jeudi 25 octobre 2012

Litterature de la Réunion


L'identité et le spectacle vivant à
La Réunion/ Virginie Verbaere
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : la formation d'une identité originale...
I. Introduction : le passé pour mieux comprendre le présent
II. L'identité culturelle réunionnaise : Pluralité ou unité ?
III. Mutations socio-culturelles et formation identitaire
DEUXIEME PARTIE : ... exprimée à travers les secteurs culturels
I. Introduction : définition du terme « culture »
II. Identification des vecteurs d'une culture
III. Les vecteurs de l'identité
TROISIEME PARTIE : l'expression identitaire : analyse sur le terrain
I. Introduction
II. L'environnement de l'O.D.C.
III. L'Office Départemental de la Culture
CONCLUSION
TABLE DES MATIERES
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

Introduction

La Réunion c'est la France et ça ne l'est pas.
Ses habitants sont arrivés sur cette île1(*), à l'origine non habitée et à l'écart de la route des marchandises, souvent par déplacement forcé. La Réunion est ainsi devenue le creuset d'une identité multiple, mêlant les cultures africaines, européennes, asiatiques et indiennes (hindouiste et musulmane), à tel point qu'en ce lieu le terme même d'identité devient une notion difficilement situable.
Le sens du concept d'« identité » est fluctuant et les définitions qu'on lui attribue sont multiples, qu'il s'agisse de l'identité individuelle ou de l'identité collective.
Selon le dictionnaire Robert, l'identité est « le caractère de ce qui demeure identique à soi-même ». Si l'on se réfère au « Dictionnaire des notions philosophiques » de PJ. Labarrière, on peut même dire que c'est le « caractère de ce qui est identique, qu'il s'agisse du rapport de continuité et de permanence qu'un être entretient avec lui-même, à travers la variation de ses conditions d'existence et de ses états, ou de la relation qui fait que deux réalités, différentes sous de multiples aspects, sont cependant semblables et même équivalentes sous tel ou tel rapport ». L'identité culturelle désignera alors « le fait, pour une réalité, d'être égale ou similaire à une autre dans le partage d'une même essence...».
Elle est un système structuré, ancré dans le passé (les racines, la permanence), dans des comportements actuels et dans une perspective (projet, idéaux, valeurs). Elle coordonne des identités multiples associées à la personne (identité corporelle, caractérielle...) ou au groupe (rôles, statuts). Tous ces éléments de définition renvoient essentiellement à l'identité individuelle.
Claude Lévi-Strauss2(*), quant à lui, a défini l'identité comme un concept inséparable de celui d'altérité. Exclure l'autre entraîne une vision réductrice car il est impossible de concevoir l'individu en dehors des relations qui le lient à l'autre.
En ce qui concerne l'identité collective, il faut l'envisager comme un concept pluriel car il implique plusieurs acteurs. Les concepts de «caractère national» et d'«identité authentique», traditionnellement perçus comme relevant d'une réalité stable, font aujourd'hui l'objet d'un réexamen critique, pour être conçus comme des notions pluridimensionnelles plus modernes, les identités bâties par différents groupes sociaux, à différents moments de leur histoire, se juxtaposant pour constituer une mosaïque. Les parties s'organisent alors pour former le tout.
Qu'il s'agisse d'une société, d'un groupe ou d'un individu, la définition de leur identité fait toujours appel à un ensemble d'éléments, de définitions et de sentiments. Le sentiment d'identité est lui-même composé de différents sentiments : sentiment d'unité, de cohérence, d'appartenance, de valeur, d'autonomie et de confiance, organisés autour d'une volonté d'existence. Ces « référents » sont multiples : référents matériels et physiques, référents historiques, référents psychoculturels (croyances, codes, vision du monde, normes groupales, système de valeurs, expressions diverses), les référents psychosociaux (statut, grade, qualités/ défauts, vécu, projets, motivations, stratégies). L'identité est toujours en transformation puisque ses contextes de références sont toujours en évolution.
Lorsque l'on essaie de définir sa propre identité, l'identité de son groupe d'appartenance ou l'identité d'un autre individu ou groupe, on choisit quelques éléments de définition dans cet ensemble de catégories et rares sont les définitions identitaires complètes qui utiliseraient tous les déterminants ci-dessus.
Selon quels référents, peut-on alors appréhender l'identité (ou les identités) réunionnaise ?
En tant que zone particulièrement active de traduction, d'interprétation et d'appropriation culturelle, la culture réunionnaise est devenue exemplaire de tous les phénomènes de créolisations.
Le mot « créole » a de nombreux sens. Il peut aussi bien désigner une personne qu'une langue. Créole veut dire « mélange ». En ce qui concerne le créole réunionnais, les avis sont partagés. Certains parlent d'un vieux français transformé mais sans apport d'autres langues. D'autres expliquent que le Réunionnais est un mélange de français, de dialectes africains, de malgache, de chinois, d'hindi et même d'anglais. Le créole parlé à La Réunion diffère sensiblement des créoles parlés à Maurice, à Rodrigues ou aux Seychelles mais les habitants de ces îles arrivent à se comprendre les uns les autres. Il s'est constitué au cours de la période coloniale au 18ème siècle, né du besoin de communication entre esclaves de différentes origines, d'une part, et entre les esclaves et les colons, d'autre part. Cette langue a été progressivement forgée par les esclaves, par déformation et simplification du français usité par leurs maîtres dans les plantations. Chaque population d'origine diverse a contribué à l'élaboration sur place d'un parler et d'une culture typique qu'est le créole. Un véritable système linguistique émergea alors : à la langue maternelle de chacun s'ajouta un nouveau parler commun à tous qui est l'expression d'une culture spécifique et un facteur d'identité insulaire.
La grammaire et l'orthographe de cette langue orale et métissée n'ont été fixées que tardivement. Nous ne pouvons faire la moindre étude sur l'identité des réunionnais sans prendre en compte le terme « créole » ainsi que la notion de « métissage ». Le mot métissage doit également être manié avec précaution car son emploi dans un sens biologique favorise les paradoxes et la stigmatisation. Au début, dans ces tropiques qui reçoivent les premiers français, le métissage rappelle l'illégitimité et fait même l'objet d'une réglementation spéciale: on se met à surveiller l'hérédité et à prendre des dispositions pénales contre les mariages mixtes dangereux pour l'ordre colonial. La société coloniale, « tout en mélangeant les couleurs et en atténuant du même coup les différences, en perpétue les distinctions »3(*). L'apparition d'une catégorie apparentée à la fois aux maîtres et aux esclaves brouille en effet la hiérarchie installée. La doctrine coloniale applique alors le cantonnement par la fameuse ligne de couleur, qui faisait un partage sans faille entre les Blancs et tous les autres, pour contrer leur ascension sociale.
Dès lors, comment avoir à propos du mot métissage un jugement positif, comme on semble le faire aujourd'hui ? Le mot est dans «l'air du temps», permettant de qualifier les sociétés plurielles dans lesquelles nous vivons, de reconnaître la richesse des apports multiples. L'usage du terme n'est en fait pas innocent. Qui dit métis ou métissage, émet l'idée d'une fusion entre deux êtres séparés par des apparences différentes. Ceci explique sa puissance symbolique qui renvoie de l'accouplement des corps jusqu'au mariage des cultures.
Pourquoi l'expression métissage culturel est rentrée dans le discours courant alors que d'autres termes signifient déjà les rencontres de culture, comme acculturation, assimilation, intégration ? Ceux-ci donnent peut être le sentiment d'un déséquilibre dans les contacts, renvoyant à l'impression d'une perte pour l'une des partie. Lorsqu'il est débarrassé de ses connotations négatives, le terme de métissage donne au contraire l'image d'une rencontre plus symétrique et d'un lien plus serré (au-delà d'une union physique...) L'usage actuel évoque aussi une continuité où les individus assument leurs choix dans une société où la pluralité des traditions renvoie à une pluralité d'origines. Chaque choix aboutit à une réalité nouvelle formée de diverses composantes. Cette vision est cette fois-ci positive car elle donne une chance au «mixte d'exister comme réalité ».
L'exemple réunionnais prouve que le métissage, en tant que phénomène social, peut servir de lien à la société car il favorise des relations privées et intimes entre des individus d'origines divers. C'est grâce à lui que peut être évitée la formation de communautés repliées sur elles-mêmes et sur leurs cultures.
C'est sur ce que René Depestre4(*) appelle joliment le «métier à métisser» que s'est fabriqué la créolisation, ce «métabolisme culturel né sur place». Les individus ne peuvent que reconnaître l'Autre en eux, intérioriser la diversité et être capable de donner un sens global à ce qui paraît hétérogène. D'où le refus désormais proclamé, chez certains créoles, de choisir parmi leurs héritages mais au contraire de tous les assumer. Mais il arrive fréquemment aux habitants de l'île de reformuler de multiples manières la question : « qui sommes-nous ? ». Serait-ce que les identités sont aujourd'hui bousculées ou en crise ?
Il faut s'interroger sur les transformations de la culture et le désir de partir à la recherche des origines perdues, sur la manière dont les identités culturelles se créent, se fixent et peuvent remettre en cause l'adaptabilité de la société réunionnaise. Cette question en appelle une autre qui implique l'analyse des modalités de revalorisation des cultures d'origines, car ce processus peut aller de pair avec l'affirmation d'une identité multiculturelle, qui s'est pourtant façonnée en ce lieu au dépend de son ouverture sur le monde. Elle participe ainsi à l'enrichissement et à la diversité de la Francophonie en évoluant parallèlement à la culture métropolitaine française dans laquelle, elle doit aussi, à sa manière, s'intégrer.
Dans un monde confronté au défi de la globalisation des échanges dont l'une des conséquences est l'uniformisation de la culture, la Réunion semble vouloir définir et affirmer sa culture, comme son identité, dans une forme de multiplicité.
Pour mieux cerner donc ce qui façonne l'identité des réunionnais et comprendre comment elle s'exprime et se fait entendre il semble important de se pencher sur leur passé.
En effet, l'analyse historique concernant la formation, la composition et l'évolution de la société réunionnaise pourra nous permettre d'appréhender plus justement ses attentes en matière de quête identitaire.
Une fois ce thème exploré, nous porterons ensuite notre intérêt sur la façon dont cette identité s'exprime et par l'intermédiaire de quels vecteurs culturels et artistiques elle le fait.
Nous nous pencherons enfin sur un exemple concret à travers l'observation et l'analyse effectuée durant un stage à l'Office Départementale de la Culture, pour tenter de mieux comprendre comment une telle structure culturelle, et l'environnement dans lequel elle s'inscrit, peuvent répondre aux attentes des réunionnais en matière d'identité...
* 1 Cf. Annexe 1 : carte de La Réunion
* 2 LEVI-STRAUSS C., 2000, L'Identité, Presses Universitaires De France, Paris, 344p.
* 3 LUCAS R., 2003, Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition Karthala, Université de La Réunion, 228p.
* 4 DEPESTRE R., 1998, Le Métier à métisser, Stock, Paris, 264p.

Première Partie : La formation d'une identité originale...

I. Introduction : le passé pour mieux comprendre le présent

A. Une méthodologie

C'est par le biais de l'Histoire que nous pouvons cerner la diversité culturelle qui caractérise l'île de La Réunion. Les mouvements migratoires qui s'y sont déroulés expliquent peut-être l'aspect actuel de l'île que l'on pourrait définir « d'interculturel » ou « pluriethnique ».
L'interculturalité est entrée dans le vocabulaire courant pour désigner « des situations mettant en présence des groupes ethniques, donc des relations interethniques, dans une société où le pluralisme culturel et ethnique est présent, soit de manière institutionnelle soit en tant que situation de fait (sociétés culturellement hétérogènes mais dont le pluralisme n'est pas nécessairement reconnu sur le plan institutionnel). Dans les sociétés créoles on a vu naître parfois des « communautés », « des groupes communautaires », des « groupes ethniques »... » 5(*). On se limitera ici à désigner sous l'appellation de dynamique identitaire le fonctionnement de certains espaces interculturels, leurs évolutions internes, qui ne peuvent être appréhendées qu'à travers l'analyse de l'histoire.
Nous verrons également qu'en quelques années, on est passé d'une société de plantation à une société de forme moderne. Il est important de s'inscrire dans un processus historique. Ainsi notre approche sera-t-elle chronologique.

B. Historique du peuplement de l'île

L'histoire de la réunion est celle, spécifique, d'une succession de vagues migratoires qui fait d'elle une société pluriethnique6(*) : Africains, Malbar, Tamoul, Chinois et depuis la départementalisation en 1946, des métropolitains en majeure partie fonctionnaires.
C'est en 1663 que débute le peuplement permanent de l'île « Bourbon » par deux français venu avec des malgaches. Propriété de la Compagnie Française des Indes Orientales de 1667 à 1767, la colonie de Bourbon est appelée définitivement La Réunion en 1848. Les français arrivent, s'installent et/ou repartent de manière continue et viennent au début principalement de Bretagne et de Normandie7(*).
Au début, les habitants se livrent surtout à l'oisiveté, jusqu'à l'arrêté de 1715, imposant aux propriétaires d'esclaves de cultiver du café. L'île devient alors une colonie agricole. Ce développement exige une main d'oeuvre abondante : la société bourdonnaise déjà métisse fait venir des esclaves malgaches puis africains du Mozambique ou de Zanzibar.
On décide en métropole en 1815 d'étendre la culture de la canne à sucre qui deviendra rapidement une monoculture. La traite étant interdite depuis 1817, mais l'exigence de main d'oeuvre étant toujours aussi grande, les propriétaires continuent à faire entrer des esclaves de manière clandestine mais font également venir des engagés, majoritairement des Indiens puis des Chinois. De l'abolition de l'esclavage en 1848 à la Départementalisation en 1976, cette société de plantation vit une véritable crise. La société est complètement déséquilibrée avec l'arrivée d'un nombre très important de travailleurs libres entre 1860 et 1882 (d'engagés Indiens qui sont recrutés dans les comptoirs français de l'Inde et des Africains du Mozambique). Ils travaillent essentiellement la culture et l'industrie du sucre.
Les affranchis sont mis en marge de cette société et les engagés ne sont pas intégrés.
Des chinois qui utilisent la même langue écrite mais parlent deux dialectes différents immigrent spontanément à la fin du 19ème siècle pour travailler dans les plantations de canne à sucre et dans le commerce.
Au début du 20ème siècle, des musulmans viennent du nord-ouest de l'Inde parlant plusieurs langues. Ils oeuvrent dans le commerce.
Jusqu'à la départementalisation en 1946, le système du salariat agricole mis en place par les propriétaires des grands domaines perpétue les conditions de travail de l'engagisme. Pendant cette période la situation sociale de l'île est catastrophique. Sur le plan politique, l'apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie est loin d'être achevé. La réunion est une société fortement hiérarchisée sous le contrôle d'une métropole européenne et d'un groupe local lié aux grands propriétaires Français métropolitains qui immigrent au milieu du XXème. La départementalisation en 1946 changera progressivement les données sociales et politiques tandis que récemment, des Mahorais, venant de l'île Mayotte dans l'archipel des Comores s'installent et enrichissent cette société qui s'est métissée tout au long de l'histoire.
* 5 LUCAS R., 2003, Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition Karthala, Université de La Réunion, 228p.
* 6 Cf. Annexe 2 : Carte des migrations
* 7 SCHERER A.,1980, La Réunion, Coll. Que sais-je ? n°1846, Presses Universitaires De France, Paris, 127p.

II. L'identité culturelle réunionnaise : Pluralité ou unité ?

A. Groupes ethniques : Peut-on parler de pluralité ?

La question de l'identité culturelle est d'autant plus importante à La Réunion que celle-ci devient complexe par rapport au caractère pluriel des groupes composant la communauté réunionnaise et de pratiques spécifiques dépendantes du processus transculturel.
La connaissance de phénomènes culturels est déterminante dans le destin individuel et collectif des populations.
Peut-on parler à La Réunion de pluralité ethnique et en quels termes rendre compte de cette pluralité ?
Dans quelle mesure cette éventuelle pluralité est-elle synonyme de pluralité culturelle ? Existe-t-il une culture réunionnaise qui souderait les diversités ethniques et religieuses ? avec quel contenu ?
Le colloque dirigé sur l'espoir transculturel à La Réunion8(*) peut nous guider pour répondre à ces interrogations.
Dès l'origine, la société réunionnaise est complexe et multiculturelle. Ses membres partagent cependant un territoire9(*), une île, et une histoire spécifique. En ce sens elle se distingue des autres sociétés. Vivre dans un contexte de pluralisme culturel n'est plus étonnant aujourd'hui car les sociétés « simples », comme le disent les ethnologues, sont de plus en plus rares.
Un problème se pose étant donné le brassage ethnique très important au cours de l'histoire de La Réunion. Ainsi, si l'on considère que les Métis constituent un groupe important, la catégorisation et l'évaluation numérique de ce groupe se révèle difficile. En fait, ce qui importe, c'est la perception qu'un individu se fait de son identité.
Il ne s'agit pas donc de quantifier les groupes ethniques mais de comprendre leur place et leur fonctionnement au sein de la société réunionnaise. Il faut analyser la dynamique sociale où les groupes sont en interaction en fonction de leurs systèmes de valeurs qui sont déterminés grâce à leurs appartenances socio-culturelles.

1) La dualité : population blanche et population noire

(a) Les « zoreils » ou métropolitains
Ils sont entre quatre-vingt dix et cent vingt mille. Les Français venus de la métropole pour s'installer sur l'île sont appelés Les "Zoreils" ou "Métros". En créole réunionnais ces termes désignent un étranger. Pour l'anecdote, l'origine du mot est très discutée. Un étranger ne comprend pas quand on parle créole. On dit alors qu'il ne "zoreil" rien du tout. Par extension, celui qui ne "zoreil" pas ce qu'on dit est un "zoreil". On explique aussi que, du temps de l'esclavage, le "zoreil" était le propriétaire. Les esclaves évitaient de trop parler d'évasion quand les zoreils étaient dans les parages.
Enfin, aujourd'hui ce mot désigne des métropolitains sans qu'il y ait quoi que ce soit de péjoratif. Certains métropolitains sont installés dans l'île depuis longtemps et sont devenus au fil des ans aussi Réunionnais que les natifs du département. D'autres, en revanche, fonctionnaires pour la plupart, ne sont que de passage. Par ailleurs cette immigration métropolitaine aura eu des conséquences sociales et humaines non négligeables sur une population dont la mentalité est loin d'être tout à fait occidentale. Mais notons que la spécificité de La Réunion est d'être une des rares colonies françaises à avoir comporté deux groupes distincts : un noyau dominant qui a détenu les rênes du pouvoir « les Gros blancs » dans la société de plantation et un prolétariat constitué de « Petits Blancs ». Cette spécificité qui met les « Blancs » à tous les niveaux de l'échelle sociale et d'intégration économique va favoriser le lien entre cette communauté et les autres. La comparaison avec les autres colonies françaises et les autres Départements d'Outre Mer (DOM) révèle ainsi, de par cette spécificité, qu'il y ait eu plus de métissage à La Réunion qu'ailleurs où les européens étaient et sont encore parfois très mal intégrés.
* 8 REVERZY J.F., MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan, Paris.
(b) La population noire
L'importation d'esclaves africains
Les Africains constituent environ entre 4 et 5% de la population et ils sont appelés "Cafres". Les Malgaches, qui furent à l'origine de l'occupation définitive de l'île, se sont largement métissés avec les Européens puis les Créoles. Au début de la colonisation, la Compagnie des Indes encourage et organise la traite des noirs pour des raisons économiques10(*). Ils sont achetés comme esclaves pour travailler dans des conditions très rudes dans les plantations de canne à sucre puis de café. Ils viennent de la côte orientale d'Afrique, où les trafiquants arabes et portugais sont d'efficaces fournisseurs. Qualifiés indifféremment de "Kafir", un mot arabe qui signifie infidèle, ces africains appartiennent en réalité à différents peuples parfois issus de très loin à l'intérieur du continent. S'y ajoutent des esclaves malgaches, encore plus nombreux : ils appartiennent à des tribus de l'intérieur que les côtiers razzient dans l'unique but de vendre les prisonniers.
Tendance à la rébellion
La plupart des esclaves se rebellaient et beaucoup saisissaient la moindre occasion pour s'enfuir. L'île est suffisamment accueillante pour faire vivre un homme en autarcie dans les hauteurs. On appelle ces esclaves les « marrons » parce qu'ils pratiquaient le « marronnage ». On comprend mieux le sens de ce mot lorsqu'on connaît son origine : il vient de l'espagnol « cimarron » qui veut dire « animal domestique échappé et redevenu sauvage ». Cette attitude était sévèrement punie et parfois même par la mort.
Quelques blancs ruinés par la crise du café et la fin de l'exploitation de l'île par la Compagnie des Indes les avaient rejoints par la suite dans les hauteurs de l'île pour cultiver les terres. La population des hauts augmentait avec ces nouveaux arrivants et les zones centrales de l'île se peuplèrent. Ainsi, les régions au centre de l'île comme par exemple les cirques de Cilaos et de Mafate, portent des noms d'origine malgache11(*).
Communauté mise à l'écart puis reconnue
Les descendants d'esclaves africains, avec l'acculturation, le métissage et une idéologie coloniale ne reconnaissant aucun droit culturel aux Africains, ont perdu une grande partie de leurs repères culturels et de leurs liens avec l'Afrique. De plus, la situation des descendants d'engagés africains qui, jusqu'à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, étaient encore exploités comme des esclaves fait qu'aujourd'hui, « leurs descendants accusent un retard considérable au niveau des responsabilités économiques, politiques et sociales »12(*). Depuis quelques années, nous assistons à un renouveau des formes culturelles par lesquelles cette présence s'exprime, notamment la musique. Nous pouvons aussi observer une détermination à faire reconnaître la population d'origine afro-malgache en « luttant contre les discriminations sociales et économiques qui persistent contre les individus et groupes héritiers de l'esclavage » selon les propos de la politologue Françoise Vergès1. Des travaux sur la manière dont le racisme colonial s'est ancré dans la langue et les attitudes ont aussi montré combien il serait illusoire de penser que le poids des représentations et des inégalités produites par l'esclavage ne pèse plus sur la société réunionnaise13(*). « Ce travail de reconnaissance, de ré appropriation et de restitution est en train de transformer profondément la société réunionnaise », précise Françoise Vergès, en ajoutant toutefois que les Réunionnais connaissent peu ou très mal l'Afrique : « Ils ignorent tout de sa diversité politique et culturelle. Les médias véhiculent encore trop souvent des stéréotypes et des clichés, reprises par la doxa réunionnaise. Rien ou si peu est enseigné sur ce continent dans les écoles et l'université. Il y a donc tout un travail d'information à faire sur l'Afrique ». Françoise Vergès a en outre déclaré que « la culture est devenue un enjeu central dans la géopolitique et l'économie du monde actuel. La diversité culturelle est plus que jamais reconnue comme participant à l'élaboration d'un monde plus juste et pluriel. Il y a donc un intérêt certain pour les descendants d'esclaves et pour tous les Réunionnais de participer à cet avènement». On note donc ici la volonté de ne pas fermer les yeux sur la communauté originaire d'Afrique. La condition de « noir » rappelle celle d'un passé douloureux, l'esclavage, que la plupart des réunionnais qui en sont originaires refoulent pour se construire. De plus, les stéréotypes laissés par la colonisation mettent les noirs dans une situation d'infériorité sociale, comme étant incapables d'accéder socialement et professionnellement à la classe privilégiée. Ces stéréotypes issus du passé expliquent aujourd'hui le combat mené par des réunionnais qui s'assument en tant que tels, contre cette tendance à oublier une quelconque filiation avec cette communauté ou d'en effacer l'apparence.

2) La population Indienne

(a) Les vagues d'immigration Malbars/Tamouls
Un arrêté du 18 mars 1859 a interdit tout recrutement de main d'oeuvre sur la côte d'Afrique, à Madagascar et aux Comores14(*). La venue des Indiens dans l'île date d'après l'abolition de l'esclavage (1848). Ils avaient été engagés pour la canne à sucre. Ces Indiens « engagés » de La Réunion sont appelés « malbars » mais précisons que cette appellation de "malbars" n'est pas très juste puisque la plupart des travailleurs indiens ont été amenés de la côte de Coromandel et du Sud de l'Inde15(*). Les Indiens véritablement d'origine malabare ont été les premiers arrivés à la fin du XVIIIe siècle. Tous les Indiens tamouls venus par la suite ont tout naturellement été appelés "malbars".
Entre 1846 et 1885 (date de la fin de l'engagiste indien) plus de 80 000 personnes sont venues dans cette colonie. Chaque engagé était muni de son livret d'engagement servant à la fois de passeport et de pièce d'identité. Il comprenait le signalement du travailleur.
De tous ces Indiens engagés, le plus grand nombre fut rapatrié à l'expiration de leur contrat. Mais beaucoup restèrent et évoluèrent dans l'île.
(b) Evolution sociale
Dès la fin de la guerre, les fils des familles "malbars" n'ont pas voulu perpétuer une tradition de petits employés. Leur train de vie est souvent bien supérieur à celui du Réunionnais moyen. Mais cette réussite ne concerne qu'une infime partie de la communauté : la plus grande partie connaît encore des conditions de vie très modeste même s'ils vivent mieux qu'au début du siècle dernier. Si les Indiens à La Réunion n'ont pas instauré le système de castes que l'on retrouve sur le continent indien, la fortune en a instauré un autre. En effet les mariages entre tamouls riches et pauvres sont difficiles pour ne pas dire impossibles. A leur arrivée à Bourbon, ils se sont installés autour des usines de canne à sucre et des chapelles tamoules se sont construites à proximité pour perpétuer leur culte. Ces Indiens sont aujourd'hui profondément occidentalisés : les langues indiennes ne sont plus ou peu parlées.
En outre, au fil du temps, la communauté tamoule, soumise au bon vouloir des propriétaires terriens qui l'avaient engagée, a perdu une partie des coutumes de ses ancêtres. Les Indiens engagés n'avaient pu pratiquer leur culte car nombre de propriétaires leur avaient interdit la pratique religieuse ou refusé un endroit où bâtir un temple. Or ce droit leur était clairement accordé dans les contrats qu'ils avaient signés. Mais la tendance s'est inversée : les tamouls de l'île ont pris conscience de leur identité propre et les contacts avec l'île Maurice, plus liée à l'Inde, encouragent les "malbars" de La Réunion a retrouver leur passé et leur coutumes. Outre les marches sur le feu, les sacrifices des animaux, la pratique de la religion reprend sa place au sein de la société tamoule. Les jeunes garçons réapprennent le sens des cérémonies tandis qu'aux jeunes filles on enseigne les gestes des danses sacrées traditionnelles.
Enfin, dans cette recherche d'une identité culturelle s'inscrit aussi une recherche religieuse qui laisse la liberté au tamoul de choisir de vivre sa culture soit du côté de l'hindouisme, soit du côté du christianisme. Culture et religion peuvent vivre indépendamment l'une de l'autre, bien que l'une reste quand même liée à l'autre.
* 14 http://www.iledelareunion.net/peuple_de_la_reunion/malabar.php

(c) Intégration
Ce groupe Malbars/Tamouls a été perçu à l'intérieur de la société globale comme une catégorie ethno-culturelle particulière jusqu'à la période contemporaine. La perception du groupe a varié selon les contextes socio-historiques. Du statut d'immigré engagé à celui de Réunionnais d'origine indienne, un processus d'intégration lent et ponctué de crises s'est mis en marche. Ceci illustre la difficulté de vivre dans la société d'accueil. En nous appuyant sur les travaux de Raoul Lucas16(*) nous allons étudier comment ce groupe perpétue et invente son identité.
L'influence indienne a eu lieu dès leur arrivée avec le métissage d'une partie des premiers habitants avec des femmes indiennes. Puis la créolisation, générale, est venue dissoudre celui-ci. La perception de l'indianité est liée à la présence des travailleurs engagés dans les plantations de canne à sucre. Ce n'est qu'à partir de 1850 que les indiens ont été clairement perçus comme nouvelle composante sociale de l'île après l'abolition de l'esclavage (en 1848). Les indiens ont vite été perçus comme gênants par ceux qui voyaient en eux des étrangers aux moeurs bizarres venus voler leur travail. Sentiment d'hostilité qui a été renforcé par la situation de mise en marge de cette catégorie ethno-culturelle. Un contrôle de la part des propriétaires pesait sur eux et les rares moments de liberté étaient employés pour les fêtes religieuses, manifestations les plus fortes de la solidarité du groupe. Lors de ces occasions, les processions et les rites spectaculaires apportaient au reste de la population les preuves d'une différence culturelle. Cette différence a engendré la méfiance, voire l'hostilité. Certains grands propriétaires prenaient leur défense mais les autres défendaient la population créole en mal économique et en recherche d'emploi. Pourtant, malgré cette exclusion, les contacts interculturels ont existé très tôt entraînant des transformations sociales profondes parmi les couches populaires de l'île : le métissage, l'adhésion à des pratiques propres à l'hindouisme par des membres non originaires d'Inde. Très vite, ils font figure d'anciens sur l'île et s'expriment en créole réunionnais.
Les descendants d'indiens sont de moins en moins mis à l'écart de la société réunionnaise, même s'ils sont encore victimes de représentations caricaturales, ils sont de plus en plus montrés comme les détenteurs d'un héritage culturel à valeurs morales et spirituelles.
Toutefois, la méfiance resurgit aujourd'hui quand un indien fait de la politique et lorsque la presse commence à véhiculer un militantisme culturel tamoul vu comme un positionnement politique de revendication au sein de cette nouvelle société en plein processus de décolonisation. Mais globalement les indiens sont considérés comme des « Réunionnais d'origine indienne ou tamoul » (Raoul Lucas Sociétés plurielles dans l'océan Indien. Enjeux culturels et scientifiques). Ce n'est plus seulement une communauté s'exprimant dans un domaine culturel et religieux. De même la notion d'indianité s'est déplacée : ce n'est plus la seule malabarité réunionnaise, elle tend à associer certains trait culturels indo-musulmans et du groupe des pondichériens. Elle s'élargit parfois même jusqu'au gandhisme ce qui permet d'établir des ponts culturels entre ces différents groupes d'origines indienne.
« En 150 ans environ de présence indienne clairement ressentie, le discours sur l'indianité dans la presse réunionnaise a évolué selon deux modalités : quantitativement (...) et qualitativement. L'immigré indien au « tam-tam assommant », le « métèque insolent », a cédé lentement la place au « Malbar »(...) »17(*). L'appréhension de l'Autre s'est transformée en acceptation de l'Autre et de la différence.
On peut y voir cependant un risque : à force de mettre sur le devant de la scène le courant de l'indianité, d'inscrire les festivités dans le calendrier culturel réunionnais (jour de l'an Tamoul, le dipavali) les pratiques culturelles et religieuses des indiens se transforment en une sorte de produit, « d'Offre Publique d'Appropriation »1. Cette tendance semble provenir de ceux qui détiennent le pouvoir politique et administratif au profit d'une identité réunionnaise, elle-même à sa recherche, qu'ils tentent de structurer et consolider.
* 16 LUCAS R., 2003, Sociétés plurielles dans l'océan Indien, Edition Karthala, Université de La Réunion, 228p.

3) Les Chinois et les Zarabes

(a) Histoire de l'immigration et de l'assimilation des Chinois
Selon des chiffres issus d'Internet cette population constituerait environ 5% de la population réunionnaise. On peut dire que les Chinois constituent l'une des plus faibles minorités ethniques de la population mais leur impact socio-économique est indiscutable.
Mais, d'après Edith Wong-Hee-Kam18(*) il est difficile de chiffrer exactement le nombre actuel de Chinois dans l'île.
Vagues d'immigration et comportements communautaires
L'immigration chinoise à La Réunion ne s'est pas effectuée de manière linéaire et elle a comporté des phases distinctes. Il tend malheureusement à s'imposer dans la vision du public réunionnais une vision faussée consistant à voir l'engagement des ouvriers agricoles du milieu du XIXe siècle comme le point de départ de l'implantation chinoise19(*).
Les Chinois vont trouver dans la société de plantation entièrement tournée vers la production et l'exportation du sucre, une niche économique qui leur servira de point d'insertion. Les Mascareignes deviennent une zone d'attraction; cela permet aux Chinois (en particulier aux Cantonais) de débarquer dans les principales rades de La Réunion, aidés par leurs réseaux inter-insulaires qui assurent leur accueil.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale une nouvelle phase démarre: le groupe hakka, qui s'était imposé progressivement sur le plan numérique et économique à Maurice depuis le début du XXe siècle, constitue peu à peu un bastion dans le sud de La Réunion, tandis que les Cantonais restent présents dans les autres zones. Cette étape de l'implantation est marquée par une grande cohérence ethnique à l'intérieur des deux principaux groupes linguistiques. Les Chinois structurent leur vie politique autour d'associations volontaires et vivent dans l'optique du retour. Leur mode de fonctionnement dans cette période illustre bien une constatation de Edith Wong-Hee-Kam : « On est d'abord frappé par la présence, d'un bout à l'autre de l'océan Indien, de ces communautés apparemment fermées sur elles-mêmes et tournées exclusivement vers le négoce ou le prêt d'argent (...) . Ce qui caractérise ces communautés, ce n'est pas, à vrai dire, la religion qu'ils professent et qui peut être très diverse...C'est bien plutôt la manière dont ils la vivent, à la façon des « minorités » closes et différentes du reste de la société où ils s'installent. » Toujours proches des autorités, sans jamais avoir elles-mêmes directement accès au pouvoir. Cette cohésion est cimentée aussi par le désir de préserver un patrimoine culturel, en particulier en inculquant aux enfants une éducation chinoise et en créant des écoles privées.
* 18 WONG-HEE-KAM, 1996, La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion, Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.
* 19 Cf annexe 2 : carte des migrations

L'acculturation prônée par la Métropole : une certaine résistance
Cependant, est ouverte la voie de l'intégration. Celle-ci est reconnue (du moins dans la perception qu'en a la société réunionnaise.) et s'est faite en un laps de temps relativement limité.
Ses premiers vecteurs ont encore été le métissage et le rôle joué par l'Eglise Catholique qui a propagé les influences occidentales et créoles au coeur de cette communauté qui avait manifesté ailleurs une grande réceptivité à l'évangélisation. L'église Catholique a mené une politique d'évangélisation active, et elle s'est efforcée d'ailleurs d'adapter certains rituels traditionnels chinois à ses cérémonies.
Le système scolaire a permis l'échange entre différentes communautés qui campaient sur leurs positions.
Les répercussions culturelles se font sentir de façon importante chez les jeunes tournés vers les modèles que divulguent les médias et les idéaux occidentaux inculqués par le système éducatif. Coupés en définitive de leurs racines, les chinois, tout en ne disposant que d'une culture française relativement superficielle sont influencés par les valeurs diffusées par la métropole. Ils découvrent les vertus de l'indépendance, s'éloignent de la solidarité familiale. Il en découle des conduites qui sont contradictoires avec les valeurs chinoises vécues par les parents de milieu traditionnel. Ces communautés ne sont plus seulement des minorités fermées sur elles-mêmes et s'intègrent parfaitement dans le système politique, signe d'une intégration culturelle.
En réaction, on assiste à une résistance, tant chez les anciens que chez les jeunes d'aujourd'hui. Certain refusent en effet une « déculturation » et prônent le retour aux valeurs ancestrales. Ils rejoignent ainsi le mouvement indien des Tamouls, sans en avoir le militantisme. Mais leurs mises en gardes ont peu de chance d'être entendues car elles se font en langue chinoise. Les parents tentent alors d'inculquer à leurs enfants certaines normes chinoises (éthique du travail, importance de la famille, idéal du lettré), Ainsi que les façons de s'habiller, l'architecture et le mode d'alimentation, la pertinence de certains rituels religieux.
On peut se demander si ce retour aux sources chinoises n'est pas, contrairement aux apparences, l'expression d'un processus d'intégration irréversible à cette société créole tournée vers l'Europe. Si l'alliance endogame permet de perpétuer la tradition, il paraît difficile que celle-ci se transmette de façon intégrale dans une société pluri-ethnique où cohabitent un environnement réunionnais et une occidentalisation favorisée par l'administration française. La coexistence de plusieurs modèles culturels, de surcroît dans un contexte insulaire, amène les Chinois à tenir compte du monde environnant, quitte à adhérer au modèle dominant qui émane de l'Occident pour parvenir à un équilibre.


Les relations avec les autres groupes
Perçue souvent comme une communauté « discrète et fermée », les Chinois ont eu des liens relativement limités avec les autres groupes ethniques, même s'il est vrai que la « boutique » a été un lieu de brassage de l'île qui lui aurait permis d'avoir davantage prise sur ce monde. Quel regard les Chinois portent-ils sur les autres communautés ? Quelles relations ont-ils tissé avec elles par la force des choses ?
Avec les « Tamouls » et les « Malbars »
Les Indiens partagent avec les Chinois de nombreux points communs :
Epoque de recrutement, révoltes d'engagés agricoles, situation de minorité, ambivalence culturelle, découverte de nouvelles normes à intégrer etc. Cependant, ils se sont davantage investis dans le domaine foncier et agricole. Le militantisme tamoul semble étranger aux Chinois qui n'ont pas vécu un bouleversement culturel semblable à celui des indiens, issus du système des castes. Par ailleurs, les Chinois n'ont pas l'influence que les Indiens ont exercée sur la société réunionnaise dans le domaine des représentations du naturel et des possibilités de communiquer avec lui.
Les Indiens éprouveraient une certaine perplexité vis-à-vis des Chinois « du fait de leur profonde discrétion et du refrènement de leurs émotions »20(*). En revanche, les élites des deux groupes se retrouvent dans la même valorisation de la réussite sociale, qu'elle soit d'origine scolaire ou professionnelle.
Avec les « Zarab »
Quels sont les traits partagés par les Chinois avec les autres Asiatiques ? Les Musulmans, (appelés en créole « Zarab », mais qui sont en fait d'origine indienne) ? La société des Mascareignes a constamment tendance à les comparer. Le parallèle est perpétuel : « La réussite des Indiens musulmans, n'est pas moins remarquable (...) une ascension assez comparable par le commerce, que la fidélité à l'Islam n'a pas entravée, et qui indirectement rend hommage à la tolérance réunionnaise » selon Edith Wong-Hee-Kam. Cependant, dans la réalité quotidienne, les relations entre les deux communautés restent limitées, la religion musulmane étant ressentie par les Chinois comme un facteur de ségrégation: le port du voile par les femmes, qui tend à s'imposer au cours de ces dernières années, est perçu de façon assez négative par eux, comme rejet des autres composantes de l'île et comme un enfermement contraire à la règle de l'harmonie sociale. Néanmoins, les Chinois envient les Musulmans et leur cohésion cimentée par l'Islam, regrettant souvent qu'il n'en soit pas de même pour eux, reconnaissant dans le rassemblement dans les mosquées une force dont ils sont loin de disposer, leurs propres temples n'étant plus que le théâtre de rassemblements épisodiques où l'aspect religieux n'est pas le plus déterminant.
* 20 WONG-HEE-KAM, 1996, La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion, Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.

Les relations avec les autres groupes
Perçue souvent comme une communauté « discrète et fermée », les Chinois ont eu des liens relativement limités avec les autres groupes ethniques, même s'il est vrai que la « boutique » a été un lieu de brassage de l'île qui lui aurait permis d'avoir davantage prise sur ce monde. Quel regard les Chinois portent-ils sur les autres communautés ? Quelles relations ont-ils tissé avec elles par la force des choses ?
Avec les « Tamouls » et les « Malbars »
Les Indiens partagent avec les Chinois de nombreux points communs :
Epoque de recrutement, révoltes d'engagés agricoles, situation de minorité, ambivalence culturelle, découverte de nouvelles normes à intégrer etc. Cependant, ils se sont davantage investis dans le domaine foncier et agricole. Le militantisme tamoul semble étranger aux Chinois qui n'ont pas vécu un bouleversement culturel semblable à celui des indiens, issus du système des castes. Par ailleurs, les Chinois n'ont pas l'influence que les Indiens ont exercée sur la société réunionnaise dans le domaine des représentations du naturel et des possibilités de communiquer avec lui.
Les Indiens éprouveraient une certaine perplexité vis-à-vis des Chinois « du fait de leur profonde discrétion et du refrènement de leurs émotions »20(*). En revanche, les élites des deux groupes se retrouvent dans la même valorisation de la réussite sociale, qu'elle soit d'origine scolaire ou professionnelle.
Avec les « Zarab »
Quels sont les traits partagés par les Chinois avec les autres Asiatiques ? Les Musulmans, (appelés en créole « Zarab », mais qui sont en fait d'origine indienne) ? La société des Mascareignes a constamment tendance à les comparer. Le parallèle est perpétuel : « La réussite des Indiens musulmans, n'est pas moins remarquable (...) une ascension assez comparable par le commerce, que la fidélité à l'Islam n'a pas entravée, et qui indirectement rend hommage à la tolérance réunionnaise » selon Edith Wong-Hee-Kam. Cependant, dans la réalité quotidienne, les relations entre les deux communautés restent limitées, la religion musulmane étant ressentie par les Chinois comme un facteur de ségrégation: le port du voile par les femmes, qui tend à s'imposer au cours de ces dernières années, est perçu de façon assez négative par eux, comme rejet des autres composantes de l'île et comme un enfermement contraire à la règle de l'harmonie sociale. Néanmoins, les Chinois envient les Musulmans et leur cohésion cimentée par l'Islam, regrettant souvent qu'il n'en soit pas de même pour eux, reconnaissant dans le rassemblement dans les mosquées une force dont ils sont loin de disposer, leurs propres temples n'étant plus que le théâtre de rassemblements épisodiques où l'aspect religieux n'est pas le plus déterminant.
* 20 WONG-HEE-KAM, 1996, La diaspora chinoise aux Mascareignes : Le cas de la réunion, Université de La Réunion, Editions L'Harmattan, Paris, 496p.




L'identite et le spectacle vivant à La Reunion


par Virginie Verbaere
Université Aix-Marseille III - Administration des Institutions Culturelles 2004
Dans la categorie: Rapports de stage
   
L'économie
Même si leur intégration est difficile à leur arrivée sur l'île, les Chinois finissent par occuper une place originale dans le petit, puis le grand commerce d'alimentation. Ils ont favorisé le développement agricole de l'île en important des épices, la canne à sucre et les cultures fruitières.
Sur le plan commercial ils ont largement contribué à répandre des modèles de réseau de distribution.
Culturel
La population offre à la société Réunionnaise un certain art de vivre : « ils calculent leur effort en fonction de la détente ou de la fête qui doit suivre et récompenser » d'après Edith Wong-Hee-Kam. Leurs pratiques culturelles influencent la venue de spectacles chinois, en particulier des troupes artistiques qui effectuent des tournées dans l'océan indien tel que le ballet de Pékin. De plus, il existe quelques troupes de danse localement installées.
Enfin comme le dit si bien Selim Abou22(*), « La libre expansion du moi dont rêve l'émigrant et à laquelle il aspire, n'a de sens que si elle est reconnue par les autres. A ses yeux, les autres- dans son pays comme dans le pays d'immigration- ne sont là que pour être les témoins admiratifs de son triomphe ».
Mais ce triomphe n'est jamais définitivement acquis, et les Chinois de la Réunion sont tributaires du destin politique de l'île et donc, de l'incertitude.
* 22 ABOU S, 1986, L'identité culturelle. Relations interethniques et problèmes d'acculturation, ed. Anthropos, Paris, 235p.
(b) Les Zarabes
Biens que les Réunionnais les appellent «  Zarabes », les premiers musulmans de la Réunion sont originaires d'Inde et plus précisément de la région située au nord ouest, entre Bombay et la frontière pakistanaise. Ils sont arrivés dès les premiers temps de l'engagement, en même temps que les Chinois et les Indiens23(*). Ils sont sur l'île depuis plus de deux siècles et ont une influence forte sur la culture de l'île de par leur religion (musulmans sunnites de rite hanafite.) La mosquée Noor-e-Islam de Saint-Denis a été fondée en 1905 et c'est la plus ancienne mosquée de France.
Un autre groupe musulman originaire également du Gujerat est arrivé à la Réunion à partir de 1972, chassés de Madagascar par la situation politique de la grande île. Ces Indiens sont appelés karanes, ils sont en majorité chiites et pratiquent la plupart du temps un culte domestique. Le groupe musulman le plus récent est constitué par la communauté comorienne. Les Comoriens viennent depuis les années 70 et encore aujourd'hui à la Réunion pour y trouver un travail. Ils sont Sunnites, de rite chaféite.
Biens que d'origines diverses, les musulmans se côtoient sereinement sur l'île et bien que très minoritaire, le groupe a acquis une importance indiscutable dans le tissu économique réunionnais en travaillant dans le domaine commercial.
Mais ce qui différencie la communauté musulmane des communautés tamoule et chinoise, c'est qu'elle a véritablement gardé la pratique de la religion. La vie au sein des foyers musulmans est encore traditionnelle, avec la toute-puissance du père et le respect des préceptes du Coran. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils ne se sont pas adaptés à la société moderne. Simplement, ils essaient d'allier les "bienfaits" de la civilisation, la survivance des coutumes et la religion que leurs ancêtres ont amenés avec eux. Cependant cette communauté est plus fermée au métissage, même si elle se modernise.
* 23 Cf Annexe 2 : Carte des migrations

B. Du métissage vers l'unité?

1) Deux grands modèles culturels : français/créole

(a) La population créole
Composition de la population créole
Les créoles constituent 40% de la population. Ils sont ici chez eux puisqu'ils descendent des premiers arrivants (français et malgaches). Il y a plusieurs souches de créoles:
· Les "Ptits Blancs"ou "Yabs" qui composent la couche populaire
· Les "Gros Blancs" issus de l'aristocratie locale
· Les métis.
Qui sont les métis ?
Les "métis" comptent pour la moitié des habitants de La Réunion. Ils sont entre cent cinquante mille et deux cent mille. Le colloque sur « l'espoir transculturel à La Réunion » 24(*) nous éclaire sur ce groupe complexe qui a visiblement le plus de mal à se forger une identité propre. Ils constituent le groupe le plus important, aux contours difficilement délimitables. Véritable groupe charnière, ils occupent tous les degrés de l'échelle sociale et jouent un rôle important qui n'a pas toujours été mis en évidence.
Il faut être conscient que vouloir établir un quelconque recensement serait quasi impossible. Néanmoins, on peut remarquer trois types de métissage comme bases essentielles de la structuration du groupe social. Il s'agit de « métissage noir/blanc, du métissage Kaf/malbar et du métissage zarabe/créole ou chinois »25(*). Il ne s'agit là que de quelques repères parmi d'autres mais ils soulignent l'existence d'un groupe métis.
* 24 REVERZY J.F., MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan, Paris.
* 25 Idem

(b) Métissage avec la culture métropolitaine
Une fusion entre deux pôles : exemple des langues
Tout immigrant est porteur de sa culture d'origine et tente d'en sauvegarder le maximum, voire d'enrichir cet héritage lorsque le contact avec ses origines est possible.
La coexistence sur l'île d'habitants de diverses origines a pour conséquence un métissage linguistique, social et culturel incontournable.
Ce métissage produit une culture créole dans les situations informelles et/ou privées. Français et Créoles vont se cristalliser sur deux pôles en opposition : ce qui est d'importation, du « dehors », de France et ce qui est local, « du pays ». Mais « La situation de diglossie à La Réunion ne se ramène pas à la simple coexistence de deux paliers, socialement et culturellement inégaux et fonctionnellement complémentaires et qui se différencieraient toujours nettement l'un de l'autre au point de vue structurel (...) on peut dire qu'on se trouve dans un continuum français-créole »26(*).
Cette fusion est d'abord visible par la rencontre entre deux langues qui en crée une troisième. Par extension on peut dire que ce processus de métissage s'étend vers le domaine social et linguistique.
Systèmes d'idées et de valeurs
Trois courants marquent les systèmes d'idées et de valeurs qui guident les comportements des individus ou les comportements collectifs des Réunionnais :
1. Le métissage biologique, linguistique et culturel créateur d'une langue et d'une culture créole, métissage qui permet à certain de vivre harmonieusement leur multiculturalité alors qu'elle provoque chez d'autres des « phobies » de « ghetto culturels ».
2. L'assimilation par la langue et la culture française, réputées « universelles », de la colonisation à la départementalisation, qui impose une intégration à l'espace social, économique et culturel du reste du monde.
3. La volonté de sauvegarder ou d'enrichir l'héritage linguistique et culturel provenant de l'Inde, de la Chine ou d'ailleurs. Sauvegarde perçue par les uns comme un nécessaire retour aux sources et par d'autres comme une force risquant de mener au communautarisme.
Dans ces trois courants, les Réunionnais doivent assurer deux systèmes de valeurs. Celui qui vient du milieu familial et celui qui imprègne la société.
Le Réunionnais d'aujourd'hui n'est pas identifiable à une catégorie qui le différencie totalement de l'Autre et ne peut être caractérisé par son appartenance à une culture ou à un groupe unique. En fonction de la manière dont il se définit ou dont les autres le définissent, par rapport à son apparence physique, à son âge, son sexe, son statut social et économique, sa maîtrise de telle ou telle langue, et surtout en fonction de son héritage culturel propre, chaque réunionnais soumis, à des degrés différents, à l'assimilation, au retour aux sources et aux métissages, choisit son style de vie et ses attitudes en piochant dans ce que lui offre une société plurielle construite dès la découverte de l'île.
* 26 CHAUDENSON R., 1995, Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France, Paris, 127p.



2) Des croyances communes

(a) Le catholicisme remanié
L'histoire des religions se confond avec l'histoire des immigrants de l'île. Les F rançais venus de métropole sont arrivés avec le catholicisme et ont fait venir des esclaves d'Afrique noire animiste. L'église a alors autorisé l'esclavagisme à condition que l'on baptise les esclaves. Ces derniers se sont donc retrouvés chrétiens. Puis sont arrivés les Indiens et la religion tamoule, les Chinois et le Taoïsme, et enfin les Indiens (Zarabes) et l'Islam. Toutes ces religions se côtoient, se mélangent et il n'y a pas d'intégrisme.
La religion principale est le catholicisme et la visite du pape Jean Paul II en 1995 - n'attirant d'ailleurs pas que les catholiques de l'île - en a apporté la preuve. Les populations noires indiennes ou chinoises ont largement été évangélisées, d'abord par obligation puis par métissage religieux. Il en résulte un catholicisme typiquement réunionnais car ayant subit des influences diverses.
(b) La religion Tamoule
La religion Tamoule est la deuxième représentée sur l'île, elle est très présente par ses temples qu'on retrouve dans toutes les villes. Les "malbars" sont connus pour leurs cérémonies spectaculaires, notamment la cérémonie de marche sur le feu qui a lieu fin décembre et qui fait partie du folklore de l'île. Pour faire pénitence, les "malbars" se plantent des aiguilles d'argent dans le dos, sur les bras et le torse. Ces cérémonies attirent du monde et il n'est pas rare de voir des réunionnais d'autres confessions pratiquer la pénitence Tamoule.
(c) L'islam
L'Islam qui est la troisième religion de l'île a été importée par les musulmans d'origine indienne. De nombreuses villes voient se côtoyer une église, un temple tamoul et le minaret d'une mosquée. Dans les faits, nombre d'hindous participent également aux rites catholiques.
(d) La sorcellerie
Si La Réunion a pu être nommée par certains, L'île du diable, c'est bien en raison de l'omniprésence, dès son premier peuplement, des phénomènes conjoints de sorcellerie maléfique et de guérissage. Cette réalité est toujours omniprésente et fait partie des valeurs culturelles de l'unité réunionnaise27(*). La souffrance psychique et la maladie mais aussi les conflits et les traumatismes de la vie quotidienne sont vécus souvent par les habitants de La Réunion en relation avec le monde occulte et ses pouvoirs. Etre envoûté, « arrangé », « amarré », être victime des « grater ti boi » constitue une menace permanente pour ceux qui vivent dans cette île qualifiée par l'historien Prosper Eve, « d'île à peur »28(*). Le rôle social des sorciers et des guérisseurs y demeure considérable et fait aussi un trait d'union entre les îles et les mondes de l'Océan indien : L'Inde, l'Afrique, la Chine, Madagascar, Les Comores, Maurice, l'Europe. C'est là une composante fondamentale des métissages culturels. Plus loin ces systèmes de valeurs s'exportent et se retrouvent dans les diasporas fixées en France ou en Europe: il existe aussi une mondialisation de l'occulte, de ses rôles et de ses pouvoirs.
Une bonne partie de ces croyances est l'héritage des anciens esclaves Africains affranchis en 1848 ou des travailleurs malgaches.

3) D'une langue à une culture réunionnaise : l'unité

La langue et la culture réunionnaise, n'ont-elles pas été les premières à préparer ce brassage ?
(a) La formation du créole
A l'origine chaque ethnie avait sa langue, celle dans laquelle elle célébrait les événements de sa vie religieuse et familiale. Mais pour communiquer entre elles il lui fallait une langue comprise par tous. Cette langue ne pouvait être que le français, la langue officielle et aussi celle des « maîtres ». Comme elle n'était pas enseignée à cette masse de travailleurs, ces derniers se sont efforcés d'en retenir les mots, et les expressions les plus courantes qu'ils ont transformés. Ils en firent des phrases brèves, débarrassées de tous ces mots que la grammaire impose, sans qu'ils soient indispensables à la compréhension du message »29(*).
C'est peut-être de cette manière qu'est né le créole à La Réunion, après que les « nénènes » (les nounous) l'introduisirent dans la maison de leurs maîtres, qui l'utilisèrent pour leur parler. Il est devenu, à côté du français parlé par l'élite, la langue de tous les réunionnais. Albert Ramassamy ajoute que « Tout s'est passé comme si un bras s'était détaché de la langue française pour se diviser en courants, qui se sont infiltrés, chacun dans une ethnie, à la fois pour s'enrichir de ses apports, et la faire communiquer avec les autres, avant de se reconstituer pour former la langue créole. Ce bras ne s'est jamais tari, mais s'il n'y a plus rien d'original à drainer dans les ethnies, qui adoptent de plus en plus la culture française, il ne charrie plus que du français, chargé de reliefs de créole. » Une évolution lente rapproche donc de plus en plus le créole du français. Mais Albert Ramassamy précise que : « Expression de l'âme réunionnaise, le créole, doit être préservé et continuer d'être utilisé, non comme un élément folklorique, mais comme un souvenir chargé de sens et d'histoire, pour faire connaître la spécificité de la culture réunionnaise »30(*).
On voit ici le sens unificateur de la langue. En effet, toute langue véhicule une culture, une identité, et il semble donc que le créole n'y fasse pas exception. Après s'être octroyé une langue, la société réunionnaise se fabrique une culture.
(b) Comment naît la culture réunionnaise ?
Quand débute le 20ème siècle, l'Europe est à l'apogée de sa puissance. Quel que soit le lieu où ils se trouvent, les colonisateurs sont convaincus de leur supériorité et croient sincèrement qu'il n'y a qu'une civilisation : la leur. Même les hommes de gauche se font les défenseurs d'un véritable humanisme colonial, et insistent sur les « obligations morales » des colonisateurs « agents de la civilisation »31(*) ( cf que sais-je ?)
Mis à part une élite restreinte, ce sentiment est partagé par les peuples dominés. Et ce ne sont pas les ethnies asservies de La Réunion qui penseraient le contraire. Animées par cette conviction, elles sont prêtes à se placer de leur gré sur le chemin de l'assimilation. Vivre comme les « blancs », c'était prouver aux autres et à soi-même qu'on avait réussi. Vivre comme les blancs, c'était glisser certains aspects de leur vie sociale, dans des modèles culturels européens. Ils s'en emparèrent, les transformèrent, pour les adapter à leur manière de vivre, à leurs moyens financiers, aux croyances et aux coutumes de leurs communautés. Ils les adoptèrent en quelque sorte en y incorporant une partie de leur culture. Par ce phénomène d'imitation, et bien que vivant repliées sur elles-mêmes, les ethnies s'engagèrent séparément dans une voie culturelle qui les rapprochait les unes des autres, et les rapprochait des « blanc ». A travers ce métissage culturel a commencé à se bâtir l'identité des Réunionnais.
Conclusion
On peut maintenant entre apercevoir l'idée que l'identité ne se pose plus en termes de pluralité OU unité mais plutôt en termes de pluralité ET unité.
L'étude de l'immigration et des effets de l'intégration sur les populations d'origines diverses tout au long de l'histoire révèle la difficulté pour elles, à leur arrivée, de trouver une place dans la société réunionnaise. La connaissance des groupes ethnoculturels permet d'appréhender leurs représentations identitaires pour mieux comprendre le présent grâce au passé et mieux anticiper le futur. La lecture de leur histoire nous conforte dans l'idée d'une identité en perpétuel renouvellement depuis le début de la colonisation jusqu'à nos jours. Comment se place-t-elle au sein d'une société aux origines, aux repères et aux aspirations si variées ? Comment se structure et fonctionne cette société, quels sont ses repères culturels et ses référents ? Enfin quelles sont les solutions préconisées pour éviter qu'une éventuelle affirmation identitaire ne tombe dans l'extrême rejet de « l'Autre » ou des « Autres » ?
* 29 RAMASSAMY A., 1987 : La réunion, décolonisation et intégration, AGM, Saint-Denis.
* 30 Idem
* 31 CHAUDENSON R., 1995, Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France, Paris, 127p. 

III. Mutations socio-culturelles et formation identitaire

A. D'une « société de plantation » en mutation...

1) Au temps de l'esclavage et de la colonie

L'objet de cette partie porte sur La Réunion d'avant 1946, date à laquelle l'île cesse d'être une colonie et devient un département français. Quelle est cette Réunion que les créoles appellent le « temps longtemps » et qui est marquée par l'esclavage (1690-1848) puis par l'engagement (1848-1900), et l'immigration libre (de 1870 jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale) ? Durant près de trois siècles l'île est une colonie dirigée par une minorité de propriétaires et de décideurs venant d'Europe et particulièrement de la France. La société Réunionnaise se caractérise alors par :
· Une nette hiérarchisation verticale recrutant sur des bases ethniques.
· Une homogénéité des populations dont l'activité se développe sur une aire géographique limitée.
· Des statuts sociaux assignés et stables.
· Un répertoire des rôles qui se reproduit à l'identique de génération en génération.
· Une solidité essentiellement basée sur les réseaux de parenté.
· Un système favorisant l'élite existante.
Cette société dite traditionnelle et « de plantation » se caractérise également par une sociabilité de l'interconnaissance et un contrôle social où tout est connu par l'ensemble de la communauté. C'est-à-dire que tout se déroule sous le contrôle de tous. On peu noter que l'insularité conforte ce type d'organisation sociale traditionnelle.

2) Transformation de la société traditionnelle

La société réunionnaise se transforme peu à peu, puisant ça et là dans ce que lui apportent les différents modèles introduits par les populations d'origines multiples. Au lendemain de la seconde guerre mondiale l'organisation traditionnelle subit progressivement des changements selon trois phases jusqu'à la modernité. Analysons les différentes phases amenant ces deux phénomènes en se basant sur l'article de Michel Watin32(*).
(a) Première phase : substitution-assimilation
On assiste d'abord à un processus de substitution-assimilation de la tradition par la modernité. Elle correspond à une phase de transformation pendant laquelle chaque caractéristique du premier modèle (la tradition) est remplacée progressivement et automatiquement par les caractéristiques du second (la modernité). Très rapidement, la situation socio-économique locale et l'amélioration notable de l'état sanitaire et social du pays, jugés déplorables en cette période d'après-guerre, s'améliorent. Mais, dans le même temps, on relève les premiers effets pervers d'un développement mené à un rythme extrêmement rapide : on commence ainsi à évaluer le chômage et l'échec scolaire, à mesurer les inconvénients de l'urbanisation et à observer la diffusion de la pauvreté.
* 32 WATIN M., 2002, Changement social et communication à La Réunion, in Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu multiculturel ».

(b) Deuxième phase : télescopage
La résistance à l'introduction d'une modernité exacerbée par des militants de la créolité lance la seconde phase caractéristique de la modernisation de l'île qui correspond à une situation de télescopage. Tout se passe alors comme si on assistait, à la fin des années 1970, à l'affirmation des références issues de la tradition face aux propositions de la modernité : on se trouve dès lors dans une situation, « ici et maintenant », de deux modèles, celui de la tradition et celui de la modernité, qui s'entrechoquent.
Dans cette configuration, la modernisation ne consiste plus en une destruction pure et simple de la société traditionnelle jugée incapable d'intégrer la modernité : on assiste plutôt à « une fusion des formes et des pratiques sociales où le nouveau se mêle à l'ancien, où la tradition s'adapte à la modernité »33(*).
(c) Troisième phase : hybridation
Aujourd'hui, l'image du télescopage, qui évoque l'affrontement de deux systèmes, semble en phase d'affaiblissement pour laisser la place à un processus d'hybridation. Il s'agit de produire une modernité réunionnaise dans laquelle sont atténués les traits de la créolité, mais où sont également détournées les caractéristiques de la modernité.
Sociologiquement, la Réunion s'installe ainsi dans « une dynamique «communautaire-sociétaire« qui oscille entre une référence communautaire puisant ses racines dans son histoire propre et une référence sociétaire exogène «importée« qui s'impose de l'extérieur »34(*).

3) La départementalisation de 1946

(a) Une autre société réunionnaise se profile
Entre tradition et modernisme la population réunionnaise a bien du mal à trouver ses repères. A la fin de la seconde guerre mondiale, l'île est détruite et sa population, comme ailleurs, affamée. C'est dans ce contexte que réapparaissent les revendications tendant à changer le statut de l'île. On voit en effet dans cette réforme institutionnelle la solution aux graves problèmes sociaux. A La Réunion, la population paraît favorable à ce changement qui rapproche juridiquement l'île de la métropole. L'article 1er de la loi du 19 mars 1946, votée à l'unanimité à l'Assemblée Nationale proclame : « Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français. » Pour les habitants de ces colonies, et plus particulièrement ceux de La Réunion, le passé le plus lointain c'est la France. En 1946, il n'est pas question d'aliénation culturelle. On prône l'assimilation qui doit permettre d'appliquer systématiquement aux colonies les lois adoptées pour la métropole. Le système des plantations perd petit à petit sa position dominante dans la société réunionnaise et la promotion sociale ne se fait plus sur le même modèle mais cela n'empêche pas les inégalités de survivre avec le chômage grandissant.
De cette départementalisation vont naître des bouleversements auxquels la population aura du mal à s'adapter. C'est le départ d'un progrès social transformant profondément la société. On considère généralement que la modernisation de l'île débute réellement au cours des années soixante avec l'installation effective des grandes administrations de l'Etat français35(*).  C'est le début d'une politique essentiellement inspirée par le rattrapage et l'égalité avec la Métropole. De fait, le département français de La Réunion est confronté, dans les trente dernières années, à des mutations économiques, technologiques, sociales et culturelles qui ont produit des modifications considérables touchant tous les domaines de la vie quotidienne des individus.
Ces mutations se sont encore accélérées dès les années 80, la décentralisation et l'ouverture médiatique et aérienne favorisant les échanges. L'histoire de La Réunion depuis 1946, est celle (unique) d'une période de mutations courte et intense, faisant l'impasse de l'industrialisation.
* 35 WATIN M., 2002, Changement social et communication à La Réunion, in Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu multiculturel ». 

(b) Abandon des traditions
En ville, où le modernisme s'installe, où le Réunionnais est de plus en plus tiraillé entre les divers enjeux politiques, les traditions tendent à disparaître et celles qui demeurent font sourire. En revanche, à la campagne, ces traditions restent très vivaces, et on y retrouve les coutumes de La Réunion d'avant. En fait, d'une manière générale, la population réunionnaise, agressée chaque jour par un peu plus de modernisme, a du mal à trouver une harmonie. Tout va trop vite et le Réunionnais n'a pas le temps de s'y habituer, lui qui, jusqu'à présent prenait le temps de vivre. Prise entre son genre de vie traditionnel et celui qui s'installe peu à peu, à savoir celui des fonctionnaires, des commerçants et des membres des professions libérales, La Réunion essaie de sauvegarder "ses" valeurs. L'île est en train de subir une profonde mutation et la population, avec ses différentes composantes, a du mal à trouver son équilibre. Les "communautés", terme par lequel on désigne Chinois, musulmans et Tamouls, sont le centre de ces profondes mutations36(*). Ces communautés, longtemps confinées dans un rôle bien précis, ou plutôt des fonctions bien définies, commencent à sortir de leur cadre d'origine. Lorsqu'ils sont arrivés dans l'île au siècle précédent, les Chinois et les musulmans se sont lancés dans le commerce et s'y sont cantonnés. Bien qu'au sein des familles on tente de conserver les coutumes ancestrales, ils s'occidentalisent. Avec les "zoreils" c'est le genre de vie occidentale qui prend possession de La Réunion et tout l'avenir du pays s'en trouvera bouleversé.
Bien que la Réunion entière parlât créole, les relations entre ethnies ne changèrent pas pendant de longues années. Polies mais superficielles, elles se limitaient à ce minimum qu'impliquaient les échanges économiques, et la vie dans un même endroit. Mais lorsque arrive la départementalisation qui bouscule les vieilles habitudes, la société réunionnaise a déjà secrété sa propre culture, avec une manière de vivre réunionnaise. Les différences de culture ne font plus obstacle à des rapprochements.

B. ...Vers l'occidentalisation à la « française »

La société réunionnaise est plus une société de consommation d'inspiration occidentale évoluant vers une forme de société industrielle développée. « La Réunion fonctionne dans la pratique quotidienne avec un métissage de l'interconnaissance du monde créole et l'anonymat de la modernité au lieu de s'appuyer sur l'individualisme et une sociabilité de l'anonymat »37(*).
Dans son essence, ce processus de modernisation n'est pas fondamentalement différent de celui qu'ont connu les sociétés européennes. Mais, à La Réunion, il se produit sur une base historique particulière, dans un environnement géographique et géo-politique spécifique et à un rythme très soutenu.

1) L'exode rural et ses conséquences

(a) Montée du Chômage
Après 1950 on assiste à un exode rural et par conséquent à un gonflement des populations urbaines dus, d'une part à l'application des nouvelles lois nées de la départementalisation, d'autre part au développement des corps de métiers employant une nombreuse main-d'oeuvre. Ainsi le chiffre des employés de commerce, des domestiques et surtout des fonctionnaires connaît une courbe ascendante, alors que celui de la main-d'oeuvre agricole est dans une phase descendante. Mais le développement des villes s'accompagne d'un accroissement du chômage et l'abandon de milliers d'hectares de bonnes terres. Un prolétariat urbain fait son apparition avec ses composantes habituelles : chômage, misère et alcoolisme. Les produits extérieurs envahissent le marché. Tous ont envie d'en profiter. Et voir les gens qui en ont les moyens, consommer "français" ne fait qu'augmenter le désir chez les autres d'accéder à cette consommation.
Des conflits de toutes sortes vont naître, conflits qui font, par ailleurs, l'affaire des partis politiques et fourniront matière à argumentation électorale. En revanche, ils ne font pas vivre les familles qui n'ont qu'un maigre salaire à la fin de chaque mois et encore quand salaire il y a : les chômeurs grossissent sans cesse les rangs des mécontents. Trouver des solutions devient primordial.
Déjà, en 1950, divers observateurs avaient tiré la sonnette d'alarme quant à l'augmentation rapide de la population et du nombre de travailleurs, la diminution des offres d'emplois due à « la concentration industrielle et la mécanisation de l'agriculture ». En même temps que l'administration tente de trouver des solutions à ces problèmes de travail et de chômage, elle commence à verser des indemnités de secours. Mais toutes ces aides rendent dépendants les réunionnais qui aspirent désormais à s'expatrier.
* 37 SIMONIN J. ; WATIN M., 1993, Espace public et communications médiatisées à la Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993.




(b) L'expatriation comme solution ?
Depuis longtemps déjà, les Réunionnais se sont expatriés dans l'espoir d'un mieux, ailleurs. Il y a d'abord eu des émigrations volontaires vers Madagascar, la Nouvelle-Calédonie, l'Indochine. Certains y ont fait fortune, d'autres continuent à vivoter, mais dans de meilleures conditions qu'à La Réunion puisque, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, il y a de la terre en abondance. Mais à partir de 1960, il apparaît que l'émigration se fait plus volontiers vers la métropole38(*). En 1963, plus de sept mille Réunionnais sont installés en France continentale. Parmi ces Réunionnais on compte un petit nombre de personnes occupant d'importantes fonctions dans l'administration, l'armée ou la science. Tous les autres sont des « travailleurs émigrés »39(*). Cependant, bien que l'émigration apparaisse comme un des moyens de lutte contre le chômage, elle n'inquiète pas moins les autorités et le problème qu'elle pose, comme celui du chômage, fait bien souvent l'affaires des "politiques".


2) Le rôle des médias de masse

(a) Les médias de masse pour un espace public
La généralisation des communications médiatisées agit tout comme l'exode rural comme un puissant accélérateur du changement social40(*). Les nouvelles conditions de communication transforment profondément le lien et les rapports sociaux en venant se superposer aux interactions de face à face qui sont la règle pour les communautés d'ordre traditionnel. De plus, dans une société jusque là fortement enclavée et en étroite dépendance avec sa métropole, elles constituent une brusque ouverture sur le monde contemporain.
On relève d'abord l'arrivée, à l'échelle locale, des médias de « masse »41(*). La période allant de 1976 à 1986 constitue en effet une véritable « rupture médiatique » dans un paysage local très sévèrement verrouillé jusqu'au milieu des années 197042(*).
Un espace public émerge donc au tournant des années 1980 et contribue très sûrement à la mutation de la société réunionnaise contemporaine. On assiste au développement d'un réel pluralisme de l'information, à la constitution d'une opinion publique qui traduit la revendication de toute la population réunionnaise pour la liberté d'expression, les débats publics liés à la société, l'évocation des problèmes de la Réunion et de son avenir.
Enfin, le relais en direct des journaux parlés et télévisés de métropole modifie considérablement les pratiques journalistiques locales en « proposant à tous un autre traitement de l'information nationale et internationale »43(*).
(b) Conséquences de ces nouveaux modes de communication sur le lien social
Ces nouvelles conditions de communication sont en rupture totale avec les pratiques traditionnelles. Dans la société créole, le lien social est géré par l'interconnaissance. L'engagement dans l'interaction y est complet, la spécification de tel ou tel rôle social étant peu habituelle. Au sein d'une communauté de « kartié » où tout le monde se connaît, les interlocuteurs ont une connaissance mutuelle de leurs rôles sociaux qui s'enracinent lors de leur contact entre eux. Le lien social de la modernité est, au contraire, caractérisé par des relations marquées par l'anonymat ; au delà du petit cercle du privé, les individus développent des interactions limitées à leurs rôles sociaux. Ces liens se développent d'autant plus rapidement que les techniques de communication permettent et favorisent cette « sociabilité de la distance »44(*).
Aujourd'hui, ces deux modes de communication sociale sont en concurrence, s'interpénètrent et métissent modernité et tradition, anonymat et interconnaissance. On assiste ainsi à l'émergence de formes et de pratiques sociales où le nouveau se mêle à l'ancien, où la tradition s'incorpore et s'adapte à la modernité. La frontière privé/public en particulier, historiquement tracée par la société de plantation, est aujourd'hui redessinée avec l'individualisation des pratiques, le repli domestique et le développement d'une sociabilité anonyme.
* 40 WATIN M, 2001 : Espace public et communication, Univers Créoles 1, Anthropos, Paris, 266p.
* 41 IDELSON B., 2002, L'espace médiatique réunionnais, hier et aujourd'hui in Hermès n°32/33 « La France et les Outre-mers, l'enjeu multiculturel ». 
* 42 WATIN M., WOLFF E., 1995, L'émergence de l'espace public à la Réunion : un contexte socio-historique singulier, Etudes de Communication n° 17, Bulletin du CERTEIC, Université de Lille 3, Lille, 1995.
* 43 SIMONIN J. ; WATIN M., 1993, Espace public et communications médiatisées à la Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993. 


3) Déterritorialisation

(a) Identité et territoire
La généralisation des communications a aussi des effets sur l'aménagement du territoire et l'espace urbain.
On l'a déjà indiqué, la société créole a construit une partie importante de son identité sur la base territoriale du kartié, véritable espace social constitué par l'histoire, la parenté et l'interconnaissance. Cet espace de proximité désigne à la fois la proximité géographique et la proximité sociale et culturelle : les individus qui résident sur un même territoire partagent aussi les mêmes conditions socioculturelles. L'urbanisation massive a progressivement fait disparaître ces espaces sociaux au profit de quartiers, administrativement délimités, où vivent des individus que seule une situation socioéconomique semblable rassemble. Leurs relations résident ailleurs, et le lien social est activé par des rencontres en ville, sur les lieux de travail et grâce aux technologies de communication, le téléphone d'abord, Internet ensuite.
Ici, les individus proches du point de vue de la résidence ne sont plus forcément des proches du point de vue de leurs positions socioculturelles ; les réseaux de communication et de transport font qu'ils partagent un même « monde de vie »45(*) avec des individus éloignés géographiquement.
De fait, le rôle de la proximité territoriale est aujourd'hui minimisé tandis que sont maximisés les réseaux d'échanges dans toutes leurs dimensions, ce qui constitue une rupture avec la tradition créole.
Cette «sociabilité en réseaux» participe, dans la société réunionnaise, d'une déterritorialisation des relations sociales et du déplacement des lieux de la sociabilité. Mais si la modernité intègre les individus qui valorisent positivement la mobilité, elle exclut tous ceux qui ne peuvent, ou ne veulent, participer à ce phénomène.
Le kartié créole peut alors devenir ghetto, cet espace particulier où s'entremêle « une non- intégration sociale et la non assimilation culturelle » à la modernité46(*).
En quelques années (1985-1995), on voit ainsi apparaître, dans les principales agglomérations réunionnaises, « des quartiers biens typés »47(*) caractérisés par le profil socio-économique de leurs habitants. A la hiérarchie par groupes ethniques organisée par la société de plantation succède une autre ségrégation, basée sur les positions sociales des individus.
« Dans ce territoire ségrégé apparaissent également des espaces publics urbains qui constituent finalement les seuls lieux communs aux multiples habitants et groupes sociaux qui peuplent l'agglomération »48(*). L'espace public médiatique et l'espace public urbain sont pensés comme des lieux accessibles à tous au-delà des considérations ethniques, religieuses, culturelles et économiques.
* 45 WATIN M, 2001 : Espace public et communication, Univers Créoles 1, Anthropos, Paris, 266p.
* 46 REVERZY J.F., MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan, Paris.


(b) Effets de l'intégration à l'espace public sur les citoyens
L'élan démocratique, la circulation des idées, la mise en visibilité et en débats des faits de société grâce aux médias de masse se développent donc parallèlement à l'accessibilité de la ville. Elle cesse d'être un territoire réservé à une élite bourgeoise et fortunée.
Parce qu'elles valorisent l'individu, ces transformations font surgir, sur la scène publique, la question de la citoyenneté.
Selon le modèle républicain français, la citoyenneté suppose que les individus se présentent sur la scène publique comme des personnages autonomes et détachés des liens sociaux et politiques fournis par la famille, la corporation, le territoire ou encore la religion.
La société créole, qui s'est constituée à partir des différentes communautés ethniques à l'origine, intègre les individus par leur appartenance à un kartié. Avec l'émergence de l'espace public et la généralisation des communications, qui intéressent d'abord l'individu en effaçant le groupe, c'est la nature du lien social qui se transforme : ceux qui accèdent de façon toute récente à l'espace public, médiatique et urbain, doivent abandonner en partie leurs identités particulières s'exprimant jusque là en termes de territoire et d'ethnicité. L'établissement de la citoyenneté, qui suppose l'adhésion à un ensemble social plus vaste, implique donc une rupture avec les modèles instaurés au cours de l'histoire.
La société réunionnaise produit ainsi une citoyenneté locale en gommant les particularités communautaires : ainsi, dans l'espace public local, le fait communautaire se limite, pour le moment, à la publicisation des évènements religieux intéressant les diverses communautés. Seuls ces « marqueurs ethniques »49(*) sont tolérés, les Réunionnais considérant la « créolité » comme la synthèse des différents apports culturels et constituant un élément intégrateur, la « créolité », qui gomme les spécificités communautaires.
Mais, au delà de ce comportement, la société locale est tendue car les rapports entre les réunionnais et les métropolitains ne sont pas réguliers. Ici, la concurrence entre ces deux groupes est vraiment visible dans l'espace public et s'exprime particulièrement dans les médias. A l'inverse donc de ce qui se passe pour le fait communautaire, l'opinion publique accepte le débat sur la « réunionnité » et fait donc la distinction parmi les citoyens français, entre ceux qui sont réunionnais et ceux qui ne le sont pas.
A La Réunion, la citoyenneté se situe donc à différents niveaux : celui du kartié, espace social constitué par l'histoire, la parenté et le voisinage, celui de La Réunion, qui constitue l'espace politique, celui de l'ensemble national prolongé, à un niveau moindre, par « l'Europe » et enfin celui, naissant, de la région de l'Océan Indien.
De fait, La Réunion fournit, comme l'indique J. Simonin50(*). L'espace public réunionnais entre communauté et société », « une communauté inachevée au plan local, largement fantasmée dans son rapport à la métropole », tout en espérant beaucoup de ses relations avec l'Europe et les pays de la zone de l'Océan indien.
La généralisation des communications vient donc accentuer les profondes transformations sociales et culturelles qui interviennent à la Réunion après la départementalisation de 1946. Elle accélère le passage d'une société traditionnelle forgée par la Plantation vers une « société individualiste de masse »51(*) (Wolton, 1997) en transformant radicalement la nature du lien social, la relation au territoire, en redéfinissant la proximité et en participant à la mutation de la ville en un espace urbain.
L'émergence de l'espace public et la mise en réseau de la société locale réactive par ailleurs la problématique de l'identité en posant la question de la citoyenneté qui, à la Réunion se constitue pour partie en interne, pour partie en opposition à la France métropolitaine.
Ces développements sont présentés comme un des vecteurs les plus sûr de l'identité créole en même temps qu'elles participent à la profonde mutation du monde créole.
* 49 BAGGIONNI D., MATHIEU M., 1985, Culture(s) empirique(s) et identité(s) culturelle(s) à la Réunion, Service des Publications de l'Université de la Réunion, Saint Denis de la Réunion, 132p.
* 50 SIMONIN J., WATIN M., 1993, Espace public et communications médiatisées à la Réunion, Etudes Créoles vol. XVI, N°2, 1993. 

C. En quels termes poser l'identité Réunionnaise aujourd'hui ?

Les réponses ne sont pas simples : la société réunionnaise est marquée par la minoration culturelle et la construction d'une image de soi et des autres s'avère ainsi problématique.
Faut-il affirmer et revendiquer, sous le couvert d'un discours autorisé qu'une identité réunionnaise existe, à considérer l'existence de la Réunion et de Réunionnais ?

1) Un modèle imposé ?

Quoi qu'il en soit, La Réunion réussit assez bien à intégrer ses différentes composantes qui vivent l'une à côté de l'autre sans que cela pose de véritables problèmes. Le véritable problème sur le plan identitaire, celui auquel se trouve confrontée la société réunionnaise depuis les années soixante et qui persiste aujourd'hui, est celui d'une occidentalisation exacerbée. L'évolution trop rapide de la société réunionnaise génère un manque de repères : le Réunionnais ne sait plus quelle est sa vraie personnalité. De ce fait, les mouvements socio-culturels qui essaient de mettre en avant les techniques et les arts traditionnels remportent de plus en plus de succès.
Mais on l'a vu, cette évolution de la société réunionnaise vers l'occidentalisation ne comporte pas que des éléments négatifs. Toutefois, on pourrait noter une certaine influence, voir une domination du système culturel français sur la vie des réunionnais.
(a) Influence de la culture française sur la langue
Le créole est la langue maternelle de la majorité de la population réunionnaise. La réflexion sur la langue maternelle rejoint la question de l'étranger. L'espoir transculturel a lieu si l'on renonce à des discours naïf rêvant des contacts entre cultures diverses comme relations de compréhension du même au même. « Le discours d'universalité est un discours de pouvoir. La relation à autrui est autant une relation au semblable qu'à cet étranger qui nous colle à la peau et à la parole... toutes les langues sont, quelque part, métissées car il y a du réel et de l'impossible à dire »52(*). On peut se demander ce qui, lors des constructions identitaires, idéalise tel modèle social ou culturel de langue et en rejette une autre ? Quelle figure imaginaire et symbolique détermine le choix de parler en famille telle langue en excluant la langue de la mémoire ? C'est tout le débat sur la langue primaire et la langue secondaire.
La première désigne le processus de sélection d'une langue qui s'articule dans sa communauté. La seconde désigne le contact entre des sujets ayant des langues différentes. C'est l'altérité des individus qui favorise la langue secondaire. Dans ce cas réunionnais n'y a-t-il pas eu une influence de la part de la métropole pour que la langue principale soit le français par le biais de l'école ?
* 52 CELLIER P., 1985, Description syntaxique du créole réunionnais : essai de standardisation. Doctorat d'Etat, Université de Provence.



(b) L'école comme moyen de domination culturelle
Les réunionnais subissaient dans un passé encore récent une répression culturelle française. Cela explique les relations quasi impossibles jusqu'à ce jour entre culture française et réunionnaise dues à l'assimilation à outrance au modèle culturel français.
· en installant une idéologie dénigrante de la culture réunionnaise
· en infiltrant le marché symbolique réunionnais
· en développant une francophonie oppressive.
Il est utile de rappeler que 95% des enfants en âge scolaire sont unilingues créoles, et qu'à l'âge adulte plus de 75% utilisent le créole comme langue de communication53(*). C'est donc à l'école que semble s'opérer la perte de valeur de la langue et de la culture réunionnaise.
De plus, l'école n'a jamais pris en compte les problèmes de la langue créole et les structurations de l'imaginaire spécifiques aux réunionnais. Son système éducatif fait en sorte que les élèves juxtaposent deux schémas culturels : l'appris et le vécu.
Nous nous trouvons en présence d'une culture réunionnaise dominée. Ce qui peut entraîner des troubles chez les sujets concernés (dépersonnalisation, mutisme, phobie, obsession, dépression, suicide etc...)54(*). La dévaluation du « dialecte », langue du colonisé, dévalorise également l'organisation sociale ou familiale de ceux-ci entraînant des déphasages avec leur environnement. S'adapter à la culture française peut signifier soumission; l'abandon de sa culture donne naissance à des symptômes vraiment pathologiques.
* 53 REVERZY J.F., MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan, Paris.

2) La relation avec Le même et/ou l`Autre

(a) Quête identitaire ?
Si l'on considère que le passé a construit le réunionnais, n'y a-t-il pas lieu de prendre en compte un présent qui fait de lui aussi quelqu'un, par intégration d'un modèle de société occidental ?
C'est apparemment dans le conflit que se construit cette identité. A quelle étape sommes-nous arrivés aujourd'hui ?
Selon Jean-François Reverzy55(*) on en serait arrivé à « Un positionnement de tout le groupe social sur la base d'une réunionité à définir vis-à-vis du groupe métropolitain par qui et pour qui est faite la nouvelle société de consommation et qui donne une forme à l'assimilation désirée mais aussi rejetée. La culture réunionnaise s'affirme alors dans la conscience du créole produit de l'histoire, résultante d'apports culturels les plus divers, héritage appartenant en propre à toute la communauté réunionnaise. »
Comment être sûr que cette détermination identitaire et la conscience d'être réunionnais s'accomplissent sans conflit ? Il y a des réalités contradictoires si on les analyse à travers l'appartenance ethnoculturelle comme on a pu le souligner plus haut. On peut donc se demander si les Réunionnais qui affirment leur réunionnité face aux métropolitains le font sur des bases identiques ?
Si certains affirment, comme F. Affergan56(*), que la quête identitaire est un « processus contradictoire mettant en jeu le procès d'individualisation et le procès de socialisation », on peut se demander si cette identité doit se fonder sur une simple opposition à l'Autre (dualité Zoreille/Créole = réunionnais).
Il se peut au contraire que la quête de l'identité soit de l'ordre de « l'interchangeable » avec le mouvement de l'activité sociale. Tout en restant conscient que « c'est la pression du changement qui met en péril l'identité elle-même et conduit au déni de soi »57(*).
Le réunionnais, dans sa construction identitaire ne peut pas nier ce que l'histoire a fait, qu'elle l'a fait « l'Autre », et que sa réunionnité est faite aussi de francité qui peut parfois être insupportable pour certains, tant la pression assimilatrice se fait sentir. On peut même dire qu'elle « bride la possibilité d'ouverture à la culture française vécue comme une norme rigide diffusée par un système sourd et aveugle à la différence »58(*).
(b) Les créoles en quête d'affirmation identitaires
La quête identitaire de certains en mal d'identité passe par le positionnement d'une partie du groupe social sur des bases ethno religieuses vis-à-vis du groupe métropolitain et vis-à-vis du reste du groupe social. Une telle revendication identitaire fait écho à l'existence de plusieurs groupes socio ethniques au sein de la population réunionnaise et aux antagonismes qui la traversent. Elle ne concerne cependant pas tous les groupes mais seulement ceux d'origine asiatique et indienne.
Les éléments de ces groupes, victimes de la colonisation comme les autres réunionnais, n'ont cependant pas été soumis au système esclavagiste et ont gardé une certaine spécificité culturelle. La résistance à l'assimilation et à la déculturation s'organise souvent autour de l'identité religieuse. De tels regroupements ethno-religieux comme peuvent également le faire les indiens, peuvent être perçus négativement par les réunionnais car ils voient dans ces tendances un danger communautariste.
Ne faut-il pas voir dans ces revendications la marque d'une impasse ?
* 55 REVERZY J.F., MARIMOUTOU J.C., 1990 : L'espoir transculturel, Université de la Réunion, Collection indianocéanique, Edition L'Harmattan, Paris.
c) La solution : accepter la pluralité
Il faut se rendre à l'évidence : La Réunion est un pays multiculturel où cohabitent :
· Une culture locale « créole » au sens anthropologique du terme, c'est-à-dire un produit historique, la résultante des apports culturels propres aux différents groupes ethnoculturels constitutifs de la population réunionnaise.
· Une culture française, constituant la voie d'accès à une culture plus universelle.
· Des pratiques culturelles liées aux grandes civilisations ancestrales qui ont réussit à perdurer.
Ces trois situations culturelles sont caractérisées chacune par leur langue, leur mode de pensé, leurs attributs et constituent ensemble la culture réunionnaise.
La non reconnaissance de cette pluralité, de cette richesse culturelle irait dans le sens d'un appauvrissement culturel, voire d'un déséquilibre aux dépends d'une interaction porteuse de cordialité, d'échange, d'enrichissement. Il est donc nécessaire de raisonner en terme de complémentarité et non en terme d'exclusivité. Tout comme il convient d'accorder une égale considération à la langue française, langue universelle et à la langue créole, vecteur commun de la communication. « Il est tout aussi important de résister à la pression assimilatrice qu'aux tendances centrifuges qui mènent au communalisme »59(*).
Conclusion
Peut-être arrive-t-on mieux ici à situer l'identité des réunionnais : elle englobe toutes les valeurs, les marques culturelles de toutes les ethnies qui ont formé l'île tout au long de ses processus de mutation depuis leur courte histoire. Cette identité apparentée au métissage englobe elle-même de multiples identités selon que chacun se sent appartenir à telle ou telle culture plus qu'à telle autre. Il y a eu et aura encore des obstacles à sa formation, elle sera redéfinie, elle rentrera en conflit interne avec elle-même, et en conflit avec les modèles véhiculés et imposés comme celui de la France.
Mais la particularité de La Réunion, on le voit à travers cette analyse, c'est de ne pas avoir réfuté la coexistence de ces diversités culturelles et donc DES identités et DES autres. Voilà peut-être où se situe son identité : la coexistence malgré tout, en son sein, des identités qui la constituent.
Maintenant que l'identité des réunionnais est mieux cernée, on peut se demander comment elle s'exprime. Où se loge-t-elle ? Quels sont les vecteurs qui la véhiculent au grand jour et qui la portent à la connaissance de tous : aussi bien sur le territoire que sur le plan international ? Allons faire un petit tour dans le monde culturel artistique et marquons au passage une pause du côté du spectacle vivant !
* 59 BAGGIONNI D., MATHIEU M., 1985, Culture(s) empirique(s) et identité(s) culturelle(s) à la Réunion, Service des Publications de l'Université de la Réunion, Saint Denis de la Réunion, 132p. 


Deuxième partie : ... exprimée à travers les secteurs culturels

I. Introduction : définition du terme « culture »

Mais qu'est ce que la culture réunionnaise, comment se manifeste-elle à travers les pratiques culturelles, et en quoi peut-elle être un refuge identitaire ? Il n'est ni simple ni évident de définir le mot « culture ». Pourtant, avant de nous plonger dans l'espace culturel réunionnais, il nous semble important de dresser le cadre de ce que nous entendons par ce terme.
Il existe une définition au sens large (anthropologique) et une au sens restreint (normatif).
Au sens large, la culture est équivalente à la civilisation, à l'humain. Certains sociologues, comme Michel Bassand60(*) opposent le mot « culture » dans son acceptation très large au mot « culturel ». Le « culturel » correspond aux activités organisées allant des arts aux loisirs, des médias aux spectacles. .
Au sens restreint, la culture est la somme des valeurs et des savoirs partagés par des groupes humains. Dans ce sens restreint, on distingue trois types de culture61(*) :
· la culture léguée : gestion des oeuvres et du patrimoine
· la culture agie : éducation et démocratisation culturelle
· la culture active : pratique d'amateurs, créativité individuelle et création artistique.
Dans cette partie, nous nous baserons sur la définition restreinte de la culture, celle considérée comme telle par les administrateurs culturels : Le patrimoine et les musées, le livre et la lecture, les arts plastiques, le théâtre, la musique et la danse.
Il apparaît cependant délicat de dresser une cloison étanche entre définition large et définition restreinte puisqu'il existe toujours une interaction entre les deux. Nous verrons ainsi que lorsque le phénomène identitaire commence à s'attacher fortement à la dimension culturelle, l'identité culturelle (sens anthropologique) imprègne nécessairement la culture au sens restreint.

II. Identification des vecteurs d'une culture

Pour identifier tous les vecteurs de l'identité réunionnaise, nous allons nous appuyer tout d'abord sur une étude62(*) quantitative des pratiques culturelles au sens large (selon l'acceptation de Michel Bassand), en incluant les activités de loisir (aller en pique-nique, visiter des foires ou des salons, aller en discothèque,...). Nous avons choisi d'inclure les activités de loisir pour éviter d'exclure une proportion importante de la population réunionnaise. En effet, pendant l'année précédent l'enquête, 65% des Réunionnais n'ont pas visité un seul musée, 89% n'ont pas vu une seule pièce de théâtre. Ceci dit, ces chiffres sont proches de ceux observés en France métropolitaine : Donnat63(*) montre que pour l'année 1988, pendant les douze mois précédent l'enquête, 70% des français n'ont pas visité un seul musée et 86% n'ont pas vu une seule pièce de théâtre.
Nous allons également nous appuyer sur une étude qualitative de la perception qu'ont les Réunionnais de la culture et de leur propre culture64(*).

A. Pratiques culturelles à la Réunion : une spécificité ?

1) Les activités de loisir: la pratique culturelle des réunionnais

La société Synthèse, a effectué, en octobre 1994 une étude sur les pratiques culturelles des Réunionnais. L'étude prend en compte tous les lieux d'équipement culturel répartis sur le territoire65(*).
(a) Constats
* 60 ABOU S, 1986, L'identité culturelle. Relations interethniques et problèmes d'acculturation, ed. Anthropos, Paris, 235p.
* 61 DJIAN J. M, 1996. La politique culturelle, Le Monde Edit., Paris, 282p.
* 62 BEDIENGER C., 2003, la fréquentation des lieux culturels, Etudes et Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de la Réunion.

Loisirs de détente et promenades
En fait, les chiffres montrent que les pratiques des Réunionnais intègrent surtout les loisirs de détente et de promenade : 75% d'entre eux déclarent dans leurs activités de loisir : le pique-nique et la visite des foires, de salons ou de fêtes commerciales. Les promenades font partie des activités de plus de la moitié d'entre eux.
Autres sorties
Suivent les sorties pour assister à des concerts musicaux et des rencontres sportives et aller en discothèque, pour 40 à 45% de la population.
On passe ensuite au cinéma, la visite de musées ou de jardins botaniques qui ne concernent que le tiers de la population contre le quart seulement lorsqu'il s'agit de visiter des monuments historiques ou assister à des spectacles de danse.
Le théâtre fait figure de parent pauvre avec un dixième de la population seulement qui déclare être allé voir au moins une pièce dans les douze mois précédent l'enquête.
b) Identification de 3 types de courants majeurs dans la population
La population étudiée peut donc être répartie en trois courants majeurs.
A : Les pratiquants de loisirs culturels » (35%)
Ils regroupent environ 1/3 de la population étudiée. Dans ce groupe, la majorité visite les musées (70%), les expositions (77%). Il se manifeste également par un éclectisme qui explique la forte proportion d'amateurs de promenades, de visites de foires ou de salons. Parmi les pratiquants de « loisirs culturels » on observe une sur-représentation de personnes ayant poursuivi des études supérieures.
B : Les pratiquants de « loisirs populaires » (16%)
Ils regroupent environ 1/6 de la population. Ils délaissent les loisirs culturels, mais participent presque tous à des sorties pour des concerts ou en discothèque, des foires ou salons, et vont en pique-nique. Parmi les pratiquants de « loisirs populaires », la masculinisation et l'abaissement de l'âge de ce public sont liés de manière interdépendante à l'attrait de ce public pour les rencontres sportives, les sorties en discothèque, etc.
C : Les « casaniers traditionalistes » (49%)
Ils délaissent la plupart des activités évoquées et ne sont adeptes que du pique nique ou de la visite de foire. Parmi les « casaniers traditionalistes », on observe une sur-représentation des personnes âgées de 50 ans et plus.






2) Le public des spectacles vivants

Bien que le public réunionnais préfère les activités de loisir de détente et de promenade aux activités culturelles, nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement au spectacle vivant comme représentant de la culture au sens restreint.
L'expression « spectacles vivants » utilisée par les professionnels du spectacle est très large. Elle regroupe différentes sortes de spectacles et concerts touchant trois grands domaines : la musique, la danse et enfin le théâtre, les arts de la rue et le cirque.
(a) Le spectacle vivant n'a pas la cote chez le public des lieux culturels : analyse de la fréquentation
L'enquête de la société Synthèse66(*) cible des individus déjà relativement familiers des lieux culturels67(*) (personnes ayant fréquenté un lieu culturel au moins une fois au cours des dix-huit derniers mois). Ainsi, la prétention n'est pas de mesurer la fréquentation des spectacles vivants par l'ensemble de la population, mais par le public des équipements culturels. C'est pourquoi la comparaison directe n'est pas possible avec les enquêtes nationales sur les pratiques culturelles qui ont été menées auprès d'échantillons représentatifs de l'ensemble de la population (aussi bien le public des lieux culturels que le « non public »).
Quelle part et quelle attitude du public des lieux culturels ?
Les deux tiers du public des lieux culturels ont assisté à un spectacle vivant, de façon plus ou moins régulière. Près de 37% peuvent être considérés comme des habitués de cette sortie culturelle : ils déclarent l'avoir fréquentée à plusieurs reprises dans l'année, et près de 22% sont des occasionnels puisqu'ils s'y rendent environ une fois par an. 8% assistent à un spectacle moins d'une fois par an, soit de façon exceptionnelle.
Une sortie moins répandue et fréquente que le cinéma
A la lecture des chiffres, il apparaît que les spectacles vivants tiennent une place moins importante que le cinéma dans les sorties culturelles des personnes interrogées. En effet, assister à un spectacle vivant (théâtre, concert, spectacle, etc.) semble constituer une pratique culturelle moins répandue et moins fréquente : un tiers du public des lieux culturels n'assiste jamais à un spectacle ou à un concert (alors que 14,6% seulement d'entre eux ne vont jamais au cinéma) et parmi ceux qui pratiquent cette activité, la fréquence reste modeste puisque près de 30% se rendent à un spectacle de façon occasionnelle ou exceptionnelle (contre 12,5% des spectateurs de cinéma).
Par comparaison, si on prend en compte l'ensemble de la population, le caractère exceptionnel de la fréquentation des lieux de spectacles vivants est encore plus marqué. Selon une enquête de l'ODR sur les loisirs68(*), plus de 60% des Réunionnais n'ont jamais assisté à un spectacle vivant et, sur le plan national, 53% des Français ne seraient pas allés voir un spectacle au cours des douze derniers mois69(*).
* 66 BEDIENGER C., 2003, la fréquentation des lieux culturels, Etudes et Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de La Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
* 67 Cf. Annexe 3 : Les équipements culturels à La Réunion
* 68 Cité dans BEDIENGER C., 2003, la fréquentation des lieux culturels, Etudes et Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de La Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
* 69 DONNAT O., 1998 Les pratiques culturelles des français, enquête, Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation Française, Paris, 359p.
(b) Profil du public des spectacles vivants comparé à celui du cinéma
Assister à un spectacle vivant s'avère être une sortie plus rare que d'aller voir un film sur grand écran. Quel est ce public qui fréquente ces lieux et apparaît-il très différent du public des salles de cinéma ? Il semble que l'intensité de la fréquentation de spectacles et d'équipements culturels dépend de critères de position sociale comme le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle de manière plus prononcée que la fréquentation des cinémas.
Le niveau de diplôme et l'activité professionnelle
Le niveau de diplôme
Plus le niveau de diplôme est élevé, plus les chances de fréquenter les lieux de spectacles vivants augmentent. 51% des individus non diplômés n'y sont jamais allés contre 20% des diplômés de l'enseignement supérieur. Si on compare au cinéma, l'écart est moins creusé.
D'autre part, les plus diplômés ont également une intensité de fréquentation plus élevée: 52% déclarent y assister plusieurs fois par an contre 22,5% des non diplômés. Le niveau d'étude est plus déterminant pour les spectacles vivants que pour le cinéma.
Activité professionnelle
Les cadres, comme pour la fréquentation des cinémas, représentent la catégorie socioprofessionnelle qui assiste le plus à des spectacles et à des concerts : seuls 14% d'entre eux déclarent ne jamais fréquenter les lieux de spectacles vivants et près de 63% sont des familiers de ces équipements puisqu'ils s'y rendent plusieurs fois par an.
Par opposition, les inactifs et les chômeurs sont ceux pour qui cette pratique culturelle est la moins répandue.
Il est important de souligner que les ouvriers et les agriculteurs qui les fréquentent le font de façon régulière.
Au-delà de certains facteurs de position sociale, d'autres variables comme l'âge et la situation familiale peuvent influencer l'intensité de la fréquentation.
Autres facteurs
L'âge
A l'inverse du cinéma, assister à un spectacle vivant est une pratique culturelle qui augmente au fur et à mesure que les personnes interrogées avancent en âge. Près de 73% des 40-49 ans déclarent les fréquenter contre 61% de 15-24 ans, ce qui rejoint le fait que 39% des étudiants n'assistent jamais à un spectacle. La fréquentation diminue cependant chez les 60 ans et plus puisqu'ils sont 66% à y aller. En revanche, les 60 ans et plus qui pratiquent cette activité le font de façon plus fréquente que les autres classes d'âge : 50% d'entre eux vont voir un spectacle ou un concert plusieurs fois par an contre seulement 24,4% des 15-24 ans.

(c) Goûts/préférences/attentes en matière de spectacles
Les genres
Le concert de rock ou de variété, le plus prisé, est cité par plus de la moitié du public. Les spectacles humoristiques, de musiques et de danses traditionnelles viennent ensuite et témoignent de l'engouement pour les spectacles locaux.
Pour quel public ?
Les spectacles humoristiques attirent un public hétérogène et rencontrent le même succès auprès de toutes les tranches d'âge. En revanche, les concerts rock ou de variétés sont des sorties culturelles qui diminuent avec l'âge, les concerts de musique classique ou les opéras attirent les plus âgés.
Les goûts dépendent parfois du milieu social. Les cadres et professions intermédiaires citent le théâtre et la danse parmi leurs genres préférés alors que les agriculteurs préfèrent les spectacles humoristiques et de musiques et danses traditionnelles.
Les femmes apprécient davantage la danse et le théâtre.
Les pratiques artistiques en amateur n'ont pas d'incidence sur les préférences en matière de spectacle. Le théâtre n'est pas plus prisé des personnes pratiquant le théâtre en amateur. Même chose pour la danse.
Offre des spectacles locaux, nationaux et internationaux
Près de 60% des personnes interrogées pensent que l'offre de spectacles d'artistes locaux est insuffisante. Plus le public est jeune, plus cette opinion est marquée : 68% des 15-24 ans, contre 30% des 60 ans et plus. Les chômeurs, les inactifs et les étudiants adhèrent encore plus fortement à ce point de vue que les autres catégories socioprofessionnelles alors que les retraités et les cadres pensent plutôt le contraire.
Quant à l'offre de spectacles venus de l'extérieur (nationaux ou internationaux), les avis sont plus contrastés. 51,6% des personnes interrogées estiment qu'elle est insuffisante. Comme pour les spectacles locaux, cette opinion varie avec l'âge : plus le public est jeune, plus il trouve l'offre insuffisante.
D'une façon générale, les gens apprécient autant les spectacles locaux que nationaux ou internationaux. Quant aux jeunes, qui aimeraient à la fois davantage de productions locales et plus d'artistes nationaux ou internationaux, ils désirent simplement une offre plus conséquente.

(d) Conclusion
Comme en métropole, les populations assistant le plus souvent à un spectacle vivant sont les cadres ou les diplômés du second degré, quadragénaire ou les étudiants. La musique (locale, nationale et internationale confondues) est l'activité préférée, même si l'offre de spectacles, aussi bien locale que nationale et internationale, est jugée insuffisante par la majorité des personnes interrogées.


B. L'image de la culture pour les Réunionnais

L'enquête précédente70(*) nous a permis de mettre en évidence les pratiques culturelles des Réunionnais et d'insister particulièrement sur le spectacle vivant, mais quelle est leur perception de la culture en général et de leur culture en particulier ?
(a) Perception globale de la culture
La culture associée à la connaissance
Selon l'enquête, parmi le public des lieux culturels, plus de 35% des personnes interrogées considèrent que la culture évoque tout ce qui se rapporte à la connaissance, au savoir et à l'intelligence. Pour eux, la culture représente l'apprentissage de connaissances générales, que ce soit à travers les études, l'éducation ou encore les médias. Elle est également synonyme d'épanouissement et d'enrichissement personnel.
La culture associée aux lieux /événements culturels/l'art/le patrimoine/le divertissement
A côté de ce premier groupe, plus d'un tiers encore des personnes interrogées associe la culture à des lieux et événements culturels : cinéma, spectacle, concert, théâtre, musée, exposition, médiathèque, bibliothèque, etc.
Elle peut également représenter tout ce qui touche à l'art en général, et aux activités artistiques, que ce soit la peinture, la culture, la photographie ou encore la danse, la musique et le chant. C'est la réponse qui est venue à l'esprit de 16,5% du public des lieux culturels.
La culture peut aussi incarner tout ce qui se réfère au patrimoine d'une région et de sa population. Ainsi, pour plus de 14%, la culture représente tout ce qui constitue l'identité et la richesse d'une population : son histoire, ses traditions et ses racines, sa langue, sa religion.
La culture est également perçue comme un divertissement et fait penser à un moment de détente, de fête.
La culture associée à l'identité et à l'ouverture sur le monde
Quand on prononce le mot « culture », certains ont spontanément pensé à leur propre culture, la culture réunionnaise, et ont fait référence au métissage, aux musiques traditionnelles, à la cuisine, à la langue, à l'histoire de la Réunion, etc.
Enfin, la culture a parfois été associée spontanément à l'idée d'ouverture au monde et aux autres à travers les voyages et les échanges, les rencontres et le partage, la découverte et la connaissance d'autres modes de vie.
* 70 BEDIENGER C., 2003, la fréquentation des lieux culturels, Etudes et Synthèse, N°67, Observatoire du Développement de La Réunion, Saint-Denis de La Réunion.
b) L'intérêt de la culture
Une image positive en majorité
Ouverture sur le monde
Peu de personnes ont spontanément associé la culture à une ouverture sur le monde mais quand on leur pose directement la question, rares sont ceux qui ne sont pas de cet avis : plus de 97% sont d'accord avec l'idée que la culture permet de s'ouvrir au monde.
Une richesse
Pour une grande majorité, elle constitue la richesse d'un pays ou d'une région (95,5%), ce qui reprend bien les images de patrimoine et d'identité que le public des lieux culturels lui associe.
Accès difficile et élitiste
Si la majorité du public s'accorde à dire qu'elle représente un véritable intérêt, tant sur le plan individuel que pour une communauté d'individus (un pays, une région, une population, etc.), environ une personne sur cinq émet un bémol et souligne le problème de l'accessibilité économique en déclarant qu'elle n'est pas accessible à tous mais au contraire réservée à ceux qui en ont les moyens. Ce sentiment semble croître avec l'âge puisqu'il a davantage été exprimé par les personnes de 60 ans et plus que par les 15-24 ans. Certaines catégories socioprofessionnelles qui disposent de moyens financiers moins élevés comme les ouvriers, les inactifs et les retraités pensent également qu'elle n'est pas accessible financièrement.
Une image négative dans une moindre mesure
Enfin, la part du public des lieux culturels qui ne lui voit aucun intérêt et qui en a une image totalement négative est minime. Ainsi, seul un très faible pourcentage déclare qu'elle enferme sur soi, est ennuyeuse ou constitue une perte de temps.

c) Perception de la culture réunionnaise
Comment le public des lieux culturels se représente t-il sa propre culture ?
Le métissage au premier plan
Pour plus de 58% du public, la culture réunionnaise est associée principalement au métissage.
Une personne sur deux l'associe aux cases créoles et plus de 46% citent la cuisine créole comme emblème.
Les monuments religieux, les jardins créoles ainsi que les arts et traditions populaires font partie des éléments les moins cités.
Parmi les pratiques culturelles à proprement parler, ce sont les musiques et danses traditionnelles ainsi que les arts et traditions populaires qui sont cités. Le métissage et les cases créoles ne peuvent constituer en soit une pratique car se sont plutôt des symboles.
L'importance de l'âge
Quel que soit leur âge, les personnes enquêtées se représentent la culture réunionnaise avant tout à travers le métissage, les case créoles et la cuisine mais on peut tout de même noter quelques différence de perception.
Les 60 ans et plus évoquent davantage des éléments tels les cases créoles, les jardins et les paysages comme symbole de la culture réunionnaise mais peu ont cité la langue créole. Quant aux moins de 25 ans, ils représentent la catégorie qui fait le plus référence à la canne à sucre.
Selon l'activité professionnelle exercée, les personnes interrogées ne retiennent pas les mêmes éléments pour qualifier la culture réunionnaise. Les agriculteurs sont ceux qui ont le plus souvent cité les musiques et danses traditionnelles ainsi que la canne à sucre et les monuments religieux comme symboles forts ; les artisans, commerçants, chefs d'entreprise et les cadres ont quant à eux davantage fait référence aux arts et traditions populaires. La langue créole a surtout été retenue par les professions intermédiaires et les cadres.




C. Conclusion

Cette étude émanant d'une enquête très enrichissante rend compte des attitudes et aspirations de la population réunionnaise face à la culture. Il est intéressant de noter la part importante occupée par les symboles tels que le métissage, l'architecture, la cuisine et la langue créole pour définir et caractériser la culture réunionnaise. Même si le domaine du spectacle vivant semble moins rassembler les foules que le cinéma, on peut révéler l'aspect attractif que produit la musique locale sur le public fréquentant les lieux de spectacle vivant, d'autant plus que la musique traditionnelle, tel que le maloya par exemple, fait figure de symboles. Peut-être pouvons-nous l'expliquer par le fait que le public réunionnais accorde de l'importance à son identité et que la musique locale semble lui apporter satisfaction sur ce plan. La musique serait ainsi un vecteur privilégié de l'identité culturelle des Réunionnais. La culture et le spectacle vivant en général portent donc les marques de l'identité réunionnaise mais comment s'exprime-t-elle à travers chacun des domaines artistiques et quel domaine s'en fait le vecteur le plus significatif ?
Nous allons aborder ici les vecteurs de l'identité et nous concentrer sur la littérature et surtout sur certains secteurs du spectacle vivant tels que le théâtre et la musique que nous avons choisis comme étant les plus représentatifs. L'art plastique est également vecteur d'une culture mais il n'est pas suffisamment démocratisé ni représentatif à La Réunion pour qu'il soit abordé.

A. La littérature créole

1) Contexte

(a) De l'oral à l'écrit
Le besoin d'adaptation du français, l'utilisation fréquente de patois régionaux et leur diffusion orale, s'ajoutant à l'isolement causé par l'éloignement de la métropole, expliquent à la fois la distance prise avec la langue française, et la variété des langues créoles d'origine française parlées aujourd'hui dans le monde. Bien qu'issues d'une base commune, ces langues créoles sont devenues en grande partie incompréhensibles entre elles71(*).
Le créole s'utilise depuis plusieurs décennies dans la chanson, l'humour, le théâtre et la littérature. Bien qu'il soit très peu utilisé dans les relations de travail et pas du tout dans les actes officiels et les relations internationales, le créole est bien la langue maternelle des réunionnais. Il est couramment utilisé dans la vie quotidienne par la grande majorité des réunionnais. Pendant longtemps, le français est resté la seule langue digne d'être imprimée tandis que les contes s'oubliaient. La langue française avait le privilège de représenter la vie culturelle et les classes dominantes réunionnaises en avaient l'accès privilégié72(*). Tout au long de son histoire, et jusqu'à 1960, la population réunionnaise, dans sa grande majorité, a eu peu de contacts avec l'écrit.
(b) Emergence de la littérature
Il faut attendre le milieu du 19ème siècle pour que se développe une vie littéraire proprement réunionnaise.
Le premier ouvrage imprimé à La Réunion (en 1828) est révélateur des contradictions à venir de la littérature réunionnaise. Il s'agit des « Fables créoles » de Louis Héry. L'auteur est un métropolitain installé à Bourbon depuis 1820 et, comme le titre l'indique, le volume propose des fables en créole, imitées de La Fontaine. Le livre révèle vite un esprit de supériorité vis-à-vis de la langue française : le créole n'y est utilisé que pour amuser la galerie.
Le rôle de la presse
Très vite, le journalisme d'opinion sous le contrôle de l'élite devient le foyer de l'écriture et s'apparente à la littérature. En se multipliant et se diversifiant, les journaux s'ouvrent à la publication de textes au statut imprécis, mais ayant toujours trait à l'île : reportages, souvenirs, effusions lyriques, descriptions de paysages réunionnais ou de coutumes anciennes, réflexions sur la langue populaire, billets d'humeur, etc. Ces publications reflètent un imaginaire insulaire. Les journaux sont restés jusqu'à aujourd'hui le lieu d'expression d'une conscience réunionnaise.
* 71 CELLIER P., 1985, Description syntaxique du créole réunionnais : essai de standardisation. Doctorat d'Etat, Université de Provence.
* 72 AGERON C.R., 1994 , La décolonisation française, coll. Cursus, Armand Colin, Paris, 187p.

Le rôle des associations
Le renouvellement de la vie intellectuelle et littéraire à la Réunion dans la seconde moitié du 20ème siècle, et surtout depuis 1975, est essentiellement le fait d'associations et d'institutions, qui lancent des revues, organisent des colloques, diffusent les résultats de recherches et favorisent la publication d'ouvrages en relation avec l'île.
Le phénomène essentiel des années 1970 et 1980 reste cependant l'ancrage dans l'île d'une production de livres réunionnais. Des associations comme l'A.D.E.R. (Association pour la Diffusion des Écrivains Réunionnais), le M.C.R. (Mouvement Culturel Réunionnais), l'U.D.I.R. (Union pour la Diffusion du Livre Réunionnais) encouragent l'édition.

2) La réunionnité dans la littérature

(a) La poésie et le roman
Les différents genres de création littéraire réunionnaise expriment à leur façon l'identité créole.
La poésie
La poésie domina la scène littéraire réunionnaise du 19ème siècle, avec Leconte de Lisle, le romantique Évariste de Parny ou encore Eugène Dayot. Après la Seconde Guerre mondiale, un nouveau courant poétique s'affirme avec Jean Albany et Jean-Henry Azéma, sur un mode plus revendicatif et plus populaire73(*).
Le roman
Cette nouvelle production littéraire fait son apparition. Elle puise souvent son inspiration dans l'histoire de l'île et dans sa diversité culturelle. Le roman, d'abord dominé par les très conventionnels Marius et Ary Leblond, évolue dans les années soixante-dix. Il devient historique avec Daniel Vaxelaire et Jean-François Sam-long relatant les épisodes des chasseurs de Noirs, la vie de Madame Desbassyns ou des récits d'enfance pittoresques de Dhavid et de Guy Douyére. Parmi eux, Axel Gauvin a su se hisser sur la scène nationale, grâce à d'émouvants romans où le français et la langue créole se mêlent, participant à l'affirmation d'une identité réunionnaise.
Deux tendances se sont opposées ces dernières années, l'une inspirée de l'écriture du français, l'autre basée sur une écriture phonétique du créole.

(b) La littérature réunionnaise d'expression française
Prendre le fictif pour le réel
Si le créole est un vecteur de l'identité, qu'en est-il du français qui veut représenter le monde créole ? On peut voir dans cette littérature l'attrait de l'exotisme. L'écrivain est généralement influencé par les représentations qu'il se fait du monde réunionnais. De ce fait cette littérature est souvent qualifiée de « poésie des îles », avec toutes les connotations paradisiaques que cette appellation suppose. Toute une partie des 18 et 19ème siècles français rêve des îles comme de l'espace du retour du sujet à son essence « loin des méfaits d'une civilisation destructrice qui a perdu le sens de l'homme et du monde, voici l'île-Eden, l'île-Berceau, l'île-Mère... »74(*).
Une grande partie des poésies écrites à La Réunion semble appuyer et justifier ce fantasme européen. Le monde est décrit comme n'étant pas dans le temps mais ailleurs dans l'espace. D'où le bavardage, les stéréotypes et les clichés, la liste des images du rêve. Les poètes de la Réunion parlent de la mer, la montagne, les ravines avec une mise en scène d'une « île bienheureuse ». Mais en étant lucide, on sait que l'île porte l'empreinte de la violence. Tout est illusion et on ne s'étonne pas de voir cette littérature réunionnaise en français être dévalorisée par les tenants de l'identité réunionnaise.
Nier le réel
Si toute une partie de la littérature réunionnaise prend le fictif pour le réel une autre partie ne veut pas le voir. Ceci concerne essentiellement le roman ainsi que la « poésie de la recherche de l'identité ». L'important ici c'est « de dire la réalité qui est porteuse de valeurs réunionnaises pour démasquer le mensonge » mais il s'y installe quand même des clichés. Cette littérature à la recherche de l'identité, en voulant à tout prix construire des héros d'hier (roman historiques) ou du quotidien, met en scène un discours idéologique et ce discours prend la place du réel.
Une littérature pertinente
Faut-il alors conclure que la réunionnité ne peut être mise en évidence qu'en langue créole ?
Il faut revenir au problème de la langue et admettre que si la langue française n'est pas maternelle elle n'est pas non plus étrangère. Il paraît pour certain plus juste de voir l'écriture de la réunionnité en français : « là où l'énonciation se pluralise, où les voix, sans se désoriginer, se travaillent l'une et l'autre, où l'oralité s'inscrit dans l'écriture comme présence agissante de ces voix multiples -ni signes d'exotisme, ni marques du terroir- où le sens n'est pas plein et opaque, où les langues se font place dans une étrange proximité de paroles d'où naît cette inquiétante étrangeté qu'est le texte littéraire réunionnais d'expression française »75(*).
* 74 RAMASSAMY A., 1987 : La réunion, décolonisation et intégration, AGM, Saint-denis

c) Roman féminin et quête de l'harmonie culturelle
La Réunion vit un désir de retour aux sources. Elle apparaît comme un puzzle car divers groupes ethniques, comme on l'a vu, composent la société réunionnaise. Comment faut-il concevoir dès lors la créolité ? Efface-t-elle les particularismes de tel ou tel groupe pour aboutir à un melting-pot ? Doit-elle au contraire renforcer les particularismes au détriment des points communs, au risque de créer des carcans ? Doit-elle gérer, sur fond de respect de l'Autre, des différences qui font l'originalité des mondes créoles ? C'est ce que le roman féminin réunionnais tend à définir, avec des auteurs tels que Joëlle Cadet, Rose-May Nicole, Marie-hélène Payet ou encore Eliette Vellement.
La voie transculturelle dans le roman féminin
Dans l'écriture des romancières réunionnaises le créole n'est jamais absent mais il est diversement utilisé en restant fidèle à la situation sociolinguistique du moment. Elles montrent un certain réalisme qui se fonde sur la continuité entre le français et le créole. Chaque langue a fait un pas vers l'autre pour permettre la compréhension de tout un chacun, francophone ou créolophone. L'écriture n'est alors ni le créole, ni le français. Elle n'est pas pour autant une langue métisse car les éléments ne fusionnent pas, ils vont à la rencontre ou sont proches l'un de l'autre. On y voit par exemple une possibilité de cohabitation entre les Blancs et les Noirs et donc la possibilité de passer d'une culture à une autre.
En bref, les romancières veulent dire la richesse du monde réunionnais, se battent pour que tous y aient leur place. Toute la Réunion telle qu'elles la rêvent est présente dans leurs romans. Mais l'écriture laisse paraître la difficulté de dire un monde réunionnais harmonieux, et la rencontre avec l'Autre s'avère toujours problématique.
Une rencontre difficile avec « l'Autre »
Le métissage biologique rejeté
Pour qu'il y ait rencontre avec l'Autre, il faut d'abord qu'il y ait reconnaissance de celui-ci. C'est une peur qui hante les romans féminins, peur du métissage qu'on peut appréhender selon les différents ouvrages. Cette peur peut révéler l'angoisse d'une perte identitaire. « La peur du Noir n'est pas seulement la peur de l'Autre ressentie par un Blanc, elle est aussi la peur d'un Moi que l'on considère comme étranger à soi : c'est la conscience qu'a le Noir, le Cafre, d'être inférieur au Blanc, associé au désir de « blanchiment » souvent évoqué en dérision par la formule créole « gingn la koulèr », c'est-à-dire « devenir blanc ». (Albert Ramassamy La Réunion, décolonisation et intégration).


La difficulté d'être soi
Aller à l'encontre de l'Autre implique une reconnaissance de soi que le roman féminin montre comme étant torturée. Ce mal être se traduit par un refus d'être soi qui conduit à l'aliénation, au rejet de soi. Le Même n'ayant pas d'existence, le rapport avec l'Autre est perturbé : celui-ci devient la référence unique qui empêche toute construction identitaire.
Si la littérature peut servir aux réunionnais à crier qui ils sont, nous pouvons cependant constater que tout au long de l'histoire, ce domaine artistique est fortement influencé par la culture française. Par quels autres moyens et de quelle façon l'identité des réunionnais peut-elle être exprimée sans trop souffrir des tentatives d'acculturation véhiculées par la métropole ?

B. Le secteur du spectacle vivant comme tremplins

Nous entendrons par « spectacle vivant » toutes les activités d'expressions artistiques telles que : la musique, le théâtre et la danse.
Dans cette partie, nous verrons dans quelle mesure le rapport à une histoire issue de la période de l'esclavage donne, ici plus qu'ailleurs, une responsabilité particulière des artistes réunionnais du spectacle vivant qui doivent accompagner et réinventer le travail de l'historien.
Nous allons voir que la culture créole se manifeste essentiellement à travers les secteurs artistiques liés au spectacle vivant.

1) Pourquoi avoir choisit le spectacle vivant ?

Les productions artistiques et la construction identitaire
De 1991 à 1995, une équipe de recherche en anthropologie a été mise en place pour étudier le phénomène artistique à La Réunion et dans l'océan Indien. Des travaux de Rose-Marie Var, Pierre Gilbert, Frédéric Borne, nous avons pu tirer plusieurs synthèses76(*). Elles reflètent la diversité des approches et des regards. Les rapports entre la société et la culture, entre l'organisation sociale et les expressions artistiques, sont peut-être plus difficiles à appréhender dans un champ artistique éclaté, au moment où la musique, le théâtre, la danse se mondialisent.
Analyse du lien
Si l'on considère le spectacle vivant comme un système culturel qui véhicule du sens et si on examine de près les activités artistiques on remarque, en tant qu'étranger, qu'elles révèlent l'identité des habitants. Le principal est de comprendre la pluralité des codes dont se servent les sujets locaux pour décrire leur propre identité de cerner leur situation, que ce soit sous une forme musicale, théâtrale ou tout autre forme artistique. Dans cette analyse, il ne faut pas perdre de vue que l'expression artistique puise dans l'espace sémiotique propre à la population étudiée et dans les liens qu'elle entretient avec d'autres espaces sémiotiques. On peut alors s'interroger sur les oeuvres traditionnelles comme sur les genres nouveaux d'expression orale et musicale. Ensuite, on peut mettre à jour leur organisation interne, les relations, les principes de formation et de transformation de ces modèles, avant de mettre à jour les usages, les pratiques et les règles qui gouvernent la production de ces modèles, les classes, les rangs et les positions de ceux qui les créent et de ceux qui les adoptent. On constatera ainsi qu'ils fonctionnent le plus souvent comme de véritables emblèmes de l'identité culturelle.
Mais, face à l'instabilité sociale et économique, il faut admettre que la société invente, crée, développe à travers les arts du spectacle, une nouvelle façon de décrire les mutations culturelles et d'interpréter le quotidien.
Certains lieux d'expression de cette production artistique et culturelle, rappellent les « non-lieux » de la surmodernité que décrit Marc Augé77(*). Dans le non-lieu, les personnes sont de simples utilisateurs ou consommateurs et ils sont seuls. « Dans les non-lieux, personne n'est chez soi mais on n'y est jamais non plus chez les autres ».
L'artiste réunionnais serait-il plus à l'aise dans un non-lieu que dans un lieu de l'identité partagée ? Cela peut paraître paradoxal quand on sait que le Réunionnais, et plus particulièrement le Métis, a le sentiment de réunir toutes les identités, de vivre dans une société qui a perdu ses points de repères. On retrouverait ainsi l'artiste réunionnais dans ces « micro-communautés » qui ne sont pas fermées sur elles-mêmes, mais ouvertes sur le sens de leur rôle « inter-communautaire » ? Les jeunes artistes réunionnais formeraient alors une pluralité de micro-sociétés. Si l'on se place à l'échelle de population de l'île de La Réunion, on s'attend par exemple à ce que la musique réunionnaise ait des répercussions sur toutes les catégories sociales comme le zouk aux Antilles. Cette influence est recherchée par les principaux artistes réunionnais. Si l'on choisit le spectacle vivant et plus particulièrement la musique, comme modèle unique du champ artistique réunionnais lui-même inscrit à l'intérieur des différents champs de production culturelle c'est que ce secteur nous semble le plus représentatif de l'identité à La Réunion. Cependant, si « La musique est une activité essentielle du savoir du rapport social » selon Frédéric Borne78(*) et que « L'expression musicale intervient à différents niveaux de la construction symbolique des identités » il ne faut pas perdre de vue les autres vecteurs d'identité.
* 76 CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion
* 77 Augé M., cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La
Le théâtre et L'expression corporelle
Dans le domaine théâtral les rares tentatives de représentation liée à l'identité échouent et on doit attendre 1982 pour que des thèmes tels que l'esclavage ou le colonialisme puissent être présentés en public.
On sait depuis les travaux de Clifford Geertz79(*) que la communauté aime se montrer et se raconter. Il nous montre comment une collectivité utilise ses contes, légendes, anecdotes, dictons, croyances, mythes et rites, pour identifier les situations qu'elle vit et expliquer comment les gérer. Les troupes théâtrales et de danse font des choix en fonction de leur environnement social, de leur projet de création culturelle, et des contraintes qu'ils subissent vis-à-vis du secteur artistique les entourant.
Il est intéressant de voir que, comme les héros des pièces du théâtre Talipot, les troupes réunionnaises se positionnent entre « l'appel du grand large » et « les limites du lagon »80(*). Leur lieu d'implantation est octroyé par une municipalité acquis quelquefois après plusieurs années d'errance et de nomadisme comme le théâtre d'Azur à Saint-Pierre (troupe créée en 1987), Acte III à Saint-Benoît, Talipot à Saint-Louis (depuis fin 1993) et Vollard à Saint-Denis.81(*)
L'appropriation d'un espace par une troupe ne doit pas nier la façon dont son public se le réapproprie.
Évoluer « dans les limites du lagon » pour une troupe théâtrale, cela signifie-t-il que l'on prenne en compte les instances administratives de l'île ou bien que la population locale se sente concernée par la pratique théâtrale et intègre cet espace dans son « monde de vie » comme étant le sien. Sur ce territoire la concurrence est rude entre les troupes et elle ne peut être comprise que dans « une interaction globale ». On rejoint ici « l'appel du grand large » qui fait évoluer les troupes dans l'espace régional de l'océan Indien, en métropole, en Europe, voire au Canada, ainsi bien sûr qu'au rendez-vous annuel d'Avignon. Il y a une tendance à hiérarchiser l'appartenance des troupes selon deux grands types d'espace, une sorte « d'extra-territorialité » réelle ou artificielle (créolité, réunionnité, francité, européanité, citoyenneté mondiale, africanité, etc.) et des territoires de proximité (villages, quartiers, voisinages, etc.). On ne peut pas comprendre le sens de la production artistique réunionnaise (théâtrale, chorégraphique, musicale, etc.) sans comprendre cet aspect hiérarchique et les interactions avec les individus. C'est d'ailleurs par la relation entre systèmes, entre sociétés, que l'on peut faire apparaître les identités de la communauté, des groupes et des individus, la hiérarchie des valeurs de chaque système. Le rêve d'universalité de la créolité, de la réunionnité, est aussi le rêve d'universalité de la production théâtrale. « L'appel du grand large » de la troupe est souvent celui des personnages de leurs pièces ce qui prouve que cette problématique identitaire se retrouve dans les créations théâtrales. On a aussi de plus en plus tendance à faire venir « le grand large » à La Réunion. Certains festivals se proposent d'interroger la mémoire et de devenir une quête identitaire. Dans le même temps, « l'art métis est aussi la chance d'une ouverture sur l'Universel, chance de découvrir l'autre comme le prolongement de soi-même »82(*). Il s'agit alors d'inviter des artistes de La Réunion, de Madagascar, d'Afrique, de l'Inde, du Sri Lanka, de Métropole, des Comores, pour « tisser des liens, les reconnaître, tisser une toile de fraternité, qui au-delà des formes différentes fait apparaître une unité de destin ».
Ce discours rejoint celui de la créolité antillo-guyanaise et du « métissage comme énoncé prophétique »83(*) qui a pour but de sublimer l'hérédité, de promouvoir l'interculturalité, et qui repose beaucoup sur la participation de l'artiste.
* 79 GEERTZ C., 1988, Ici et là-bas, cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion
* 80 Idem
* 81 Cf Annexe 3 : Les équipements culturels à La Réunion.
* 82 CHANE-KUNE S., 1993, Aux origines de l'identité réunionnaise, l'Harmattan, Paris, 206p.
* 83 CHAUDENSON R., 1995, Les Créoles, Que-sais je ?, Presses Universitaires De France, Paris, 127p.


Le métissage des secteurs artistiques
En tant qu'expression culturelle d'une identité, la production artistique fait largement appel à la tradition orale, aux coutumes et aux modes de vie anciens. Ainsi, dans « Alor l'arbre la di » la pièce du théâtre Talipot (1994), l'esclavage et le marronnage constituent l'environnement des personnages. Dans « Carrousel » de Vollard, on se replonge dans l'ambiance des « fêtes foraines lontan », selon l'inspiration de l'auteur qui a rassemblé les souvenirs de son enfance à Cilaos84(*). Lier la musique, le théâtre et la danse dans une même dynamique est à la fois ce que l'on tente de réaliser dans un espace commun (le regroupement des associations qui se partagent l'espace à Jeumon, par exemple), dans un même festival (Tempo, Art Métis, etc.), mais aussi dans la plupart des créations. La danse contemporaine tente depuis quelques années de profiter de l'élan créé par la musique. Le théâtre associe régulièrement la danse et la musique à ses principales créations. Sur le plan musical, Danyel Waro et Gilbert Pounia, le leader de Ziskakan, ont également travaillé avec la compagnie de danse Koméla. Il n'y a pas de coupure nette à l'intérieur du champ culturel réunionnais entre les différentes disciplines artistiques. On peut également remarquer que les évolutions sont parallèles, suivant l'évolution d'un autre champ culturel: celui de la littérature. L'évolution de la littérature est en liaison avec la revendication identitaire et s'appuie sur des mythes. Les mythes du Marronnage expriment, en particulier, le refus de l'assimilation et le mythe du Métissage heureux l'espoir de conciliation.

2) Analyse historique de la musique

Quoi de plus révélateur de la vie d'un peuple que ses chansons ? « Elles sont, face à la littérature conventionnelle, la référence de la culture au sens le plus large ».85(*) De plus, nous avons vu que la musique est l'activité culturelle préférée des Réunionnais, ce qui entraîne une adaptation rapide de l'offre musicale aux goûts du public.
(a) Les héritages ancrés dans la tradition
Si un certain nombre de phénomènes sont spécifiques à La Réunion, d'autres, au contraire, peuvent se retrouver dans un ensemble plus vaste: celui des musiques de tradition orale mêlant une origine française avec les influences extra-européennes. C'est-à-dire les musiques créoles. Le rapprochement avec d'autres îles de l'Océan Indien, et plus particulièrement avec l'île Rodrigues est donc pertinent. Trop souvent inconnue des Réunionnais, sa musique témoigne de relations anciennes et profondes entre les deux îles, et définit en même temps la notion de musique traditionnelle. La Louisiane, de même, peut paraître bien éloignée de l'océan Indien, mais s'en rapproche culturellement et musicalement.
Pour définir cet héritage on peut s'appuyer sur les vecteurs de la musique traditionnelle que sont les instruments caractéristiques d'une région où leur emploi est fixé de façon continue par la tradition musicale locale. (les tambours, les flûtes, les cornemuses, et d'autres de création moderne comme le violon ou l' accordéon.)
Le joueur de musique traditionnelle acquiert généralement son savoir d'autres individus par transmission orale.
Le répertoire de type traditionnel est obligatoirement fondé sur la pratique des danses. Celles-ci peuvent être locales et aussi anciennes que les instruments et conservent alors leur nom dans la langue d'origine.
Héritages européens
Les français sont les plus nombreux mais ne sont pas les seuls européens à peupler l'île : Portugais, Flamands, Allemand, Irlandais, etc. Cette diversité d'origines de la première génération de colons blancs s'effacera très rapidement, conduisant à la disparition des phénomènes musicaux particuliers. Ne resteront que ceux qui se référaient au modèle français.
Sur le plan des instruments, se sont le violon et la flûte qui sont hérités. Ils sont indispensables pour les danses. Viennent ensuite les fifres, les tambours et les cuivres. Les danses introduites dans l'île sont le quadrille, la polka, la mazurka, la valse et la scottish ainsi que la généralisation des bals.
Ainsi s'affirme dès le départ une des tendances de la vie musicale locale : suivre le plus exactement possible le modèle de la France, en tout cas dans les milieux les plus riches qui entretiennent des contacts étroit avec la métropole.


Héritages afro-malgaches
Les instruments introduits sur l'île par les esclaves sont essentiellement des percussions dont l'usage s'est perpétué jusqu'à nos jours par la pratique du maloya. Ainsi le kayamb qui est une sorte de grand hochet, le houleur qui est un gros tambour et l'arc musical, sont encore utilisés, parfois sous des formes simplifiées.
L'origine de certains instruments reste incertaine : Madagascar ou l'Afrique de l'ouest. Certain ne survivront pas jusqu'à nos jours dans l'usage populaire réunionnais (il s'agit par exemple du valiha qui ressemble à une harpe, du timba, de l'ancive qui est un coquillage et des grelots de jambe).
A partir du 19ème siècle, les témoignages s'accordent à souligner le rôle essentiel des Africains dans la musique et la danse populaire Réunionnaise. En 1817, L. de Freycinet86(*) note pour la première fois le nom que les exécutants eux-mêmes donnent à leur danse : « ...ils composent de petits airs, presque toujours pleins d'expression mélancolique et dont la mélodie plaît à l'oreille européenne la plus exercée : on désigne généralement ces airs sous le noms de chéga, ou plutôt tchéga. » et il ajoute une petite note sur l'origine du mots : « Le noms de tchéga se donne aussi à une danse de Mozambique qui pourrait être comparée au fandango des Espagnols (...) au milieu d'un cercle nombreux et au son du « tam-tam » s'élancent un danseur et une dame... ».
L'étymologie de séga confirme l'origine africaine de la danse (elle vient peut-être même du swahili sega qui signifie « relever, retrousser ses habits »). La description qu'il donne de leurs chants et danses s'apparente bien aux ancêtres du maloya réunionnais, du séga ravanne mauricien, du séga tambour rodriguais et du moutia des Seychelles dont la communauté d'origine africaine paraît incontestable.
Héritages indien
Les indiens sont les derniers à apporter leur participation au monde musical réunionnais, particulièrement après l'abolition de l'esclavage. On peut cependant, grâce à des voyages et des témoignages de sociologues, trouver précisément décrits, représentés et dotés de leur nom tamoul, tous les instruments apportés par les premiers immigrants qui sont encore en usage aujourd'hui. Les instruments pratiqués de façon traditionnelle sont des percussions comme par exemple le tapou (tambour circulaire) et des instruments à vent.
Si les objets sont restés les mêmes, leurs noms ont sensiblement changé. En effet le phénomène de la créolisation s'est également appliqué à la langue tamoule pour certains noms. Tous ces instruments ont toutefois conservé la fonction religieuse d'origine et ne sont donc pas intégrés à l'instrumentalisation populaire réunionnaise87(*). Par exemple dans les temples de plantation hindou, la musique est marquée par la pratique de percussions dont l'usage est réservé au prêtre. Le tambour le plus utilisé est le tapou. Aucun des tambours ne pénètre à l'intérieur du temple : la présence de la peau animale viendrait souiller l'espace où reposent les divinités. Confinés à l'extérieur mais à proximité du temple, leur espace, bien délimité, est néanmoins considéré sacré. Dans un langage codé, ils appellent les divinités et accompagnent les phases de la cérémonie. L'exécution simultanée des rythmes et leur aspect répétitif, assurent une communication directe et claire entre les dieux et les hommes ce qui est le but de chaque cérémonie. La musique y est donc organisée en fonction des appels adressés aux divinités et, dans cet univers symbolique, elle assure une mémoire collective. L'exécution musicale limite les possibilités de modifications ou d'improvisations car ces transformations peuvent venir parasiter la communication avec les dieux. L'efficacité rituelle passe ainsi par la musique. C'est cette fonction médiatrice du tambour qui donne à l'instrument une dimension sacrée.
Malgré sa richesse, l'héritage musical indien restera longtemps peu connu car il ne sera généralement visible à l'extérieur des temples qu'à l'occasion de cérémonies accessibles aux spectateurs n'appartenant pas à la communauté tamoul : processions, marches sur le feu, bal...
Malgré son importance fondamentale dans la religion hindoue et la culture indienne, il n'existe pas de témoignages anciens sur la pratique de la danse à La Réunion. On peut penser que les diverses formes de danse religieuse demandaient comme aujourd'hui de longues années d'étude, et étaient pratiquées uniquement par des professionnels attachés à un temple. Les danses traditionnelles profanes ou reliées aux rites de moisson peuvent avoir disparu par suite des changements d'activités et de modes de vie subis par les engagés. Une forme de théâtre dansé survit cependant de nos jours à travers la pratique du bal tamoul. Il est interprété uniquement par des hommes et met en scène des épisodes des grandes épopées indiennes.
La disparition des chants populaires tamouls s'explique par l'abandon de la langue tamoule au profit de l'usage du créole.
* 86 De Freycinet P. cité par LA SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion, Azalées Ed, 271p.


(b) Bousculement des traditions
Les métissages musicaux entre noirs et blancs
Les traditions musicales des Européens et des Noirs s'influenceront mutuellement au cours du 18ème siècle. Un véritable métissage musical conduira progressivement à la formation d'un nouveau séga, spécifiquement réunionnais dans lequel des « airs paraissant appartenir à la musique européenne s'approprient un caractère d'originalité exotique ».88(*)
La coexistence de deux groupes, Blancs et Noirs, entraînait inévitablement des phénomènes d'imitation réciproque. Un autre phénomène se fixe à cette époque en milieu Noir pour se perpétuer jusqu'à nos jours, celui des chansons « Kabaré ». Le mot vient du malgache « Kabary » qui correspond à une cérémonie de culte des ancêtres célébrée dans les familles d'origine malgache et provoquant une assemblée. Elle se prolongeait par des danses « kabaré » assimilables au maloya et ayant gardé ce sens aujourd'hui.
L'adaptation et la créolisation
Au-delà de l'influence mutuelle des traditions musicales de diverses origines on assiste à une adaptation typiquement réunionnaise des instruments et des danses européennes. La spécificité de la musique Réunionnaise et la formation d'une tradition locale naissent en fonction du choix et de la diffusion de certains instruments. Le violon et l'accordéon introduits d'Europe sont choisis pour la formation de musiques locales. Ils s'étendent dans les pratiques rurales et permettent de populariser des instruments aux qualités proches. Accordéon diatonique, violon, banjo et triangle constitueront donc, en particulier dans les Hauts89(*), ce qu'on pourrait considérer comme l'ensemble créole-type. La fabrication des instruments européens sur place est également à relier au phénomène de l'adaptation. De nombreux témoignages attestent l'ancienneté et la persistance de cette pratique. Le banjo, très populaire, est souvent réalisé en utilisant les ressources du pays.
La danse souligne également cette tendance. La popularisation du quadrille n'est pourtant pas un phénomène spécifiquement réunionnais et on l'observe dans certaines provinces françaises. La même démarche se retrouvera pour toutes les danses du 19ème siècle telle que la polka introduite à La Réunion en 1845. Elle présente beaucoup d'éléments avec les airs de quadrille et reste populaire. Il en va de même pour la mazurka et la valse, la scottish.
Le répertoire chanté est aussi adapté. Musique, chant et danse s'interpénètrent. Là encore les documents anciens n'existent pratiquement pas, cette lacune permet cependant de mieux cerner le problème de la tradition orale. En effet, la fin du 19ème siècle voit naître une multitude d'oeuvres écrites. D'après le répertoire subsistant l'adaptation des paroles peut être d'abord involontaire car la transmission orale de mots étrangers favorise les déformations. Elle peut aussi volontairement viser à intégrer rapidement une chanson extérieure en la créolisant. Enfin, on a pu introduire dans un texte français des éléments significatifs du milieu local.
* 88 LA SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion, Azalées Ed, 271p.

Le cas particulier de la musique indienne
Nous avons vus plus haut l'héritage de la musique indienne dans les milieux ruraux, arrivée avec les premiers engagés Malbars des plantations et qui se perpétue aujourd'hui. A une époque plus récente, une partie de ces Malbars a donné naissance à une communauté Tamoule, généralement urbaine. On sent aujourd'hui chez les uns comme chez les autres le désir de se donner des marques visibles distinctives, tant au niveau individuel (par les vêtements, par exemple) que collectif (l'architecture des temples). Les rituels et les musiques qui les accompagnent viennent ancrer ces différences, tout en participant à la construction d'une identité propre à chacun des deux groupes. Il est incontestable que l'Inde ait largement influencé les productions musicales de La Réunion. Après la lecture et l'analyse de l'ouvrage dirigé par Florence Pizzorni-Itié90(*) on comprend mieux que l'espace indo-créole de l'île offre un lieu intéressant d'observation pour le domaine musical.
La musique des grands temples
La musique des grands temples urbains est très différente de celle des temples ruraux. Jouée à l'intérieur comme à l'extérieur du temple, elle est composée d'un ensemble instrumental diversifié dont est exclut le tapou car il est associé aux sacrifices d'animaux. L'ensemble instrumental est composé de deux hautbois où l'un assure la mélodie et l'autre tient lieu de bourdon. A cet ensemble hétérogène se joignent occasionnellement les tablas et un petit harmonium portatif. Ces deux derniers accompagnent les chants dévotionnels, les « Bhajans », et les chants classiques récemment importés d'Inde ou de l'île Maurice. Si l'apprentissage et la transmission de la technique instrumentale reposent généralement sur un lignage familial (patrilinéaire), les grands temples accueillent désormais des enseignements livrés par des maîtres venus de sud de l'Inde. Aux côtés de la langue tamoule, on y apprend notamment le chant classique, la technique des divers instruments. Ces nouveaux apports bouleversent les habitudes musicales des gens sur le plan de l'exécution et sur les choix de répertoires et des critères d'appréciation. Elle se rapproche davantage d'une conception occidentale de l'accompagnement car il s'agit ici d'honorer les dieux à travers une esthétique musicale fondée sur la beauté de l'interprétation, la richesse des timbres ou la qualité vocale des chanteurs. En souhaitant « s'indianiser » les musiciens favorisent l'introduction d'instruments et de techniques vocales propres au continent.
* 90 PIZZONI-ITIE F., 1998 : Tropiques métis, Edition de La Réunion des musées nationaux, Seuil, Paris, 142p.

Métissage avec l'Inde
L'évolution musicale du rural vers l'urbain lance un débat social sur l'identité culturelle et sur la notion d'authenticité. Certains revendiquent la conservation et la valorisation d'un patrimoine Malbar, même créolisé, lié aux origines populaires. Les pratiques musicales et religieuses des milieux de plantation traduisent une volonté d'inscrire la malbarité dans cet espace socioculturel. Elles sont basées sur la répétition du geste et sur une conception philosophique. Il apparaît que la musique des plantations, par l'aspect répétitif du rythme, lié au respect des règles ancestrales, s'apparente à une représentation mythique de l'expression humaine.
Les tenants de l'indianité préconisent une philosophie qui tourne le dos aux pratiques villageoises des premiers engagés indiens. Il s'agit là aussi d'un retour aux sources, mais où le cadre de référence n'est plus la société de plantation à La Réunion, mais l'Inde où la musique est considérée comme un moyen artistique d'honorer les dieux. Des instruments comme l'harmonium et les tablas, associés aux cultes des grands temples, peuvent donc être vus comme des symboles identitaires. La musique ne renvoie pas au collectif et à la répétition du geste, mais à l'individualité et à la créativité. La place qu'elle laisse à l'individu, la diversification de son répertoire et surtout, la part importante de créativité lors des improvisations la rapproche davantage d'une représentation artistique de l'activité humaine.
Deux mondes qui répondent à des logiques sociales, religieuses et culturelles distinctes s'édifient. Cette tendance est due aux changements sociaux et au changement du mode d'insertion des originaires de l'Inde dans toute la société insulaire. Chacun des deux groupes est soucieux d'authenticité et engagé dans un projet identitaire. Bien que distincts, chacun des deux groupes montre une cohérence qui assure une pérennité au projet identitaire. Sans cette cohérence, aucune identité culturelle ne peut vivre.



c) La création
Les modèles mis en place avec les musiques traditionnelles et les métissages musicaux vont servir à innover.
Le séga : de la tradition aux variétés
La période succédant à la Grande Guerre aura des conséquences multiples et profondes sur le domaine musical. Par leur mise en contact direct avec les métropolitains, les musiciens créoles partis pour la France vont moderniser leur répertoire et revenir le jouer localement. L'importation des gramophones influence ensuite la musique traditionnelle locale en introduisant massivement des modèles musicaux extérieurs.
Les vieilles danses disparaîtront peu à peu. Dans les milieux urbain, l'heure est aux innovations : tango, java etc. Le quadrille va commencer à décliner dans la faveur populaire et le terme « séga », jusqu'alors synonyme de danse lascive, désignera de plus en plus la « danse des Noirs »91(*). Autre changement important, la composition des orchestres de ce nouveau séga se modifie. Les instruments modernes supplantent peu à peu ceux des groupes traditionnels. L'accordéon diatonique est abandonné au profit du chromatique, aux possibilités mélodiques plus étendues et par conséquent plus appropriées à l'interprétation des musiques de variétés. Le jazz fait son entrée sur la scène. La musique qui n'est plus soumise au diatonisme devient à la fois plus recherchée et plus sensible aux influences extérieures. Les paroles perdent leur caractère habituel de grivoiserie et, dans un créole de plus en plus francisé, les ségas sont plus accessibles. C'est Georges Fourcade qui marque les débuts des variétés créoles et son influence sera profonde. Fourcade est l'auteur de la chanson réunionnaise la plus populaire : « petite fleur aimée » qui est devenue le second hymne national de La Réunion. Les autres compositeurs continueront à écrire sur son modèle et à composer des ségas sur les mêmes principes. Son oeuvre a donc une place à part, puisqu'elle s'est répandue par le biais de la tradition orale.
La Seconde Guerre mondiale isole de nouveau La Réunion. On verra un retour vers les traditions antérieures. A partir des années 50 l'apparition du 45 tours, la création d'une station de radio locale vont donner naissance à une véritable petite industrie du disque local. Le séga va se transformer de plus en plus tout en étant reconnu comme expression populaire réunionnaise. Il subira l'influence des lois du show business avec l'apparition de vedettes locales, l'emploi généralisé des instruments électriques, l'emprunt d'autres rythmes (disco, slow...). On peut pourtant toujours parler de séga traditionnel dans certains cas. Des ensembles de musiciens continuent à interpréter un répertoire de polkas et de ségas anciens, entrecoupés de compositions modernes ou extérieures apprises par la radio. De façon générale, de nombreux musiciens traditionnels s'expriment encore, mais uniquement dans un cadre restreint de fêtes de famille, particulièrement en milieu rural. Ce type de musique n'a pas accès aux médias. Pratiquement aucun enregistrement n'en est fait ou, en tout cas, diffusé. La situation est donc inquiétante car ce patrimoine important est ignoré du grand public, et en particulier du public composé des jeunes, ce qui semble le condamner.
* 91 LA SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion, Azalées Ed, 271p.

Le maloya : des « Camps » aux banlieues
L'origine du mot « maloya » semble venir d'une racine malgache exprimant la notion de plainte ou de douleur. Son apparition est récente puisque le premier à l'employer semble être George Fourcade lorsqu'il écrit « petite fleur aimée ». Il désigne l'ensemble des pratiques de chant et de danse relevées au 19ème siècle comme « danse des Noirs » et s'applique aussi aux aspects musicaux du kabar.
Ce terme est passé d'abord par le stade de séga-maloya mais il portait à confusion en désignant des formes d'expression fortement différenciées: le « séga primitif » danse des Noirs et le « séga métissé » séga créole.
Les instruments déjà évoqués dans les héritages afro-malgaches (kayamb, houleur, arc musical) sont toujours à la base du maloya et n'ont pas subi de modifications. On introduit de nouveaux instruments dans cette composition générale. Les paroles du maloya sont toujours en créole, elles sont basées sur l'improvisation. On peut cependant noter un retour à l'utilisation de la langue malgache depuis quelques années.
La danse est indissociable de ce chant. Le chanteur lance la première phrase en provoquant une réponse de l'assistance. La musique provoque rapidement une véritable réponse corporelle des participants qui se mettent à danser tout en répondant au soliste. Cette valorisation de l'expression corporelle explique en grande partie l'utilisation du Maloya dans les pièces de théâtre actuelles.
Ce maloya traditionnel est encore pratiqué au niveau de familles ou de groupes restreints d'origine souvent métissée. Le rôle des engagés du 19ème siècle, les Malbars, est important dans la conservation et l'évolution du maloya. Ils vivaient dans les mêmes conditions et les mêmes camps que les autres habitants de couleur dont ils ont rapidement adopté les pratiques culturelles. Alors que d'autres délaissaient une forme d'expression perçue comme liée à l'époque de l'esclavage pour mieux s'intégrer.
d) Les évolutions contemporaines :
Le maloya : messager de l'identité
A partir de 1960, le maloya est de plus en plus reconnu et devient porteur des revendications sociales. Il se transforme alors véritablement en élément de représentativité d'une identité réunionnaise d'autant plus que la politique commence à l'utiliser. Son origine historique dans le chant des esclaves, son rejet par ceux qui voulaient s'aligner culturellement sur la métropole, son caractère spontané et collectif peut avoir un impact sur les électeurs. Dans les années 60, le Parti communiste réunionnais en profite pour relancer le maloya sur une grande échelle. Ainsi, en 1962, relatant un spectacle avec un orchestre de bobres et de caïambes à l'occasion d'un grand bal de l'Union Générale des étudiants créoles de La Réunion, Paul Hoarau écrit : « C'est donc une expression de l'âme réunionnaise, aussi valable que d'autres et que pourtant l'on ne connaît pas et que l'on voudrait ne pas faire connaître aussi. La démonstration de samedi soir a provoqué un choc, certainement, et fait découvrir à certains Réunionnais l'existence d'autres Réunionnais, frères mais combien différents. »92(*)
Après cette période de reconnaissance on va jusqu'à introduire dans les paroles du maloya des thèmes politiques et des problèmes d'actualité: revendications sociales, autonomie, émigration, etc.
Le « séga réunionnais » en revanche a connu un autre sort. Après la départementalisation, la composition des orchestres est modifiée avec l'introduction massive de phénomènes musicaux extérieurs. Les paroles sont de plus en plus francisées. Les ségas deviennent alors de véritables chansons acceptables partout tout en évoquant les aspects typiques de la vie réunionnaise.
Le Maloya d'aujourd'hui
Le changement le plus important se situe au niveau de la représentation d'une identité réunionnaise. Si le séga primitif était par définition « l'apanage des Noirs », on considère le maloya comme « musique de classe » en postulant que la forme d'expression des seuls prolétaires noirs de jadis peut exprimer les revendications de tous les prolétaires d'aujourd'hui.
On assiste à diverses réactions. Des troupes folkloriques redécouvrent le maloya et portent leurs efforts sur la recherche de paroles sans connotations politiques. Elles vont en faire un spectacle à vocation touristique.
Dès la fin des années 70, des troupes de jeunes issues du milieu associatif et urbain remplacent progressivement les groupes ruraux, à caractère familial, généralement constitués autour d'un ancien, détenteur de la tradition (par exemple la famille Viry, Daniel Waro, Gramoune Lélé). Le maloya trouve alors pour un temps une diffusion très large sous une forme encore traditionnelle. Cependant après cette période de redécouverte, le phénomène s'essouffle car les artistes et leur public deviennent plus sensibles aux musiques extérieures.
De nouveaux métissages s'opèrent: on allie les guitares électriques et la batterie de la musique « pop » tout en conservant le rythme de base. Les paroles ne sont plus improvisées mais véhiculent une quête d'identité culturelle des jeunes générations. Les thèmes expriment les problèmes de la société et les lieux d'expression changent. On conserve cependant le mot kabar pour ce type de spectacle. L'aspect dansé n'est plus du tout fixé par la tradition et on bouge sur ce maloya électrifié comme sur les autres rythmes.
Le pionnier du genre est le groupe «Ziskakan » aux opinions politiques engagés. Il a d'abord été freiné par l'indifférence des médias et par l'hostilité des autorités. Pourtant, son travail opiniâtre de militantisme culturel portera finalement ses fruits.
A partir de ce moment, il est évident que l'on ne peut plus parler de musique traditionnelle mais plutôt de nouvelle musique réunionnaise à bases traditionnelles.
* 92 HOARAU P., Article séga-maloya, Le Progrès 4 sept. 1962, cité par LA SELVE J-P., 1995 : Musiques traditionnelles de la Réunion, Azalées Ed, 271p.
Produit d'identité ou de consommation ?
A partir des années 80, le maloya électrique devient « un produit de consommation »93(*) omniprésent mais à la fin de cette décennie, le marché donne des signes de saturation et un genre nouveau apparaît. Comme à Maurice on crée une musique de fusion entre le maloya électrique et le reggae appelé le « malogué » dont le succès est fulgurant auprès des jeunes.
Ainsi, fidèles à l'esprit du maloya, gardant l'usage de ses instruments traditionnels, des musiciens ouverts aux grands courants universels, (Alain Peters, Ti Fock, Mastane et toujours Ziskakan), proposent de nouvelles musiques à la fois ancrées dans la tradition et ouvertes aux grands courants de la WorldMusic : jazz, rock, reggae, musique indienne, africaine...
Conclusion
La musique de La Réunion est donc à la fois riche, diverse et spécifique. Pourtant, comme ailleurs, l'essentiel de ce que nous avons pu observer est en train de disparaître sous l'effet d'une évolution rapide des modes de vie et des mentalités.
Aussi, dans une région où l'on évoque la quête de l'identité culturelle, il paraît pour certain indispensable d'assurer la préservation de cet héritage. L'exemple du maloya est significatif à cet égard. Il nous permet de voir comment une forme d'expression traditionnelle presque oubliée et rejetée peut être redécouverte en tant que telle mais aussi servir de base à la création de nouvelles formes d'expression.
Enfin, un regain d'intérêt commence à se manifester pour les ségas de variétés des années 50 et 60. Ils sont désormais considérés au même titre que les standards du répertoire créole que sont devenues avec le temps les oeuvres d'un Fourcade.
* 93 POTHIN G., 1999, Un élément de l'espace muséal Réunionnais : Stella Matutina, Thèse de Doctorat, Université de la Réunion.




C. Analyse approfondie du secteur musical

1) Aperçu de la réalité musicale à La Réunion

Le paysage musical de l'île de La Réunion offre une diversité étonnante. Non seulement on trouve dans tous les coins de l'île des formations composées de musiciens amateurs ou semi-professionnels, mais en plus ils pratiquent des styles musicaux allant de la chorale au rap, en passant obligatoirement par les formes spécifiques à l'île telles que le maloya ou le séga partagé avec les îles avoisinantes. On assiste à l'assimilation des courants de musique internationaux, tels que l'héritage classique, le rock, ou des rythmes dansants comme le reggae, aussi bien qu'aux mélanges insolites.
Il est préférable d'abord d'identifier le champ de la production culturelle pour l'analyser : il s'agit bien sûr de l'île, du territoire du Département, et de l'activité musicale qui s'y manifeste. Mais cette activité n'est pas cloisonnée. Elle déborde sur d'autres activités culturelles des Réunionnais, telles que la danse, le théâtre, et même la littérature. Elle participe à la vie musicale de la métropole, en tant que département français et tout comme la métropole elle s'enrichit de la musique internationale, à dominante anglophone. Nous pouvons donc concevoir ce champ musical proprement dit comme étant enrichi de deux autres champs: celui de la culture créole réunionnaise, dont la particularité est l'utilisation de la langue créole et le champ de la vie musicale française, qui essaie tant bien que mal de protéger sa spécificité d'exception culturelle devant la mondialisation de la production musicale.
Dans ces trois champs de production culturelle, les artistes et leurs associés - producteurs, techniciens, professionnels du spectacle - essaient de placer leurs produits afin d'assurer le meilleur rendement possible, que ce soit sur le plan purement commercial tels que les ventes de billets de concerts, de disques et de droits d'auteur mais également sur le plan du capital culturel, celui de la notoriété et du rayonnement en termes de statut social ou même de prestige politique. Cet investissement du capital culturel de la musique pourrait donc intervenir pour le cas réunionnais dans un, deux ou trois des champs que nous venons d'identifier, et avec des effets différents. Il est intéressant aussi de prendre en compte le terme « d'habitus » de Bourdieu.94(*)
On peut définir l'habitus comme la façon dont les structures sociales s'impriment dans nos têtes et nos corps par intériorisation de l'extériorité. À cause de notre origine sociale et donc de nos premières expériences puis de notre trajectoire sociale, se forment, de façon le plus souvent inconsciente, des inclinaisons à penser, à percevoir, à faire d'une certaine manière. L'habitus renvoie à tout ce qu'un individu possède et qui le construit. Ajoutons que, si dans la même classe sociale, les habitus sont proches, ils ne sont néanmoins pas identiques car chaque individu est confronté à des expériences sociales plus ou moins diverses. C'est l'habitus qui explique la reproduction, à l'insu des acteurs eux-mêmes, des rapports sociaux. On pourrait presque affirmer que les genres musicaux tels que le séga, la musique classique ou le jazz constituent en eux-mêmes des formes d'habitus, tant ils influencent la forme musicale mais également la façon dont le public la saisit, et même l'endroit où elle se produit: théâtre, église, salle de concert, boîte de nuit, fête populaire, etc.
La concurrence entre les différentes formes musicales peut également susciter des exemples de violence symbolique pratiquée à l'égard de tel style musical, en général quand il est perçu comme une menace à l'habitus culturel dominant : une illustration frappante serait celle de l'interdiction longtemps pratiquée à l'égard du maloya, « musique d'esclaves » censée troubler l'ordre public.
* 94 BOURDIEU P., 1979, La Distinction. Critique sociale du jugement, cité par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion

2) L'aspect social de la musique

(a) Les mythes
D'après le dictionnaire « le Robert », le mythe est un récit qui raconte une histoire symbolique, des événements tels qu'ils se seraient produits dans des temps antérieurs à ceux du temps présent. Si on s'en réfère à Gilbert Durand95(*), le mythe est « un système dynamique de symboles, d'archétypes et de schèmes » qui tendent à se constituer en récit. L'ethnologue Claude Lévi-Strauss relève que les événements rapportés par le mythe sont éloignés dans le temps, situés dans un temps avant l'histoire, "avant la création du monde"96(*). Un mythe est porté par une tradition orale. Il explique par un récit les phénomènes naturels, le statut de l'homme, ses rapports avec le divin et la nature, et notamment la mort. Les mythes apportent les réponses attendues par les sociétés qui les véhiculent et proposent une explication basée sur la poésie mais ramenant toujours à la réalité du monde. Il est bien difficile de situer les choix de chaque musicien, mais on peut considérer que les mythes interfèrent en permanence dans la production musicale réunionnaise. Ils sont empruntés des différentes composantes du métissage. Ces mélanges peuvent étonner mais « rappellent le maloya qu'on entendait dans les villages » d'après Gilbert Pounia, chanteur du groupe ziskakan. Impossible donc d'oublier les mythes qui ont accompagné la formation de l'identité réunionnaise et qui se retrouvent, entre autre, dans la musique. Ils portent souvent sur la période de l'esclavage et du métissage en s'appuyant sur les thèmes de la nature (le feu, l'eau), le temps, l'exil, la mère, le père et bien d'autres encore révélateurs de l'imaginaire réunionnais.
(b) La filiation
La filiation et l'appartenance à un environnement musical structurent les musiques et les identités.
La filiation, c'est tout d'abord celle de traditions dont on s'inspire, par exemple celle du « quadrille » des bals, des danses de « Sociétés ». C'est ensuite une tradition familiale, par exemple à La Réunion, la pratique du « servis kabaré », l'hommage aux ancêtres qui fait l'objet d'une cérémonie rituelle. Des groupes de maloya voisins ou connus de la famille sont ainsi invités à participer à la fête. Mais le groupe de maloya, c'est aussi la famille regroupée autour du père, comme chef de file, les enfants et certains membres de la famille élargie (Granmoune Lélé et sa famille, par exemple). Aucun étranger n'est admis dans le groupe. Ce peut être également des jeunes résidant dans un même quartier. Viennent se greffer ensuite des appartenances régionales et locales. On peut, à partir de ces groupes familiaux ou de quartier, identifier des groupes qui se réclament du sud (Baster ou Ousanousava, par exemple), de telle région, d'un cirque97(*), parce qu'ils se sont fait une réputation dans leurs quartiers, parce qu'ils expriment un état d'esprit, l'esprit de la localité, « l'esprit des lieux » parce que les musiciens sont avant tout des « sujets locaux ».
La musique ne peut être saisie que dans son aspect social, rejoignant les « habitus » dont parlait Bourdieu et qui sont des dispositions durables et transposables, qui viennent s'articuler sur les autres champs de la réalité sociale.
* 95 DURAND G., cité par BENIAMINO M., 1992, L'imaginaire Réunionnais, Edition du Tramail, Saint-Denis de La Réunion, 276p.
* 96 LEVI-STRAUSS C., cité par BENIAMINO M., 1992, L'imaginaire Réunionnais, Edition du Tramail, Saint-Denis de La Réunion, 276p.
*
(c) La crise identitaire
La musique est le principal vecteur de la langue réunionnaise absente dans la sphère publique. Elle permet de raconter le quotidien de la société et clame une identité qui se revalorise à son contact. Avec l'apparition du maloya électrique, issue d'une utopie, il y a rupture avec la tradition établie. Tout comme le reggae en Jamaïque, le maloya a un rôle d'intégration sociale.
A La Réunion la musique est parfois devenue pour certains jeunes de milieux défavorisés et en mal de vivre, le moyen d'être reconnus. Beaucoup de personnes s'appuient sur elle pour se construire un avenir sur les base d'une nouvelle identité.

3) Analyse des discours sur le Séga et le Maloya

S'intéresser à la musique favorise donc la compréhension des enjeux sociaux à La Réunion car ce secteur artistique est partout et c'est la production culturelle la plus populaire de l'île. Elle permet la communication directe des textes idéologiques. Si la structuration du champ musical réunionnais permet de comprendre les référents identitaires, intéressons-nous de plus près aux conceptions qu'en ont les individus. On verra ainsi que les analyses de ces discours nous obligent à intégrer la musique dans la question de l'identité. Les deux courants musicaux que sont le séga et le maloya semblent être le foyer de l'identité réunionnaise dans ce champ artistique. On remarque une tendance chez les réunionnais à mettre en opposition les deux genres et à leur attribuer des origines différentes. Cette tendance résulte d'une vision unanimiste qui caractérise le besoin d'affirmer une identité en cherchant entre le séga ou le maloya la seule musique autorisée à représenter tous les Réunionnais. Des discours sur le séga et le maloya ont été recueillis par Brigitte Desrosier98(*). La musicologue a récolté les impressions des individus sur le rôle de la musique, ses fonctions et son organisation.
Dans les sociétés créoles, la recherche permanente d'une histoire fait que le discours influence la mémoire collective et embrouille les faits. Il ne s'agit pas de douter de l'oralité réunionnaise mais ne perdons pas de vue le passé de la société. Dans ce cadre soulignons que la musique pourrait être une stratégie utilisée à des fins identitaires. Nous allons analyser ces discours récoltés par Brigitte Desrosier.
(a) La musique comme stratégie identitaire
Les discours sur la musique véhiculent une série de termes et d'affirmations que l'on peut relier à une quête de l'identité.
Quête identitaire positive
Un individu peut ainsi utiliser la musique comme moyen de s'affirmer individuellement dans la société :
« Notre but par la musique, c'est de sortir de ce qu'on est. Sortir de ce contexte là, de cette situation où on a rien, où on peut pas s'extérioriser, où on peut pas avoir de réussite sur sa vie. On est des jeunes, par la musique on veut toucher, parler de ce qu'on est, de l'esprit réunionnais. »
« Je veux faire de la musique. J'ai envie de dire aux gens ce que je suis, ce que j'ai vécu. Car tu vois les Réunionnais, ils sont vachement complexés. C'est par rapport à l'éducation tu vois. Ça se reflète en nous. Sentiment de supériorité, d'infériorité. »
Cette quête individuelle de l'identité peut s'effectuer dans le cadre d'une identité réunionnaise collective partagée et réinventée :
« Les jeunes sont en quête d'identité, vite il faut trouver la musique qui nous ressemble. On n'a pas toujours l'information pour savoir qui on est, comment puiser les sources. [...] j'essaie vraiment de retrouver mes racines, de retrouver une certaine originalité à travers la musique. J'essaie de faire des morceaux, de ne pas trop me soucier des structures occidentales. Moi je suis pas totalement français mais j'essaie de trouver un équilibre dans cette société. »
* 98 DESROSIER B., in CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion.
Quête identitaire négative
Si la recherche d'une identité propre se vit de façon positive, elle peut aussi se vivre de façon négative, en excluant certaines expressions musicales ou certains apports :
« Je suis contre la musique métropolitaine, c'est la musique de l'oppresseur. Je refuse un petit peu car nous, on n'a pas le temps de se réaliser que déjà on est envahi. »
« Au début notre groupe de rock ça marchait bien. On a monté une association. C'est difficile de demander une subvention quand en plus c'est pas du maloya, alors que la moindre cassette de maloya qui va sortir, on lui file 20000 balles. [...] Depuis dix ans il y a un grand engouement pour le métissage du maloya. Ça aurait pu bien se passer mais au lieu d'accepter toutes les cultures, toutes les musiques, il y a eu un blocage sur les musiques noires. Le maloya quand il est arrivé, il a bloqué le rock. »
« A La Réunion, il y a une mentalité. Supposons que je me mette à chanter en français, je vais me faire carrément moucater. Voilà! Le Réunionnais (...) doit rester Réunionnais. »
Comme les discours individuels marqués par l'emploi de thèmes liés à l'identité, les textes des chansons de maloya électrifié confirment la quête identitaire : racine, nation, ancêtres Africains ou Indiens, mémoire, sont récurrents dans les textes de chanson.

(b) Une dualité entre séga et maloya à l'image de la société...
Il y a un moment, et cela est très visible dans les musiques populaires, où le maloya et le séga se rejoignent, mais ce n'est pas cette fusion qui est décrite par les individus dans leur discours. Au contraire, n'est mentionné le plus souvent que ce qui les sépare. Il y a refus de la moindre filiation entre les deux mais parfois les individus nomment ces points de rencontre, ce qui prouve qu'ils existent. Les extraits d'entretiens99(*) que nous allons citer sont révélateurs de cette dualité.
L'un moderniste, l'autre passéiste
« Le séga et le maloya ? c'est pas le même mélange. maloya c'est resté quand même plus africain. Et puis le maloya c'est lié à un contexte. Maintenant c'est devenu un peu pareil, le séga, le maloya. C'est une question de paroles. Le séga c'est une chanson avec des paroles toutes simples, toutes bébêtes ».
Bien que ces musiques soient facilement identifiables, tout devient plus flou lorsqu'on se penche sur leur passé, que l'on essaie de suivre leur développement et de retracer leurs origines. Il est aussi difficile d'en donner une définition exacte puisqu'ils ne réfèrent pas à une seule réalité mais bien à des ensembles de phénomènes. Au fil du temps les deux genres ont évolué tout en correspondant à des réalités multiples. Ainsi, le maloya est à la fois un genre traditionnel festif, une musique rituelle, une danse, et désigne ce nouveau courant qu'on appelle maloya électrique. Il véhicule donc un « esprit » social et une philosophie de vie. Pour les défenseurs du maloya, cette musique est avant tout un moyen d'exprimer des idées, liées pour une bonne part à un besoin d'affirmation identitaire, mais qui passent par une remise en cause d'un système social jugé inégalitaire. Le séga est associé à la domination coloniale blanche, « sa pratique est perçue parfois comme une réaffirmation d'un esprit néocolonial ». Pour ceux qui donnent un rôle d'affirmation socio-politique à la musique, « l'esprit » maloya et « l'esprit » séga reflètent des attitudes différentes souvent opposées, issues de réalités sociales et politiques différentes. Certaines personnes associent ainsi un « esprit » conservateur au séga ou un « esprit » progressiste au maloya mais il arrive qu'on fasse un amalgame entre les deux. Finalement, on pourrait penser que la polarisation dans les discours des termes séga et maloya relève plus du contexte socio-historique que de la réalité musicale observée aujourd'hui. Cette nouvelle série d'extraits d'entretiens tente d'illustrer le type d'opposition qu'on associe à ces musiques :
* 99 DESROSIER B., in CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion.
L'un pervertie, l'autre qui résiste
« Il y a deux courants de musique à La Réunion. Y a le séga qui est une espèce de danse d'Afrique rentrée dans les salons qui serait mélangée avec des danses d'Europe : scottish etc., ou en tout cas serait juxtaposée. Musique pas métissée mais plutôt pervertie, presque détournée. Pas du tout pure. Le maloya c'est un chant de lutte, de résistance, de refus non pas de l'autre mais de se couler dans un moule. [...] une manière d'affirmer l'identité réunionnaise. [...] Y a donc deux courants sur la base du maloya, le maloya électrique avec des musiciens qui cherchent, pas forcément traditionnels, qui font de la guitare, du clavier mais qui ont cette musique chevillée au corps, car c'est pour eux, à mon sens, une réalité identitaire, un repère identitaire. Donc, y a des gars [...] qui ont travaillé en Europe, mais qui sont des Réunionnais profonds qui se réfèrent à ce qui est un repère identitaire qu'est le maloya... »
On relève dans ce témoignage que l'apport d'un modèle européen dans le séga peut être considéré comme une perversion par certain réunionnais. Sans doute que cet apport dans la constitution du séga occasionne un sentiment de gêne car ce métissage prive les réunionnais d'une autonomie. Par contre, le maloya est bel et bien associé à la véritable identité réunionnaise. Ceci implique que le maloya, musique des esclaves, serait le fond culturel de tous les Réunionnais.
Attribuant le même rôle identitaire au séga, une jeune étudiante questionnée sur la musique locale répondra pourtant dans un article sur la culture que « Le séga ça marche très bien. Ce genre est très apprécié par les Réunionnais et représente parfaitement notre culture. »100(*). L'extrait suivant nous donne plutôt l'impression du contraire:
« Le séga avec sa structure harmonique, rythmique et mélodique nous amène à se demander où est le réunionnais là-dedans. 90% du séga est européen ».
* 100 Le Quotidien, 4 octobre 1992, in CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université de La Réunion

c) Pour trouver une unité
« Chacun voudrait que sa musique à lui soit reconnue comme la musique réunionnaise ».
Cette simple phrase prouve le désir des Réunionnais d'affirmer une identité originale en utilisant la musique. Les pouvoirs publics l'utilisaient comme instrument de promotion identitaire et comme outil d'intégration sociale pour les jeunes. Même si le discours politique prône les cultures plurielles, il semble en fait que l'on favorise une musique plutôt qu'une autre et donc que l'on recherche une unité. « On veut trouver une musique qui deviendra une référence ultime pouvant servir de drapeau identitaire » au dépends bien souvent des autres musiques. Il y a une fermeture face à l'autre, face à ce qui ne serait pas réunionnais. Le séga et le maloya font figure de symboles. A travers eux, à travers les termes utilisés pour les décrire, persiste cette dualité, exprimée par une série d'antonymes: pureté/métissage, blanc/noir, esclave/colonisateur, Réunionnais/Européen, jeune/vieux, commercial/authentique, pur/perverti etc. Maintenant, chacun choisit son camp et prône l'une ou l'autre comme référence, dans un but d'harmonie. Cette unité passe par la dualité et le conflit.
(d) Positionnement dans un contexte de mondialisation culturelle
Il est intéressant d'interroger les artistes pour connaître leur vision culturelle selon leur histoire et celle de leur société. Pour Danyel Waro, le maloya est « une façon de vivre, une respiration, un mélange » qui s'oppose à la musique actuelle. Pour lui le maloya ne s'apprend pas tandis qu'une autre position moderniste affirme que ce courant musical s'apprend. Ces deux positions reflètent les fractures de la société réunionnaise : tradition/modernité.
On dit aussi que les Antillais aiment leur musique, le zouk, mais que les Réunionnais n'aiment pas leur musique. Il y a de toute façon une opposition très marquée entre la demande locale telle qu'elle est présentée (faire du séga traditionnel, du maloya, dans les foires, dans les fêtes, dans les hôtels, dans les lieux touristiques) et l'offre proposée (« fusion », « progression », « jazz »). On aurait, pour reprendre le modèle des trois mondes de Popper et d'Habermas101(*), un modèle « idéel » représenté soit par le marché touristique local, soit par le militantisme culturel, mais surtout un modèle « idéel » basé sur la « world music » (la fusion) assez éloigné de « La Réunion lontan » et des directives prises en faveur du séga.
Si le public est d'abord local, il faut cependant se positionner par rapport au marché mondial et surtout par rapport à la métropole. Pour savoir ce qu'il va advenir de la musique réunionnaise il faudrait étudier toutes les stratégies appliquées par les musiciens réunionnais, les professionnels du spectacle vivant, les responsables politiques et les cadres administratifs qui dictent la vie artistique réunionnaise. D'autres facteurs que la quête identitaire interviennent et modèlent les comportements musicaux. On peut citer par exemple la situation économique liée à la commercialisation des musiques ou à l'octroi de subventions publiques à la culture, les motivations personnelles, l'énergie créatrice et les besoins d'expression.
La Réunion, par sa diversité et par son statut de département français, vit sa recherche identitaire sur le mode conflictuel. Pour comprendre les discours contradictoires recueillis plus haut, il ne faut pas les mettre en relation avec la réalité sociale et ses enjeux identitaires. Cela nous permet d'interpréter les comportements musicaux comme des stratégies identitaires conscientes ou pas. Les stratégies conscientes proviennent des politiques culturelles basées sur des axes définis. Les stratégies inconscientes sont plutôt repérables à travers les discours, les définitions, les associations d'idées que les individus expriment lorsqu'ils parlent de musique. Tous les messages contenus dans les discours impliquent une revendication identitaire du type: « je veux exister, je veux être reconnu, nous voulons exister et être reconnus ». La diversité des revendications identitaires peut s'expliquer par les multiples origines de la population et les conceptions dualistes héritées de la société esclavagiste mais La Réunion est aussi une société moderne, complexe et stratifiée. Il est donc normal de ne pas trouver un seul discours.
Pour certains groupes d'individus, la revendication liée au maloya, fait davantage appel à un projet social, à une lutte pour l'égalité qu'à un projet lié à l'ethnicité. Néanmoins, nous croyons que cette revendication sociale se fonde sur une sorte de vision mythique des sociétés noires. Le projet égalitaire resterait possible si les racines africaines des Réunionnais étaient pleinement assumées afin de rebâtir sur cette base. Les Réunionnais ont des difficultés pour se regrouper. Malgré les apparences on parle beaucoup du manque de solidarité entre les individus. Le maloya est alors utilisé pour véhiculer le désir d'une communauté basée sur une société égalitaire. L'utopie est là, cachée derrière cette idée de communauté. Elle consiste à voir un modèle social idéal dans les sociétés « Noires », et symbolisé dans la musique « Noire ». On commence à associer les notions d'élitisme, de bourgeoisie, de conservatisme, de non-dynamisme aux productions culturelles européennes et à l'inverse, attribuer les valeurs opposées aux musiques dites noires. Cette vision ne suscite pas l'unanimité dans une population dont le trait marquant est l'hétérogénéité et dont une large proportion de la population est de descendance européenne, donc Blanche.
La compréhension de la musiques comme vecteur d'identité est ainsi passée par une analyse des enjeux sociaux et historiques et surtout, par la description des composantes stylistiques des musiques et de leur fusion. Ensuite l'analyse des interférences entre les représentations révélées par les discours et la réalité nous aide à mieux comprendre le rôle de la musique en tant que stratégie identitaire.
Conclusion
Il est évident maintenant qu'en venant s'ancrer dans les rituels, le social et le culturel, les domaines du spectacle vivant apparaissent comme des symboles puissants, comme des marqueurs d'identité. Les pratiques culturelles des réunionnais ont révélé le rôle des différents secteurs artistiques sur le plan identitaire car ils correspondent aux attentes des consommateurs et à leur vision de la culture comme messagère d'une image de leur région. L'analyse des différents champs artistiques est ensuite venue confirmer l'importance du spectacle vivant, plus populaire et accessible que les autres secteurs artistiques. On en a ainsi déduit sa capacité à véhiculer de façon la plus authentique possible la culture réunionnaise (au sens anthropologique). Puis l'analyse historique et sociale du secteur musical a permis de faire ressortir au grand jour ce qu'il cachait au plus profond de lui : des genres musicaux multiples reflétant la société hétérogène et chacun des individus. La musique est un vecteur parmi d'autres mais c'est le vecteur qui permet de chanter La Réunion et de la monter tantôt divisée, tantôt unifiée. C'est le miroir de la société où chaque conflit et chaque aspiration s'y retrouve. Enfin, c'est un vecteur malléable, offrant des possibilités infinies de construire, défaire, rebâtir, changer la société en perpétuelle mutation. Dans les multiples pistes qu'elle ouvre pour changer de peau on peut choisir un hymne, puis un autre et encore un autre au fil du temps et pour crier « JE SUIS ! NOUS SOMMES REUNIONNAIS ! ». Si les vecteurs artistiques servent de scènes d'expression pour l'identité réunionnaise ils ne sauraient exister sans les acteurs d'une politique culturelle qui sont les collectivités territoriales et les professionnels de la culture. Allons maintenant faire leur connaissance et appréhender ce terrain avant de nous pencher sur un exemple : l'Office Départemental de la Culture.
* 101 Popper, Habermas, cités par CHERUBINI B., 1996, Regards sur le champ musical, Travaux & Documents, Université

Troisième partie : l'expression identitaire : analyse sur le terrain

I. Introduction

Si l'identité des habitants de l'île se retrouve et s'exprime dans les productions littéraires, théâtrales et surtout musicales qu'en est-il de la volonté des acteurs culturels de la prendre en compte ? Les institutions politiques, les nombreuses entreprises culturelles ainsi que les artistes réunionnais qui s'y produisent ont-ils misés sur une reconnaissance régionale de la culture ? L'ont-ils au contraire abandonnée au profit d'une volonté de se positionner sur le marché mondial en se basant sur des productions standardisées, appréciables et comprises par la majorité des pays engagés dans le processus des échanges mondiaux ? Font-ils la synthèse entre production locale et internationale dans le but de s'ouvrir aux autres tout en affirmant leur identité ? Nous avons vu que le public réunionnais n'était pas hermétique à une ouverture sur les productions artistiques extérieures. La multiplicité de leurs origines explique en grande partie cette capacité qu'ils ont à s'ouvrir sur le monde et à être tolérants.
Toutefois, on a aussi révélé l'importance pour les réunionnais de valoriser leur culture. Cette volonté est d'autant plus grande qu'ils sont en pleine reconstruction identitaire depuis la fin de la colonisation et qu'ils ont donc besoin, pour ce faire, de s'appuyer sur des repères stables les aidant à se définir et à se valoriser par rapport aux « Autres ». Nous verrons en quoi l'Office Départemental de la Culture (ODC) peut répondre à ces aspirations. Il propose une programmation variée où se mêlent les différents styles musicaux, le théâtre et la danse. Les spectacles sont la plupart du temps fréquentés par une clientèle d'habitués qui s'intéresse de près au monde culturel.
Pour drainer un public de plus en plus nombreux et averti, l'ODC met en place un certain nombre de stratégies. La plus importante consiste à se créer une image qu'il véhicule via une politique. Cette politique de programmation doit être cohérente avec l'image qu'il veut montrer au public de lui et qui lui servira à ériger une véritable identité. On pourra ainsi l'identifier comme une structure qui a pour but de promouvoir la culture comme moyen de développement, d'offrir un programme culturel de qualité, riche et varié, de participer à l'affirmation de l'identité Réunionnaise, de démocratiser l'accès à la culture, de veiller à l'équilibre entre les spectateurs locaux et extérieurs et de permettre la décentralisation des spectacles. Ces axes constituent la base de toutes ses actions sur lesquelles vont venir se greffer une philosophie globale qui lui est propre et qui devra répond aux attentes de son public à travers un choix de programmation artistique approprié. D'autres stratégies auront ensuite pour objectif de mettre en oeuvre la programmation préalablement pensée de manière la plus professionnelle qui soit. Les professionnels qui oeuvrent dans ce sens devront ainsi mettre leur savoir technique, administratif, communicationnel et artistique au profit de la réalisation des objectifs et du fonctionnement global de l'entreprise. Dans ce cadre, si l'on considère les spectacles de l'O.D.C comme des produits de consommation, on peut dire qu'ils constituent une offre répondant à une demande provenant des consommateurs. Par extension, on peut alors déduire que toute entreprise culturelle existe par rapport à un public et donc, à une demande.
Mais l'O.D.C et son public se situent sur un territoire abritant d'autres agents oeuvrant dans le domaine culturel et qui sont eux même guidés par leur propre politique. Il est donc primordial, de décrire l'environnement dans lequel l'O.D.C s'inscrit avant d'engager la moindre étude sur son fonctionnement et sa capacité à servir de vecteur aux identités réunionnaise. Une meilleure appréhension du monde culturel qui l'entoure, allant des institutions politiques jusqu'aux professionnels de la culture, nous permettra d'envisager les influences éventuelles qui peuvent s'exercer sur lui et les liens qu'il a pu tisser avec les autres acteurs.




II. Description et analyse de l'environnement culturel de l'ODC

A. L'environnement politique : la décentralisation à l'origine d'un développement culturel brutal

Les acteurs de la politique culturelle à La Réunion participent, via des axes bien définis, à la construction culturelle de la Région. Prennent-ils en compte les éléments qui constituent l'identité de la population comme ligne d'action ? Sont-ils plutôt engagés dans une dynamique d'acculturation à la métropole et au monde ?

1) L'apport des lois de décentralisation

En 1981, le Parti Socialiste tout juste au pouvoir décide de réformer les institutions culturelles dans le sens de la décentralisation et d'attribuer un nouveau rôle aux assemblées régionales : c'est la reconnaissance nationale des identités régionales. Cette reconnaissance se traduit dans des dispositions réglementaires spécifiques aux départements d'Outre-Mer.
En adoptant le principe de la libre autonomie des collectivités locales, ces lois ont modifié la répartition des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales. En matière culturelle, la loi du 22 juillet 1983 confirme la compétence des collectivités locales pour les bibliothèques, les enseignements artistiques, les archives et les musées. Elle permet également aux élus de s'auto-administrer et de concevoir leur propre politique culturelle.
(a) La revendication d'une politique culturelle adaptée aux réalités locales
En 1982, lors des assises de la culture s'inscrivant dans le contexte de la création de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), s'affirme la revendication d'une politique culturelle adaptée aux réalités locales.
Prise en compte de la réalité
Les réalités locales de la Réunion se définissent à partir de trois éléments : sa spécificité géographique, l'originalité de son histoire et la diversité de son peuplement102(*). Ces assises sont l'occasion d'affirmer la pluralité de la culture réunionnaise et de demander que priorité lui soit donnée. La défense de la langue créole prend également une large part. Il est demandé, en plus, la création d'un Conseil Permanent de la Culture Réunionnaise. Mais les thèses développées sont à l'origine d'un affrontement de deux positions : l'une défendant la nécessité de prendre en compte la spécificité locale, et par conséquent de faire connaître et d'enseigner l'histoire de La Réunion, l'autre souhaitant l'assimilation à la métropole. Il est à noter toutefois que même si ces assises ont marqué les réflexions sur le développement culturel de l'île, elles n'ont pas débouché sur une définition claire des politiques culturelles des collectivités locales.
* 102 Cf. Annexe 1 : Carte de La Réunion et Annexe 2 : Carte des migrations




L'identité réunionnaise comme facteur de développement
L'enjeu de la prise en compte de l'identité culturelle réunionnaise se situe aujourd'hui au centre des débats sur le développement. Cependant, force est de constater que cette idée est surtout développée par les partis de gauche.
A droite, on ne renie pas l'enjeu que représente l'identité culturelle, mais on le classe en second plan par rapport aux enseignements artistiques, historiques et civiques.
Le parti socialiste affirme la nécessité de redéfinir une identité réunionnaise en unité culturelle plurielle pour permettre l'épanouissement individuel. Il affirme également très fortement la notion de « peuple réunionnais ». Les thèses du parti communiste développent plutôt l'idée de l'échange. Leur problématique consiste essentiellement à accéder à une « culture de développement » responsabilisant les Réunionnais et leur permettant de sortir de cette crise d'identité. La méthode de ce parti est celle de la mise en place d'un mouvement dialectique entre l'authenticité des cultures ancestrales et leur fusion dans une identité commune. Ce parti ce positionne formellement contre une folklorisation de la culture réunionnaise, celle-ci devant « engager le pari de la qualité et s'ouvrir sans complexe aux autres ».
Le patrimoine est considéré par tous les partis comme l'axe prioritaire de toute politique culturelle des collectivités, l'enjeu étant la constitution d'une mémoire collective.

2) Les acteurs de la politique culturelle et la prise en compte de l'identité

(a) La politique culturelle du Conseil Général : défenseur de la culture locale
Nous n'avons malheureusement pas pu obtenir un rendez-vous avec Catherine Chan-Khun qui est la responsable du service culturel du Conseil Général. Toutefois en se rendant sur place en juillet 2004, sa secrétaire nous a fourni quelques documents assez intéressants concernant les orientations politiques du service culturel103(*).
Evolution des orientations politiques : affirmer l'identité réunionnaise
De 1985 jusqu'à 2002
L'objectif principal du Département depuis 1985 consiste à permettre aux Réunionnais de se réapproprier leur histoire. Pour le réaliser il va donc initier des programmes de restauration des équipements culturels départementaux existants et créer d'autres structures en vue de l'affirmation de l'identité réunionnaise. Son souci principal est alors de concrétiser deux objectifs qui sont :
  • · Affirmer un projet culturel réunionnais,
  • · Affirmer le rôle culturel de la Réunion dans la région.
De 1995 à 2002, la politique culturelle est reconduite et se définit en trois orientations :
  • · Affirmer l'identité réunionnaise,
  • · Démocratiser l'accès à la culture,
  • · Promouvoir la culture comme moyen de développement économique et d'insertion sociale.
La politique depuis 2003
La politique mise en oeuvre en 2003 a conforté le positionnement de la collectivité en tant que partenaire du monde artistique et associatif104(*).
Son objectif prioritaire concerne les aides directes apportées à la création, la diffusion artistique et au développement culturel. Les différents axes d'actions sont l'action en faveur du patrimoine, la promotion du livre et de la lecture publique, le soutien aux projets de mobilité des créateurs.
Le deuxième objectif est la diffusion du spectacle vivant grâce à
Ø la subvention d'équilibre versée à l'Office Départemental de la Culture, l'association gestionnaire des théâtres départementaux de Saint-Gilles et de Champ-Fleuri105(*),
Ø au financement de l'association de gestion du théâtre Luc Donat du Tampon,
Ø le financement du Centre Dramatique Régional de l'Océan Indien,
Ø l'aide aux salles de spectacle bénéficiant du dispositif «  Culture du Contrat de Plan »,
Ø Le financement des deux scènes conventionnées de La Réunion qui sont l'association de gestion du Séchoir à Saint-Leu et l'association de gestion les Bambous à Saint-Benoît.
  • · Le troisième objectif est l'aide à la formation des acteurs culturels avec l'aide à la mobilité et le financement de l'école des beaux arts et de l'école d'architecture.
  • · Le Département se positionne également en tant qu'acteur de la vie culturelle grâce à
Ø Des actions en faveur des musées,
Ø La gestion des collections et l'accueil des publics des archives départementales,
Ø La gestion de l'Artothèque et de la bibliothèque,
Ø L'édition du prix littéraire de l'Océan Indien,
Ø Et des actions en faveur du patrimoine,
* 103 CONSEIL GENERAL, 2003, Rapport B.A. 2003, Commission Education - Mobilité - Culture - Coopération - Sport, pp 194-205.
* 104 CONSEIL GENERAL, 2004, Rapport O.B. 2004 du Département de La Réunion, pp 151-160.
* 105 Cf. Annexe 3 : Les équipements culturels à La Réunion

Le soutien à l'expression réunionnaise entre 1985 et 2004 : quelles priorités ?
De 1985 à 1993 : La littérature et la musique
En 1985, le Conseil Général met en place un fond d'action culturelle permettant de «  redécouvrir les domaines essentiels à l'enrichissement de la culture réunionnaise et au développement de tous les réunionnais. » Dans cet objectif, plus d'une centaine d'associations et d'artistes dans tous les secteurs culturels sont soutenus financièrement. Néanmoins, jusqu'en 1993, les priorités du Département ont été la création littéraire et la musique. Les aides du Conseil Général ont permis à de nombreux groupes réunionnais d'acquérir du matériel et de se faire connaître. Un effort particulier avait été fait pour faire connaître la musique réunionnaise en favorisant la participation de groupes locaux à des festivals sur le territoire national (festival de jazz d'Angoulême, Festival «  Nuits Blanches pour Musique Noires »..) ou en permettant leur confrontation à des groupes de l'Océan Indien et d'ailleurs (Festival de jazz et de Musique Populaire de Saint-Denis de la Réunion).
De 1995 à 1998 : La danse et l'écriture
Dans le projet 1995-1998, la musique devient moins prioritaire et le Département favorise des secteurs jusqu'à présent inexplorés tels que la danse et l'écriture.
En 2004 : Le spectacle vivant et le patrimoine106(*)
Au premier semestre de l'année 2004, la part du budget du département alloué à la culture pour le domaine du théâtre s'élève à 17%, suivit du patrimoine à 10%. Ce sont les deux secteurs les plus financés. Il n'y a plus que 7% du budget culturel qui revient à la musique.
* 106 CONSEIL GENERAL, 2004, Rapport B.P. 2004 du Département de La Réunion, pp 1-19.




(b) La Région à la recherche d'une identité institutionnelle
Suite à un entretient en juin 2004 avec François Bertil, responsable du service culturel de la Région, nous avons pu dégager les grands axes de la politique culturelle du Conseil Régional. Il se trouve que la problématique de l'identité culturelle réunionnaise et régionale demeure une priorité pour la collectivité107(*). L'année 2004 est une année forte pour la région, car elle voit la réalisation d'un nombre conséquent de grands projets culturels régionaux « essentiels à un ancrage identitaire du Réunionnais dans son environnement pour une meilleure ouverture sur le monde » selon les propos de François Bertil.
Orientations budgétaires du Conseil Régional en 2004
Elles s'inscrivent dans la lignée du projet de mandature 1998-2004 avec la mise en oeuvre des priorités votées :
  • · accorder la place, le rôle et la valeur qui revient aux acteurs culturels en les soutenant financièrement,
  • · favoriser l'accès des structures de diffusion au plus large public,
  • · protéger et restaurer le patrimoine architectural, ethnologique, littéraire, musical et oral
  • · établir des passerelles entre créateurs, organisateurs et spectateurs,
  • · contribuer au plus haut niveau possible pour tous et pour chacun par la formation et la mobilité,
  • · poursuivre la réalisation de l'Unité réunionnaise tout en valorisant les autres structures culturelles régionales108(*).
Ces politiques s'inscrivent dans le cadre de :
La promotion de la culture et de l'identité culturelle réunionnaise
  • · Des actions pédagogiques,
  • · L'accompagnement de la vie culturelle et artistique en aidant la création et la diffusion artistique réunionnaise,
  • · La valorisation du patrimoine culturel et de l'identité régionale
Ø les petits musées associatifs,
Ø les langues et cultures régionales (manifestation du 20 décembre et la semaine créole, le soutient du programme «  Route de l'esclave » en 2004 dans le cadre de l'année internationale de commémoration de la lutte contre l'esclavage et de son abolition décrétée par l'UNESCO,
Ø La promotion du patrimoine littéraire réunionnais et indianocéanique,
Ø L'inventaire général du patrimoine culturel de La Réunion (l'audiovisuel, la maison des civilisations et de l'Unité Réunionnaise qui est un lieu de synthèse sur l'histoire et l'identité de la région.
La mise en valeur des équipements culturels régionaux
  • · Inventorier et valoriser le patrimoine matériel,
  • · Conservation et restauration des oeuvres,
  • · Soutient aux structures muséales,
  • · Décentralisation, mise en place de partenariats et renforcement de l'activité artistique du Conservatoire National de Région (CNR) qui est l'animateur de la structuration de l'enseignement musical, chorégraphique et théâtral,
  • · Soutient aux structures associatives conventionnées telles que :
Ø Le Fonds Régional d'Art Contemporain (FRAC),
Ø Le Pôle Régional des Musiques Actuelles (PRMA),
Ø Les autres structures culturelles (conventions avec le secteur du théâtre, de la danse et de la diffusion),
Ø Suivit du contrat de plan 2000-2006 «  démocratisation de la culture ».
* 107 CONSEIL REGIONAL, 2004, Bilan d'activités 2003 de la Région Réunion, Secteur Culture, 30p.

L'aménagement équilibré du territoire
  • · en faveur du patrimoine architectural et du patrimoine agricole,
  • · pour une meilleure irrigation du territoire en matière de création et de diffusion de la production artistique avec l'aide octroyée aux communes pour leurs équipements,
  • · avec la formation et une meilleure mobilité des acteurs culturels.
Le soutient à l'expression réunionnaise en 2003
Le budget primitif alloué à la culture s'élève en 2003 à 7 227 561 euros. La politique culturelle axée sur l'accompagnement des projets des acteurs locaux va valoriser les créations artistiques109(*).
Les lieux de diffusion
L'intervention de la région a été de 980 774 euros pour 2003, soit 13% du budget alloué à la culture. Les missions principales dévolues aux salles de spectacles concernent la diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires
Privilège à la musique
Alors que le Département favorise les créations théâtrales locales, la Région consacre une enveloppe globale conséquente au secteur musical qui s'élève en 2003 à 666 756 euros (9% du budget). Ce soutient concerne l'aide à la création, à la diffusion, à la formation et à l'équipement et s'adresse aux artistes locaux, aux associations, aux écoles de musique et au PRMA. Dans le cadre d'une valorisation de la culture et du patrimoine réunionnais, la musique réunionnaise se voit attribuer 67 722 euros (1% du budget) pour encourager les projets visant à promouvoir de nouveaux artistes et contribuer au rayonnement de la culture à l'extérieur du département. Pour que la musique réunionnaise puisse s'exporter en 2003 dans plusieurs pays, les groupes ont été soutenus à hauteur de 139 678 euros (2% du budget). Bien que premier vecteur de la culture, la musique n'est pas le seul secteur sur lequel la Région s'est appuyée dans sa volonté de faire découvrir et s'exporter ses talents.
La littérature réunionnaise, langues et cultures régionales
Pour 2003, se sont 94140 euros (1.3% du budget) qui ont été utilisés pour le financement d'actions mettant en lumière les écrits et auteurs réunionnais ainsi que les événements ayant une importance historique pour la région.
Le théâtre
L'accompagnement des troupes de théâtre par la Région a été important en 2003. Une enveloppe globale de 482 591 euros (6.6% du budget) a été consacrée à ce secteur dont les compagnies professionnelles conventionnées, les amateurs et le Centre Dramatique Régional de l'Océan Indien.
Les arts plastiques et la danse sont financés mais dans une moindre mesure.
* 109 CONSEIL REGIONAL, 2004, Bilan d'activités 2003 de la Région Réunion, Secteur Culture, 30p

3) Les autres acteurs de la politique culturelle

(a) Service de l'Etat : La DRAC
Evolution des orientations politiques
La Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) est conçue comme un outil d'accompagnement de la décentralisation et existe à La Réunion depuis 1982. Son rôle est d'être l'interlocuteur entre l'Etat et les collectivités territoriales locales en matière de culture. Elle doit ainsi tenir compte des préoccupations de la société dans laquelle elle est implantée.
En 1994 elle définit ses axes prioritaires en trois points :
  • · l'aménagement équilibré du territoire et la décentralisation culturelle,
  • · la préservation de l'identité qui implique une protection nécessaire et concertée du patrimoine historique, ethnologique et artistique à La Réunion,
  • · la structuration économique du secteur culturel.
La directrice de la DRAC, Madame Chateauminois, nous a accordé un entretient en juillet 2004 qui nous a permis de connaître le budget octroyé par l'Etat pour la culture en général. Ce budget s'élève à 4300 000 euros en 2004. Les axes prioritaires sont :
  • · l'aménagement du territoire,
  • · La formation,
  • · la circulation des oeuvres et des artistes,
  • · le travail avec les collectivités territoriales et locales,
  • · la coopération et les actions internationales.
Un regard subjectif sur la culture : entretient avec la directrice
La vie culturelle sur ce Département d'Outre-Mer est toute jeune puisque qu'elle n'a que 20 ans d'âge. Selon la directrice, engager la moindre politique ou action culturelle suppose une bonne connaissance du territoire afin d'équilibrer l'offre culturelle en fonction de la répartition et des aspirations de la population. Il est essentiel pour cela de prendre en compte l'histoire des réunionnais mais de ne pas rester cantonné au passé afin d'ouvrir la population à l'extérieur. Selon elle «  on n'avance que si l'on se confronte à l'autre ». En douze années d'exercice à La Réunion, madame Chateauminois a réellement voulu comprendre la culture et l'identité de la société réunionnaise. Elle nous dit que « c'est une société qui se cherche, comme toute société métissée appelée créole ». « Le mariage des bourreaux et des esclaves » issu du passé fait que la société réunionnaise est en pleine recherche d'une identité.
Cependant les réunionnais «  subissent aujourd'hui un choc en raison d'une évolution et une adaptation trop rapide au monde occidental. Ils sont arrivés trop vite à une société de consommation et à un stade de surpopulation». Ils veulent s'expatrier vers la métropole mais reviennent très vite sur leur sol natal car ils sont fortement attachés à leurs origines et à leur famille. L'offre culturelle ne serait pas suffisante malgré «  une réelle et palpable volonté des réunionnais d'exprimer leur culture grâce à l'art ». Il serait intéressant de développer les arts de la rue mais les réunionnais «  réservés » ne s'approprient pas l'espace public aussi facilement car ils privilégient la sphère privée. En conséquence, les structures culturelles doivent s'adapter à cette tendance et ne développent pas suffisamment les festivals en plein air. De plus, «  chacun reste dans son coin » alors qu'il faudrait créer un réseau de partenariat favorisant l'échange. Certaines entreprises culturelles ont compris qu'il fallait « s'ouvrir aux autres pays, aller voir » mais l'aspect insulaire ne favorise pas ces échanges. «  Le public se conquiert » et c'est pour cela que madame Chateauminois préconise une réflexion sur les réunionnais et soutient les actions engagées par les responsables des structures culturelles qui sont vraiment à l'écoute des réunionnais au-delà des discours convenables et qui veulent concrètement sensibiliser leur public à de nouvelles formes artistiques. Le spectacle vivant est selon elle le meilleur vivier pour l'expression de l'identité réunionnaise car il permet, en plus des capacités multiples d'expressions, une réelle reconnaissance de cette culture sur le plan international.







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b) Les communes
Politique culturelle
Contrairement à la métropole où l'on observe une disparité entre les politiques culturelles des petites et grandes villes, à La Réunion, les politiques diffèrent peu d'une commune à une autre. Ceci s'explique peut-être par le fait que dans l'île, les communes sont relativement grandes sans qu'il y ait pour autant de véritables grandes villes.
La réalisation des salles
Les municipalités gèrent les équipements plurifonctionnels tels que les salles polyvalentes et les salles des fêtes. Il existe, réparties sur toute l'île, un peu moins d'une vingtaine de salles polyvalentes, et autant de salles des fêtes. Ces salles sont utilisées pour des ateliers, des expositions, des spectacles (musique, théâtre) et occasionnellement pour des projections de films110(*). La presque totalité de ces salles ont été ouvertes après 1982.
On intègre aussi dans ce type d'équipement la halle des manifestations du Port ouverte en novembre 1992 et pouvant contenir jusqu'à 6000 personnes. Elle accueille également tous les genres de productions artistiques. Les communes de Saint Denis et de Saint Paul disposent, elles aussi, de halles d'exposition de grande capacité.
Conclusion
Il faut souligner ici la spécificité de ce DOM où le territoire constitue à la fois une région et un département. Les politiques culturelles émanant des collectivités territoriales qui sont la Région et le Département sont complémentaires. Leur objectif commun pour le territoire qu'elles ont à gérer est de mettre en valeur l'identité de celui-ci et de sa population par le biais du patrimoine. Tous les secteurs culturels sont concernés par cette volonté. On remarque une aide financière particulière octroyée par les collectivités pour le patrimoine culturel et pour le domaine du spectacle vivant alors que la littérature, l'art plastique et le cinéma, bien que soutenus, ne font pas partie des priorités. Nous avons vu à travers l'analyse des pratiques culturelles des réunionnais que le patrimoine et le spectacle vivant n'était pas les plus prisés et qu'ils passaient bien après les loisirs de détente et le cinéma. C'est sûrement l'une des raisons pour lesquelles les collectivités se soucient particulièrement de ces domaines et qu'elles les aident à subsister. Une autre explication serait que dans un souci de mise en valeur de l'identité régionale elles auraient choisi de soutenir le spectacle vivant qui lui sert de tremplin.
Toutefois, les efforts de ces deux collectivités se concentrent sur un secteur du spectacle vivant en particulier. Alors que la Région aura tendance à subventionner la musique en priorité, le Département préfère oeuvrer en faveur du théâtre. Ceci ne nous conforte-t-il pas dans l'idée que le spectacle vivant, et particulièrement les secteurs de la musique et du théâtre, sont considérés par les acteurs politiques comme des vecteurs identitaires privilégiés ?
* 110 Cf. Annexe 3 : Les équipements culturels à La Réunion
) Tour d'horizon des salles de spectacles dans l'île
Liste des salles répertoriées sur l'île et analyse
L'est de l'île reste très pauvre en salles de diffusion culturelle par rapport au reste du territoire. D'après le tableau en annexe, les salles les plus importantes aujourd'hui en nombre et en superficie se situent du nord ouest au sud ouest de l'île de La Réunion. Cependant de nombreux projets sont en cours d'étude et de réalisation. Le Zénith sera opérationnel fin 2006 et pourra contenir jusqu'à 6000 personnes à Saint-Denis. Il semble que les communes les plus démunies aient pour projet de financer l'installation de salles culturelles. Ainsi, les communes reculées à l'intérieur des terres et dont l'accès n'est pas facile telles que Salazie et la Plaine des Palmistes s'engagent pour les années à venir à construire des équipements111(*). La question à se poser étant de savoir si cette réalisation correspond à une demande des Réunionnais et si elle ne va pas étouffer les autres structures culturelles du territoire lorsqu'il s'agit du projet du Zénith.
Série d'entretiens avec des responsables de structures culturelles à La Réunion
Nous avons voulu interroger les professionnels du secteur culturel qui définissent et mettent en oeuvre les orientations politiques des entreprises qu'ils gèrent. Nous n'avons bien sûr pas pu recueillir les propos de tout monde et avons préalablement sélectionné les structures ayant une programmation favorisant les productions locales dans le domaine du spectacle vivant. Parmi les questions qui leur étaient posées nous avons soulevé celle de l'identité réunionnaise. L'objectif était de savoir comment ils l'appréhendaient, la définissaient et quelles étaient les actions menées en sa faveur.
L'association le Séchoir 
Jérôme Galabert gère l'association Le Séchoir dans la ville de Saint-Leu. Les missions principales sont la diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires ainsi que la mise en place d'ateliers servant de tremplins aux artistes réunionnais tels que « la compagnie Pascal Montrouge », Baster, les groupes de Hip Hop. Il dispose de trois lieux bien ancrés dans la ville et qui reflètent chacun les aspirations des réunionnais : le Séchoir qui diffuse surtout des groupes et compagnies locales, le K qui diffuse également des artistes réunionnais mais qui sert aussi de lieu de rencontre entre le public et les artistes. Enfin, la Ravine pour des spectacles de plein air essentiellement musicaux et d'origine internationale. Monsieur Galabert a misé sur le choix pour satisfaire son public. Bien que principalement orientée vers les productions locales, sa programmation se veut le reflet de la diversité culturelle. Les spectacles attirent beaucoup de métropolitains et de réunionnais attachés à la culture française tout en leur permettant de connaître la culture locale via la musique, le théâtre et les arts de la rue. Jusque dans les années soixante-dix, la culture était diffusée par un centre culturel officiel dont la programmation reposait sur un travail d'amateurs. Destinées aux besoins d'un public bourgeois, les productions réalisées étaient essentiellement des pièces issues du répertoire classique. Il a fallu attendre le début des années quatre-vingt pour voir émerger l'expression d'une culture à part entière. Sa première manifestation fut la redécouverte et la réactualisation de la musique des esclaves : le maloya. Puis ce fut au tour du théâtre de prendre ses marques. Il s'agit alors de mêler les publics bourgeois et populaires qui ont chacun une approche antagoniste de la recherche identitaire. Les lieux que gère l'association reflètent toutes les aspirations et doivent rester conviviaux et pluridisciplinaires. Dans sa démarche, le Séchoir cherche aussi à s'ouvrir vers un public peu familier des espaces de diffusion culturelle. Il veut inciter les gens à franchir la porte des lieux culturels. Dans ce souci de démocratisation de la culture, il applique une politique tarifaire avantageuse pour une programmation variée.
* 111 Cf. Annexe 4 : Salles de spectacles vivants à La Réunion


) Tour d'horizon des salles de spectacles dans l'île
Liste des salles répertoriées sur l'île et analyse
L'est de l'île reste très pauvre en salles de diffusion culturelle par rapport au reste du territoire. D'après le tableau en annexe, les salles les plus importantes aujourd'hui en nombre et en superficie se situent du nord ouest au sud ouest de l'île de La Réunion. Cependant de nombreux projets sont en cours d'étude et de réalisation. Le Zénith sera opérationnel fin 2006 et pourra contenir jusqu'à 6000 personnes à Saint-Denis. Il semble que les communes les plus démunies aient pour projet de financer l'installation de salles culturelles. Ainsi, les communes reculées à l'intérieur des terres et dont l'accès n'est pas facile telles que Salazie et la Plaine des Palmistes s'engagent pour les années à venir à construire des équipements111(*). La question à se poser étant de savoir si cette réalisation correspond à une demande des Réunionnais et si elle ne va pas étouffer les autres structures culturelles du territoire lorsqu'il s'agit du projet du Zénith.
Série d'entretiens avec des responsables de structures culturelles à La Réunion
Nous avons voulu interroger les professionnels du secteur culturel qui définissent et mettent en oeuvre les orientations politiques des entreprises qu'ils gèrent. Nous n'avons bien sûr pas pu recueillir les propos de tout monde et avons préalablement sélectionné les structures ayant une programmation favorisant les productions locales dans le domaine du spectacle vivant. Parmi les questions qui leur étaient posées nous avons soulevé celle de l'identité réunionnaise. L'objectif était de savoir comment ils l'appréhendaient, la définissaient et quelles étaient les actions menées en sa faveur.
L'association le Séchoir 
Jérôme Galabert gère l'association Le Séchoir dans la ville de Saint-Leu. Les missions principales sont la diffusion de spectacles vivants pluridisciplinaires ainsi que la mise en place d'ateliers servant de tremplins aux artistes réunionnais tels que « la compagnie Pascal Montrouge », Baster, les groupes de Hip Hop. Il dispose de trois lieux bien ancrés dans la ville et qui reflètent chacun les aspirations des réunionnais : le Séchoir qui diffuse surtout des groupes et compagnies locales, le K qui diffuse également des artistes réunionnais mais qui sert aussi de lieu de rencontre entre le public et les artistes. Enfin, la Ravine pour des spectacles de plein air essentiellement musicaux et d'origine internationale. Monsieur Galabert a misé sur le choix pour satisfaire son public. Bien que principalement orientée vers les productions locales, sa programmation se veut le reflet de la diversité culturelle. Les spectacles attirent beaucoup de métropolitains et de réunionnais attachés à la culture française tout en leur permettant de connaître la culture locale via la musique, le théâtre et les arts de la rue. Jusque dans les années soixante-dix, la culture était diffusée par un centre culturel officiel dont la programmation reposait sur un travail d'amateurs. Destinées aux besoins d'un public bourgeois, les productions réalisées étaient essentiellement des pièces issues du répertoire classique. Il a fallu attendre le début des années quatre-vingt pour voir émerger l'expression d'une culture à part entière. Sa première manifestation fut la redécouverte et la réactualisation de la musique des esclaves : le maloya. Puis ce fut au tour du théâtre de prendre ses marques. Il s'agit alors de mêler les publics bourgeois et populaires qui ont chacun une approche antagoniste de la recherche identitaire. Les lieux que gère l'association reflètent toutes les aspirations et doivent rester conviviaux et pluridisciplinaires. Dans sa démarche, le Séchoir cherche aussi à s'ouvrir vers un public peu familier des espaces de diffusion culturelle. Il veut inciter les gens à franchir la porte des lieux culturels. Dans ce souci de démocratisation de la culture, il applique une politique tarifaire avantageuse pour une programmation variée.
* 111 Cf. Annexe 4 : Salles de spectacles vivants à La Réunion
Le Centre Dramatique de l'Océan Indien
Des créations originales ainsi que des adaptations en créole ont été réalisées au théâtre contemporain du grand marché sous la direction de Ahmed Madani telles que « Dokter Kontroker » et « l'avis lo mor » ou encore « Légendes créoles ». Son principal objectif est de mettre en place des actions de coopération régionale dans le domaine théâtral. D'abord de centre dramatique « de la Réunion », il est devenu «  de l'Océan Indien ». L'appellation n'est pas innocente. A la Martinique, le centre s'appelle « de la Martinique ». Pour les uns, elle prouve la volonté de s'intégrer dans un environnement géopolitique. Pour les autres, c'est une façon de renforcer l'influence de la France dans la région et de mettre à distance une culture Créole pour s'en remettre à un modèle métropolitain, sinon à une culture universelle. L'appellation est confirmée par les objectifs du centre et de monsieur Madani qui prône le recours aux ethnies et aux cultures d'origine, « Il est arrivé et arrive encore à l'île d'être mal dans sa peau par refus de ses racines et de son identité ». Aux yeux des métropolitains qui sont ici de passage il y a des cultures indiennes, chinoise, africaines mais aussi une culture créole. Il y a le métissage et également une cohérence entre «  peuples qui forment la Réunion » et « s'enrichissent mutuellement de leurs différences ». En ce qui concerne la création, le véritables objectif du centre est de faire une programmation annonçant des co-productions avec l'essentiel des compagnies réunionnaises. Mais la concurrence est rude et la création locale doit faire face à « une surenchère des importations ». Le centre doit alors avoir pour mission d'être un « outil pluriel » qui favorise la culture réunionnaise tout en favorisant l'expression artistique de la zone Océan Indien.
Le Théâtre Vollard
Un article paru dans le journal de l'île (JIR) en mai 2004 et écrit par Emmanuel Genvrin le directeur du théâtre Vollard avait attiré notre attention. Il faisait état des créations théâtrales sur l'île fustigeant au passage les compagnies en leur reprochant de ne faire que des adaptations en langue Française des oeuvres du répertoire classique. Il préconisait un théâtre réunionnais plus proche de la société. Cet article faisait écho à celui, publié en 1980 dans Le Quotidien et dont voici un extrait : «  Il n'y a pas de théâtre réunionnais, il existe des textes qui ont parfois une valeur, il existe des auteurs qu'il faut encourager, il n'existe pas d'oeuvre qui mériterait d'être présentée lors d'un festival...le théâtre réunionnais est à venir... ». Aujourd'hui la situation n'a-t-elle donc pas vraiment changé ?
Nous avons rencontré l'auteur et metteur en scène Emmanuel Genvrin. Il fonde le théâtre Vollard en 1979. «  Nous somme nés à la fin des années soixantes-dix, comme Ziskakan, comme Danyel Waro, et avons accompagné une génération en mal de révolte et d'identité. Dans une île passée en vingt ans du moyen âge colonial à la société de consommation, les chocs ont été rudes et les conflits nombreux...l'administration nous étranglait...nous avons soutenu les motivations de la révolte du Chaudron ». Emmanuel Genvrin n'a cessé de se demander s'il fallait se taire ? Eviter la politique ? Ne faire que du théâtre ? « Aujourd'hui grâce aux combats, l'histoire de l'île n'est plus occultée et une culture nouvelle est née. »
Il nous explique que « Marie Dessembre », « Nina Ségamour », « Etuve », « Lepervenche », « Votez Ubu Colonial » sont autant de jalons dans l'itinéraire de la compagnie. Ces pièces ont connu un succès se comptant en milliers de spectateurs. Elles ont fondé un style propre au théâtre Vollard et ont eu une influence au-delà de la vie culturelle pour toucher l'opinion publique ou l'actualité politique et témoigner d'un passé souvent occulté de l'île. Elle s'inscrit aujourd'hui dans la mémoire collective. Pour faire sa pub et attirer l'attention, pour contester les systèmes politiques mis en place, la troupe Vollard a crée des événements, manié des symboles et multiplié les provocations. Par exemple, le slogan «  quelle culture ? » inscrit sur la façade du théâtre Vollard était dédié à la ville de St-Denis. Elle est régulièrement reprise par les médias, les partisans de la culture créole et tous ceux qui veulent protester contre les politiques culturelles en place.
Puis la compagnie est sortie de ses quatre murs et du territoire pour s'ouvrir à la métropole. « Tôt ou tard une troupe de théâtre doit se frotter à Paris ». Emmanuel Grenvin pense que c'est là que sont les décideurs, les médias qui comptent. Le public est exigeant, cosmopolite et il n'y a pas de tricherie. Le metteur en scène nous dit sa volonté de créer une atmosphère dans ses pièces grâce à la danse, au chant et à la musique proprement réunionnaises (séga, maloya) ou d'inspiration africaine. Quant à l'utilisation du créole, il a fait l'effet d'une dynamite en 1981 pour la première grande création car il n'était plus la référence plaisante et grotesque mais un parler naturel. Un certain public hostile au théâtre Vollard lui reprochait l'usage du créole sur scène alors que la langue était réservée au quotidien, banni des écoles et de l'expression artistique. Ce débat est encore d'actualité mais amenuisé par la généralisation qui en a été faite par la suite dans toutes les formes artistiques à revendication identitaire. « Au théâtre c'est un plaisir d'utiliser les qualités poétiques du créole, langue métaphorique, porteuse d'émotions, d'humour dans la saveur crue et imagée des dialogues... ». C'est surtout dans l'écriture des créations personnelles d'Emmanuel Genvrin que s'élaborait une nouvelle dramaturgie proprement réunionnaise en inscrivant ses personnages dans la réalité sociale et culturelle de l'île. C'est la première troupe à avoir revendiqué si fortement la « réunionnité », en même temps que les groupes musicaux. Avec Marie Dessembre, pièce écrite pour la célébration de l'abolition de l'esclavage en 1981, on voit une société réunionnaise dans ses origines et «  les profondeurs de son inconscient collectif : héritage de l'esclavage, racisme latent, la maternité triomphante et la paternité non assumée. ». L'enjeu est plutôt ici de saisir les constantes et les non-dits de l'âme collective réunionnaise.
Conclusion
Les responsables des structures culturelles façonnent le monde du spectacle vivant réunionnais à travers des orientations et des choix dont résultent leurs programmations. Bien qu'influencés parfois par les collectivités qui les subventionnent et auxquelles ils doivent satisfaire, la plupart des administrateurs et gestionnaires de salles de concert, théâtres et centres dramatiques veulent répondre de façon originale et personnelle à leur public. Il n'existe pas un public réunionnais mais des publics, adeptes d'un lieu particulier de diffusion culturelle. Chaque lieu est à l'image des personnes qui le fréquentent et chaque personne y trouve ce qu'elle cherche. Les salles de spectacles de La Réunion reflètent ainsi les identités réunionnaises qui se logent dans leur programmation. « Les bambous soulignent cette capacité du spectacle vivant à véhiculer une identité réunionnaise112(*). Que se passe-t-il quand une collectivité, le Département, délègue à une association la gestion d'un office culturel ? La programmation est-elle influencée par la politique du Conseil Général ? Est-elle en adéquation avec les aspirations identitaires du public réunionnais qui fréquente les lieux ? Se fait-elle plutôt l'image d'une culture métropolitaine qu'on a vue influente lors de la départementalisation ? Propose-t-elle une programmation sinon diversifiée tout en étant équilibrée entre le spectacle vivant du département et une production artistique métropolitaine ?
* 112 Cf. Annexe 6 : Témoignage du théâtre « Les Bambous »














































III. Description et analyse d'une structure culturelle : l'Office Départemental de la Culture

L'Office Departemental de la Culture (ODC) succède au Centre Réunionnais d'Action Culturelles (CRAC) en 1990. Il est financé à 98% par le Conseil Général. Les subventions du département s'élèvent à trois millions d'euros. Il a hérité de deux missions : la gestion des deux théâtres départementaux (Champ-Fleuri et Saint-Gilles) et le développement des actions de décentralisation sur toute l'île. Les deux théâtres accueillent des manifestations d'envergure, tels que des concerts, des ballets ou des pièces de théâtre. Ce sont d'importants outils de proximité. Une dizaine d'opérations sont proposées chaque mois, dont une partie est décentralisée sur d'autres salles de spectacle de l'île en collaboration avec les services culturels des municipalités.

A. Présentation de l'Office Départemental de la culture 

1) Ses missions, ses objectifs et ses outils

(a) Objets de l'association loi 1901
Depuis sa création en mai 1990, l'ODC a pour mission essentielle de promouvoir et de développer la politique culturelle du Département. Au cours de la dernière décennie, l'association a accompli trois objectifs :
  • · contribuer au développement culturel par la création et la diffusion de spectacles vivants
  • · participer à l'évolution du paysage culturel en servant de catalyseur à la mise en place de structures culturelles municipales
  • · faciliter l'accès à la culture pour le plus grand nombre.
L'ODC a aujourd'hui gagné toute sa place dans le paysage culturel de l'Île de la Réunion. Cela est le fait d'un travail en commun mené par une équipe d'une quarantaine de professionnels.
(b) Les objectifs renouvelés
Des objectifs nouveaux sont énoncés en 2004 par le directeur général Jacques Dambreville :
  • · « Promouvoir la culture comme un sanctuaire de tolérance, de rassemblement et de communion des esprits et des coeurs ».
  • · « Sortir de notre repli pour assurer, au mieux, le fonctionnement de nos deux théâtres : s'ouvrir aux autres acteurs réunionnais pour en faire les partenaires d'un même projet fédérés autour d'une dynamique commune ».
Une volonté se dégage, celle de décentraliser au plus large les possibilités sans remettre en cause le bon fonctionnement des deux théâtres. On sent le désir de créer une dynamique commune autour de la culture qui sera jalonnée par un réseau de partenariat. Cet objectif d'unification ne va pas sans une volonté d'action en commun avec les autres professionnels en vue d'une vision globale de la culture réunionnaise. On peut y voir une réelle réflexion menée pour définir un projet unificateur rassemblant les réunionnais et les professionnels de la culture.

c) Quels outils pour la réalisation de ces objectifs ?
L'association prévoit la transformation d'une des salles du théâtre de Champ Fleuri en un "Petit Champ Fleuri" d'une centaine de places. Le but est de révéler les artistes en herbe et de découvrir des spectacles formatés à la dimension des autres salles de l'île. Cet aménagement devrait permettre de participer à l'émergence de nouveaux talents et d'offrir aux autres salles, des spectacles plus appropriés à leur jauge et à leur programmation.
Un aménagement similaire est envisagé au Théâtre de Saint Gilles où Jacques Dambreville veut créer une seconde scène sous les arbres pour l'accueil de petits groupes et la réalisation de véritables festivals. 

2) Quelles stratégies et quelles évolutions ?

(a) Les stratégie énoncées par le Directeur
  • · « Intégrer dans l'esprit de chacun que l'ODC est un organisme de partage, une fédération des initiatives culturelles, dans un esprit de partenariat ouvert et respectueux des autres ».
  • · « Cette ouverture synonyme d'ouverture à d'autres publics ne doit pas pour autant nous éloigner des chemins qui nous ont conduits au niveau actuel. L'ODC doit donc continuer à être ce laboratoire capable de prendre des risques pour découvrir de nouvelles pistes et montrer les nouveaux horizons qui pourraient être prospectés par nos artistes ».
  • · « Nos moyens, notre expérience, notre savoir-faire, sont des atouts majeurs pour cette prospection. Ils devraient permettre de dépasser l'objectif du simple accès à la culture pour le plus grand nombre et aboutir ainsi à l'émergence de « l'homme réunionnais ». Ainsi, nous participerons à la constitution et à l'évolution du patrimoine et de l'identité de notre société ».
Derrière la volonté unificatrice portée par les objectifs s'énonce le désir de prendre en compte la question identitaire si couramment formulée par les acteurs sur le territoire réunionnais. L'ODC serait ainsi l'outil qui définirait et illustrerait le mieux la culture réunionnaise en révélant les talents locaux au public réunionnais et en aidant ces artistes à aller se produire ailleurs dans le monde afin de porter la culture réunionnaise en dehors des enceintes limitées du territoire.
(b) Volonté d'évolution
Cette évolution prônée par monsieur Dambreville passe par la connaissance et la reconnaissance des traditions et des valeurs des réunionnais de diverses origines. C'est une étape indispensable que l'ODC compte appliquer et enseigner au public. La reconnaissance des différences peut être considérée comme une source d'enrichissement, pour mieux comprendre et respecter les diverses cultures tout en étant tolérant avec les autres.
L'évolution au niveau de l'ODC, c'est aussi une approche artistique qui prépare le public à découvrir autre chose que tout ce qui demeure classique et traditionnel :
  • · C'est « mettre les moyens consentis par les collectivités au service du citoyen pour le sortir du conditionnement orchestré par les médias qui font et défont les opinions ».
  • · C'est « se battre contre les instances qui façonnent les jugements en créant des phénomènes cycliques de mode où l'argent se substitue au talent.
  • · Faire évoluer l'ODC c'est aujourd'hui « s'appuyer sur la crédibilité acquise pour ne plus nous limiter à un échange unique Nord-Sud mais aller à la découverte du monde. Quoi de plus naturel pour un pays comme le nôtre qui tire sa plus grande richesse de son métissage réussi ? ».
Monsieur Dambreville énonce clairement ici sa volonté d'ouvrir les réunionnais au monde culturel extérieur en leur offrant une programmation diversifiée à l'image de la société. Il s'engage ainsi à ne pas se contenter de diffuser des productions standardisées mais d'aller au-delà d'un star-système médiatisé pour enrichir le public en connaissances et lui inculquer un sens critique. On remarque un rapprochement avec la politique du parti communiste dont les thèses développent plutôt l'idée de l'échange. Les discours portent essentiellement sur l'accès à une « culture de développement » responsabilisant les Réunionnais et leur permettant de sortir de cette crise d'identité. L'ODC semble adopter le même discours et la même méthode que ce parti en visant une fusion entre l'authenticité des cultures ancestrales et une identité commune. La même volonté d'éviter une folklorisation de la culture réunionnaise apparaît pour que celle-ci puisse « engager le pari de la qualité et s'ouvrir sans complexe aux autres ».

3) La délégation de service public

La délégation de service public permet d'oeuvrer dans le temps afin de servir de levier aux artistes. Elle apporte en plus la stabilité financière nécessaire à la bonne gestion de toutes entreprises culturelles. L'ODC dispose ainsi d'un maximum d'atouts pour réussir la mission principale qui lui a été confiée : être en phase avec l'histoire et la population réunionnaise.

B. Les contrats d'objectif par axe

1) Des actions de production et de programmation artistique

(a) Les Objectifs
La production et la programmation artistique sont les parties les plus visibles de l'ODC. Cet axe mérite donc une attention particulière. Il ne peut cependant pas être isolé de l'ensemble des actions de la structure et doit être analysé en fonction de son contexte général qui le lie à plusieurs partenaires.
Objectifs généraux
  • · Promouvoir la culture comme moyen de développement,
  • · Offrir aux publics un programme culturel de qualité, riche et varié,
  • · Participer à l'affirmation de l'identité réunionnaise en favorisant la ré appropriation de l'histoire du patrimoine par les spectateurs,
  • · Démocratiser l'accès à la culture,
  • · Veiller à l'équilibre entre les spectateurs locaux et extérieurs en proposant une programmation annuelle équilibrée par rapport aux
Ø genres
Ø rythmes
Ø origines (local régional extérieur)
  • · Décentraliser les spectacles,
  • · Valoriser les espaces, lieux culturels,
  • · Développer un partenariat pour amener les publics à Champ Fleuri et à Saint Gilles,
  • · Travailler à la programmation avec les communes et les structures,
  • · Faire un effort en direction du jeune public,
Les moyens
Pour parvenir à ses fins, l'ODC diffuse, produit et coproduit des créations locales (mixte), des spectacles divers qu'elle accueille, ainsi que des spectacles décentralisés sur une période allant de janvier à décembre. Son activité s'inscrit sur une courbe d'intensité liée à divers facteurs tels que :
  • · Les rentrées de février - septembre
  • · le calendrier scolaire
  • · les festivités de l'île
  • · le rythme des spectacles
  • · les genres
  • · la qualité
  • · le souci d'équilibre local / extérieur
  • · l'accessibilité par le plus grand nombre
  • · la décentralisation
  • · les opportunités
  • · l'offre et la demande
  • · les partenariats
Les moyens de l'ODC
Moyens matériels
 
 
 
 
 
Le théâtre de champ fleuri
Le théâtre de Saint-Gilles
 
 
Moyens humains
 
 
 
 
 
Personnel technique
Personnel administratif
 
 
Moyens financiers
 
 
 
 
Evaluation
Qualité des spectacles
Les entrées/ le public
Le coût/ratio
Les retombées culturelles et pédagogiques
Recettes propres
 
 
 
 
 
Public adhérent et non adhérent
Jeune public
Associations et comités d'entreprise
Centres de vacances et de loisirs
Partenaires financiers publics
 
 
 
 
 
La Drac
Conseil Général
Conseil Régional
Les Communes
Locaux
 
Associations
Théâtres
- Luc Donat
- Le plazza
- Acte 3
Salles
- Bato Fou
- Halle des manifestations
Les artistes
Zone Océan Indien
 
 
 
 
 
Les centres culturels de la zone Océan Indien
« L'autre théâtre » à l'île Maurice
 
 
Nationaux
 
 
 
 
 
Ministère de la Culture
Ministère de la Francophonie
Ministère de la Cooperation


2) La gestion des théâtres départementaux en matière culturelle

L' O. D. C. gère les théâtres de Champ Fleuri et de Saint Gilles. Ces deux structures sont les outils essentiels pour affirmer son action et mettre en valeur sa programmation culturelle et artistique. Mêmes si elles sont performantes, elles ne lui permettent pas toujours de rentabiliser ses actions. En effet, pour la première, le nombre de places occupées par la liste protocolaire, le conseil d'administration et le personnel la prive en moyenne de 300 entrées payantes. La deuxième, lieu idéal pour des concerts, se limite à 1000 entrées payantes. Pour 2004, les objectifs sont de valoriser les deux théâtres en intensifiant leur rôle de rayonnement culturel et en élargissant leur champ d'action. Il est prévu de créer une dynamique à l'intérieur et autour des lieux tout en équilibrant la diffusion des spectacles pour fidéliser la clientèle. Enfin, l'objectif est de favoriser les échanges grâce au partenariat avec les autres salles et en favorisant la résidence en vue de créations locales pour les deux théâtres.

3) Des actions de formation

Tant au niveau de l'établissement que dans le cadre du contrat de plan Etat-Région-Département, l'O. D. C. doit mettre l'accent sur la formation. Elle se situe à trois niveaux : interne, externe et mixte. Il a un rôle à jouer afin d'être performant et pour consolider les capacités professionnelles. Cet objectif vise à former le personnel de l'établissement et à contribuer à la formation du personnel communal et associatif ainsi que les artistes.

4) Des actions de coopération avec les partenaires

La Réunion occupe une place relativement privilégiée dans la région de par son statut de département français d'outre mer avec ses spécificités aujourd'hui reconnues.
En outre, le développement culturel a permis à l'île de se doter d'outils et d'équipements culturels performants. Au delà de tous les circuits officiels, le statut associatif de l'ODC devrait permettre de jeter les bases d'une véritable coopération régionale dans la zone de l'Océan Indien à partir des différents « accords cadres » existants. Cette coopération vise à valoriser les richesses culturelles des différents pays sur le plan de l'histoire, du patrimoine et de l'art dans le cadre de partenariat avec des centres culturels. Elle a également pour objectif de favoriser la formation des personnes issues des différents pays tels que l'Australie, l'île Maurice, Madagascar, l'Afrique du sud, l'Angola, le Zimbabwe, l'Inde...





















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