant leur
identité ? Nous avons vu que le public réunionnais
n'était pas hermétique à une ouverture sur les productions
artistiques extérieures. La multiplicité de leurs origines
explique en grande partie cette capacité qu'ils ont à s'ouvrir
sur le monde et à être tolérants.
Toutefois, on a aussi révélé l'importance
pour les réunionnais de valoriser leur culture. Cette volonté est
d'autant plus grande qu'ils sont en pleine reconstruction identitaire depuis la
fin de la colonisation et qu'ils ont donc besoin, pour ce faire, de s'appuyer
sur des repères stables les aidant à se définir et
à se valoriser par rapport aux « Autres ». Nous
verrons en quoi l'Office Départemental de la Culture (ODC) peut
répondre à ces aspirations. Il propose une programmation
variée où se mêlent les différents styles musicaux,
le théâtre et la danse. Les spectacles sont la plupart du temps
fréquentés par une clientèle d'habitués qui
s'intéresse de près au monde culturel.
Pour drainer un public de plus en plus nombreux et averti,
l'ODC met en place un certain nombre de stratégies. La plus importante
consiste à se créer une image qu'il véhicule via une
politique. Cette politique de programmation doit être cohérente
avec l'image qu'il veut montrer au public de lui et qui lui servira à
ériger une véritable identité. On pourra ainsi
l'identifier comme une structure qui a pour but de promouvoir la culture comme
moyen de développement, d'offrir un programme culturel de
qualité, riche et varié, de participer à l'affirmation de
l'identité Réunionnaise, de démocratiser l'accès
à la culture, de veiller à l'équilibre entre les
spectateurs locaux et extérieurs et de permettre la
décentralisation des spectacles. Ces axes constituent la base de toutes
ses actions sur lesquelles vont venir se greffer une philosophie globale qui
lui est propre et qui devra répond aux attentes de son public à
travers un choix de programmation artistique approprié. D'autres
stratégies auront ensuite pour objectif de mettre en oeuvre la
programmation préalablement pensée de manière la plus
professionnelle qui soit. Les professionnels qui oeuvrent dans ce sens devront
ainsi mettre leur savoir technique, administratif, communicationnel et
artistique au profit de la réalisation des objectifs et du
fonctionnement global de l'entreprise. Dans ce cadre, si l'on considère
les spectacles de l'O.D.C comme des produits de consommation, on peut dire
qu'ils constituent une offre répondant à une demande provenant
des consommateurs. Par extension, on peut alors déduire que toute
entreprise culturelle existe par rapport à un public et donc, à
une demande.
Mais l'O.D.C et son public se situent sur un territoire
abritant d'autres agents oeuvrant dans le domaine culturel et qui sont eux
même guidés par leur propre politique. Il est donc primordial, de
décrire l'environnement dans lequel l'O.D.C s'inscrit avant d'engager la
moindre étude sur son fonctionnement et sa capacité à
servir de vecteur aux identités réunionnaise. Une meilleure
appréhension du monde culturel qui l'entoure, allant des institutions
politiques jusqu'aux professionnels de la culture, nous permettra d'envisager
les influences éventuelles qui peuvent s'exercer sur lui et les liens
qu'il a pu tisser avec les autres acteurs.
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II.
Description et analyse de l'environnement culturel de l'ODC
A. L'environnement politique : la
décentralisation à l'origine d'un développement culturel
brutal
Les acteurs de la politique culturelle à La
Réunion participent, via des axes bien définis, à la
construction culturelle de la Région. Prennent-ils en compte les
éléments qui constituent l'identité de la population comme
ligne d'action ? Sont-ils plutôt engagés dans une dynamique
d'acculturation à la métropole et au monde ?
1) L'apport des lois de
décentralisation
En 1981, le Parti Socialiste tout juste au pouvoir
décide de réformer les institutions culturelles dans le sens de
la décentralisation et d'attribuer un nouveau rôle aux
assemblées régionales : c'est la reconnaissance nationale
des identités régionales. Cette reconnaissance se traduit dans
des dispositions réglementaires spécifiques aux
départements d'Outre-Mer.
En adoptant le principe de la libre autonomie des
collectivités locales, ces lois ont modifié la répartition
des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales. En
matière culturelle, la loi du 22 juillet 1983 confirme la
compétence des collectivités locales pour les
bibliothèques, les enseignements artistiques, les archives et les
musées. Elle permet également aux élus de
s'auto-administrer et de concevoir leur propre politique culturelle.
(a) La revendication d'une politique
culturelle adaptée aux réalités locales
En 1982, lors des assises de la culture s'inscrivant dans le
contexte de la création de la Direction Régionale des Affaires
Culturelles (DRAC), s'affirme la revendication d'une politique culturelle
adaptée aux réalités locales.
Prise en compte de la réalité
Les réalités locales de la Réunion se
définissent à partir de trois éléments : sa
spécificité géographique, l'originalité de son
histoire et la diversité de son peuplement 102(*). Ces assises sont l'occasion
d'affirmer la pluralité de la culture réunionnaise et de demander
que priorité lui soit donnée. La défense de la langue
créole prend également une large part. Il est demandé, en
plus, la création d'un Conseil Permanent de la Culture
Réunionnaise. Mais les thèses développées sont
à l'origine d'un affrontement de deux positions : l'une
défendant la nécessité de prendre en compte la
spécificité locale, et par conséquent de faire
connaître et d'enseigner l'histoire de La Réunion, l'autre
souhaitant l'assimilation à la métropole. Il est à noter
toutefois que même si ces assises ont marqué les réflexions
sur le développement culturel de l'île, elles n'ont pas
débouché sur une définition claire des politiques
culturelles des collectivités locales.
* 102 Cf. Annexe 1 :
Carte de La Réunion et Annexe 2 : Carte des migrations
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L'identité réunionnaise comme facteur
de développement
L'enjeu de la prise en compte de l'identité culturelle
réunionnaise se situe aujourd'hui au centre des débats sur le
développement. Cependant, force est de constater que cette idée
est surtout développée par les partis de gauche.
A droite, on ne renie pas l'enjeu que représente
l'identité culturelle, mais on le classe en second plan par rapport aux
enseignements artistiques, historiques et civiques.
Le parti socialiste affirme la nécessité de
redéfinir une identité réunionnaise en unité
culturelle plurielle pour permettre l'épanouissement individuel. Il
affirme également très fortement la notion de « peuple
réunionnais ». Les thèses du parti communiste
développent plutôt l'idée de l'échange. Leur
problématique consiste essentiellement à accéder à
une « culture de développement » responsabilisant
les Réunionnais et leur permettant de sortir de cette crise
d'identité. La méthode de ce parti est celle de la mise en place
d'un mouvement dialectique entre l'authenticité des cultures ancestrales
et leur fusion dans une identité commune. Ce parti ce positionne
formellement contre une folklorisation de la culture réunionnaise,
celle-ci devant « engager le pari de la qualité et s'ouvrir
sans complexe aux autres ».
Le patrimoine est considéré par tous les partis
comme l'axe prioritaire de toute politique culturelle des collectivités,
l'enjeu étant la constitution d'une mémoire collective.
2) Les acteurs de la politique
culturelle et la prise en compte de l'identité
(a) La politique culturelle du Conseil
Général : défenseur de la culture locale
Nous n'avons malheureusement pas pu obtenir un rendez-vous
avec Catherine Chan-Khun qui est la responsable du service culturel du Conseil
Général. Toutefois en se rendant sur place en juillet 2004, sa
secrétaire nous a fourni quelques documents assez intéressants
concernant les orientations politiques du service culturel 103(*).
Evolution des orientations politiques : affirmer
l'identité réunionnaise
De 1985 jusqu'à 2002
L'objectif principal du Département depuis 1985
consiste à permettre aux Réunionnais de se réapproprier
leur histoire. Pour le réaliser il va donc initier des programmes de
restauration des équipements culturels départementaux existants
et créer d'autres structures en vue de l'affirmation de
l'identité réunionnaise. Son souci principal est alors de
concrétiser deux objectifs qui sont :
- · Affirmer un projet culturel réunionnais,
- · Affirmer le rôle culturel de la Réunion dans la
région.
De 1995 à 2002, la politique culturelle est reconduite
et se définit en trois orientations :
- · Affirmer l'identité réunionnaise,
- · Démocratiser l'accès à la culture,
- · Promouvoir la culture comme moyen de développement
économique et d'insertion sociale.
La politique depuis 2003
La politique mise en oeuvre en 2003 a conforté le
positionnement de la collectivité en tant que partenaire du monde
artistique et associatif 104(*).
Son objectif prioritaire concerne les aides directes
apportées à la création, la diffusion artistique et au
développement culturel. Les différents axes d'actions sont
l'action en faveur du patrimoine, la promotion du livre et de la lecture
publique, le soutien aux projets de mobilité des créateurs.
Le deuxième objectif est la diffusion du spectacle
vivant grâce à
Ø la subvention d'équilibre versée
à l'Office Départemental de la Culture, l'association
gestionnaire des théâtres départementaux de Saint-Gilles et
de Champ-Fleuri 105(*),
Ø au financement de l'association de gestion du
théâtre Luc Donat du Tampon,
Ø le financement du Centre Dramatique Régional
de l'Océan Indien,
Ø l'aide aux salles de spectacle
bénéficiant du dispositif « Culture du Contrat de
Plan »,
Ø Le financement des deux scènes
conventionnées de La Réunion qui sont l'association de gestion du
Séchoir à Saint-Leu et l'association de gestion les Bambous
à Saint-Benoît.
- · Le troisième objectif est l'aide à la formation des
acteurs culturels avec l'aide à la mobilité et le financement de
l'école des beaux arts et de l'école d'architecture.
- · Le Département se positionne également en tant
qu'acteur de la vie culturelle grâce à
Ø Des actions en faveur des musées,
Ø La gestion des collections et l'accueil des publics
des archives départementales,
Ø La gestion de l'Artothèque et de la
bibliothèque,
Ø L'édition du prix littéraire de
l'Océan Indien,
Ø Et des actions en faveur du patrimoine,
* 103 CONSEIL GENERAL,
2003, Rapport B.A. 2003, Commission Education - Mobilité - Culture -
Coopération - Sport, pp 194-205.
* 104 CONSEIL GENERAL,
2004, Rapport O.B. 2004 du Département de La Réunion, pp
151-160.
* 105 Cf. Annexe 3 :
Les équipements culturels à La Réunion
Le soutien à l'expression réunionnaise
entre 1985 et 2004 : quelles priorités ?
De 1985 à 1993 : La
littérature et la musique
En 1985, le Conseil Général met en place un fond
d'action culturelle permettant de « redécouvrir les domaines
essentiels à l'enrichissement de la culture réunionnaise et au
développement de tous les réunionnais. » Dans cet
objectif, plus d'une centaine d'associations et d'artistes dans tous les
secteurs culturels sont soutenus financièrement. Néanmoins,
jusqu'en 1993, les priorités du Département ont été
la création littéraire et la musique. Les aides du Conseil
Général ont permis à de nombreux groupes
réunionnais d'acquérir du matériel et de se faire
connaître. Un effort particulier avait été fait pour faire
connaître la musique réunionnaise en favorisant la participation
de groupes locaux à des festivals sur le territoire national (festival
de jazz d'Angoulême, Festival « Nuits Blanches pour Musique
Noires »..) ou en permettant leur confrontation à des groupes
de l'Océan Indien et d'ailleurs (Festival de jazz et de Musique
Populaire de Saint-Denis de la Réunion).
De 1995 à 1998 : La danse et
l'écriture
Dans le projet 1995-1998, la musique devient moins prioritaire
et le Département favorise des secteurs jusqu'à présent
inexplorés tels que la danse et l'écriture.
En 2004 : Le spectacle vivant et le
patrimoine106(*)
Au premier semestre de l'année 2004, la part du budget
du département alloué à la culture pour le domaine du
théâtre s'élève à 17%, suivit du patrimoine
à 10%. Ce sont les deux secteurs les plus financés. Il n'y a plus
que 7% du budget culturel qui revient à la musique.
* 106 CONSEIL GENERAL,
2004, Rapport B.P. 2004 du Département de La Réunion, pp 1-19.
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(b) La Région à la
recherche d'une identité institutionnelle
Suite à un entretient en juin 2004 avec François
Bertil, responsable du service culturel de la Région, nous avons pu
dégager les grands axes de la politique culturelle du Conseil
Régional. Il se trouve que la problématique de l'identité
culturelle réunionnaise et régionale demeure une priorité
pour la collectivité 107(*). L'année 2004 est une année forte pour
la région, car elle voit la réalisation d'un nombre
conséquent de grands projets culturels régionaux
« essentiels à un ancrage identitaire du Réunionnais
dans son environnement pour une meilleure ouverture sur le monde »
selon les propos de François Bertil.
Orientations budgétaires du Conseil
Régional en 2004
Elles s'inscrivent dans la lignée du projet de
mandature 1998-2004 avec la mise en oeuvre des priorités
votées :
- · accorder la place, le rôle et la valeur qui revient aux
acteurs culturels en les soutenant financièrement,
- · favoriser l'accès des structures de diffusion au plus large
public,
- · protéger et restaurer le patrimoine architectural,
ethnologique, littéraire, musical et oral
- · établir des passerelles entre créateurs,
organisateurs et spectateurs,
- · contribuer au plus haut niveau possible pour tous et pour chacun
par la formation et la mobilité,
- · poursuivre la réalisation de l'Unité
réunionnaise tout en valorisant les autres structures culturelles
régionales108(*).
Ces politiques s'inscrivent dans le cadre de :
La promotion de la culture et de l'identité
culturelle réunionnaise
- · Des actions pédagogiques,
- · L'accompagnement de la vie culturelle et artistique en aidant la
création et la diffusion artistique réunionnaise,
- · La valorisation du patrimoine culturel et de l'identité
régionale
Ø les petits musées associatifs,
Ø les langues et cultures régionales
(manifestation du 20 décembre et la semaine créole, le soutient
du programme « Route de l'esclave » en 2004 dans le cadre
de l'année internationale de commémoration de la lutte contre
l'esclavage et de son abolition décrétée par l'UNESCO,
Ø La promotion du patrimoine littéraire
réunionnais et indianocéanique,
Ø L'inventaire général du patrimoine
culturel de La Réunion (l'audiovisuel, la maison des civilisations et de
l'Unité Réunionnaise qui est un lieu de synthèse sur
l'histoire et l'identité de la région.
La mise en valeur des équipements culturels
régionaux
- · Inventorier et valoriser le patrimoine matériel,
- · Conservation et restauration des oeuvres,
- · Soutient aux structures muséales,
- · Décentralisation, mise en place de partenariats et
renforcement de l'activité artistique du Conservatoire National de
Région (CNR) qui est l'animateur de la structuration de l'enseignement
musical, chorégraphique et théâtral,
- · Soutient aux structures associatives conventionnées telles
que :
Ø Le Fonds Régional d'Art Contemporain
(FRAC),
Ø Le Pôle Régional des Musiques Actuelles
(PRMA),
Ø Les autres structures culturelles (conventions avec
le secteur du théâtre, de la danse et de la diffusion),
Ø Suivit du contrat de plan 2000-2006 «
démocratisation de la culture ».
* 107 CONSEIL REGIONAL,
2004, Bilan d'activités 2003 de la Région Réunion, Secteur
Culture, 30p.
L'aménagement équilibré du
territoire
- · en faveur du patrimoine architectural et du patrimoine agricole,
- · pour une meilleure irrigation du territoire en matière de
création et de diffusion de la production artistique avec l'aide
octroyée aux communes pour leurs équipements,
- · avec la formation et une meilleure mobilité des acteurs
culturels.
Le soutient à l'expression réunionnaise
en 2003
Le budget primitif alloué à la culture
s'élève en 2003 à 7 227 561 euros. La politique
culturelle axée sur l'accompagnement des projets des acteurs locaux va
valoriser les créations artistiques 109(*).
Les lieux de diffusion
L'intervention de la région a été de
980 774 euros pour 2003, soit 13% du budget alloué à la
culture. Les missions principales dévolues aux salles de spectacles
concernent la diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires
Privilège à la musique
Alors que le Département favorise les créations
théâtrales locales, la Région consacre une enveloppe
globale conséquente au secteur musical qui s'élève en 2003
à 666 756 euros (9% du budget). Ce soutient concerne l'aide
à la création, à la diffusion, à la formation et
à l'équipement et s'adresse aux artistes locaux, aux
associations, aux écoles de musique et au PRMA. Dans le cadre d'une
valorisation de la culture et du patrimoine réunionnais, la musique
réunionnaise se voit attribuer 67 722 euros (1% du budget) pour
encourager les projets visant à promouvoir de nouveaux artistes et
contribuer au rayonnement de la culture à l'extérieur du
département. Pour que la musique réunionnaise puisse s'exporter
en 2003 dans plusieurs pays, les groupes ont été soutenus
à hauteur de 139 678 euros (2% du budget). Bien que premier vecteur
de la culture, la musique n'est pas le seul secteur sur lequel la Région
s'est appuyée dans sa volonté de faire découvrir et
s'exporter ses talents.
La littérature réunionnaise, langues et
cultures régionales
Pour 2003, se sont 94140 euros (1.3% du budget) qui ont
été utilisés pour le financement d'actions mettant en
lumière les écrits et auteurs réunionnais ainsi que les
événements ayant une importance historique pour la
région.
Le théâtre
L'accompagnement des troupes de théâtre par la
Région a été important en 2003. Une enveloppe globale de
482 591 euros (6.6% du budget) a été consacrée
à ce secteur dont les compagnies professionnelles conventionnées,
les amateurs et le Centre Dramatique Régional de l'Océan Indien.
Les arts plastiques et la danse sont financés mais dans
une moindre mesure.
* 109 CONSEIL REGIONAL,
2004, Bilan d'activités 2003 de la Région Réunion, Secteur
Culture, 30p
3) Les autres acteurs de la politique
culturelle
(a) Service de l'Etat : La DRAC
Evolution des orientations
politiques
La Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC)
est conçue comme un outil d'accompagnement de la décentralisation
et existe à La Réunion depuis 1982. Son rôle est
d'être l'interlocuteur entre l'Etat et les collectivités
territoriales locales en matière de culture. Elle doit ainsi tenir
compte des préoccupations de la société dans laquelle elle
est implantée.
En 1994 elle définit ses axes prioritaires en trois
points :
- · l'aménagement équilibré du territoire et la
décentralisation culturelle,
- · la préservation de l'identité qui implique une
protection nécessaire et concertée du patrimoine historique,
ethnologique et artistique à La Réunion,
- · la structuration économique du secteur culturel.
La directrice de la DRAC, Madame Chateauminois, nous a
accordé un entretient en juillet 2004 qui nous a permis de
connaître le budget octroyé par l'Etat pour la culture en
général. Ce budget s'élève à 4300 000 euros
en 2004. Les axes prioritaires sont :
- · l'aménagement du territoire,
- · La formation,
- · la circulation des oeuvres et des artistes,
- · le travail avec les collectivités territoriales et locales,
- · la coopération et les actions
internationales.
Un regard subjectif sur la culture : entretient
avec la directrice
La vie culturelle sur ce Département d'Outre-Mer est
toute jeune puisque qu'elle n'a que 20 ans d'âge. Selon la directrice,
engager la moindre politique ou action culturelle suppose une bonne
connaissance du territoire afin d'équilibrer l'offre culturelle en
fonction de la répartition et des aspirations de la population. Il est
essentiel pour cela de prendre en compte l'histoire des réunionnais mais
de ne pas rester cantonné au passé afin d'ouvrir la population
à l'extérieur. Selon elle « on n'avance que si l'on se
confronte à l'autre ». En douze années d'exercice
à La Réunion, madame Chateauminois a réellement voulu
comprendre la culture et l'identité de la société
réunionnaise. Elle nous dit que « c'est une
société qui se cherche, comme toute société
métissée appelée créole ». « Le
mariage des bourreaux et des esclaves » issu du passé fait que
la société réunionnaise est en pleine recherche d'une
identité.
Cependant les réunionnais « subissent
aujourd'hui un choc en raison d'une évolution et une adaptation trop
rapide au monde occidental. Ils sont arrivés trop vite à une
société de consommation et à un stade de
surpopulation». Ils veulent s'expatrier vers la métropole mais
reviennent très vite sur leur sol natal car ils sont fortement
attachés à leurs origines et à leur famille. L'offre
culturelle ne serait pas suffisante malgré « une
réelle et palpable volonté des réunionnais d'exprimer leur
culture grâce à l'art ». Il serait intéressant de
développer les arts de la rue mais les réunionnais «
réservés » ne s'approprient pas l'espace public aussi
facilement car ils privilégient la sphère privée. En
conséquence, les structures culturelles doivent s'adapter à cette
tendance et ne développent pas suffisamment les festivals en plein air.
De plus, « chacun reste dans son coin » alors qu'il
faudrait créer un réseau de partenariat favorisant
l'échange. Certaines entreprises culturelles ont compris qu'il fallait
« s'ouvrir aux autres pays, aller voir » mais l'aspect
insulaire ne favorise pas ces échanges. « Le public se
conquiert » et c'est pour cela que madame Chateauminois
préconise une réflexion sur les réunionnais et soutient
les actions engagées par les responsables des structures culturelles qui
sont vraiment à l'écoute des réunionnais au-delà
des discours convenables et qui veulent concrètement sensibiliser leur
public à de nouvelles formes artistiques. Le spectacle vivant est selon
elle le meilleur vivier pour l'expression de l'identité
réunionnaise car il permet, en plus des capacités multiples
d'expressions, une réelle reconnaissance de cette culture sur le plan
international.
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b) Les communes
Politique culturelle
Contrairement à la métropole où l'on
observe une disparité entre les politiques culturelles des petites et
grandes villes, à La Réunion, les politiques diffèrent peu
d'une commune à une autre. Ceci s'explique peut-être par le fait
que dans l'île, les communes sont relativement grandes sans qu'il y ait
pour autant de véritables grandes villes.
La réalisation des salles
Les municipalités gèrent les équipements
plurifonctionnels tels que les salles polyvalentes et les salles des
fêtes. Il existe, réparties sur toute l'île, un peu moins
d'une vingtaine de salles polyvalentes, et autant de salles des fêtes.
Ces salles sont utilisées pour des ateliers, des expositions, des
spectacles (musique, théâtre) et occasionnellement pour des
projections de films 110(*). La presque totalité de ces salles ont
été ouvertes après 1982.
On intègre aussi dans ce type d'équipement la
halle des manifestations du Port ouverte en novembre 1992 et pouvant contenir
jusqu'à 6000 personnes. Elle accueille également tous les genres
de productions artistiques. Les communes de Saint Denis et de Saint Paul
disposent, elles aussi, de halles d'exposition de grande capacité.
Conclusion
Il faut souligner ici la spécificité de ce DOM
où le territoire constitue à la fois une région et un
département. Les politiques culturelles émanant des
collectivités territoriales qui sont la Région et le
Département sont complémentaires. Leur objectif commun pour le
territoire qu'elles ont à gérer est de mettre en valeur
l'identité de celui-ci et de sa population par le biais du patrimoine.
Tous les secteurs culturels sont concernés par cette volonté. On
remarque une aide financière particulière octroyée par les
collectivités pour le patrimoine culturel et pour le domaine du
spectacle vivant alors que la littérature, l'art plastique et le
cinéma, bien que soutenus, ne font pas partie des priorités. Nous
avons vu à travers l'analyse des pratiques culturelles des
réunionnais que le patrimoine et le spectacle vivant n'était pas
les plus prisés et qu'ils passaient bien après les loisirs de
détente et le cinéma. C'est sûrement l'une des raisons pour
lesquelles les collectivités se soucient particulièrement de ces
domaines et qu'elles les aident à subsister. Une autre explication
serait que dans un souci de mise en valeur de l'identité
régionale elles auraient choisi de soutenir le spectacle vivant qui lui
sert de tremplin.
Toutefois, les efforts de ces deux collectivités se
concentrent sur un secteur du spectacle vivant en particulier. Alors que la
Région aura tendance à subventionner la musique en
priorité, le Département préfère oeuvrer en faveur
du théâtre. Ceci ne nous conforte-t-il pas dans l'idée que
le spectacle vivant, et particulièrement les secteurs de la musique et
du théâtre, sont considérés par les acteurs
politiques comme des vecteurs identitaires privilégiés ?
* 110 Cf. Annexe 3 :
Les équipements culturels à La Réunion
) Tour d'horizon des salles de
spectacles dans l'île
Liste des salles
répertoriées sur l'île et analyse
L'est de l'île reste très pauvre en salles de
diffusion culturelle par rapport au reste du territoire. D'après le
tableau en annexe, les salles les plus importantes aujourd'hui en nombre et en
superficie se situent du nord ouest au sud ouest de l'île de La
Réunion. Cependant de nombreux projets sont en cours d'étude et
de réalisation. Le Zénith sera opérationnel fin 2006 et
pourra contenir jusqu'à 6000 personnes à Saint-Denis. Il semble
que les communes les plus démunies aient pour projet de financer
l'installation de salles culturelles. Ainsi, les communes reculées
à l'intérieur des terres et dont l'accès n'est pas facile
telles que Salazie et la Plaine des Palmistes s'engagent pour les années
à venir à construire des équipements 111(*). La question à se
poser étant de savoir si cette réalisation correspond à
une demande des Réunionnais et si elle ne va pas étouffer les
autres structures culturelles du territoire lorsqu'il s'agit du projet du
Zénith.
Série d'entretiens avec des responsables de
structures culturelles à La Réunion
Nous avons voulu interroger les professionnels du
secteur culturel qui définissent et mettent en oeuvre les orientations
politiques des entreprises qu'ils gèrent. Nous n'avons bien sûr
pas pu recueillir les propos de tout monde et avons préalablement
sélectionné les structures ayant une programmation favorisant les
productions locales dans le domaine du spectacle vivant. Parmi les questions
qui leur étaient posées nous avons soulevé celle de
l'identité réunionnaise. L'objectif était de savoir
comment ils l'appréhendaient, la définissaient et quelles
étaient les actions menées en sa faveur.
L'association le Séchoir
Jérôme Galabert gère l'association Le
Séchoir dans la ville de Saint-Leu. Les missions principales sont la
diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires ainsi que la mise en place
d'ateliers servant de tremplins aux artistes réunionnais tels que
« la compagnie Pascal Montrouge », Baster, les groupes de
Hip Hop. Il dispose de trois lieux bien ancrés dans la ville et qui
reflètent chacun les aspirations des réunionnais : le
Séchoir qui diffuse surtout des groupes et compagnies locales, le K qui
diffuse également des artistes réunionnais mais qui sert aussi de
lieu de rencontre entre le public et les artistes. Enfin, la Ravine pour des
spectacles de plein air essentiellement musicaux et d'origine internationale.
Monsieur Galabert a misé sur le choix pour satisfaire son public.
Bien que principalement orientée vers les productions locales, sa
programmation se veut le reflet de la diversité culturelle. Les
spectacles attirent beaucoup de métropolitains et de réunionnais
attachés à la culture française tout en leur permettant de
connaître la culture locale via la musique, le théâtre et
les arts de la rue. Jusque dans les années soixante-dix, la culture
était diffusée par un centre culturel officiel dont la
programmation reposait sur un travail d'amateurs. Destinées aux besoins
d'un public bourgeois, les productions réalisées étaient
essentiellement des pièces issues du répertoire classique. Il a
fallu attendre le début des années quatre-vingt pour voir
émerger l'expression d'une culture à part entière. Sa
première manifestation fut la redécouverte et la
réactualisation de la musique des esclaves : le maloya. Puis ce fut
au tour du théâtre de prendre ses marques. Il s'agit alors de
mêler les publics bourgeois et populaires qui ont chacun une approche
antagoniste de la recherche identitaire. Les lieux que gère
l'association reflètent toutes les aspirations et doivent rester
conviviaux et pluridisciplinaires. Dans sa démarche, le Séchoir
cherche aussi à s'ouvrir vers un public peu familier des espaces de
diffusion culturelle. Il veut inciter les gens à franchir la porte des
lieux culturels. Dans ce souci de démocratisation de la culture, il
applique une politique tarifaire avantageuse pour une programmation
variée.
* 111 Cf. Annexe 4 :
Salles de spectacles vivants à La Réunion
) Tour d'horizon des salles de
spectacles dans l'île
Liste des salles
répertoriées sur l'île et analyse
L'est de l'île reste très pauvre en salles de
diffusion culturelle par rapport au reste du territoire. D'après le
tableau en annexe, les salles les plus importantes aujourd'hui en nombre et en
superficie se situent du nord ouest au sud ouest de l'île de La
Réunion. Cependant de nombreux projets sont en cours d'étude et
de réalisation. Le Zénith sera opérationnel fin 2006 et
pourra contenir jusqu'à 6000 personnes à Saint-Denis. Il semble
que les communes les plus démunies aient pour projet de financer
l'installation de salles culturelles. Ainsi, les communes reculées
à l'intérieur des terres et dont l'accès n'est pas facile
telles que Salazie et la Plaine des Palmistes s'engagent pour les années
à venir à construire des équipements 111(*). La question à se
poser étant de savoir si cette réalisation correspond à
une demande des Réunionnais et si elle ne va pas étouffer les
autres structures culturelles du territoire lorsqu'il s'agit du projet du
Zénith.
Série d'entretiens avec des responsables de
structures culturelles à La Réunion
Nous avons voulu interroger les professionnels du
secteur culturel qui définissent et mettent en oeuvre les orientations
politiques des entreprises qu'ils gèrent. Nous n'avons bien sûr
pas pu recueillir les propos de tout monde et avons préalablement
sélectionné les structures ayant une programmation favorisant les
productions locales dans le domaine du spectacle vivant. Parmi les questions
qui leur étaient posées nous avons soulevé celle de
l'identité réunionnaise. L'objectif était de savoir
comment ils l'appréhendaient, la définissaient et quelles
étaient les actions menées en sa faveur.
L'association le Séchoir
Jérôme Galabert gère l'association Le
Séchoir dans la ville de Saint-Leu. Les missions principales sont la
diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires ainsi que la mise en place
d'ateliers servant de tremplins aux artistes réunionnais tels que
« la compagnie Pascal Montrouge », Baster, les groupes de
Hip Hop. Il dispose de trois lieux bien ancrés dans la ville et qui
reflètent chacun les aspirations des réunionnais : le
Séchoir qui diffuse surtout des groupes et compagnies locales, le K qui
diffuse également des artistes réunionnais mais qui sert aussi de
lieu de rencontre entre le public et les artistes. Enfin, la Ravine pour des
spectacles de plein air essentiellement musicaux et d'origine internationale.
Monsieur Galabert a misé sur le choix pour satisfaire son public.
Bien que principalement orientée vers les productions locales, sa
programmation se veut le reflet de la diversité culturelle. Les
spectacles attirent beaucoup de métropolitains et de réunionnais
attachés à la culture française tout en leur permettant de
connaître la culture locale via la musique, le théâtre et
les arts de la rue. Jusque dans les années soixante-dix, la culture
était diffusée par un centre culturel officiel dont la
programmation reposait sur un travail d'amateurs. Destinées aux besoins
d'un public bourgeois, les productions réalisées étaient
essentiellement des pièces issues du répertoire classique. Il a
fallu attendre le début des années quatre-vingt pour voir
émerger l'expression d'une culture à part entière. Sa
première manifestation fut la redécouverte et la
réactualisation de la musique des esclaves : le maloya. Puis ce fut
au tour du théâtre de prendre ses marques. Il s'agit alors de
mêler les publics bourgeois et populaires qui ont chacun une approche
antagoniste de la recherche identitaire. Les lieux que gère
l'association reflètent toutes les aspirations et doivent rester
conviviaux et pluridisciplinaires. Dans sa démarche, le Séchoir
cherche aussi à s'ouvrir vers un public peu familier des espaces de
diffusion culturelle. Il veut inciter les gens à franchir la porte des
lieux culturels. Dans ce souci de démocratisation de la culture, il
applique une politique tarifaire avantageuse pour une programmation
variée.
* 111 Cf. Annexe 4 :
Salles de spectacles vivants à La Réunion
Le Centre Dramatique de l'Océan Indien
Des créations originales ainsi que des adaptations en
créole ont été réalisées au
théâtre contemporain du grand marché sous la direction de
Ahmed Madani telles que « Dokter Kontroker » et
« l'avis lo mor » ou encore « Légendes
créoles ». Son principal objectif est de mettre en place des
actions de coopération régionale dans le domaine
théâtral. D'abord de centre dramatique « de la
Réunion », il est devenu « de l'Océan
Indien ». L'appellation n'est pas innocente. A la Martinique, le
centre s'appelle « de la Martinique ». Pour les uns, elle
prouve la volonté de s'intégrer dans un environnement
géopolitique. Pour les autres, c'est une façon de renforcer
l'influence de la France dans la région et de mettre à distance
une culture Créole pour s'en remettre à un modèle
métropolitain, sinon à une culture universelle. L'appellation est
confirmée par les objectifs du centre et de monsieur Madani qui
prône le recours aux ethnies et aux cultures d'origine, « Il
est arrivé et arrive encore à l'île d'être mal dans
sa peau par refus de ses racines et de son identité ». Aux
yeux des métropolitains qui sont ici de passage il y a des cultures
indiennes, chinoise, africaines mais aussi une culture créole. Il y a le
métissage et également une cohérence entre «
peuples qui forment la Réunion » et « s'enrichissent
mutuellement de leurs différences ». En ce qui concerne la
création, le véritables objectif du centre est de faire une
programmation annonçant des co-productions avec l'essentiel des
compagnies réunionnaises. Mais la concurrence est rude et la
création locale doit faire face à « une
surenchère des importations ». Le centre doit alors avoir pour
mission d'être un « outil pluriel » qui favorise la
culture réunionnaise tout en favorisant l'expression artistique de la
zone Océan Indien.
Le Théâtre Vollard
Un article paru dans le journal de l'île (JIR) en mai
2004 et écrit par Emmanuel Genvrin le directeur du théâtre
Vollard avait attiré notre attention. Il faisait état des
créations théâtrales sur l'île fustigeant au passage
les compagnies en leur reprochant de ne faire que des adaptations en langue
Française des oeuvres du répertoire classique. Il
préconisait un théâtre réunionnais plus proche de la
société. Cet article faisait écho à celui,
publié en 1980 dans Le Quotidien et dont voici un extrait :
« Il n'y a pas de théâtre réunionnais, il existe
des textes qui ont parfois une valeur, il existe des auteurs qu'il faut
encourager, il n'existe pas d'oeuvre qui mériterait d'être
présentée lors d'un festival...le théâtre
réunionnais est à venir... ». Aujourd'hui la situation
n'a-t-elle donc pas vraiment changé ?
Nous avons rencontré l'auteur et metteur en
scène Emmanuel Genvrin. Il fonde le théâtre Vollard en
1979. « Nous somme nés à la fin des années
soixantes-dix, comme Ziskakan, comme Danyel Waro, et avons accompagné
une génération en mal de révolte et d'identité.
Dans une île passée en vingt ans du moyen âge colonial
à la société de consommation, les chocs ont
été rudes et les conflits nombreux...l'administration nous
étranglait...nous avons soutenu les motivations de la révolte du
Chaudron ». Emmanuel Genvrin n'a cessé de se demander s'il
fallait se taire ? Eviter la politique ? Ne faire que du
théâtre ? « Aujourd'hui grâce aux combats,
l'histoire de l'île n'est plus occultée et une culture nouvelle
est née. »
Il nous explique que « Marie Dessembre »,
« Nina Ségamour », « Etuve »,
« Lepervenche », « Votez Ubu Colonial »
sont autant de jalons dans l'itinéraire de la compagnie. Ces
pièces ont connu un succès se comptant en milliers de
spectateurs. Elles ont fondé un style propre au théâtre
Vollard et ont eu une influence au-delà de la vie culturelle pour
toucher l'opinion publique ou l'actualité politique et témoigner
d'un passé souvent occulté de l'île. Elle s'inscrit
aujourd'hui dans la mémoire collective. Pour faire sa pub et attirer
l'attention, pour contester les systèmes politiques mis en place, la
troupe Vollard a crée des événements, manié des
symboles et multiplié les provocations. Par exemple, le slogan
« quelle culture ? » inscrit sur la façade du
théâtre Vollard était dédié à la ville
de St-Denis. Elle est régulièrement reprise par les
médias, les partisans de la culture créole et tous ceux qui
veulent protester contre les politiques culturelles en place.
Puis la compagnie est sortie de ses quatre murs et du
territoire pour s'ouvrir à la métropole. « Tôt ou
tard une troupe de théâtre doit se frotter à
Paris ». Emmanuel Grenvin pense que c'est là que sont les
décideurs, les médias qui comptent. Le public est exigeant,
cosmopolite et il n'y a pas de tricherie. Le metteur en scène nous dit
sa volonté de créer une atmosphère dans ses pièces
grâce à la danse, au chant et à la musique proprement
réunionnaises (séga, maloya) ou d'inspiration africaine. Quant
à l'utilisation du créole, il a fait l'effet d'une dynamite en
1981 pour la première grande création car il n'était plus
la référence plaisante et grotesque mais un parler naturel. Un
certain public hostile au théâtre Vollard lui reprochait l'usage
du créole sur scène alors que la langue était
réservée au quotidien, banni des écoles et de l'expression
artistique. Ce débat est encore d'actualité mais amenuisé
par la généralisation qui en a été faite par la
suite dans toutes les formes artistiques à revendication identitaire.
« Au théâtre c'est un plaisir d'utiliser les
qualités poétiques du créole, langue métaphorique,
porteuse d'émotions, d'humour dans la saveur crue et imagée des
dialogues... ». C'est surtout dans l'écriture des
créations personnelles d'Emmanuel Genvrin que s'élaborait une
nouvelle dramaturgie proprement réunionnaise en inscrivant ses
personnages dans la réalité sociale et culturelle de l'île.
C'est la première troupe à avoir revendiqué si fortement
la « réunionnité », en même temps que
les groupes musicaux. Avec Marie Dessembre, pièce écrite pour la
célébration de l'abolition de l'esclavage en 1981, on voit une
société réunionnaise dans ses origines et « les
profondeurs de son inconscient collectif : héritage de l'esclavage,
racisme latent, la maternité triomphante et la paternité non
assumée. ». L'enjeu est plutôt ici de saisir les
constantes et les non-dits de l'âme collective réunionnaise.
Conclusion
Les responsables des structures culturelles façonnent
le monde du spectacle vivant réunionnais à travers des
orientations et des choix dont résultent leurs programmations. Bien
qu'influencés parfois par les collectivités qui les
subventionnent et auxquelles ils doivent satisfaire, la plupart des
administrateurs et gestionnaires de salles de concert, théâtres et
centres dramatiques veulent répondre de façon originale et
personnelle à leur public. Il n'existe pas un public réunionnais
mais des publics, adeptes d'un lieu particulier de diffusion culturelle. Chaque
lieu est à l'image des personnes qui le fréquentent et chaque
personne y trouve ce qu'elle cherche. Les salles de spectacles de La
Réunion reflètent ainsi les identités réunionnaises
qui se logent dans leur programmation. « Les bambous soulignent cette
capacité du spectacle vivant à véhiculer une
identité réunionnaise 112(*). Que se passe-t-il quand une collectivité, le
Département, délègue à une association la gestion
d'un office culturel ? La programmation est-elle influencée par la
politique du Conseil Général ? Est-elle en adéquation
avec les aspirations identitaires du public réunionnais qui
fréquente les lieux ? Se fait-elle plutôt l'image d'une
culture métropolitaine qu'on a vue influente lors de la
départementalisation ? Propose-t-elle une programmation sinon
diversifiée tout en étant équilibrée entre le
spectacle vivant du département et une production artistique
métropolitaine ?
* 112 Cf. Annexe 6 :
Témoignage du théâtre « Les
Bambous »
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III. Description et analyse d'une structure culturelle :
l'Office Départemental de la Culture
L'Office Departemental de la Culture (ODC) succède au
Centre Réunionnais d'Action Culturelles (CRAC) en 1990. Il est
financé à 98% par le Conseil Général. Les
subventions du département s'élèvent à trois
millions d'euros. Il a hérité de deux missions : la gestion
des deux théâtres départementaux (Champ-Fleuri et
Saint-Gilles) et le développement des actions de décentralisation
sur toute l'île. Les deux théâtres accueillent des
manifestations d'envergure, tels que des concerts, des ballets ou des
pièces de théâtre. Ce sont d'importants outils de
proximité. Une dizaine d'opérations sont proposées chaque
mois, dont une partie est décentralisée sur d'autres salles de
spectacle de l'île en collaboration avec les services culturels des
municipalités.
A. Présentation de l'Office
Départemental de la culture
1) Ses missions, ses objectifs et ses
outils
(a) Objets de l'association loi 1901
Depuis sa création en mai 1990, l'ODC a pour mission
essentielle de promouvoir et de développer la politique culturelle du
Département. Au cours de la dernière décennie,
l'association a accompli trois objectifs :
- · contribuer au développement culturel par la création
et la diffusion de spectacles vivants
- · participer à l'évolution du paysage culturel en
servant de catalyseur à la mise en place de structures culturelles
municipales
- · faciliter l'accès à la culture pour le plus grand
nombre.
L'ODC a aujourd'hui gagné toute sa place dans le
paysage culturel de l'Île de la Réunion. Cela est le fait d'un
travail en commun mené par une équipe d'une quarantaine de
professionnels.
(b) Les objectifs renouvelés
Des objectifs nouveaux sont énoncés en 2004 par
le directeur général Jacques Dambreville :
- · « Promouvoir la culture comme un sanctuaire de
tolérance, de rassemblement et de communion des esprits et des
coeurs ».
- · « Sortir de notre repli pour assurer, au mieux, le
fonctionnement de nos deux théâtres : s'ouvrir aux autres acteurs
réunionnais pour en faire les partenaires d'un même projet
fédérés autour d'une dynamique
commune ».
Une volonté se dégage, celle de
décentraliser au plus large les possibilités sans remettre en
cause le bon fonctionnement des deux théâtres. On sent le
désir de créer une dynamique commune autour de la culture qui
sera jalonnée par un réseau de partenariat. Cet objectif
d'unification ne va pas sans une volonté d'action en commun avec les
autres professionnels en vue d'une vision globale de la culture
réunionnaise. On peut y voir une réelle réflexion
menée pour définir un projet unificateur rassemblant les
réunionnais et les professionnels de la culture.
c) Quels outils pour la
réalisation de ces objectifs ?
L'association prévoit la transformation d'une des
salles du théâtre de Champ Fleuri en un "Petit Champ Fleuri" d'une
centaine de places. Le but est de révéler les artistes en herbe
et de découvrir des spectacles formatés à la dimension des
autres salles de l'île. Cet aménagement devrait permettre de
participer à l'émergence de nouveaux talents et d'offrir aux
autres salles, des spectacles plus appropriés à leur jauge et
à leur programmation.
Un aménagement similaire est envisagé au
Théâtre de Saint Gilles où Jacques Dambreville veut
créer une seconde scène sous les arbres pour l'accueil de petits
groupes et la réalisation de véritables festivals.
2) Quelles stratégies et
quelles évolutions ?
(a) Les stratégie
énoncées par le Directeur
- · « Intégrer dans l'esprit de chacun que l'ODC est
un organisme de partage, une fédération des initiatives
culturelles, dans un esprit de partenariat ouvert et respectueux des
autres ».
- · « Cette ouverture synonyme d'ouverture à d'autres
publics ne doit pas pour autant nous éloigner des chemins qui nous ont
conduits au niveau actuel. L'ODC doit donc continuer à être ce
laboratoire capable de prendre des risques pour découvrir de nouvelles
pistes et montrer les nouveaux horizons qui pourraient être
prospectés par nos artistes ».
- · « Nos moyens, notre expérience, notre
savoir-faire, sont des atouts majeurs pour cette prospection. Ils devraient
permettre de dépasser l'objectif du simple accès à la
culture pour le plus grand nombre et aboutir ainsi à l'émergence
de « l'homme réunionnais ». Ainsi, nous
participerons à la constitution et à l'évolution du
patrimoine et de l'identité de notre société ».
Derrière la volonté unificatrice portée
par les objectifs s'énonce le désir de prendre en compte la
question identitaire si couramment formulée par les acteurs sur le
territoire réunionnais. L'ODC serait ainsi l'outil qui définirait
et illustrerait le mieux la culture réunionnaise en
révélant les talents locaux au public réunionnais et en
aidant ces artistes à aller se produire ailleurs dans le monde afin de
porter la culture réunionnaise en dehors des enceintes limitées
du territoire.
(b) Volonté
d'évolution
Cette évolution prônée par monsieur
Dambreville passe par la connaissance et la reconnaissance des traditions et
des valeurs des réunionnais de diverses origines. C'est une étape
indispensable que l'ODC compte appliquer et enseigner au public. La
reconnaissance des différences peut être considérée
comme une source d'enrichissement, pour mieux comprendre et respecter les
diverses cultures tout en étant tolérant avec les autres.
L'évolution au niveau de l'ODC, c'est aussi une
approche artistique qui prépare le public à découvrir
autre chose que tout ce qui demeure classique et traditionnel :
- · C'est « mettre les moyens consentis par les
collectivités au service du citoyen pour le sortir du conditionnement
orchestré par les médias qui font et défont les
opinions ».
- · C'est « se battre contre les instances qui
façonnent les jugements en créant des phénomènes
cycliques de mode où l'argent se substitue au talent.
- · Faire évoluer l'ODC c'est aujourd'hui « s'appuyer
sur la crédibilité acquise pour ne plus nous limiter à un
échange unique Nord-Sud mais aller à la découverte du
monde. Quoi de plus naturel pour un pays comme le nôtre qui tire sa plus
grande richesse de son métissage réussi
? ».
Monsieur Dambreville énonce clairement ici sa
volonté d'ouvrir les réunionnais au monde culturel
extérieur en leur offrant une programmation diversifiée à
l'image de la société. Il s'engage ainsi à ne pas se
contenter de diffuser des productions standardisées mais d'aller
au-delà d'un star-système médiatisé pour enrichir
le public en connaissances et lui inculquer un sens critique. On remarque un
rapprochement avec la politique du parti communiste dont les thèses
développent plutôt l'idée de l'échange. Les discours
portent essentiellement sur l'accès à une « culture de
développement » responsabilisant les Réunionnais et
leur permettant de sortir de cette crise d'identité. L'ODC semble
adopter le même discours et la même méthode que ce parti en
visant une fusion entre l'authenticité des cultures ancestrales et une
identité commune. La même volonté d'éviter une
folklorisation de la culture réunionnaise apparaît pour que
celle-ci puisse « engager le pari de la qualité et s'ouvrir
sans complexe aux autres ».
3) La délégation de
service public
La délégation de service public permet d'oeuvrer
dans le temps afin de servir de levier aux artistes. Elle apporte en plus la
stabilité financière nécessaire à la bonne gestion
de toutes entreprises culturelles. L'ODC dispose ainsi d'un maximum d'atouts
pour réussir la mission principale qui lui a été
confiée : être en phase avec l'histoire et la population
réunionnaise.
B. Les contrats d'objectif par axe
1) Des actions de production et de
programmation artistique
(a) Les Objectifs
La production et la programmation artistique sont les parties
les plus visibles de l'ODC. Cet axe mérite donc une attention
particulière. Il ne peut cependant pas être isolé de
l'ensemble des actions de la structure et doit être analysé en
fonction de son contexte général qui le lie à plusieurs
partenaires.
Objectifs généraux
- · Promouvoir la culture comme moyen de développement,
- · Offrir aux publics un programme culturel de qualité, riche
et varié,
- · Participer à l'affirmation de l'identité
réunionnaise en favorisant la ré appropriation de l'histoire du
patrimoine par les spectateurs,
- · Démocratiser l'accès à la culture,
- · Veiller à l'équilibre entre les spectateurs locaux et
extérieurs en proposant une programmation annuelle
équilibrée par rapport aux
Ø genres
Ø rythmes
Ø origines (local régional extérieur)
- · Décentraliser les spectacles,
- · Valoriser les espaces, lieux culturels,
- · Développer un partenariat pour amener les publics à
Champ Fleuri et à Saint Gilles,
- · Travailler à la programmation avec les communes et les
structures,
- · Faire un effort en direction du jeune public,
Les moyens
Pour parvenir à ses fins, l'ODC diffuse, produit et
coproduit des créations locales (mixte), des spectacles divers qu'elle
accueille, ainsi que des spectacles décentralisés sur une
période allant de janvier à décembre. Son activité
s'inscrit sur une courbe d'intensité liée à divers
facteurs tels que :
- · Les rentrées de février - septembre
- · le calendrier scolaire
- · les festivités de l'île
- · le rythme des spectacles
- · les genres
- · la qualité
- · le souci d'équilibre local / extérieur
- · l'accessibilité par le plus grand nombre
- · la décentralisation
- · les opportunités
- · l'offre et la demande
- · les partenariats
Les moyens de l'ODC
Moyens matériels
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Le théâtre de champ fleuri
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Le théâtre de Saint-Gilles
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Moyens humains
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Personnel technique
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Personnel administratif
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Moyens financiers
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Evaluation
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Qualité des spectacles
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Les entrées/ le public
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Le coût/ratio
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Les retombées culturelles et pédagogiques
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Recettes propres
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Public adhérent et non adhérent
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Jeune public
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Associations et comités d'entreprise
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Centres de vacances et de loisirs
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Partenaires financiers publics
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La Drac
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Conseil Général
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Conseil Régional
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Les Communes
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Locaux
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Associations
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Théâtres
- Luc Donat
- Le plazza
- Acte 3
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Salles
- Bato Fou
- Halle des manifestations
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Les artistes
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Zone Océan Indien
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Les centres culturels de la zone Océan Indien
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« L'autre théâtre » à
l'île Maurice
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Nationaux
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Ministère de la Culture
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Ministère de la Francophonie
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Ministère de la Cooperation
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2) La gestion des théâtres
départementaux en matière culturelle
L' O. D. C. gère les théâtres de Champ
Fleuri et de Saint Gilles. Ces deux structures sont les outils essentiels pour
affirmer son action et mettre en valeur sa programmation culturelle et
artistique. Mêmes si elles sont performantes, elles ne lui permettent pas
toujours de rentabiliser ses actions. En effet, pour la première, le
nombre de places occupées par la liste protocolaire, le conseil
d'administration et le personnel la prive en moyenne de 300 entrées
payantes. La deuxième, lieu idéal pour des concerts, se limite
à 1000 entrées payantes. Pour 2004, les objectifs sont de
valoriser les deux théâtres en intensifiant leur rôle de
rayonnement culturel et en élargissant leur champ d'action. Il est
prévu de créer une dynamique à l'intérieur et
autour des lieux tout en équilibrant la diffusion des spectacles pour
fidéliser la clientèle. Enfin, l'objectif est de favoriser les
échanges grâce au partenariat avec les autres salles et en
favorisant la résidence en vue de créations locales pour les deux
théâtres.
3) Des actions de formation
Tant au niveau de l'établissement que dans le cadre du
contrat de plan Etat-Région-Département, l'O. D. C. doit mettre
l'accent sur la formation. Elle se situe à trois niveaux : interne,
externe et mixte. Il a un rôle à jouer afin d'être
performant et pour consolider les capacités professionnelles. Cet
objectif vise à former le personnel de l'établissement et
à contribuer à la formation du personnel communal et associatif
ainsi que les artistes.
4) Des actions de coopération
avec les partenaires
La Réunion occupe une place relativement
privilégiée dans la région de par son statut de
département français d'outre mer avec ses
spécificités aujourd'hui reconnues.
En outre, le développement culturel a permis à
l'île de se doter d'outils et d'équipements culturels performants.
Au delà de tous les circuits officiels, le statut associatif de l'ODC
devrait permettre de jeter les bases d'une véritable coopération
régionale dans la zone de l'Océan Indien à partir des
différents « accords cadres » existants. Cette
coopération vise à valoriser les richesses culturelles des
différents pays sur le plan de l'histoire, du patrimoine et de l'art
dans le cadre de partenariat avec des centres culturels. Elle a
également pour objectif de favoriser la formation des personnes issues
des différents pays tels que l'Australie, l'île Maurice,
Madagascar, l'Afrique du sud, l'Angola, le Zimbabwe, l'Inde...
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